Contes de la Haute-Bretagne/Les deux frères

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LES DEUX FRÈRES

Il y avait une fois une femme qui avait deux jumeaux. Comme elle n’était pas riche, elle allait dans la forêt chercher du bois pour se chauffer, et elle emportait ses enfants avec elle. Un jour qu’elle venait de ramasser sa fouée, elle vit accourir un ours : elle eut grand’peur, elle prit un de ses enfants sous chaque bras ; mais en courant elle laissa tomber un de ses enfants et n’eut pas le cou­rage de s’arrêter pour le chercher. Le lendemain elle retourna à la forêt, et ne vit point de trace de sang à l’endroit où son fils était tombé.

L’ours emporta l’enfant dans sa tanière, et l’éleva comme un de ses petits : il était poilu comme un ourson et marchait aussi à quatre pattes, et était fort comme une bête.

L’enfant qui était resté chez sa mère grandit, et, quand il eut vingt ans, il dit à sa mère :

— Je vais partir pour aller chercher mon frère, m’est avis qu’il n’est pas mort.

Il prit un cheval et un sabre, et alla dans la forêt où se trouvait, disait-on, une bête si forte que plusieurs soldats envoyés pour la tuer n’avaient pu ni la prendre ni lui faire mal.

Il rencontra la bête et il se battit pendant deux heures avec elle, mais ils ne se firent point de mal. Comme ils étaient lassés, ils cessèrent de lutter, et ils s’assirent l’un à côté de l’autre. Le jeune garçon se mit à manger du pain, la bête en ramassa aussi un mor­ceau et le mangea avec plaisir. Ensuite elle s’allongea sur le dos, comme pour montrer à l’homme qu’elle ferait tout ce qu’il voudrait.

Il se mit en route avec elle, et arriva dans un endroit où était un géant qui lui dit :

— Il faut que tu te battes avec moi.

La bête fit signe au jeune garçon qu’elle voulait aller à sa place, elle prit ses habits et arriva au château du géant, qui prit une barre de fer et l’enfonça en terre si profondément qu’on n’en voyait plus qu’un petit bout ; puis il dit :

— Il n’est pas nécessaire de se battre ; si tu peux enlever cette barre de fer, tu seras vainqueur. La bête saisit la barre de fer avec ses griffes et l’arracha facilement.

— Ah ! dit le géant, tu es le plus fort.

La bête assomma le géant et vint rejoindre son maître. Comme il avait besoin de se raser, il alla chez un perruquier avec sa bête, et elle lui fit signe qu’elle voulait aussi être rasée.

Le perruquier se mit à la raser, et à mesure que le poil tombait, on voyait paraître une figure d’homme, et quand ce fut fini, le jeune garçon reconnut son frère qui lui ressemblait comme se ressemblent deux gouttes de lait. Il l’embrassa, et la bête lui dit :

— J’avais bien vu que tu étais mon frère ; sans cela je t’aurais écharpé comme les soldats qu’on avait envoyés pour me tuer. Maintenant, nous allons voir notre mère.

Ils arrivèrent chez eux, et la mère fut malade huit jours de la joie qu’elle eut de revoir son fils qu’elle avait cru perdu.

(Conté en 1880 par Auguste Macé, de Saint-Cast.)