Coups de clairon/Paul Henry/L’âme du Héros

Coups de Clairon : Chants et Poèmes héroïques
Georges Ondet, Éditeur (p. 249-252).

 


 

L’ÂME DU HÉROS


Poésie lue par l’auteur, le 28 septembre 1901, à Plougrescant (Côtes-du-Nord), au pied du monument élevé à la mémoire de Paul Henry par ses camarades du “ Borda ”.

Je viens à mon tour devant cette pierre
Pour te saluer, jeune et fier guerrier ;
Pour lancer aussi vers Dieu ma prière
Et mêler un brin de rose bruyère
À ton vert laurier !

D’autres, mieux que moi, diront tes faits d’armes
Et consoleront ta famille en deuil ;
Tout en m’inclinant devant ses alarmes
Moi je ne puis rien que verser des larmes
De joie et d’orgueil ;


De joie ineffable et d’orgueil farouche
Car le pavillon rouge, blanc et bleu
Abrite aujourd’hui la dernière couche
D’un qui sut mourir ayant à la bouche
Deux noms : France et Dieu !

On nous avait dit : « Tout se meurt : la Gloire
L’Idéal, la Foi, l’antique Fierté !… »
Soudain, tu surgis au seuil de l’Histoire
Trois palmes en main : Martyre, Victoire,
Immortalité !

Et, dès lors, narguant la Désespérance.
Au lieu d’entonner un noir Libera,
Nous nous écrions avec assurance :
« Tant que des Henry surgiront en France
La France vivra ! »

Son corps est là-bas… mais son Âme plane
Sur ce coin d’Armor qu’elle a tant chéri :
Elle est sur nos fronts, blanche et diaphane,
Avec ses amis sainte Eliboubane
Et saint Gonéry ; [1]

Elle rôdera, par landes et grèves,
Légère et ravie et grave à la fois :
Par les nuits d’été, par les nuits trop brèves,
Elle revivra tous les jolis rêves
Rêvés autrefois ;


Par les sombres nuits des rudes Frimaires,
Les trop longues nuits pour qui ne dort pas,
Elle ira semer de douces chimères
Autour des lits-clos où les tristes mères
Espèrent leurs gâs ;

Lorsque les pêcheurs verront leur gabare
Prête à s’engloutir, un soir d’ouragan,
Quelqu’un d’invisible empoignant la barre
Les pilotera sur le Flot barbare
Jusqu’à Plougrescant ;


Et, quand les enfants sortiront de classe,
Un Être inconnu marchant auprès d’eux
Leur murmurera des mots à voix basse,
Empruntant sa voix au grand vent qui passe
Dans les chemins creux…


Et sur la falaise, et dans la prairie,
Le futur marin, le futur pâtour,
Suspendant leurs jeux, pris de rêverie,
Apprendront qu’il faut aimer sa Patrie
Et de quel Amour…

Et, soudainement, chaque petit être
De ce coin béni du pays d’Armor
En lui sentira le Héros renaître,
Jurant d’imiter sa Vie et — peut-être —
D’imiter sa Mort !




Le Vaisseau-École « Le Borda »

  1. Patrons de Plougrescant