Contes de la Haute-Bretagne/Le pressoir et la bête

VI

LE PRESSOIR ET LA BÊTE

Il était une fois une bonne femme qui avait une fille si gentille et si avenante que le dimanche la maison était remplie d’amoureux.

Un des galants, qui probablement ne déplaisait pas à la jeune personne, vint la demander en mariage à sa mère.

— Je le veux bien, répondit-elle, car tu es un bon garçon et un travailleur, et je crois que ma fille ne te voit pas d’un mauvais œil ; mais il faut que tu te soumettes auparavant à une épreuve. Toutes les nuits une bête qui dévore les gens vient dans notre grange : si tu peux lui échapper, je te donnerai ma fille.

— J’essaierai, dit le garçon.

La nuit venue, la bonne femme l’enferma dans la grange après lui avoir laissé plusieurs chandelles de résine, afin qu’il pût voir ce qui se passerait.

À minuit, il vit sortir de dessous le pressoir une bête d’une grandeur épouvantable et horrible à regarder, qui s’avança vers lui : comme il était courageux, il ne recula pas.

— Tu es brave, dit la bête : veux-tu jouer avec moi à Perçoirine perçoirette ?

— Quel jeu est-ce ?

— Il consiste à se coucher sur le tablier du pressoir, et à se laisser serrer par les vis qui servent à presser les mottes de cidre. Quand tu auras subi cette épreuve, je me mettrai à mon tour dans la même posture.

— Bien, dit le garçon, mais tu cesseras de serrer quand je crierai : assez !

Il se coucha sur le tablier du pressoir et la bête se mit à faire tourner les vis : dès que le garçon sentit qu’elles le touchaient, il cria d’arrêter, et la bête desserra aussitôt.

— À ton tour maintenant.

La bête se coucha à son tour, et le garçon se mit à faire ma­nœuvrer les vis ; mais la bête eut beau crier, il ne cessa de la serrer que quand elle fut morte et écrasée.

Le lendemain, la bonne femme vint voir ce qui s’était passé, et elle fut bien surprise de la grosseur de la bête qui, bien que morte, faisait encore peur.

Le jeune garçon épousa peu après la fille ; il y eut de belles noces, et moi qui y étais, on me mit à m’en aller le soir, et c’est tout ce que j’en eus.

(Conté par Aimé Pierre, de Liffré, 1876)