Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 305

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 319-320).
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305. — Á M. DE MAUPERTUIS.
Paris.

Je devrais être chez vous, monsieur, pour vous remercier de vos nouvelles bontés ; mais des difficultés, des tracasseries, et des injustices assez singulières, que j’essuie depuis quelques jours, au sujet d’une préface que je destinais à Zaïre, ne me laissent pas un moment de libre. Il n’y a aucune de vos réflexions sur mes Lettres à laquelle je ne me sois rendu dans l’instant. Mais, malgré la vanité que j’ai de recevoir de vos lettres, mon petit amour-propre se sent obligé de vous dire que mon copiste avait passé une page entière où j’expliquais, tant bien que mal, le mouvement des prétendus tourbillons qu’on suppose emporter les planètes autour du soleil, et le mouvement de rotation de chaque globe en particulier, qu’on suppose être la cause de la pesanteur. Je me gardais bien de confondre ces deux romans ; mais l’omission de près d’une page a dû vous faire croire que je pensais que c’était la même matière subtile, qui, selon Descartes, faisait le mouvement annuel de la terre et la pesanteur. Je suis bien aise de me justifier auprès de vous de cette erreur, et de vous dire encore qu’on a mis aphélie, en un endroit, pour périhélie[1].

Je vous supplie de vouloir bien examiner s’il est vrai que Newton assure que la lumière n’est point réfléchie par le rebondissement, si j’ose ainsi parler, des traits de lumière qui sont repoussés comme une balle par une muraille, Pemberton[2], que j’ai entre les mains, le dit positivement, et il n’y a pas d’apparence qu’il en impose à son maître. Il s’étend fort sur cet article, à la page 239 et suivantes, et il met au nombre des plus étonnants et des plus beaux paradoxes de M. Newton cette proposition, que « la lumière n’est pas réfléchie, en rejaillissant sur les parties solides des corps ».

Je n’ai pu m’étendre, dans mes Lettres, ni sur cette particularité, ni sur tant d’autres : il aurait fallu faire un livre de philosophie, et je suis à peine capable d’entendre le vôtre. J’ai cru seulement être obligé, en parlant de tous les beaux-arts, de faire un peu connaître M. Newton à des ignorants comme moi, in quantum possum et in quantum indigens.

Adieu ; je vous aime et je vous admire, mais j’ai bien peur d’être obligé d’abandonner toute cette philosophie : c’est un métier qui demande beaucoup de santé et beaucoup de loisir, et je n’ai ni l’un ni l’autre.

  1. Probablement dans le passage mis en variante, tome XXII, page 133.
  2. Henri Pemberton, auteur de A View of sir Isaac Newton’s Philosophy, 1728, in-8o. Cet ouvrage est une explication claire et précise de la philosophie de Newton, selon Voltaire, qui conseilla vainement à Thieriot de le traduire. (Cl.)