Constitution d’Athènes (Aristote, trad. Haussoullier et Mathieu)/Introduction

Traduction par Bernard Haussoullier et Georges Mathieu.
Texte établi par Bernard Haussoullier et Georges MathieuLes Belles-Lettres (p. i-xxxii).

INTRODUCTION


MÉTHODE ET SOURCES D’ARISTOTE DANS LA CONSTITUTION D’ATHÈNES

Sous le nom de Constitutions (Πολιτεῖαι), les anciens connaissaient une collection de traités d’Aristote exposant les institutions politiques d’un grand nombre d’États grecs ou barbares. Ces traités, au nombre de cent cinquante-huit (d’après les listes d’Hésychios et de Diogène Laerce, V 27), avaient été fréquemment utilisés par les écrivains des périodes alexandrine et romaine qui nous en ont conservé de nombreux fragments (publiés par Neumann, Aristotelis Rerumpublicarum reliquiae, Heidelberg, 1827 ; V. Rose, Aristoteles pseudepigraphus, Leipzig, 1863 et Aristotelis qui ferebantur librorum fragmenta, Leipzig, 1886, où l’on trouvera p. 16, 135 la liste attribuée à Hésychios). De cette collection, seule la Constitution d’Athènes nous est parvenue presque en entier ; et encore n’en possédons-nous le texte que depuis une trentaine d’années. Dans ces divers ouvrages était sans doute employée la documentation qu’Aristote avait recueillie pour la Politique (terminée vers 336) et qu’il avait ensuite revue, complétée et mise en ordre avec la collaboration de ses disciples. En effet il nous faut, pour toutes les œuvres d’Aristote, ne pas oublier que le travail en commun a été la règle à peu près absolue dans l’école péripatéticienne (sur ce point, cf. H. Usener, Preussische Jahrbücher, LIII, 1884, p. 1-25). Mais ce travail en commun suppose naturellement une surveillance et une revision attentive de la part d’Aristote ; pour les œuvres les plus importantes (et la Constitution d’Athènes est de celles-là), sans doute les disciples n’ont-ils fait que le travail de recherches, et la coordination et la rédaction sont à peu près certainement le fait d’Aristote seul.

Lorsqu’en janvier 1891 Sir Frederic Kenyon eut publié pour la première fois le texte de la Constitution d’Athènes, les nouveautés qu’apportait ce traité, les divergences qu’il présentait avec les traditions déjà connues, sa composition assez différente des autres œuvres d’Aristote frappèrent vivement tous ceux qui l’étudièrent ; et chez certains de la surprise, chez quelques-uns même de la désillusion se mêla à la joie de la découverte. Un reste de croyance à l’unité de la tradition historique grecque et à l’infaillibilité d’Aristote aidant, de vives discussions s’engagèrent pendant quelques années autour de l’œuvre dont quelques savants allaient jusqu’à soupçonner l’intégrité ou l’authenticité.

Maintenant cette fièvre de polémique s’est apaisée et nous pouvons considérer comme acquis des résultats importants concernant la composition de l’œuvre et sa valeur comme document historique. Tout d’abord il n’y a plus lieu de démontrer l’authenticité de la Constitution d’Athènes ; le texte en coïncide si exactement avec les fragments légués par les anciens que nous sommes sûrs d’avoir sous les yeux l’ouvrage que Timée et Philochore connaissaient dès la fin du ive siècle sous le nom d’Aristote. La date même de la composition est établie de façon à peu près certaine ; l’archontat de Képhisophon ( mentionné au chap. liv 7) est de l’année 329/8 avant J.-C., et le gouverneur athénien de Samos (cité au chap. lxii 2) a disparu au plus tard en 322 ; c’est entre ces deux dates qu’il nous faut placer la rédaction de la Constitution d’Athènes ; peut-être même pouvons-nous arriver à plus de précision encore si nous admettons avec Weil (Journal des Savants, 1891, p. 199) et Nissen (Rheinisches Museum, 1892, p. 197) qu’une des trières sacrées n’a porté le nom d’Ammonias qu’après 324. Nous avons donc affaire à l’un des derniers ouvrages composés par Aristote.

De même le texte semble nous avoir été transmis dans un état assez pur ; nous ne rejetons plus comme interpolés tous les passages embarrassants ; et, tandis qu’en 1891 M. Th. Reinach (Revue des Études grecques, IV, p. 82-85 et 143-168) croyait à l’intrusion dans le texte primitif de développements très longs (chap. iv en entier, viii 3, xxii 5, xxv 3-4), nous considérons qu’Aristote a pu nous transmettre une tradition différente des autres historiens, ou même des renseignements erronés. L’examen de l’œuvre ne nous révèle rien qui ne puisse avoir été écrit par lui, et ce sont précisément ces nouveautés qui en font en partie le caractère original et intéressant.

Le traité se compose de deux parties assez différentes : les quarante et un premiers chapitres nous exposent l’évolution du régime politique athénien jusqu’à l’archontat d’Euclide (403 avant J.-C.) ; du chapitre xlii à la fin, nous avons le tableau des institutions athéniennes au temps même d’Aristote. Cette différence de sujet entraîne entre les deux parties des différences assez fortes dans la méthode historique d’Aristote et par conséquent dans l’examen que nous devons faire de cette méthode et des sources de l’auteur. C’est donc successivement que nous les examinerons à ce double point de vue.

I

PREMIÈRE PARTIE : HISTOIRE
CH. I-XLI

Seul des grands historiens grecs, Hérodote est cité nommément par Aristote (chap. xiv 4) mais il n’est pas le seul auteur que celui-ci ait consulté. En bien des endroits Aristote renvoie à des traditions antérieures par des expressions comme : la plupart des auteurs prétendent… quelques-uns disent… (chap. iii 3), d’après ce que disent les démocrates… selon ceux qui veulent le calomnier… (chap. vi 2), tous les autres auteurs en tombent d’accord… (chap. vi 4). Que nous ayons là des allusions à des sources écrites, la preuve en est dans l’expression : la tradition commune… (chap. xvii 4) qui renvoie à un passage précis de Thucydide (vi 58, 2). Nous n’avons d’ailleurs pas à nous étonner de cet anonymat des sources d’Aristote : il semble bien être dans la tradition de l’historiographie aristotélicienne ; du moins Satyros agit-il de même dans sa Vie d’Euripide. Aristote connaît donc Hérodote et Thucydide, qu’il utilise ou combat en divers endroits (surtout aux chap. xiv, xv, xviii et xxii pour Hérodote, xviii et xxix pour Thucydide). Il est plus douteux qu’il ait recours à Xénophon ; car les ressemblances que présentent leurs récits peuvent s’expliquer par l’influence d’une même tradition. D’ailleurs, si Aristote connaît les œuvres des historiens précédents, il ne s’asservit à aucun d’eux. Si son récit de la chute des Pisistratides et des réformes de Clisthène ressemble dans ses traits généraux à celui d’Hérodote, il en diffère en quelques détails importants. Et ce sont des vues assez divergentes que nous trouvons chez lui et chez Thucydide en ce qui concerne le meurtre d’Hipparque ou le régime des Quatre Cents. Ce sont même ces divergences qui, mal expliquées lors de la découverte de la Constitution d’Athènes, contribuèrent à décevoir des savants trop soucieux de l’unité des traditions antiques.

Aristote connaît et utilise aussi les auteurs d’histoires locales, les atthidographes et en particulier son contemporain Androtion qu’il suit au chapitre xxii 3 (sur l’ostracisme) et semble vouloir réfuter aux chapitres vi et x (abolition des dettes et réforme monétaire sous Solon).

