Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1250

Règne de Louis IX (1226-1270)

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[1250]


Pendant que saint Louis, roi de France, combattait les Sarrasins à Massoure, par un secret jugement de Dieu, tout tourna au désavantage des nôtres car ils furent accablés de différentes maladies pestilentielles et d’une mortalité générale, qui s’étendait sur les hommes comme sur les chevaux ; au point qu’il y avait à peine quelqu’un dans l’armée qui ne pleurât ceux que la mort lui avait enlevés, ou allait lui enlever ; c’est pourquoi l’armée chrétienne épuisée périt en grande partie. La disette de vivres était telle qu’un grand nombre moururent de faim et d’inanition car les vaisseaux ne pouvaient passer de Damiette à l’armée à cause des barques des Sarrasins placées sur le fleuve. Les nôtres donc, pressés par ces incommodités, furent conduits par une inévitable nécessité â s’éloigner de ce lieu et à retourner vers le pays de Damiette, si le Seigneur le permettait. Mais le cinquième jour du mois d’avril, comme ils étaient en route pour s’en retourner, les Sarrasins, voyant qu’ils se retiraient, les attaquèrent bientôt vigoureusement avec une multitude infinie d’hommes d’armes. Il arriva, par la permission de Dieu, et peut-être en punition des péchés de quelques-uns, que le roi de France saint Louis tomba entre les mains des Sarrasins, et fut pris avec ses deux frères, Alphonse, comte de Poitou, et Charles, comte d’Anjou, et les autres qui s’en retournaient avec eux. Personne de ceux qui revenaient par terre ne put échapper, à l’exception d’un petit nombre, du légat et de quelques autres, qui peu de temps auparavant avaient quitté l’armée chrétienne. La plus grande partie de ceux qui revenaient par le fleuve furent aussi pris et tués. Dans le même temps, la reine de France Marguerite accoucha à Damiette d’un enfant appelé Jean, quelle fit surnommer Tristan, à cause de la tristesse qu’elle ressentit de la captivité de son mari et de ses frères, et des malheurs du peuple chrétien.

Frédéric, empereur des Romains déposé, conduisit prisonnier dans la Pouille, et fit mourir dans la fange d’un cachot Henri son fils, qu’il avait auparavant fait couronner roi des Romains, et lequel était accusé auprès de lui de rébellion. Ensuite ayant assiégé avec de grandes forces, parmi les villes de Lombardie, celle de Parme, comme lui étant plus odieuse, il fut vaincu par le légat du pape Innocent et par les habitans de Parme, et après avoir perdu tous ses trésors et d’autres biens, il s’en retourna dans la Pouille. En traversant ce pays, attaqué d’une grave maladie, il termina son dernier jour. Après sa mort, son fils Conrad, qu’il avait eu de la fille de feu Jean, roi de Jérusalem, commença à dominer puissamment dans la Pouille et dans le royaume de Sicile. Le pape Innocent, ayant appris la mort de Frédéric, quitta Lyon et la France, et partit pour Venise, en Italie, où il demeura pendant long-temps. Le soudan de Babylone, Melech El-Vahen, dernier descendant de la race de Saladin, qui tenait prisonnier saint Louis, roi de France, fut tué par les siens. Alors le saint roi ayant donné une rançon et rendu Damiette aux Sarrasins, fut délivré ! avec ses frères et les autres prisonniers chrétiens. Après sa délivrance, il envoya en France ses deux frères, Charles et Alphonse, pour consoler leur mère. Lui même, passant à Acre, fit munir cette ville de remparts et de tours, et fit aussi fortifier Jaffa et Sidon, et quelques autres châteaux, de manière qu’ils pussent résister aux ennemis. Étant resté dans la Terre-Sainte pendant l’espace d’environ cinq ans, il racheta beaucoup de prisonniers chrétiens, et fit en outre beaucoup de bien.