Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1204

Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1204]


Depuis la fin du mois de janvier jusqu’au mois de mai, il y eut une sécheresse continuelle et une chaleur ardente comme celle de l’été. Philippe, roi de France, assiégea Rouen. Il pressa tellement cette ville par des assauts que les citoyens, voyant qu’ils ne pouvaient eux-mêmes se défendre ni obtenir de secours du roi d’Angleterre, se rendirent a lui. Les deux châteaux de Verneuil et d’Arques, qui avaient résisté jusque là furent livrés au roi de France ; en sorte que le roi, maître de toute la Normandie, composée de sept diocèses, la réunit au corps de son royaume, trois cent trente-deux ans après que le roi Charles, surnommé le Simple, l’avait donnée avec sa fille au Danois Rollon, qui, le premier des ducs normands, reçut le baptême avec le nom de Robert. Ensuite, presque toute l’Aquitaine, avec la ville de Poitiers, se soumit au roi de France. Le corps du royaume s’augmenta ainsi en peu de temps ; et partout où le roi s’avança, il marcha sous de joyeux auspices, et fut accompagné de succès.

Alexis, empereur des Grecs, pria les Français et les Vénitiens qui hivernaient avec lui à Constantinople de sortir de la ville, à cause du mécontentement des Grecs. Ils y consentirent sur-le-champ, et établirent un camp de l’autre côté de la ville. Mais l’empereur, séduit par les conseils de son père et par ceux des Grecs, changea de disposition à leur égard, et se prépara à brûler la flotte qui l’avait amené au trône. Mais par la grâce de Dieu, ses efforts demeurèrent sans succès. Ensuite les Grecs, ayant pris en haine leur empereur Alexis, s’en créèrent un autre ; et l’empereur Alexis, n’ayant d’espoir qu’aux Français, envoya vers eux son familier Morgoulfe 11 avec beaucoup de promesses. Morgoulfe jura de la part de l’empereur qu’il leur livrerait, comme garantie du traité, le palais de Blaquernes. jusqu’à ce qu’il eût entièrement accompli tout ce qu’il avait promis. Mais Boniface, marquis de Montferrat, et les Français, s’étant avancés pour recevoir le palais, ils se trouvèrent joués. Pendant ce temps, Morgoulfe avait révélé aux Grecs le secret de la reddition du palais, et, par haine pour Alexis, il fut aussitôt créé le troisième empereur. Attaquant bientôt Alexis, son seigneur, il le fit étrangler pendant qu’il dormait, et tua Nicolas, qu’on avait aussi élu empereur. Sur ces entrefaites, mourut Cursat, père de l’empereur Alexis. Ensuite Morgoulfe s’étant déclaré l’ennemi des Français et des Vénitiens, ceux-ci prirent la ville de Constantinople, et le tuèrent. L’empereur Alexis étant mort, ainsi que les usurpateurs, les Français, par le conseil du doge de Denise et des autres princes, et avec le consentement du clergé et du peuple, créèrent empereur Baudouin, comte de Flandre.

Pierre, roi d’Aragon, offrit son royaume à l’Église romaine, dont il se reconnut tributaire. Le comte de Tripoli et le roi d’Arménie se disputèrent long-temps à main armée la principauté d’Antioche.

11. Murzuphle.