Enfin il est un groupe d’œuvres auxquelles Aristote a abondamment recours pour toute la partie historique de son traité et qui, dans les chapitres xxv-xl, arrivent à évincer presque complètement les historiens proprement dits. Nous ne pouvons en saisir des traces que par l’influence qu’elles ont eue sur Aristote, mais cette influence est assez nette pour que nous puissions voir en elles des œuvres mi-historiques, mi-politiques, des pamphlets pour ainsi dire, qui a la fin du ve ou au début du ive siècle avaient cherché dans l’histoire d’Athènes des arguments pour la lutte politique. D’après les traces laissées par ces œuvres dans le traité d’Aristote, nous voyons qu’il en connaissait au moins trois ; l’une était de tendances démocratiques et a été utilisée par intervalles jusqu’au chapitre xxvi (ses traces les plus nettes se trouvent aux chap. vi 1 ; vii 2-3 ; xvi 4 ; xviii ; xx 3 ; xxv) ; les deux autres étaient favorables à la politique oligarchique ; mais, tandis que l’une procédait par attaques violentes contre les chefs ou les héros de la démocratie, l’autre exposait la constitution telle que, selon son auteur, elle avait existé dans le passé ou telle qu’on avait voulu la réformer à la fin du ve siècle. Le premier de ces ouvrages, le pamphlet proprement dit (dont nous voyons les traces aux chap. vi 2-3 ; xviii ; xx 1 ; xxiv ; xxv ; xxvii 4-5) semble pouvoir être rattaché au groupe dont Critias fut le chef, si même ce n’est pas une œuvre écrite par Critias lui-même dans les premiers mois de 403 (et à ce propos il n’est pas inutile de constater qu’Aristote ne cite pas le nom de Critias, comme si ses sources ne le lui donnaient pas) ; l’autre, l’ouvrage de doctrine, pourrions-nous dire, est employé aux chapitres iii 6 ; iv ; viii 2-4 ; ix 2 ; xvi ; xxiii 1 ; xxvi 1 et devient presque la source unique pour les chapitres xxviii-xl ; en cet endroit sa tendance et son origine sont visibles ; extrêmement favorable à Théramène (cf. chap. xxviii 4), il a sans doute été composé entre 403 et 400 par un membre de ce parti modéré, rallié à la démocratie, qui comptait Phormisios et Archinos parmi ses chefs.

Tels sont les ouvrages où Aristote a pris des renseignements de seconde main. Mais il a cherché, autant qu’il lui était possible, à donner à ses lecteurs, au moins sous forme d’extraits et de résumés, des documents de première main. Ce travail d’ailleurs répondait à une tendance de son esprit et de son école : dans la collection des œuvres d’Aristote, nous trouvons des recueils intitulés Documents juridiques (Δικαιώματα πόλεων) et Lois des barbares (Νόμιμα βαρβαρικά) ; Théophraste avait composé un Recueil de lois (Συναγωγὴ νόμων) ; enfin, dans la Vie d’Euripide, le péripatéticien Satyros se servira presque exclusivement de citations d’Euripide et des comiques, et il semble qu’il ait agi de même dans la Vie d’Empédocle.

Dans la Constitution d’Athènes aussi, Aristote a voulu s’appuyer sur des documents originaux ; c’est ainsi que, pour confirmer son jugement personnel sur Solon, il a recours aux poésies mêmes du législateur dont il nous conserve d’importants fragments (chap. v et xii). À plusieurs reprises, il nous cite des passages de décrets ou de lois (chap. viii 5 ; xvi 10 ; xxxix en entier), et c’est même cette recherche du document officiel qui l’amène à accepter comme authentiques des falsifications telles que la prétendue constitution de Dracon (chap. iv) ou des textes d’origine douteuse comme la double constitution des Quatre Cents (chap. xxx-xxxi). En effet les chapitres xxx-xxxi sont entièrement consacrés à l’exposé de deux constitutions, l’une « pour l’avenir », l’autre « pour le présent », qui auraient été votées en 411 par les Cinq Mille. La constitution « pour l’avenir » présente certes de nombreuses analogies avec la constitution béotienne (sur celle-ci, cf. Thucydide v 38, 2 ; Oxyrhynchus Papyri, V, no 842, p. 171 et 224). Mais l’application de ces constitutions en 411 n’en reste pas moins douteuse. Aristote lui-même reconnaît (chap. xxxii 3) que les Cinq Mille n’eurent jamais d’existence réelle sous les Quatre Cents ; à plus forte raison n’ont-ils pas pu voter de constitution. De plus, malgré les tendances oligarchiques dont témoignent entre autres les sanctions pour absence (xxx 6 ; cf. Politique 1297 a 24-25) et la toute-puissance du Conseil, quel intérêt auraient eu les Quatre Cents à se lier par deux constitutions, dont l’une même prévoyait le système démocratique du roulement (xxx 3 ; cf. Politique 1298 a 10-17) ? Enfin, alors que le mot d’ordre par lequel ils se concilièrent le peuple était la remise du pouvoir aux citoyens pouvant s’armer en hoplites (ὅπλα παρεχόμενοι), ces prétendues constitutions ne disent pas un mot d’une telle mesure. Il est donc bien peu probable que de telles dispositions aient été mises en vigueur. Mais, si nous rapprochons les chapitres xxx et xxxi de divers autres projets exposés par les Quatre Cents et impliquant aussi un roulement entre les citoyens (roulement entre tous les citoyens pour la liste des Cinq Mille, proposé par les Quatre Cents à l’armée de Samos, cf. Thucydide viii 86, 3 ; — roulement entre les Cinq Mille pour la liste des Quatre Cents, proposé aux hoplites réunis à l’Anakeion, cf. Thucydide viii 93, 2), nous apercevons l’origine de ces textes : nous avons sans doute deux projets d’oligarques modérés, tout au plus mis à l’étude en 411, et qui peut-être même auraient été l’objet d’un « avis favorable » des commissions chargées de les étudier. Après la chute des Quatre Cents, un de leurs partisans les aura présentés comme réellement votés et appliqués ; puis Aristote, les trouvant dans l’ouvrage qui lui servait de source et voyant dans l’allure officielle de leur style et dans leur aspect documentaire une raison de confiance, les aura introduits dans son œuvre en présumant que c’étaient des constitutions authentiques.

Le chapitre iv qui nous expose une constitution due à Dracon, tandis que tous les autres auteurs et Aristote même (Politique 1274 b 15-18), ne connaissent de lui que la rédaction d’un code, nous pose un problème analogue, mais dont la solution est plus nette. Cette prétendue constitution présente encore moins de caractères d’authenticité que celles des chapitres xxx et xxxi, dont elle se rapproche d’ailleurs par ses dispositions sur le roulement pour l’exercice des magistratures et les amendes pour absence. Elle renferme des traits que nous ne pouvons admettre au viie siècle : par exemple la fortune y est évaluée en argent et sert de base à une classification où on tient compte de tous les revenus, tandis que Solon ne compte encore que par mesures de blé ou d’huile ; les stratèges sont représentés comme les magistrats les plus importants alors que tout semble démontrer qu’ils n’ont existé qu’à partir de 501/0 (cf. chap. xxii 2). Là aussi nous avons affaire à une falsification, peut-être faite vers 409 au moment où l’on gravait à nouveau les lois de Dracon sur le meurtre, introduite dans un ouvrage à la fois historique et politique par l’oligarque qui a transmis à Aristote les prétendues constitutions de 411, et acceptée par ce dernier en même temps qu’elles parce qu’elle aussi pastichait les documents officiels. Telles sont donc les erreurs même d’Aristote qui témoignent pour nous de son amour de la documentation précise au détriment de la tradition authentique.

