Contes de la Haute-Bretagne/Le petit forgeron

VII

LE PETIT FORGERON

Il y avait une fois un petit garçon qui travaillait comme apprenti dans une forge. Un jour, il dit à son patron :

— Ma foi, bourgeois, vous n’avez pas maintenant grand ouvrage, j’ai envie de vous quitter pour voyager.

— Eh bien, lui répondit le maître de la forge, puisque tu as envie de courir le monde, je vais te donner un sabre et une cas­quette.

Voilà le petit forgeron parti : il alla loin, bien loin, sans boire ni manger, et il avait grand’faim quand il aperçut une maison. Il hâta le pas pour y arriver, et quand il fut à la porte, il demanda si on n’avait pas besoin d’un domestique :

— Oui, répondirent les gens de la maison, il nous en faudrait un, mais la place n’est guère bonne. Nous avons eu plusieurs domestiques ; et tous ont été tués pendant qu’ils étaient aux champs, sans que l’on sache comment cela est arrivé.

— Je n’ai pas peur, dit le petit forgeron ; mais avant de com­mencer mon service, je voudrais bien manger, car, depuis trois jours, je voyage sans avoir trouvé un morceau de pain.

On lui servit de quoi le rassasier, et quand il eut mangé à sa faim, on lui montra où était la pâture. Il remarqua que toutes les barrières qui lui servaient de clôture avaient été coupées, et il se mit à les raccommoder : comme il finissait sa besogne, arriva un géant monté sur un grand cheval qui lui dit d’une voix terrible :

— Qu’est-ce que tu fais là, toi, moutard ?

— Cela ne vous regarde pas, géant, je fais ce que je dois faire.

— Eh bien ! pour ce que tu es à faire, je vais te tuer.

— Nous allons voir cela, répondit le petit forgeron sans s’émouvoir.

Il prit son sabre, se mit en garde, et coupa la tête au géant et à son cheval, puis il les poussa du pied en disant :

— Tenez, vous avez encore les pattes pour danser.

Quand il fut de retour à la maison, on lui demanda s’il n’avait rien vu.

— Si, répondit-il, j’ai vu quelqu’un, mais je lui ai fait voir le tour, et il n’ennuiera plus personne désormais.

Le lendemain quand il retourna à la pâture, il trouva comme la veille les barrières coupées ; il se mit à les raccommoder, et au moment où il finissait de les réparer, il vit venir un autre géant qui lui cria :

— Qu’est-ce que tu fais là, toi, petit ver de terre ?

— Cela ne vous regarde pas, grand homme, je fais ce que je dois faire.

— Je vais te tuer pour ce que tu es à faire.

— Nous allons bien voir, dit le petit forgeron, qui tira son sabre et trancha la tête au géant.

Il revint à la ferme, et chacun lui dit :

— N’as-tu rien vu aujourd’hui ?

— Si, répondit-il, j’ai vu quelqu’un, mais j’ai traité la personne d’aujourd’hui comme celle d’hier, et désormais elle ne me gênera plus.

En retournant à la pâture le jour suivant, il trouva pour la troisième fois les barrières coupées ; il les raccommoda encore, et au moment où il terminait, il vit venir un géant qui lui dit :

— Qu’est-ce que tu fais là, petit ver de terre, poussière de mes mains, ombre de mes moustaches ?

— Cela ne vous regarde pas, je fais ce que je dois faire.

— Hé bien ! c’est pour cela que je vais te tuer.

— C’est ce que nous allons voir, répondit le petit forgeron qui d’un coup de sabre fit sauter la tête du géant.

Il prit ensuite par la route d’où les géants étaient venus, et il arriva à leur château où il entra, et il vit leur mère qui pleurait à chaudes larmes :

— Ma bonne femme, lui dit-il, qu’est-ce que vous avez donc qui vous fait tant de chagrin ?

— J’avais trois fils, répondit-elle, et je ne sais pas ce qu’ils sont devenus.

— Moi, je sais bien où ils sont, et je vous les montrerai, si vous voulez me donner toutes les clés de votre château.

La bonne femme lui remit les clés, et il lui dit :

— Tenez, montez sur la fenêtre et regardez.

Quand la petite bonne femme, qui n’était pas plus haute qu’une cruche, fut grimpée sur la fenêtre, le petit forgeron la prit par les jambes, et la jeta dans la cour où elle se tua ; et il resta maître du château et de ses trésors.

(Conte en 1880 par Virginie Hervé, d’Evran.)