Contes et légendes annamites/Légendes/016 Histoire de Co bu

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 37-38).


XVI

HISTOIRE DE CÔ BU.



Sous le règne de Minh mang vivait dans le Nghè an un certain oncle Bu qui était un devin fort habile[1] et un guerrier émérite. Au moment de sa naissance, il avait trois poils blancs sous la plante de chaque pied, aussi plongeait-il comme personne, pouvant même rester plusieurs jours sous l’eau. Il suscita une rébellion et se fortifia sur la montagne Truông mày dans un lieu escarpé où l’on n’osait aller l’attaquer. De temps en temps, il descendait dans la plaine pour piller, prenant aux riches pour donner aux pauvres. Tous les misérables se rendaient en foule auprès de lui et il les secourait tous. Qui voulait rester avec lui restait, qui voulait le quitter pouvait partir. Bien qu’il ne fut qu’un rebelle, il se conduisait vertueusement parce qu’il voulait par la vertu parvenir à l’Empire.

Un jour du dizième mois, l’oncle Bu alla au village de Long phan pour visiter les tombeaux de ses parents et porter de l’argent à sa famille. Le thôn truong courut en avertir le huyên, et celui-ci prévint le gouverneur de la province qui envoya deux mille hommes pour saisir le rebelle. Les hommes étaient accompagnés par dix éléphants et portaient des filets de fer pour envelopper l’oncle Bu.

On tendit donc ces filets tout autour du village. Le commandant de la troupe les fit surveiller avec soin et entra dans l’enceinte pour fouiller les maisons et tuer Bu. Tout le monde pensait que celui-ci était perdu, mais il ne fit qu’en rire, fit une opération divinatoire et dit : « Je vais m’en tirer sans peine. » il prit une natte, la roula comme si elle contenait un cadavre et la fit porter par deux hommes ; quant à lui, il suivait la pioche à la main ; son domestique portait une pelle. Tout en marchant, ils se lamentaient si bien qu’aux postes extérieurs on les laissa passer pour aller enterrer leur mort.

Une fois hors d’atteinte, Bu cria aux soldats : « C’est moi qui suis Bu ; attrapez-moi si vous pouvez », et il plongea dans le fleuve. Les soldats entourèrent de filets de fer le point où il avait plongé et firent mettre les éléphants à l’eau pour l’écraser sous leurs pieds. Mais Bu était aussi libre de ses mouvements sous l’eau que sur la terre, il souleva les filets et défia encore une fois ses ennemis qui ne purent s’emparer de lui.

Un autre jour, il était allé à une noce où sa présence fut dénoncée. Les mandarins, pour lutter avec lui, se firent suivre par un devin ayant la même spécialité. Quand ils eurent entouré le village. Bu fit une conjuration, prit un bol d’eau, jeta une baguette par-dessus et l’enjamba. Ensuite, il se cacha dans les combles de la maison. Les mandarins ne le trouvant pas recoururent à leur devin, et celui-ci, trompé par l’opération magique, leur dit que Bu venait de franchir un cours d’eau sur un pont. Ainsi la précaution tourna à leur désavantage. Dans une occasion semblable, Bu se cacha dans une natte que le devin ennemi prit pour une forêt de joncs, la natte étant faite de joncs.



  1. Thây dôn ; le mot dôn, nhâm dôn, désigne un mode de divination dans lequel la supputation des années et des éléments auxquels elles se rapportent joue un grand rôle. Ces supputations se font en comptant sur les phalanges des doigts (NDM, 59), ce qui explique la définition de Theurel : Veneficium quod fit numerando digitis. Cet art fait l’objet d’un traité en six volumes intitulé : Ky môn dôn giap dai toan.