Enfin, où les textes officiels lui font défaut, Aristote recherche et interprète les institutions subsistantes qui sont les indices (τεκμήρια) ou les preuves (σημεῖα) du passé (cf. chap. iii ; vii 4 ; viii 1 ; xiii 5) ; certes parfois il se trompe dans cette interprétation ou se laisse égarer par l’influence d’une de ses sources ; du moins Aristote a-t-il tenté ainsi d’inaugurer une recherche vraiment scientifique de l’évolution politique d’Athènes.

Les sources d’Aristote sont donc diverses et souvent opposées ; voyons comment il les utilise. Il se rend compte de leur désaccord et cherche à donner à son lecteur la version qui lui paraît la mieux établie ; rares cependant sont au début les moments où une version s’impose à lui au point de faire disparaître les autres. En certains cas il expose les versions opposées sans se décider entre elles ; mais ce cas est encore assez rare (par ex. chap. xiv 4 ; xvii 4). D’autres fois il nous indique la version qu’il juge la plus autorisée ou la plus vraisemblable (πιθανώτερος vi 3 ; εὐλογώτερον vii 4 ; δοκεῖ τοῖς μὴ παρέργως ἀποφαινομένοις xxviii 5). Mais dans la plupart des cas il adopte une méthode de conciliation entre les diverses versions. C’est qu’utilisant des pamphlets politiques, il a senti leur partialité et s’est défié d’eux ; il a vu que chacun d’eux cherchait à exploiter l’histoire d’Athènes pour la plus grande gloire de son parti et, influencé peut-être par sa doctrine du « juste milieu », il a cru voir en chacun une part de vérité, déformée par l’esprit de secte, mais qu’il espérait cependant pouvoir retrouver. Il a donc emprunté à ses diverses sources les éléments qui doivent constituer son propre récit ; en ce cas d’ailleurs il existe généralement une version privilégiée qui forme comme la trame du récit et où les versions concurrentes ne viennent introduire que des modifications de détail.

Que cette méthode entraîne des disparates ou des contradictions, c’est ce qu’il est impossible de nier ; et certains chapitres forment une sorte de mosaïque, tant les versions opposées s’enchevêtrent. Les chapitres xviii et xxv peuvent notamment nous servir d’exemples. Le premier traite du meurtre d’Hipparque par Harmodios et Aristogiton et réunit des renseignements empruntés à Hérodote et à Thucydide, à une source oligarchique et à une source démocratique. Aristote est d’accord avec Hérodote (v 55 et vi 123) et Thucydide (i 20 et vi 54-59) pour s’opposer à la tradition démocratique, qui voit dans les deux conjurés des libérateurs d’Athènes, et les faire agir pour des motifs personnels ; mais il s’oppose aussi à Thucydide en ce qui concerne le port des armes aux Panathénées, admis par ce dernier et repoussé par Aristote qui sans doute tire une conclusion erronée d’un décret postérieur réglementant la procession. La version oligarchique lui fait voir dans la conduite de Thettalos (et non pas d’Hipparque) la cause initiale de la conjuration et lui transmet une interprétation des dénonciations d’Aristogiton. Mais une tradition démocratique vient s’opposer à la précédente, non seulement par une version différente des dénonciations d’Aristogiton, mais aussi par la croyance à une conjuration nombreuse et par l’emploi intermittent du terme les tyrans pour désigner tous les Pisistratides (et non Hippias seul, comme on s’y attendrait d’après le début du chapitre). Aristote unit donc ici tous les éléments divers dont il disposait : historiens, traditions de parti et conclusions tirées des institutions postérieures.

Nous trouvons la même méthode dans le récit de la réforme d’Éphialte (chap. xxv). Thémistocle y est associé à Éphialte, bien qu’il soit à peu près établi qu’en 462/1 il ne pouvait se trouver à Athènes, son exil datant de 472, et bien que d’ailleurs l’Aréopage n’eût pas à intervenir dans son procès ; mais ainsi on insiste sur la fourberie d’un des chefs du parti démocratique, et cela nous indique déjà les tendances d’une des sources d’Aristote. Ce même ouvrage oligarchique donne à Aristote tout le début du chapitre, favorable à l’Aréopage ; mais la première mention qui est faite d’Éphialte l’est en des termes si élogieux qu’elle ne peut provenir que d’une source démocratique (ainsi d’ailleurs que l’expression fonctions surajoutées qui désigne ici les privilèges politiques de l’Aréopage). Puis toute la partie du récit qui unit Éphialte et Thémistocle est d’origine oligarchique. Enfin sur la mort d’Éphialte Aristote accepte des renseignements de source démocratique (les oligarques prétendaient que le meurtrier était resté inconnu), mais peut-être veut-il en tirer une conclusion de tendance différente et montrer que l’audacieux réformateur a vite trouvé son châtiment. Le mélange des deux traditions est donc complet.

Cette méthode de combinaison a des répercussions jusque sur la chronologie, du moins pour la période de la tyrannie de Pisistrate. En effet les chiffres donnés par les chapitres xiv, xv, xvii et xix ne concordent ni entre eux ni avec ceux de la Politique 1315 b 30-34. On comprend d’ailleurs qu’Aristote et ses sources se soient trouvés embarrassés pour fixer une chronologie précise dans une période ancienne et troublée. Du moins pouvons-nous rendre compte de l’origine des contradictions d’Aristote : le chiffre de dix ans pour le second exil vient d’Hérodote (i 62) et c’est son adoption par Aristote qui a bouleversé les autres indications, peut-être données par une Atthide, qui en elles-mêmes formeraient une série de chiffres cohérents (première tyrannie : cinq ans [xiv] ; premier exil : onze ans [xiv] ; seconde tyrannie : sept ans [xiv] ; durée totale du régime : trente-trois ans [xvii] ; durée des trois tyrannies : dix-neuf ans [xvii] ; durée des exils : quatorze ans). Le mélange nous paraît peu habile ; mais il ne s’est pas produit sans causes : Hérodote expliquait les événements et, pour adopter ses explications, Aristote a dû accepter du moins celles des dates qui s’y rattachaient. Nous voyons donc combien est fréquente chez Aristote cette combinaison de renseignements divers et comment elle aboutit parfois à former un ensemble faux avec des détails intéressants en eux-mêmes.

Cependant peu à peu une source fait sentir son influence prépondérante et arrive, à la fin de la partie historique, à faire disparaître les autres ; cet ouvrage est celui qui est favorable au parti de Théramène. À quoi tient cette prédominance de la tendance « théraménienne » dans les chapitres xxviii-xl ? Sans doute en grande partie aux idées personnelles d’Aristote sur la πολιτεία, la démocratie modérée qu’il a décrite dans la Politique et qui s’écartait autant de la démocratie de Thrasybule que de l’oligarchie de Critias ; mais aussi — et c’est ce qui rend particulièrement intéressante à ce point de vue la Constitution d’Athènes — à l’amour qu’Aristote montre dans cet ouvrage pour les documents officiels. Or l’auteur « théraménien » qu’il a consulté a affecté de s’appuyer sur des documents de cette sorte, et c’est sous forme de décrets (ou tout au moins de projets de décrets) qu’il a exposé ce que son parti aurait voulu réaliser sous les Quatre Cents. Cette documentation d’apparence sérieuse a frappé Aristote et lui a fait accorder plus facilement sa confiance à un ouvrage dont les tendances politiques attiraient déjà sa sympathie ; en cette circonstance ses préférences de savant et ses opinions politiques lui ont semblé d’accord. De là l’aspect hostile à la démocratie et injuste pour le ve siècle athénien que présente une partie de l’exposé d’Aristote.

