Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1312

Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1312]


Le jour de la lune après la Quasimodo, on tint à Vienne, dans la grande église, la seconde session du concile général. Philippe, roi de France, arrivé vers le carême avec ses fils et ses frères, et accompagné d’une suite nombreuse, puissante et convenable, de prélats, de nobles et de grands, siégea à la droite du souverain pontife, qui dominait tous les autres, sur un siège un peu moins élevé, avec les cardinaux, les prélats, et d’autres appelés par le pape. Après quelques préliminaires observés ordinairement dans ces circonstances, le pape prit pour texte « Les impies ne ressusciteront point dans le jugement des justes, ni les pécheurs dans l’assemblée des mêmes justes 31 » L’Ordre du temple ayant été appelé de la manière usitée pour les Templiers, comme l’Ordre n’était pas encore convaincu en qualité d’Ordre, mais que cependant leur mode de réception, soupçonné depuis long-temps et que jusqu’alors ils n’avaient pas voulu avouer, avait été révélé par un nombre infini de frères, et des plus considérables, l’autorité apostolique, avec l’approbalion du saint concile, abolit et anéantit, non définitivement mais provisoirement et par mesure de règle, tant le nom que l’habit de cet Ordre, puisqu’aucun homme de bien ne voulait désormais y entrer, et on agit ainsi pour éloigner et éviter d’autres maux et scandales. Aussitôt le pape fit lire le statut porté a ce sujet contre ceux qui à l’avenir garderaient l’habit de l’Ordre ou le prendraient de nouveau, ou recevraient la profession de quelques nouveaux frères, lançant une sentence d’excommunication aussi bien contre ceux qui recevraient que contre ceux qui seraient reçus. Quant aux personnes et aux biens de ceux qui restaient, il en réserva la disposition au Siège apostolique, pour y être par lui pourvu avant la dissolution dudit concile.

Cependant, comme le second but principal du concile général était le secours à porter à la Terre-Sainte, le pape prit pour texte « Les justes obtiendront ce qu’ils désirent 32 » et après des paroles d’amertume commença des paroles de douceur, et exposa à tout le concile comment les vœux formés par les justes pour le recouvrement de la Terre-Sainte, si désirable pour lui surtout, et eu général pour tout fidèle catholique, et cependant si long-temps retardés, au grand chagrin du pape et de tout catholique, allaient bientôt être accomplis, puisque le roi de France Philippe, présent au concile, lui avait sincèrement promis par une lettre (qui fut lue sur-le-champ en plein concile) de prendre la croix dans l’espace d’un an avec ses encans, ses frères, et nh grand nombre de seigneurs de ses États et d’autres royaumes et de se mettre en route aux calendes du mois de mai prochain pour aller au secours de la Terre-Sainte, où il resterait six ans. En cas que la mort ou quelqu’autre légitime obstacle empêchât le roi de faire ce voyage, son fils aîné s’obligeait à l’accomplir fidèlement ; mais il n’en fit rien c’est pourquoi les prélats, par une pieuse affection, accordérent au roi les dîmes pour six ans. Le souverain pontife et le saint concile approuvèrent la dévotion du roi et la concession dé la dîme, et ainsi se termina cette session.

Avant la dissolution du concile, après diverses délibérations sur les biens des Templiers pour savoir l’usage qu’on en devait faire, les uns conseillant de fonder un nouvel ordre à qui on les donnerait, les autres émettant un avis différent, le Siège apostolique régla enfin, du consentement des rois et des prélats, que ces biens seraient dévolus entièrement aux frères de l’Hôpital, afin de leur donner plus de forces pour recouvrer ou secourir la Terre-Sainte ; mais au conitraire, comme il apparut dans la suite, ces biens les rendirent pires qu’auparavant. Quant aux personnes des Templiers encore vivans, on ne conclût rien à cet égard. On s’occupa quelque peu de plusieurs choses concernant l’état ou la réformation de l’Église universelle, troisième motif de la convocation du concile ; mais quoique le pape eût demandé plusieurs fois avec instance, aux prélats et autres hommes importans, qu’on statuât, décidât et pourvût à ce sujet avant la dissolution du concile, et quoiqu’il eût lui-même, dit-on, publié quelques décrétales, réglemens et statuts concernant cette affaire, cependant on n’en promulgua rien publiquement dans ce concile, et tout fut entièrement et pleinement remis et abandonné à la libre décision du Siège apostolique.

