VII

L’incendie. — Caramel sauveteur


Cadet.
Cadet.


Comme on le pense bien, tous ces xtours, plus ou moins spirituels, n’amenaient pas à Caramel la sympathie du voisinage.

Car, peu à peu, on se doutait que c’était lui l’auteur de tous ces méfaits.

Le châtiment était suspendu sur sa tête.

Aussi, furieux des farces que Caramel jouait à sa famille, le jeune Cadet, unique héritier de Mame Michel, jura de se venger.

Il faut dire que, comme Caramel s’était servi de la marionnette de Cadet pour semer la terreur au sein de la tranquille loge, Mame Michel, pensant que son fils était le coupable, lui avait administré par deux fois deux formidables fessées.

Aussi, Cadet s’était dit :

— Toi, mon vieux Caramel, si jamais je te pince !…


Cadet allume un cigare avec une bougie.
Cadet allume un cigare avec une bougie.


Mais justement, comment le pincer ?…

Là était le hic !


Cadet allume un cigare avec une bougie.
Cadet allume un cigare avec une bougie.


Mame Michel avait beau dire à tout venant que son petit garçon était malin comme un singe, en sa qualité de singe, Caramel était encore plus malin que Cadet.


Cadet fume un cigare.
Cadet fume un cigare.


Cadet voit un cigare abadonné.
Cadet voit un cigare abadonné.


Cependant, un beau soir, Cadet eut une inspiration.

Il savait que, comme tous ses congénères, Caramel était au plus haut point doué du talent de l’imitation : combien de fois ne l’avait-il point vu répétant avec la plus belle conscience du monde tous les gestes qu’il esquissait, lui, Cadet !


Caramel allume un cigare avec une bougie.
Caramel allume un cigare avec une bougie.


Fort de cette observation, il comprit qu’il tenait sa vengeance, et elle serait terrible.


Caramel allume un cigare avec une bougie.
Caramel allume un cigare avec une bougie.


Après avoir volé un excellent cigare dans la poche de son parrain, le chenapan de Cadet s’en fut bien vite chez l’épicier du coin acheter un pétard, puis il revint chez lui, prit une bougie, qu’il alluma et, après avoir posé son pétard par terre bien en évidence, il s’assit sur un petit banc et alluma son cigare à la flamme de la bougie.

Caramel fume un pétard.
Caramel fume un pétard.

Il avait fait tout cela fort ostensiblement, et en cherchant, bien entendu, à éveiller l’attention de Caramel, qui, derrière sa fenêtre, était toujours à l’affût de ce qui se faisait dans la maison.

Car on pense bien qu’après des frasques aussi souvent répétées, mons Caramel était le plus souvent enfermé à double tour dans l’appartement du bon M. Picrate.

Mais pas si enfermé, cependant, qu’il ne pût, quand la tentation était trop forte, s’échapper le plus facilement du monde.

Caramel ne perdit donc pas une miette du spectacle que lui donnait Cadet, et dès la première seconde, il avait quitté l’appartement du bon M. Picrate, et, à pas de loup, il s’en était venu épier les faits et gestes de Cadet.

Le pétard lance du feu sur Caramel.
Le pétard lance du feu sur Caramel.

Quand il eut vu le méchant galopin allumer son cigare et en tirer une énorme bouffée de fumée, l’âme de Caramel s’emplit aussitôt d’une formidable admiration, en même temps que d’un désir incommensurable d’en faire autant.

Justement, voici Cadet qui sort, le cigare au bec, tout comme un dandy.

Aussitôt Caramel bondit, cherche, furette et trouve le pétard que, dans sa candeur naïve, il prend pour un cigare.

Le pétard lance du feu sur Caramel.
Le pétard lance du feu sur Caramel.

Oh ! il n’est pas embarrassé, Caramel ! Il a suivi tous les gestes de Cadet et n’en a pas perdu un seul ! Il sait comment on opère.

Aussi, il prend le soi-disant cigare, le porte à sa bouche, puis l’approche de la bougie pour l’allumer.

Tiens ! qu’est-ce que cela ? Le cigare de Cadet n’a pas agi de la même façon !

Voici que des étincelles bleues, rouges, vertes s’échappent du cigare de Caramel !