Mais cette tendance des derniers chapitres de la partie historique ne doit pas nous faire oublier le réel effort d’impartialité scientifique qu’a fait Aristote ; loin de se laisser guider par ses sources ou ses préférences personnelles, il a cherché la vérité ; et au début ce sont les documents originaux (ou crus tels par lui) qui emportent sa conviction. Sur Solon c’est bien un jugement établi sur les vers mêmes du législateur qu’il nous donne, et ce jugement est favorable à la démocratie. Il en est ainsi dans bien des chapitres, dans une moitié environ de l’exposé historique. Pourquoi ce contraste que nous constatons entre l’histoire du vie siècle et celle du ve siècle ?

Cela tient sans doute aux conditions dans lesquelles a été composée la Constitution d’Athènes. Nous avons vu qu’elle date de 329 au plus tôt, plus probablement de 324 ou 323. Nous pouvons donc juger qu’Aristote, après avoir dirigé le travail de documentation de ses disciples et après avoir fait une première rédaction de son ouvrage, a été arrêté dans sa dernière revision de la partie historique par son exil à Chalcis, puis par la mort. Ainsi s’expliqueraient les disparates que nous remarquons dans la partie historique, les contradictions mal effacées, la préférence attribuée à la fin à une seule source tandis qu’au début se montre une plus grande largeur de vues. C’est que les premiers chapitres ont été l’objet d’une revision plus attentive et qu’Aristote, par une étude des documents originaux (étude dont nous avons une preuve dans les citations de Solon) a eu le moyen de se former une opinion indépendante des pamphlets politiques. Les derniers chapitres n’ont pas subi cette revision, et même le chapitre xli se termine par une note sur l’indemnité de l’Assemblée qui ne se rattache nullement au contexte. Sans doute Aristote eût-il fixé son choix ou expliqué son incertitude dans les passages où nous voyons maintenant deux versions accolées. Du moins, en son état actuel, l’œuvre nous fournit-elle une foule de renseignements précieux, mais divers, tout en nous instruisant sur la méthode d’Aristote. Mais, de même qu’Aristote dans les chapitres du début ne s’est asservi à aucune tradition exclusive, nous ne devons pas non plus accepter sans discussion tous les renseignements qu’il nous donne, et nous devons soumettre chacun d’eux à un examen d’autant plus sérieux qu’il se trouve dans un développement moins achevé.

G. M.

II

DEUXIÈME PARTIE : DESCRIPTION
CH. XLI-LXIX

L’examen des sources d’Aristote dans la Première partie de la Constitution d’Athènes nous a montré en plus d’un endroit que l’auteur dépendait étroitement des sources qu’il avait choisies sans prendre toujours le temps de les contrôler et de les mettre d’accord avec certains passages de la Politique, par exemple. En va-t-il de même, en peut-il aller de même dans la Seconde partie ? Celle-ci est entièrement consacrée au « gouvernement actuel » d’Athènes, aux institutions contemporaines d’Aristote et même des dernières années de la vie du philosophe, puisqu’on est maintenant d’accord pour dater le livre des environs de l’année 325.

On s’est laissé tenter par la perspective d’un parallélisme exact entre les deux parties, historique et descriptive, de l’œuvre d’Aristote et l’on a cru reconnaître qu’en rédigeant la Seconde il avait sous les yeux un traité antérieurement publié, mais beaucoup plus détaillé, où il avait largement puisé, l’éclairant de traits personnels, l’accommodant à l’état des institutions présentes. On en est venu à parler d’une Atthide, presque à nommer un atthidographe (Wilamowitz-Moellendorff, Aristoteles und Athen, I, p. 216). La méthode restait donc la même dans les deux parties de la construction.

Cette théorie tôt venue n’a pas résisté à l’examen des épigraphistes et des juristes qui ont prouvé une telle concordance entre Aristote et les inscriptions attiques d’une part et de l’autre les textes de lois cités par les orateurs qu’il a fallu admettre l’information directe, le contact immédiat avec les lois et décrets, l’utilisation des Archives mêmes.

Nous ne prétendons point qu’Aristote ait fait ces recherches lui-même, soit dans les Archives, dont l’accès n’était pas fermé aux étrangers, soit dans les bureaux des magistrats, où se trouvaient certainement, entre les mains d’un assesseur ou d’un greffier ou d’un esclave public, les textes législatifs et les décrets usuels ; mais il les a inspirées, dirigées, surveillées. Un chef d’école tel que lui n’était pas absorbé par son enseignement. Il faut se le représenter comme un directeur d’études dont le premier devoir est d’organiser le travail scientifique : sans collaborateurs, il n’eût pu recueillir les matériaux de tant d’ouvrages qui n’étaient que la mise en ordre de documents tirés d’archives (voy. l’article de H. Usener, cité plus haut, p. ii).

Les Archives athéniennes, voilà donc la source principale d’Aristote dans la Deuxième partie de la Constitution d’Athènes ; mais les recherches dans les archives n’excluent pas les recherches dans les bibliothèques, et nous avons constamment la preuve qu’Aristote a usé des atthidographes dans la description du gouvernement d’Athènes. Que pouvaient-ils lui fournir ? Un tableau complet et détaillé des institutions athéniennes ? Rien ne nous autorise à le croire. Ces annalistes notaient, sous chaque archonte, les lois votées et les réformes introduites, de même qu’ils enregistraient les principaux événements de l’histoire extérieure d’Athènes ; mais comment l’idée leur serait-elle venue d’interrompre le cours de leurs annales par un tableau méthodique qu’ils n’avaient aucune raison de rattacher à une année plutôt qu’à une autre et qui n’était pour ainsi dire pas de leur compétence ? Ce que les atthidographes fournissaient à Aristote, c’étaient des dates, c’est-à-dire des points de comparaison entre l’état actuel et l’état antérieur des institutions. Nous verrons comment il en a usé.

Ainsi, dès maintenant, la Seconde partie du traité d’Aristote nous apparaît comme une œuvre foncièrement personnelle, et cela suffit à la distinguer de la Première, où nous avons vu l’auteur enchaîné à plus d’une erreur ou d’une contradiction.

L’examen confirme cette première impression d’une œuvre originale. Après un préambule consacré à l’inscription des citoyens et à l’éphébie (xlii), une première section — de beaucoup la plus longue puisqu’elle s’étend du chap. xliii au chap. lxii — traite des magistratures, d’abord de celles qui sont conférées par le sort (xliii-lx), puis de celles qui sont données à l’élection (lxi-lxii). Les tribunaux remplissent à eux seuls la seconde et dernière section (lxiii-lxix). C’est en effet sur la description des tribunaux que prenait fin l’ouvrage.

Il faut étudier ce plan à la lumière de la Politique pour bien comprendre sur quelles solides fondations repose cette Seconde partie. Cherchant au commencement du L. III à définir le citoyen (p. 1275 a 22 suiv.), Aristote pose d’abord en principe que ce qui le caractérise, c’est l’exercice du pouvoir judiciaire et des magistratures (κρίσις καὶ ἀρχή). Nous retrouvons là le titre en quelque sorte des deux sections que nous venons de reconnaître. Peu importe que l’ordre soit interverti. Si dans la Politique le pouvoir judiciaire est nommé le premier, ce n’est pas seulement parce qu’il est illimité, parce qu’à partir d’un certain âge le citoyen peut l’exercer à vie, c’est aussi parce qu’il est le plus important, celui qui complète et couronne tous les autres. Cette dernière considération décide Aristote à placer la description des tribunaux à la fin de sa Constitution d’Athènes. N’est-ce pas pour l’accroissement des tribunaux populaires que la démocratie athénienne a le plus constamment lutté ? N’est-ce pas leur toute-puissance qui la caractérise ? Les tribunaux sont le couronnement de l’édifice.

