Coups de clairon/Bouquet de “La Tour d’Auvergne” (Le)

Coups de Clairon : Chants et Poèmes héroïques
Georges Ondet, Éditeur (p. 265-271).


Le Bouquet
de
La Tour d’Auvergne













LE BOUQUET DE LA TOUR D’AUVERGNE


 


Poème récité par l’auteur, au pied de la statue
du héros breton, à Carhaix,
lors des Fêtes du Centenaire, le 27 juin 1900.

Salut à toi, Carhaix, ville à jamais sacrée
De nous avoir donné le Breton le plus pur !
Tu règnes fièrement au cœur de la Contrée,
Assise aux flancs rocheux des montagnes d’Arrée,
Les deux pieds dans l’Hière et le front dans l’azur !

Salut à toi, Carhaix, la Celte et la Romaine
Qui vis Grallon, après César, baiser ta main !

Tu donnas à ton Fils une âme surhumaine,
Un grand cœur fraternel ignorant de la Haine,
La Bravoure du Celte et l’Orgueil du Romain !

Ton Fils était encore — douce Cornouaille ! —
Un savant qui, la nuit, sourd à toute rumeur,
Sur des feuillets noircis courbait sa haute taille ;
Le champ de l’Idéal et le champ de Bataille
Furent ensemencés par ce vaillant semeur ;

Maniant, tour à tour, et la plume et l’épée,
Trente ans il s’en alla par l’Europe, en vainqueur !
Il fut un des Héros de la grande Épopée
Jusqu’à l’heure où la Mort, de Gloire enveloppée,
— Cent ans, à pareil jour — lui transperça le cœur


Et voici qu’aujourd’hui s’en sont venus en foule
Ceux qui gardent encor le respect des Aïeux ;
Écoute bien, Carhaix : avec un bruit de houle
Leur flot monte vers toi, monte encore… et s’écroule
Aux pieds du Grenadier stoïque et glorieux !

Les guerriers, en chantant, sont venus à tes Fêtes,
Répondant à l’appel du triomphal Clairon :
Les vieux aux fronts blanchis, les « bleus » aux blondes têtes,
Ceux qui saignent encor des dernières Défaites
Près de ceux qui demain — qui sait ? — les vengeront !

Voici les Héritiers de la noble phalange
Du « quarante et sixième », où le grand Cœur meurtri,
Frappant les ennemis d’une terreur étrange,
Flamboyait au combat comme un glaive d’Archange :
Leur devise est : « Potius mori, quam fœdari ! »
Regarde bien, Carhaix : du sol jusqu’à leurs faîtes

Tes rustiques maisons se remplissent d’amis :
Français, Bretons, bergers couverts de peaux de bêtes,
Citadins et fermiers, matelots et poète…
Dont moi, le plus petit des Bardes du Pays !…

Pour te fêter, ô rude Ancêtre !
J’ai voulu t’offrir un bouquet
Digne de toi : bouquet champêtre,
Un peu trop rustique, peut-être,
Mais bien Breton, sinon coquet ;

Je suis parti par la campagne
Et, le long des blés verts encor,

Ma Chanson pour seule compagne,
J’ai cueilli ces fleurs de Bretagne
Pour en fleurir l’Enfant d’Arvor :

D’abord le Bleuet, ce brin d’herbe
Que fleurit un regard d’enfant ;
Puis la Marguerite superbe ;
Puis encor, pour finir ma gerbe,
Le Coquelicot triomphant !

Et, lorsqu’au-dessus de ma tête
J’ai brandi mon bouquet chéri,
Au milieu des blés, l’alouette
Chanta son plus beau chant de fête
Pour fêter le Drapeau fleuri !

C’est alors qu’une Voix lointaine,
— Venait-elle du Panthéon ? —
Une voix, perceptible à peine
Mêlée aux brises de la Plaine,
M’a dit : « Mets aussi de l’ajonc ! »

Et, docile à cette prière,
J’ai dû — m’ensanglantant les mains —
Cueillir, non la douce bruyère,
Mais, au sommet des murs de pierre,
L’ajonc qui borde nos chemins !

Des ajoncs ! des ajoncs encore :
La Tour d’Auvergne en veut sa part !
Que la sauvage et rude flore
Autour du Bouquet tricolore
Fasse un imprenable rempart !


Ainsi, lorsque le canon tonne,
Près du Drapeau nous nous rangeons !
Ohé ! les gâs que rien n’étonne
Si l’ajonc est la fleur bretonne
Les Bretons sont des fleurs d’ajoncs !

Oui, que vienne la Guerre inique
Et le Drapeau sera sauvé
Par nous, les Français d’Armorique !
Ohé ! qui s’y frotte s’y pique :
La Tour d’Auvergne l’a prouvé !