Il en est stupéfait !…

Mais tout à coup, pif ! paf ! pouf ! boum !

Le pétard détone, éclate, lance du feu ! C’est le tonnerre ! c’est l’orage !…

Le pétard lance du feu sur Caramel.
Le pétard lance du feu sur Caramel.

Caramel est aveuglé !

Il lance le pétard, qui lui retombe sur le nez !

Le banc se renverse, la bougie tombe, le pétard pétarade toujours !

Caramel ébloui, rôti, brûlé, s’enfuit en hurlant comme si tous les diables de l’enfer étaient à ses trousses.

Hélas ! pauvre Caramel, qu’as-tu fait là !…

Le pétard lance du feu sur Caramel.
Le pétard lance du feu sur Caramel.

Voilà ce que c’est de toujours vouloir faire à sa tête.

Comme si tu ne pouvais pas demeurer tranquille chez le bon M. Picrate, qui fait tout son possible pour te rendre la vie heureuse.

Que n’imites-tu Minou ? Que n’imites-tu M. Jacot ?

Regarde, Minou demeure des heures entières couché sur une chaise, ronronnant de bonheur et profitant du repos qu’il doit à M. Picrate.


Le pétard déclenche un incendie.
Le pétard déclenche un incendie.


Regarde Jacot, sur son perchoir.

Ont-ils des idées saugrenues comme les tiennes ?


Le pétard déclenche un incendie.
Le pétard déclenche un incendie.


Je sais bien que ce n’est point ta faute et que tu n’as péché que par ignorance ! En vérité, ce méchant galopin de Cadet est le seul coupable ! Mais quelles conséquences ne va pas avoir ta fâcheuse curiosité, et surtout ta manie d’imiter tout ce que tu vois faire !…


Au feu ! Au feu !
Au feu ! Au feu !

Voici qu’en se renversant, la bougie met le feu au tapis, lequel le communique aux rideaux de la fenêtre, d’où il atteint bientôt toute la chambre.

En un clin d’œil, l’appartement est en feu, l’escalier rempli de flammes et Mme Lamanche descend comme une folle en criant :

— Au feu ! au feu !

Dans la rue, on entend les cris ; les passants lèvent le nez et aperçoivent la fumée épaisse qui s’échappe d’une fenêtre.

Caramel entend des cris.
Caramel entend des cris.

Alors, c’est la panique !

— Au feu ! au feu ! crient tous les passants.

Au feu ! au feu ! crient tous les passants.
Au feu ! au feu ! crient tous les passants.

Bientôt toute la ville est informée qu’une maison brûle.

Les cloches sonnent le tocsin.

Les ouvriers désertent leur atelier, les commis leur magasin et les employés leur bureau.

C’est une cohue indescriptible, un vacarme épouvantable.

Chacun veut donner des ordres, chacun veut commander et nul ne veut obéir.

C’est une cohue indescriptible.
C’est une cohue indescriptible.

Cependant la maison flambe toujours.

Les hommes courent, les dames s’évanouissent ; un vieux monsieur reçoit dans l’œil le carton d’une modiste, une dame se trouve coiffée de la bonne tarte aux pommes que portait un pâtissier, et les sergents de ville augmentent le désordre.

De la fumée s’échappe par la fenêtre.
De la fumée s’échappe par la fenêtre.

Caché derrière une porte, Caramel, tout tremblant, observe tout ce tapage, et il songe :

— C’est moi qui suis cause de ce malheur !…

Cependant un passant a couru prévenir les pompiers, qui arrivent bride abattue, cornant de la trompe sur leur passage :

— Couin ! couin ! couin ! couin ! !

Aussitôt ils mettent leur pompe en batterie, et des jets d’eau inondent l’appartement en flammes.

Mais qu’est-ce encore ?

Une dame se précipite en s’arrachant les cheveux et en poussant des cris de désespoir.

C’est la dame du cinquième.

Caramel à la fenêtre.
Caramel à la fenêtre.

Son fils, son enfant, est là-haut, dans les flammes.


Caramel entre par la fenêtre.
Caramel entre par la fenêtre.


Elle n’en peut dire davantage et tombe évanouie dans les bras d’un agent.

Derrière la porte où il se tapit, Caramel a tout entendu.