Le passage cité du L. III de la Politique ne nous fournit que des titres et ne justifie que la division du sujet. Le passage suivant du L. IV (p. 1297 b 37 suiv.) est plus détaillé et nous montre le même accord entre les deux œuvres du philosophe. Aristote distingue dans toute constitution trois éléments qui s’imposent à l’attention du législateur digne de considération : d’abord les assemblées qui délibèrent sur les affaires de la cité (τὸ βουλευόμενον) ; en second lieu, l’organisation des magistratures (τὸ περὶ τὰς ἀρχάς) — pouvoir et mode de désignation — ; en troisième lieu, les juges (τὸ δικάζον). Cet ordre est exactement celui de notre Seconde partie. C’est en effet par une ἀρχὴ βουλευτική (le terme se trouve déjà dans le L. III de la Politique, 1275 b 18) qu’Aristote commence l’énumération des magistratures athéniennes : par le Conseil, c’est-à-dire celle de toutes les magistratures qui est le plus étroitement mêlée à l’administration de la cité. Du Conseil Aristote ne sépare pas l’assemblée du peuple puisque la charge de rédiger l’ordre du jour des séances de l’assemblée incombe au Conseil, et dans le même chap. xliii l’auteur énumère toutes les matières qui, d’après les lois, devaient être inscrites à chacune des quatre assemblées de la prytanie.

Aristote n’est donc redevable qu’à lui-même, à ses méditations, à son enseignement, du plan qu’il suit dans la Seconde partie : nul atthidographe n’eût été en mesure de guider le philosophe.

Comment a-t-il traité son sujet, et d’abord quelles sont les proportions de l’œuvre ? Dès la première lecture, quand on considère l’ensemble de cette solide et sobre construction, on est frappé d’une certaine disproportion entre le chap. xlii et le corps de l’ouvrage, et plus loin on note aussitôt que la plus grande partie de la description des tribunaux diffère profondément de tout ce qui précède.

Pour le chap. xlii, qui ouvre la Seconde partie, rien de plus naturel que de commencer par l’inscription des citoyens qui sont admis dans les dèmes, c’est-à-dire dans la cité, à l’âge de dix-huit ans. Anciennement, au ve siècle et vraisemblablement pendant la plus grande partie du ive, l’Athénien pouvait dès l’âge de dix-huit ans remplir ses devoirs politiques, fréquenter l’assemblée, même y prendre la parole et aussi ester en justice. Au temps d’Aristote, il ne peut faire ses débuts de citoyen qu’à l’âge de vingt ans : il lui faut auparavant servir deux années dans l’éphébie. Le tableau de l’éphébie est donc à sa place ; mais, où quelques traits auraient suffi, Aristote se plaît à un tel détail, sa peinture est d’une telle fraîcheur de coloris qu’on en a justement conclu que l’institution ou la réforme de l’éphébie était récente (Wilamowitz, ouv. cité, I, p. 189-194). Le sujet avait pour lui, pour ses lecteurs aussi, l’attrait de la nouveauté : il y a cédé. Aussi bien, si instructive que soit cette fin de chapitre, elle ne satisfait pas pleinement notre curiosité : nous ne sommes pas renseignés, par exemple, sur le serment des éphèbes.

Les tribunaux sont décrits du chap. lxiii au chap. lxix. Ce qui frappe dans cette longue suite de chapitres, c’est moins l’importance de la part faite au sujet que la nature même de la description, tout extérieure, toute matérielle en quelque sorte, où les locaux et le mobilier judiciaire semblent attirer presque exclusivement l’attention de l’auteur. Certes il ne faut pas oublier qu’il a déjà mis le lecteur au courant des actions publiques et privées, de l’instruction, de la présidence des tribunaux dans toute la première section et particulièrement dans les précieux chapitres consacrés aux archontes et aux thesmothètes, mais il lui restait encore beaucoup à dire sur le fond, sur les γραφαί et les δίκαι par exemple, sur l’ἀτίμητος ἀγὼν καὶ τιμητός. Nous avons la preuve qu’il ne l’a pas fait : s’il avait donné quelques lignes à ces deux sujets, Harpocration n’eût pas manqué de le citer dans ses deux articles et de se recommander de son témoignage. On a dit, en se souvenant sans doute du chap. xlii, qu’Aristote avait cédé là encore à l’attrait de la nouveauté et que l’organisation si minutieusement décrite remontait à une période antérieure du ive siècle, suffisamment rapprochée de la publication de la Constitution d’Athènes pour qu’il y eût intérêt à en présenter un tableau d’ensemble (B. Keil, Anonymus Argentinensis, 1902, p. 265-269 ; G. Colin, Revue des Études grecques, 1917, p. 63 et suiv. ; O. Schulthess, Das attische Volksgericht, 1921, p. 8 et suiv.). Nous acceptons cette hypothèse, mais avec une réserve : c’est que pareille organisation n’est pas l’œuvre d’un jour, d’une loi, c’est qu’elle est l’aboutissement d’une série de mesures de détail, de réformes partielles toutes inspirées par le même esprit de défiance, la même crainte des intrigues et de la corruption qui eussent faussé les jugements des tribunaux populaires. Cet esprit inquiet et jaloux, Aristote ne l’ignore pas. Il sait qu’il n’est pas étranger, dans la première partie du ive siècle, à une réforme sur laquelle il nous renseigne lui-même au chap. xliv, l’institution des proèdres parmi lesquels le sort désigne, en dehors de la tribu prytane, l’éphémère président de l’assemblée du peuple. Il n’a pas laissé passer cette complication du tirage au sort, qui a d’ailleurs d’autres causes : il en accumule d’autres exemples, de moindre importance, dans la description des tribunaux. Tous ces traits font nombre, et, sans qu’il soit besoin de les souligner, ils éclairent la démocratie athénienne, ils sont à leur place dans le traité qui lui est consacré.

Aussi bien dans les tribunaux d’Aristote il y a autre chose que salles de tirage au sort et tableaux d’affichage, boîtes et vases, bâtons et tablettes, cubes et glands, bulletins de vote et amphores, tables à compter. On y trouve, dans les chap. lxviii et lxix, un tableau vivant de la fin de l’audience, à partir du moment où il va être procédé au vote. On y suit de près les parties ; on les voit, avant les plaidoiries, s’engageant par serment à ne parler que sur l’affaire (lxvii 1) ; les plaidoiries prononcées, surveillant avec soin la distribution des bulletins (lxviii 2) et les opérations du vote (lxviii 3). Elles sont auprès du héraut quand il fait sa première proclamation (lxviii 4). Enfin elles assistent au dépouillement du scrutin (lxix 1). Toutes ces brèves indications sont autant d’éléments de vie qui ajoutent aux plaidoyers des orateurs attiques. Reconnaissons enfin que la précision des termes juridiques garantit l’excellence des sources.

