Éditions Édouard Garand (p. 51-55).

CHAPITRE VII

L’ARAIGNÉE

Tout le temps qu’avait duré la narration un silence parfait avait régné parmi le groupe d’enfants, seulement on pouvait lire les impressions diverses qui se lisaient sur ces petits fronts qui se fronçaient ou imprimaient des signes de colère aux récits des souffrances du petit Canadien.

Sur la figure se reflétait le ressentiment éprouvé dans le cœur et l’âme d’un chacun.

« Qu’il était donc méchant, le grand sorcier, remarqua une petite cousine ; c’est heureux qu’il soit mort, il ne fera plus souffrir de petits enfants.

Jean, lui, était monté debout sur sa chaise et criait : « Si j’avais été là ! Je l’aurais bâtonné avec un gourdin ! » Le plus jeune, le petit orphelin du voisinage, reportait ses regards de la pendule à tante Rose et malgré les marques de frayeur peintes sur sa figure, ne paraissait pas pressé de s’en retourner chez lui et semblait dire : « Tante Rose continuez, encore, encore ! »

Tante Rose pour atténuer l’effet produit par la triste histoire de Patira et faire diversion, ramener la tranquillité dans le cœur des petits, se mit à sourire et reprit :

***

C’était une fois une araignée toute jeune et belle sur ses pattes longues et fines, qui après avoir erré quelque temps, était parvenue à s’introduire dans une maison d’assez bonne apparence.

Rendue dans la place, vite elle chercha un coin où elle pourrait se filer une toile pour y vivre dans la quiétude et la tranquillité.

Ce ne fut pas long : bientôt la tente fut dressée avec son entrée en forme d’entonnoir dans une des plus belles chambres de la maison et l’araignée qui a travaillé fort pour la réussite de sa nouvelle demeure, s’enfonce au fond de ce nouveau gîte pour goûter un premier repos bien mérité.

L’araignée était toute joyeuse et satisfaite de son beau travail.

***

Le lendemain matin, l’araignée se réveille et après s’être étirée pour dégourdir ses longues pattes fines, décida de sortir, admirer son œuvre de la veille. Elle ne fut pas peu surprise en sortant de voir ci et là des mouches qui s’étaient laissé prendre dans la toile tendue.

« Ah ! ah ! se dit l’araignée, on m’avait assuré que la mouche était toute finesse : mais en voici quelques-unes qui font bien triste figure : cela va faire mon affaire, j’en ai pour me nourrir toute une semaine, c’est chanceux ; ces mouches renommées si fines, si intelligentes viennent d’elles-mêmes se livrer pour aider à ma subsistance. Me voilà avec une demeure et de quoi me faire vivre en abondance. »

Et l’araignée était toute joyeuse et satisfaite de ce qui lui arrivait.

***

L’araignée mangea une mouche, puis alla se reposer. Ce ne fut pas long car elle était travaillante et revint bientôt se filer une corde pour descendre et se promener dans la place. Comme elle commençait à filer sa corde, elle s’arrêta tout à coup, saisie d’une peur terrible : un bruit épouvantable se faisait entendre au-dessous d’elle. Vite elle remonte et va s’enfoncer toute tremblante d’effroi dans sa petite cachette. C’était le chat de la maison qui venait d’attraper une petite souris qui était la cause de tant de tapage. Puis n’entendant plus rien, curieuse, elle se hasarde voir qui avait pu produire ce fracas. Elle aperçoit le chat dans un coin qui achève de manger la petite souris. Ah ! ah ! dit-elle, voilà qui va me procurer du divertissement.

Et l’araignée est toujours de plus en plus joyeuse et satisfaite.

***

Pour deux jours l’araignée vécut heureuse, jouissant du fruit de son travail et de sa vigilance. C’était un samedi matin, après avoir mangé sa mouche, elle était retournée se reposer dans sa cachette.

L’araignée était inquiète et remplie de crainte.

Depuis le matin de toutes les parties de la maison s’était fait entendre un bruit qui semblait se rapprocher de plus en plus de la pièce où elle habitait. Tout-à-coup l’araignée frémit de peur, la porte de la chambre venait de s’ouvrir avec fracas, une femme avec tablier et bonnet blanc, faisait son entrée tenant dans sa main balai et plumeau. Elle se met à balayer la place, ranger les meubles, puis prenant son plumeau se mit à épousseter les murs de la chambre. L’araignée blottie dans sa cachette, toute craintive et tremblante n’ose se montrer.

Tout-à-coup, vlan, d’un coup de plumeau toile et araignée avaient été emportés comme une poussière. La toile resta collée au plumeau, mais l’araignée était tombée par terre. Un peu étourdie, elle veut se sauver bien vite sur ses longues pattes fines, bang, et ce fut la noirceur, la femme de la maison, venait avec son pied de l’écraser à mort. De la vaillante et active araignée, plus rien qu’une petite tache de boue grise.

La vie de l’araignée, c’est la vie d’un chacun.


« L’on travaille ardemment
« L’on jouit peu de temps,
« Puis arrive un coup de vent,
« Tout s’écroule dans un instant. »


Tante Rose avait terminé son petit récit, mais la curiosité des enfants était éveillée et demandait des explications.

« Comment l’araignée peut-elle filer d’aussi belle toile ? demande une petite voix sortant du groupe.

Jean dit : « J’ai vu une toile d’araignée dans le jardin, elle pendait attachée à un gros fil à une branche d’un pommier, un autre fil semblable retenu du pommier à un poteau traversait la toile en plein centre de droite à gauche, deux fois j’ai brisé la toile, le lendemain je retournais voir, une autre toile remplaçait la première. »

« Oui, mes enfants, dit tante Rose ! il faut admirer le travail incessant de la petite araignée, qui produit par elle-même la matière pour se faire un asile, il faut encore prendre exemple sur l’araignée pour son courage et sa persistance, car sa toile vient-elle à se briser elle recommence, cinq fois, dix fois et plus pour refaire sa toile endommagé par le vent ou la main d’un petit homme prêt à bâtonner les méchants sorciers mais ne pense pas mal faire en brisant la toile d’une petite araignée sans défense. »

Tous les regards se fixèrent sur Jean qui rougissait mais ne souffla mot.

« C’est assez pour ce soir, conclut tante Rose, tâchez de bien reposer cette nuit et demain vous penserez à l’araignée, pour être plus tard, comme elle, travaillants et remplis de courage ; ce sont avec ces qualités que vous filerez la toile de satisfaction qui rend le cœur heureux. Bonsoir et espérons qu’on pourra se rencontrer bientôt. »

« Bonsoir, bonsoir, tante Rose ! » dirent les enfants regrettant d’être obligés de se retirer.