Eh quoi ! son espièglerie va coûter la vie à un enfant ! Surtout qu’il le connaît, cet enfant, c’est un joli petit poupon aux joues roses et fraîches comme une pomme, aux grands yeux bleu clair et rieurs ! Chaque fois qu’il rencontre Caramel, il lui fait une grosse risette, et ses deux petites mains, ses petites mains blanches, grasses et potelées se tendent pour le caresser.

Et c’est ce joli poupon qui va être brûlé ! Ah ! non ! mille fois non !

Alors Caramel ouvre la fenêtre.

Puis, montant sur l’appui, il atteint le chéneau de fer.

Et le voilà qui grimpe.

Ah ! qu’est-ce que c’est que ça pour Caramel, grimper après ce chéneau ? Lui qui, à deux ans, montait à la cime des plus hauts cocotiers des bords féeriques du Congo !

Caramel grimpe sur la gouttière.
Caramel grimpe sur la gouttière.

En deux bonds, il a atteint la fenêtre de la chambre où il sait que se trouve le poupon.

La fumée le gêne bien un peu, il éternue et les flammes lui brûlent le poil, mais qu’importe ! Il disparaît dans la chambre au risque de se faire rôtir.

La fenêtre laisse échapper de la fumée.
La fenêtre laisse échapper de la fumée.

La foule applaudit le singe.

Oh ! dans ce moment, comme on oublie tous les méfaits dont il se rendit coupable !

Mame Michel pleure toutes les larmes de son corps et le vieux parrain ne parle rien moins que d’inviter Caramel à déjeuner à la première occasion.

En bas, la foule est haletante.

Des pompiers sont allés quérir des échelles, mais Caramel les a devancés et au moment où une longue échelle va s’appuyer au mur, on voit apparaître la tête de Caramel.

Mais il n’a pas l’enfant.

Serait-il mort ?

Ne l’a-t-il point trouvé ?

Caramel apparaît à la fenêtre.
Caramel apparaît à la fenêtre.

Mais si !

Seulement, pour ne point être gêné, tandis qu’il descend à l’aide de ses quatre pattes, il a saisi l’enfant par sa queue, qui est la cinquième main du singe, comme vous le savez tous.

Et au milieu de la joie générale, Caramel rend l’enfant à sa mère folle de joie.

L’incendie est éteint ; tout le monde est content.

Alors, en face de la foule qui l’applaudit, le lieutenant de pompiers lui-même serre la patte de Caramel en lui disant :


Caramel saisit l’enfant par la queue.
Caramel saisit l’enfant par la queue.


Caramel rend l’enfant à sa mère.
Caramel rend l’enfant à sa mère.


— Brave Caramel ! vous avez bien mérité de l’humanité. Je suis content de vous ! L’humanité saura se souvenir de votre trait de dévouement et de courage, et votre nom prendra place dans la longue liste des animaux historiques, entre le chien de Montargis et le lion d’Androclès.

Caramel n’a jamais entendu parler du chien de Montargis ni du lion d’Androclès ; il ne comprend pas grand’chose aux paroles flatteuses que lui adresse le lieutenant des pompiers ; mais tout de même il est content de lui, car les bonnes actions portent en elles-mêmes leur récompense.

Le bon M. Picrate se rengorge, car tout le monde l’entoure, et chacun très chaudement le félicite de posséder un pareil singe, dont le nom prendra place entre ceux du chien de Montargis et du lion d’Androclès.


Le lieutenant de pompiers, lui-même, serre la patte à Caramel.
Le lieutenant de pompiers, lui-même, serre la patte à Caramel.


Dans un coin, Stéphanie pleure toutes les larmes de son corps et inonde trois mouchoirs de poche.

Mame Michel pérore, vantant l’intelligence de Caramel, et célébrant ses exploits passés.

Un photographe intrigue pour que le singe veuille bien poser devant son objectif, et un journaliste veut l’entraîner au café le plus proche afin de lui prendre une interview.

Ainsi se termina, pour le triomphe de notre héros, le vilain tour qu’avait voulu lui jouer ce brigand de Cadet.

Mais vous pensez peut-être que Caramel fut guéri ?

Hélas ! non.


Un bébé.
Un bébé.