La composition de la première section qui traite des magistratures (xliii-lxii) est au contraire toute rigoureuse et sobre. Les lois en forment pour ainsi dire la trame, sans qu’Aristote prenne la peine d’user souvent du mot νόμος. Mais quand il emploie, dès le chap. xliii, des expressions telles que δεῖ (xliii 4 ; xliv 4 ; xlvii 5), plus loin ἀναγκαῖόν ἐστιν (xliv 1), οὐκ ἔξεστιν, ἔξεστιν (xliv 3 ; xlv 4 ; lxii 3), οὐκ ἔστιν (xlvi 1), il faut entendre que ce sont les lois qui ordonnent, permettent ou ne permettent pas. Parlant de fonctionnaires de moindre importance, les inspecteurs des marchés et les agents-voyers, il dit des premiers : τούτοις ὑπὸ τῶν νόμων προστέτακται (li 1), des autres : οἴς προστέτακται (liv 1) sous-entendant cette fois : par les lois. Les chapitres sur les archontes (lv-lix), qui sont parmi les plus rigoureusement composés et les plus remarquables de l’œuvre tout entière, sont fondés sur une étude détaillée des lois ; le chapitre si vivant sur l’examen des archontes (lv) n’a pu être écrit qu’avec le texte de la loi sous les yeux. Mais il est inutile d’insister sur ces faits que ne conteste personne. Nous prétendons seulement qu’Aristote n’a pas emprunté ces lois à quelque devancier, mais qu’il les a fait recueillir et copier dans les Archives mêmes ou dans les bureaux des magistrats. Point n’était besoin pour décrire les attributions des inspecteurs des marchés et des agents-voyers de recourir aux Archives : les lois et règlements de police qu’ils étaient chargés de faire respecter étaient sans doute affichés dans leurs bureaux comme l’est aujourd’hui la loi sur l’ivresse, par exemple, dans les bureaux de nos commissaires de police ; mais pour l’examen des archontes, pour la proclamation archaïque renouvelée par l’archonte dès son entrée en charge (lvi 2), pour la délimitation de la compétence de chacun de ces magistrats, à plus forte raison pour les lois de Solon qu’il cite chemin faisant (xlvii 1), c’est aux Archives qu’il a puisé. Tous ces matériaux, c’est lui qui les a classés, ordonnés et employés à sa façon.

Les discussions de détail ne sont pas à leur place dans cette Introduction, mais reconnaissons en passant qu’on se méprend sur la méthode et le plan d’Aristote quand on lui cherche chicane sur telle menue omission ou telle divergence. Parce qu’au chap. lv 3, parmi les questions posées à l’archonte, il a passé les mots ὑπὲρ τῆς πατρίδος (ou ὑπὲρ τῆς πόλεως) après τὰς στρατείας εἰ ἐστράτευται ; parce qu’au chap. lvi 7, dans la loi bien connue sur les orphelins, les épiclères et sur les veuves qui prétendent être enceintes, il a employé σκἠπτωνται au lieu de φάσκωσιν, on veut qu’il dépende de l’auteur auquel il aurait emprunté ces lois (Wilamowitz, ouv. cité, I, p. 256-259. Cf. B. Bursy, de Aristotelis Πολιτείας Ἀθηναίων partis alterius fonte et auctoritate, 1897, p. 27-30). Mais Aristote a-t-il su se faire comprendre ou non ? Et de même qu’il faut se défendre de le vouloir compléter, il faut se garder de le corriger sans raison. Au même chap. lv 2, un savant grec, à qui l’on doit plus d’une observation juste, propose d’ajouter : δοκιμάζονται δ’ οὗτοι πρῶτον μὲν ἐν τῇ βουλῇ <εἶτα δ’ ἐν τῷ δικαστηρίῳ>, plus loin, 3, il corrige ταῦτα δ’ ἀνερωτήσας en ταῦτα δ’ ἐπερωτήσας. Mais Aristote n’est pas un Athénien. Dans le premier passage il n’a cure d’une phrase exactement symétrique, puisque les mots ἐν τῷ δικαστηρίῳ viennent à la fin et fixent le sens ; dans le second il lui plaît d’employer le verbe ἀνερωτᾶν qui peut s’entendre de questions répétées et convient à merveille.

L’indépendance d’Aristote et l’originalité de son dessein se font jour dans toute cette première section. Au début du chap. xlii il a annoncé un tableau de l’état actuel du gouvernement d’Athènes, et, dans ce tableau, le passé, les réformes qui ont abouti aux institutions actuelles tiennent une place qui n’est pas négligeable. L’état actuel et l’état antérieur s’y opposent de la façon la plus brève au moyen de deux adverbes qui reviennent dans nombre de chapitres : πρότερον (plus rarement ποτέ xlix 3) et νῦν. Ainsi aux chap. xlv 1, 3 ; xlix 3 ; li 3 ; liii 1 ; liv 3 ; lv 1, 2, 4 ; lvi 3 ; lx 2 ; lxii 1. Pourquoi ces indications discrètes qui ne sont jamais accompagnées d’un nom d’archonte et pourquoi la date fait-elle toujours défaut (sauf en liv 7) ? C’est d’abord qu’Aristote reste rigoureusement fidèle à son plan. L’historique des institutions athéniennes et les noms d’archontes sont réservés à la Première partie. Quand il aborde, au début du chap. lv, l’exposé des attributions des archontes, il rappelle qu’il a dit comment ils avaient été désignés dès l’origine : en d’autres termes il renvoie le lecteur à sa Première partie. Il y a plus. Les plus importantes des réformes si brièvement signalées se rapportent à l’accroissement constant de la compétence des tribunaux populaires et du même coup à l’affaiblissement du Conseil. C’est ainsi que le Conseil perd, au profit des tribunaux, le droit de condamner à mort (xlv 1), le droit d’exclure sans appel les Conseillers désignés pour l’année suivante (xlv 3), le droit de juger les modèles et le péplos (xlix 3), le droit d’exclure sans appel les archontes, lors de leur examen (lv 2). Ces réformes caractéristiques, Aristote pouvait-il, s’il l’eût voulu, les dater toutes exactement ? Il nous eût certes rendu service en nous faisant connaître l’année où un certain Lysimachos, qu’on ne peut identifier avec l’hipparque cité par Xénophon (Hellén., ii, iv 8 et 26), échappa à la condamnation capitale prononcée contre lui par le Conseil. La date ne devait pas manquer dans l’atthidographe qui lui fournissait ce fait et ce nom ; elle était en tout cas inscrite sur la loi dont le vote suivit cette cause célèbre, et pourtant il ne l’a pas donnée. Si grave qu’elle fût, la loi ne marquait en effet qu’une étape dans la lutte depuis si longtemps engagée par les démagogues en faveur des tribunaux populaires, depuis Éphialte et la ruine de l’Aréopage. Aristote veut surtout intéresser le lecteur à cette lutte même : il voit dans ces brèves indications le moyen de nouer plus solidement son exposé, et il prépare ainsi le tableau qui le clôt : la description des tribunaux.

Cette sobriété est voulue. Elle est, encore une fois, conforme au plan d’Aristote. Lui-même nous avertit, au moins en trois endroits, qu’il n’a pas tout dit : xlix 5 ; lvii 1 ; lviii 3. Dans les deux premiers de ces chapitres il use de la même locution (ὡς ἔπος εἰπεῖν), et cette répétition même souligne encore son dessein. De ces trois passages qui se trouvent à la fin d’un chapitre ou d’un développement, « en guise d’et caetera stylisés », on a conclu qu’Aristote ne nous donnait qu’un extrait de sa source, et on y a vu la confirmation de la thèse que nous avons combattue plus haut (Wilamowitz, ouv. cité, I, p. 215). Ce n’est pas un « extrait » que nous a livré le Papyrus de Londres, et Aristote ne s’est pas proposé de rédiger un manuel des institutions athéniennes. C’est bel et bien une œuvre personnelle ; mais il faut reconnaître qu’elle est incomplète et y relever de graves lacunes.

