Contes et légendes annamites/Légendes/017 Le doi Mau et l’éléphant


XVII

LE BÔI MAU ET L’ÉLÉPHANT.



Quand la dynastie Lè eut perdu l’empire, un éléphant des écuries impériales se refusa à servir de nouveaux maîtres, et s’enfuit aux lieux de sa naissance, dans une gorge appelée le Truông dây thùng, où il trouva un ruisseau d’eau pure et abondance de fourrage. Cette éléphant avait été gratifié par un Empereur de trois colliers[1] d’or. Quand il eut demeuré de longues années dans les bois ces colliers se couvrirent de lichens.

Or, tandis que l’éléphant s’enfuyait dans les forêts, son cornac, le dôi Mâu s’était retiré dans sa maison. Devenu vieux et âgé d’environ soixante-dix ans il alla dans la forêt cueillir des simples. Comme il s’était courbé pour arracher des racines, l’éléphant reconnut son ancien maître, et se précipita vers lui, l’entoura de sa trompe, abaissant ses défenses et versant des larmes. Mâu qui ne reconnaissait pas son éléphant fut épouvanté, craignant d’être écrasé par lui. L’autre cependant guidait sa main pour lui faire toucher ses colliers d’or, voulant qu’il les prît et en tirât parti.

Màu reconnut alors l’éléphant, mais il ne savait comment faire pour lui enlever ses colliers et craignait de le blesser. La nuit vint sur ces entrefaites. Mâu se prosterna devant l’éléphant lui demandant de le laisser partir, mais l’autre n’en voulut rien faire. Vers la seconde veille Mâu se mit à se plaindre et dit : « Je suis vieux et débile, je ne puis rester dans cette forêt. » L’éléphant alors le campa sur son dos et le rapporta chez lui. À la quatrième veille ils arrivèrent. Les gens de la maison, à la vue de l’éléphant, furent saisis d’effroi ; Mâu leur dit : « Le Seigneur[2] était autrefois de la suite de l’Empereur et je lui donnais mes soins. Il m’a rencontré dans la forêt et m’a ramené ici, n’ayez aucune crainte. » Ils prirent alors un porc qu’ils nourrissaient, en firent manger la chair à l’éléphant, et lui firent boire pour trois ligatures de vin. Le jour commençant à paraître, l’éléphant ne voulut pas demeurer davantage, il fit monter sur son dos le dôi Mâu et son fils et les ramena dans la forêt. Là il leur prenait toujours les mains et les portait sur ses colliers. Màu dit à son fils : le Seigneur me les donne, il me faut donc les prendre ; et, introduisant son couteau entre le collier et la peau de l’animal il en fit sauter deux. Le sang de l’éléphant coula en abondance et Màu ne voulut pas prendre le troisième collier. Il prit des plantes médicinales[3] pour en frotter l’éléphant, ensuite le père et le fils lui firent leurs adieux et s’en retournèrent chargés d’une fortune.

En ce temps-là régnaient les Tày son. Le roi Quang Trung apprit qu’un éléphant des Lè vivait encore dans la montagne ; il envoya des troupes à sa recherche, mais il avait disparu et l’on ne put s’emparer de lui.



  1. Ou ceintures.
  2. Ong quân. Quân est le nom d’une division territoriale d’où le titre de Quân công, duc d’un quân, etc. On donne des titres aux éléphants de l’empereur, de même qu’aux canons. Ces titres ont de l’analogie avec les noms que nous donnons aux navires.
  3. Thuôc nam, remèdes du midi, c’est-à-dire indigènes, simples, par opposition à Thuôc bâc, remèdes du nord ; cette dernière expression désigne les drogues de la médecine chinoise, décrites dans les livres, tandis que la connaissance des simples est transmise par la tradition orale.