Contes de la Haute-Bretagne/La domestique du diable

VII

LA DOMESTIQUE DU DIABLE

Il était une fois une femme qui avait deux filles. L’une, qui était jolie comme une Bonne Vierge, était bien aimée de sa mère qui la mettait à coucher, dans une belle chambre, sur un lit bien souple. Pour l’autre, qui était laide, elle l’envoyait passer la nuit dans une vieille cabane au bas du jardin, sur une botte de paille.

Un soir que cette pauvre fille s’en allait tristement à sa cabane, elle rencontra un beau monsieur qui lui dit :

— Bonsoir, mademoiselle, où allez-vous comme cela ?

— Je m’en vais me coucher dans la petite cabane que l’on voit là-bas.

— Oui, je sais que votre mère vous déteste comme les sept péchés capitaux, et que vous n’avez guère de bon temps avec elle. Venez avec moi, vous ne manquerez de rien et vous serez heureuse.

— Volontiers, monsieur, répondit la jeune fille. Et elle suivit le monsieur qui l’emmena dans son château.

Le lendemain, le monsieur — qui était le diable — lui dit :

— Dans ce château où vous êtes, il y a vingt chambres : je vous permets d’en visiter dix-neuf ; mais je vous défends d’aller dans la vingtième.

Il lui remit les vingt clés, puis il partit pour trois mois.

La jeune fille se mit à visiter les chambres, et quand elle fut arrivée à la vingtième, elle se dit : « Il faut que je la voie aussi. »

Elle l’ouvrit, et elle vit sa marraine qui était assise dans un beau fauteuil, mais avait l’air triste :

— N’est-ce pas toi, ma filleule ? lui dit-elle.

— Oui, c’est moi.

— Qui t’a amenée ici ?

— C’est le monsieur à qui appartient le château, et je me trouve bien ici.

— Moi aussi, ma filleule, j’ai été heureuse pendant trois jours ici, mais maintenant cela a bien changé.

— Vous n’êtes pas malheureuse pourtant, ma marraine, et vous devez être à l’aise dans ce beau fauteuil.

— Pas autant que tu le crois ; mets le bout de ton doigt, tout doucement, sur mon fauteuil, et tu verras.

La jeune fille obéit ; mais elle se brûla comme si elle avait touché un fer rouge.

— Ah ! marraine, s’écria-t-elle, comme il fait chaud dans votre fauteuil !

— Tu seras bientôt aussi chaudement que moi, filleule, car tu as ouvert la vingtième chambre, malgré la défense de ton maître : c’est le diable, et, pour te punir, il te chauffera.

— N’y aurait-il pas moyen, ma marraine, de lui échapper ?

— Si, il y en a un. Il faut que tu partes de suite ; tu rencontreras des personnes qui te demanderont où tu vas ; tu répondras : Je vais à la noce de ma sœur.

— Merci, marraine ; adieu, je pars.

La voilà qui s’en va ; sur sa route, elle rencontra beaucoup de personnes qui lui demandèrent où elle allait ; à toutes elle ré­pondit : « Je vais aux noces de ma sœur », et tous ces gens, qui étaient les domestiques du diable, la laissèrent passer.

Elle était déjà bien loin du château, et il y avait longtemps qu’elle n’avait rencontré personne, quand elle vit un homme qui venait à sa rencontre :

— Tant pis, dit-elle, s’il me demande où je vais, je ne mentirai plus, et je lui dirai d’où je viens et où je vais.

Quand il fut près d’elle, il lui dit :

— Où allez-vous, mademoiselle ?

— Chez mes parents.

— D’où venez-vous ?

— Du château du diable.

— Ah ! c’est justement vous que nous cherchons.

Il donna un coup de sifflet : au même instant, elle vit venir le monsieur qui l’avait emmenée, et qui lui dit :

— Malheureuse ! vous avez ouvert mon cabinet, malgré ma dé­fense. Je vais vous mettre dans mon enfer !

Et il la livra à ses domestiques qui devaient la ramener au châ­teau. Sur la route, elle invoquait la bonne Vierge et tous les saints du Paradis, et les suppliait d’avoir pitié d’elle. Tout à coup, une flûte lui tomba dans la main, et elle entendit une petite voix qui lui dit : « Souffle dedans. » Elle souffla de toutes ses forces, et la flûte fit entendre un son qui fit dresser les cheveux sur la tête des diables ; en même temps il tomba sur eux une grosse pluie d’eau bénite. Ils s’empressèrent de laisser la jeune fille, et s’enfuirent en maudissant tous les saints.

La jeune fille continua sa route, et elle arriva chez ses parents, à moitié morte de peur. Mais, comme de laide elle était devenue belle, sa mère et sa sœur furent bien contentes de la revoir.

(Conté en 1884 par Marie Marquer de Saint-Cast, âgée de onze ans).