Contes de la Haute-Bretagne/Le tailleur et le diable

V

LE TAILLEUR ET LE DIABLE

Un tailleur avait perdu ses ciseaux et il en était bien chagrin ; il rencontra un Monsieur qui lui dit :

— Si vous voulez venir coudre chez moi, je vous en donnerai une bonne paire.

Le tailleur accepta, et il le mit à coudre dans sa cuisine où il y avait une bonne femme qui ribotait. Quand le Monsieur fut parti elle lui dit :

— Ah ! mon pauvre homme, vous êtes bien mal ici !

— Pourquoi ? demanda-t-il.

— Vous êtes chez le diable ; il y a deux cents ans que je ribote, et mon lait n’est pas encore riboté. Un jour je dis à ma servante de riboter. — Non, répondit-elle, c’est aujourd’hui la Toussaint. — Quand ce serait le diable, que je lui dis, je riboterai. Depuis que je suis morte, je ribote toujours ; mais ma baratte est pleine de sang… Quand le diable va venir et qu’il va vouloir vous payer, demandez-lui une vieille paire de culottes de velours et rien autre chose.

Le tailleur fit ce que la bonne femme lui avait dit ; le diable lui donna les culottes et lui dit :

— Chaque fois que vous fouillerez dans votre poche, il y aura une poignée d’argent ; si on veut vous le prendre, vous crierez trois fois — mais pas une de plus — à moi, mon bourgeois ! et j’accourrai à votre secours.

Le tailleur se mit à l’aise ; car il avait toujours dans sa poche une poignée d’argent ; un jour qu’il était dans une auberge, une femme lui dit que sûrement pour être devenu riche en si peu de temps, il fallait qu’il eût tué ou volé. Les gendarmes arrivèrent et l’arrêtèrent. Alors il cria :

— À moi, mon bourgeois !

À la troisième fois, le Monsieur parut et dit :

— Pourquoi arrêtez-vous cet homme ?

— C’est parce qu’il a volé.

— Non, dit-il, lâchez-le, c’est moi qui lui ai donné tout l’argent.

(Conté en 1881 par J.-M. Comault, du Gouray.)