Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5059


5059. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Ferney, 8 octobre 1762.

Madame, ce n’est pas ma faute si le curé Jean Meslier et le prédicateur des Cinquante[2] ont été de même avis à deux cents lieues l’un de l’autre. Il faut que la vérité soit bien forte pour se faire sentir avec tant d’uniformité à deux personnes si différentes. Plût à Dieu que le genre humain eût toujours pensé de même ! le sang humain n’aurait pas coulé depuis le concile de Nicée jusqu’à nos jours pour des absurdités qui font frémir le sens commun. C’est cet abominable fanatisme qui a fait rouer en dernier lieu, à Toulouse, un père de famille innocent ; qui a mis toute sa famille à la mendicité, et qui a été tout prêt à faire périr cette famille vertueuse dans des supplices. S’il n’y avait point eu de confrérie de pénitents blancs à Toulouse, cette catastrophe affreuse ne serait pas arrivée. La guerre est bien funeste, mais le fanatisme l’est encore davantage.

Le conseil d’État du roi est à présent saisi de l’affaire. Ce n’a pas été sans peine que je suis parvenu à faire porter des plaintes contre un parlement ; mais il faut secourir hardiment l’innocence et ne rien craindre. Il va paraître un mémoire pour les Calas, signé de quinze avocats de Paris. Il va paraître aussi un plaidoyer d’un avocat[3] au conseil ; ce sont des ouvrages assez longs : comment pourrai-je les envoyer à Votre Altesse ? J’attendrai ses ordres.

Je m’attendais que d’aussi belles âmes que la sienne, et celle de la grande maîtresse des cœurs, seraient touchées de cette horrihle aventure. Je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime et de toute votre auguste famille, avec le plus profond respect.

Grande maîtresse des cœurs, conservez-moi vos bontés.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Voyez le Sermon des cinquante, tome XXIV.
  3. Mariette.