La plus surprenante a été notée depuis longtemps : la Seconde partie ne dit rien de la législation athénienne. Au lendemain de la découverte, quand l’ensemble du Papyrus n’avait pas été reconstitué, on pouvait espérer qu’il en était question dans la section réservée aux tribunaux. Nous savons maintenant qu’il n’en est rien. Aussi bien cet espoir était vain : si Aristote avait consacré quelques lignes aux νομοθέται, elles n’eussent pas manqué d’être exploitées par les lexicographes ; or ceux-ci sont restés muets sur cet important sujet. Et pourtant l’existence et l’activité des nomothètes nous sont attestées par des textes authentiques, des lois et des décrets, qui se répartissent sur toute la seconde moitié du ive siècle, depuis 352 jusqu’en 331. Le corps des nomothètes fonctionne régulièrement dans la période même où se placent la préparation et la publication de la Constitution d’Athènes : Aristote ne l’en a pas moins passé sous silence. Il n’est pas nommé davantage dans la Politique, et deux passages bien connus, qu’il convient de rappeler ici, risqueraient de nous induire en erreur sur la législation athénienne, si nous n’avions pour les corriger les inscriptions auxquelles nous venons de faire allusion. Au L. IV, décrivant les attributions des assemblées délibérantes, il pose en principe qu’elles sont souveraines sur la guerre et la paix, la conclusion et la rupture des alliances, [l’établissement des] lois, la peine de mort, l’exil et la confiscation, sur la désignation des magistrats et la reddition des comptes (p. 1298 a 3 suiv. ; 20). Or, au temps d’Aristote, ce n’est ni l’assemblée du peuple, ni le Conseil qui rédigent les lois, mais les nomothètes, c’est-à-dire un corps formé d’héliastes. Le second passage, emprunté au même L. IV, n’est pas plus strictement exact. C’est la page fameuse où, décrivant la démocratie extrême, il a manifestement en vue la démocratie athénienne. Par trois fois il la caractérise en disant que la souveraineté n’y appartient pas aux lois, mais à la foule et aux décrets, par la faute des démagogues (p. 1292 a 5 et 23 ; cf. Constit. d’Athènes, xli 2) ; comme s’il oubliait l’action d’illégalité (lix 2) et la dénonciation portée au Conseil contre les magistrats qui ne se conforment pas aux lois (xlv 2), pour ne se souvenir que de l’εἰσαγγελία εἰς τὸν δῆμον, qui n’aboutissait d’ailleurs, comme la προβολή, qu’à une condamnation préjudicielle (lix 2). N’apparaît-il pas que le rappel de ces deux passages de la Politique fait ressortir encore la gravité de la lacune ?

Dans le même ordre d’idées, Aristote omet, au chap. lix, la revision annuelle des lois, cette ἐπιχειροτονία τῶν νόμων à laquelle présidaient les thesmothètes.

Cette double lacune nous semble si grave que nous ne voyons qu’un moyen de l’expliquer. Aristote a sciemment laissé de côté tout ce qui touchait à la rédaction et à la revision des lois, réservant ce sujet à son disciple Théophraste dont le traité des Lois figurait au programme des travaux réglés par le maître (Politique, 1309 b 14. Cf. H. Usener, art. cité, p. 22). Nous savons par Harpocration (s. v. Θεσμοθέται) que Théophraste parlait de l’ἐπιχειροτονία τῶν νόμων au IIIe livre de ses Lois. Si le lexicographe cite au même article Aristote, c’est uniquement pour rappeler que dans la Constitution d’Athènes il avait énuméré les attributions des thesmothètes (chap. lix). Puisque Théophraste a traité de la revision des lois, ne convient-il pas d’admettre qu’il avait dans un chapitre antérieur exposé la νόμων θέσις ? Aristote n’a pas voulu faire double emploi avec un livre sorti de son école.

Quoi qu’il en soit de ces lacunes — les plus graves et non les seules qu’on puisse reprocher à l’auteur —, il n’en reste pas moins que la Seconde partie de la Constitution d’Athènes est plus solidement construite, mieux composée, plus fondue en quelque sorte que la Première. Dans celle-ci le temps lui a manqué pour faire pleinement œuvre d’historien, pour se détacher de ses sources et les contrôler : la Seconde est plus personnelle et plus sûre. Il y a mieux. Il s’en dégage une image plus juste et plus vraie de la démocratie athénienne. Qu’Aristote se soit montré sévère pour la démocratie athénienne, on le sait de reste. Aux yeux de l’auteur de la Politique, le gouvernement démocratique n’est pas une des trois formes normales (ὀρθαί) qu’il reconnaît : c’est une déviation de la πολιτεία, c’est-à-dire d’un gouvernement idéal, d’un modèle d’école dont il eût été embarrassé de produire un exemple (1289 a 2 suiv.). Puis, au cours de sa carrière, le philosophe n’eut pas à se louer d’Athènes. Nous avons rappelé plus haut le tableau peu flatteur et insuffisamment exact qu’il a tracé de la démocratie athénienne dans la Politique ; nous en avons rapproché un passage de la Première partie de la Constitution d’Athènes (xli 2) qui est d’ailleurs au nombre des plus mal venus de l’introduction historique. Que nous apprend au contraire la Seconde partie et quelle impression nous laisse-t-elle ? Le ton est constamment mesuré. C’est à peine si l’on trouve un trait d’ironie au chap. xlvii 1, où Aristote rappelle une loi de Solon qui est toujours en vigueur, mais n’est plus appliquée. Le fait l’avait frappé déjà dans la Première partie (vii 4) et il l’avait signalé en termes qui ne sont pas d’accord avec tel passage du chap. lv 3. Plus loin encore (lx 2) il s’étonne d’une loi qu’on a maintenue bien qu’on n’en use plus. Ce sont des observations personnelles, comme au chap. chap. lxi 2, où il note que les stratèges ont le droit d’infliger des amendes, mais ne l’exercent pas.

Pour les magistrats, nous voyons qu’on n’exige aucune capacité professionnelle de ceux qui étaient désignés par le sort et qui étaient les plus nombreux. Les questions posées aux archontes (lv 3) le prouvent à l’évidence. Mais les orateurs et les inscriptions nous apprennent qu’au temps de Démosthène, au temps d’Aristote par conséquent, la plupart de ces magistrats se recrutaient parmi les citoyens aisés (J. Sundwall, Epigraphische Beiträge zur sozial-politischen Geschichte Athens im Zeitalter des Demosthenes, 1906). Ce ne sont pas les pauvres, sans ressources ni loisirs, qui se présentent au tirage au sort, qui affrontent l’examen, le vote de confirmation (xliii 4) et l’épreuve de la reddition des comptes (xlviii 3-5) ; et, s’il s’en présente quelques-uns (xlvii 1), ils peuvent compter sur des assesseurs (lvi 1) et sur des esclaves publics, hommes d’expérience qui connaissent lois et règlements. Il faut de toute façon, puisque les fonctions civiles — à l’exception de la charge de membre du Conseil — ne peuvent être exercées qu’une fois (lxii 3), que chaque année plus d’un millier de citoyens soit occupé à remplir les magistratures. Les plus humbles eux-mêmes y acquièrent une expérience dont ils profiteront dans les tribunaux populaires ; car la foule est grande dans les bureaux des magistrats d’une grande ville et les affaires y sont nombreuses (Politique, 1299 a 36). Pour les fonctions militaires qui requièrent de l’expérience et des qualités techniques (Politique, 1317 b 21 ; cf. 1298 a 28), Aristote note soigneusement qu’on peut les exercer plusieurs fois (lxii 3. Cf. Politique, 1317 b 24). En somme, le rapprochement de tous ces textes ne laisse aucune impression défavorable à l’administration de la démocratie athénienne.