Henri, roi des Romains, ayant paisiblement traversé, sans aucune opposition, Pise, Piombino, Viterbe et beaucoup d’autres villes d’Italie, marcha vers Rome à la fête de l’Ascension du Seigneur, pour y recevoir les insignes de son couronnement, et après avoir livré à l’entrée de la ville un violent combat aux gens du frère de Robert, roi de Sicile, et de la maison des Ursins, il entra par la porte de Sainte-Marie-du-Peuple, et fut reçu de tous avec honneur à Saint-Jean-de-Latran. Quoiqu’il eût eu en cette ville à soutenir, de la part de sesdits ennemis, de si terribles combats et assauts que l’évêque de Liège, l’évêque d’Albano, un de ses gens nommé Dietrich, le comte de Savoie et plusieurs autres des siens, y périrent, cependant, à la fête de saint Pierre et de saint Paul, dans ladite église, il fut, par un ordre du souverain pontife, dont lecture fut faite devant tout le peuple et le clergé, couronné du diadême impérial par lesdits cardinaux, monseigneur d’Ostie célébrant la messe, et en présence d’autres cardinaux, évêques, abbés, et de beaucoup d’autres placés sur deux rangs, ce qui fut un grand sujet de joie pour les siens, et de tristesse pour ses ennemis.

Après avoir reçu la couronne impériale, desirant, comme Auguste, étendre davantage la gloire de son nom, il se hâta d’assiéger avec courage et de soumettre par la force de ses armes les villes d’Italie rebelles à sa domination. Quittant la ville de Rome, il se rendit le 15 du mois de juillet à Todi, où il fut reçu avec honneur, et de là marcha vers Pérouse. Les Pérousiens n’ayant pas voulu le recevoir, il livra au fer et aux flammes un grand nombre de métairies et maisons du comté, arracha les fruits et les vignes, et força quelques châteaux. Il vint ainsi a Arezzo, à la distance de près de cent milles de la ville de Pérouse, et y fut reçu avec joie et honneur le vingtième jour du mois d’août. Ensuite, s’emparant de Mont-Garche et du château de Saint-Jean, dans le comté des Florentins, il prit encore un château appelé Ancise, après avoir livré un combat avec le podestat et cinq cents hommes d’armes. Enfin, au mois de septembre, abordant à Florence, il assiégea cette ville depuis Sainte-Croix jusqu’à l’hôpital Saint-Gal, et en détruisit et brûla toute une partie. Il livra un combat à la porte de Sainte-Candide, et, après avoir triomphé par sa valeur, passant l’Arno, il vint à une vallée appelée Héma, près Sainte-Marguerite. Quelques chevaliers de Lucques et de Sienne ayant attaqué ses gens, ils furent repoussés par un seigneur de Flandre, maréchal de son armée, jusqu’à la porte de Saint-Pierre, et dans cette affaire ils perdirent un grand nombre des leurs. Ensuite, lorsqu’après avoir campé à Saint-Cassien, il eut pris possession de tout le duché, à l’exception de Livari, et après de Poggibonzi et de Casoli, il y mit une garnison de ses gens, et s’en retourna au mois de mars……….. Il appela publiquement Robert, roi de Sicile, qui l’avait attaqué et s’était révolté contre lui dans la place de Sainte-Catherine, à comparaître en sa présence à Arezzo dans l’espace de trois mois, sous peine de perdre sa couronne et son royaume.

Pierre de Gaveston, Gascon de nation, à qui le roi Edouard avait accordé le comté de Cornouailles, s’était, comme nous l’avons dit plus haut, rendu excessivement odieux aux barons d’Angleterre ; ensuite, ayant été trouvé dans le château de Scarborough, il fut pris et retenu par le comte de Lancaster, et beaucoup d’autres de ses adhérens qui aidaient ce comte de leurs conseils, de leurs richesses et de leur crédit ; et bientôt quelques Gallois, envoyés, dit-on, par lesdits grands pour le tuer, lui tranchèrent la tête et le privèrent honteusement de la vie. Quoiqu’au commencement le roi d’Angleterre, excessivement affligé de ce meurtre, eût été animé d’une grande colère contre ses auteurs, cependant à la fin, par l’entremise de deux cardinaux, le cardinal d’Albano, camérier du pape, et un autre cardinal, envoyés à cet effet, la paix et la concorde furent rétablies entre lui et les grands. Vers la Nativité du Seigneur, il naquit à Edouard roi d’Angleterre, de sa femme Isabelle, un fils nommé Edouard. Simon, d’abord évêque de Noyon, et ensuite évêque de Beauvais, entra dans la voie de toute chair ; Jean de Marigny, frère d’Enguerrand, chantre de l’église de Paris, lui succéda dans l’épiscopat.

31. Ps. 1, v. 6
32. Prov., ch. 10, v. 24