Coups de clairon/Les Boërs/Krüger pleure !

Coups de Clairon : Chants et Poèmes héroïques
Georges Ondet, Éditeur (p. 191-193).


KRÜGER PLEURE !…


Krüger a traversé la France,
Le front obstinément baissé,
Cachant fièrement sa souffrance
Comme un pauvre lion blessé !

Il regarda, morne et stoïque,
Vers lui tout un Peuple accourir
Acclamant une République
Que l’Europe laissa mourir !

Sa République, Enfant bénie
Dont il guida les pas tremblants,
Il a suivi son agonie
Le vieux grand-père à cheveux blancs ;

Celle qu’il va porter en terre,
Il l’entendit pleurer, râler
Sous les genoux de l’Angleterre
Qui mit trois ans à l’étrangler ;

Il l’a vue, aux grands jours épiques,
Lorsque avec Kronje elle lutta.
Rire les rires homériques
Des Joubert, Dewet et Botha ;


Il a dû compter les morsures
Du léopard ivre d’orgueil ;
Il a saigné par les blessures
Du vaillant Villebois-Mareuil !

À présent que, par tout l’Orange,
L’ennemi semble triomphant,
Il vient s’offrir pour qu’on l’échange
Contre le corps de son Enfant !

… Si bien qu’en le voyant paraitre,
Les fils de Brennus-le-Gaulois
Ont — changeant le Cri de l’Ancêtre —
Dit : « Gloire aux Vaincus ! » cette fois.

Gloire aux Vaincus !… Plaignons les autres !
Oui, nous vous plaignons, ô Vainqueurs !
Des Victoires comme les vôtres
Doivent laisser d’âcres rancœurs ;

Sur les crimes et les mensonges
L’Histoire darde son soleil :
Si vous avez eu de beaux songes
Vous aurez un triste réveil ;

L’Histoire est là qui vous regarde
Et compte, à voix basse, les morts ;
Prenez garde, Oh ! prenez bien garde !
La coupe est pleine jusqu’aux bords :


Pour qu’elle déborde, sur l’heure,
Il suffirait, en vérité,
Des larmes d’un Vieillard qui pleure
Sur une jeune Liberté !

(1902).