Restent les tribunaux populaires. La toute-puissance des tribunaux et la prédominance de l’assemblée du peuple sont les deux armes dont use Aristote contre la démocratie athénienne, dans la Politique et dans la Première partie de la Constitution d’Athènes : « tout est réglé par des décrets et par des tribunaux où le peuple est souverain », a-t-il dit au chap. xli 2. Mais d’autres passages de la Politique même nous permettent une vue plus juste. D’abord, au L. VI (1317 a 40 suiv.), recherchant le principe même de la démocratie, il établit que l’égalité démocratique est fondée sur le nombre et non sur le mérite, d’où il résulte que la souveraineté appartient au plus grand nombre et que la décision de la majorité fait le droit. L’analyse est bien connue et a été admirée par d’autres que par des partisans du régime démocratique (R. Dareste, La Science du droit en Grèce, 1893, p. 267). Puis nous avons dit déjà qu’il n’était pas exact que les décrets fussent souverains. Pour les tribunaux, il résulte de la définition même qu’Aristote a donnée du citoyen au L. III (1275 b 18) que l’exercice du pouvoir judiciaire est une de ses attributions essentielles : la souveraineté du peuple s’exerce aux tribunaux comme à l’assemblée (Cf. Platon, Lois, 767 e et suiv.). Puisque tel est le droit, toute la question est de savoir comment le peuple athénien en a usé. Il s’est défié de ses tribunaux : pour les garder contre l’intrigue et la corruption, il a multiplié les mesures de précaution, compliqué les tirages au sort, et Aristote s’est complu, non sans malice, à décrire tous ces menus moyens de défense dont l’efficacité reste douteuse ; mais devons-nous penser que la justice a été plus mal rendue à Athènes que dans toute autre cité grecque, sous la démocratie plus mal que sous un autre régime ? Rien ne nous y autorise. Une grande cité commerçante et industrielle comme Athènes n’aurait pu vivre avec une justice faussée. Laissons donc le philosophe déplorer dans la Politique ce qu’il considère comme un déplacement d’autorité, une déviation : au temps d’Aristote ni la constitution athénienne n’est suffisamment usée, ni les mœurs ne sont assez perverties pour justifier toutes les sévérités du théoricien.

Faut-il ajouter en terminant, à l’honneur de cette Seconde partie dont nous avons surtout voulu mettre en lumière l’originalité, qu’elle est un trésor d’informations, une véritable carrière dont l’exploitation est loin d’être terminée ? Le crédit dont elle a joui dans l’antiquité a été considérable. En fournissant aux lexicographes et scholiastes des matériaux tout ouvrés pour ainsi dire, qu’ils ont plus ou moins intelligemment utilisés, elle les a dispensés de recherches personnelles et les a presque détournés de regarder ailleurs. La tâche des savants modernes n’en est que plus vaste. Contrôler toutes ces informations, les éclairer et les confirmer à l’aide des auteurs et des inscriptions, les discuter et les compléter quand il y a lieu, mettre les gains en valeur sans dissimuler les difficultés et les lacunes, voilà qui remplirait un volume réservé au commentaire.

B. H.

III

LE TEXTE DE LA CONSTITUTION D’ATHÈNES

Le texte de la Constitution d’Athènes repose, dans son ensemble, sur un seul manuscrit et, pour quelques passages, sur deux. Ce sont :

1o Un papyrus du British Museum (L), provenant d’Égypte. Il est écrit au verso des comptes d’un fermier ; ceux-ci étant datés de la onzième année de l’empereur Vespasien (août 78-juillet 79), notre texte a dû être copié vers la fin du ier siècle après J.-C. Le récit commence au moment du procès des meurtriers de Kylon, et la première phrase, d’ailleurs incomplète, est précédée d’un blanc, ce qui montre que notre manuscrit provient d’un archétype déjà mutilé. Le papyrus comprend quatre rouleaux, dont les trois premiers sont numérotés Α, Β, Γ ; le quatrième est fortement mutilé ; ils comprennent respectivement les colonnes 1-11 ; 12-24 ; 25-30 et 31-37. On y reconnaît quatre mains différentes : la première, qui a écrit les colonnes 1-12, emploie une semi-cursive avec beaucoup d’abréviations ; de la colonne 13 au milieu de la colonne 20, nous trouvons une onciale sans abréviations, mais avec beaucoup de fautes ; du milieu de la colonne 20 à la colonne 24, le scribe a employé une semi-cursive plus large que celle de la première main ; les colonnes 25-30 sont écrites en une semi-cursive plus fine que celle de la première main, mais avec des abréviations analogues ; les colonnes 31-37 sont l’œuvre du même scribe que les colonnes 20-24 ; enfin le scribe de la première main a corrigé les fautes du scribe de la seconde. Dans toutes les parties de l’ouvrage, les accents n’apparaissent qu’exceptionnellement. Ce papyrus a été publié pour la première fois par Kenyon le 30 janvier 1891 et un fac-simile en a paru à Londres la même année.

2o Un papyrus du Musée Égyptien de Berlin (B), provenant des environs d’Arsinoé dans le Fayoum et formé de deux pages mutilées. La date n’est pas déterminée de façon sûre : Sandys l’attribue au iie siècle après J.-C., Thalheim au ive siècle. Il contient une partie des vers de Solon (chap. xii 4), la mention de l’archontat de Damasias (chap. xiii 1-4), une partie de l’exposé des réformes de Clisthène (chap. xxi 4-xxii 2) et la mention de l’ostracisme de Mégaclès et de Xanthippos (chap. xxii 5-7). Publié d’abord par Blass (Hermes, 1880, xv, p. 366), son contenu a été identifié par Bergk (Rheinisches Museum, 1881, xxxvi, p. 87).

D’ailleurs, là où la comparaison nous est possible, ces deux manuscrits ne présentent que des variantes de peu d’importance.


SIGLES


PAPYRUS

L : Papyrus de Londres (British Museum 131), ier siècle après J.-C.

B : Papyrus de Berlin (Musée Égyptien 163), iie ou ive siècle après J.-C. (ne contient qu’une partie des chapitres xii, xiii, xxi et xxii).

ÉDITIONS

K : éd. Kenyon (1re et 2e, Londres, 1891 ; 3e, ibid., 1892 ; 4e, Berlin, Reimer, 1903 ; 5e, Oxford, Clarendon Press, 1920).

K-W : éd. Kaibel et Wilamowitz-Moellendorff (1re et 2e, Berlin, Weidmann, 1891 ; 3e, ibid., 1898).

H-L : éd. van Herwerden et van Leeuwen (Leyde, Sijthoff, 1891).

Bl : éd. Blass (Leipzig, Teubner, 1re, 1892 ; 2e, 1895 ; 3e, 1898; 4e, 1903).

Th : éd. Thalheim (Leipzig, Teubner, 1re, 1909 ; 2e, 1914).

Sandys : éd. Sandys, avec commentaire (Londres, Macmillan, 1re, 1893 ; 2e, 1912).

Hude : éd. Hude, avec notes explicatives (Leipzig, Teubner, 1re, 1892 [les 41 premiers chapitres] ; 2e, 1916 [tout l’ouvrage]).

Wn : Wilcken, lectures du papyrus (Hermes, XXX, 1895, p. 619-623).