Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886/La Petite Demoiselle

IV

la petite demoiselle



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui se marièrent ensemble. Ils eurent une fille belle, belle comme le jour. Cette fille devint grande, et toujours elle était à prier Dieu, et à faire l’aumône aux pauvres. Aussi, quand elle sortait, les pauvres venaient au-devant d’elle et disaient :

— « Voici la Petite Demoiselle. »

La mère de la Petite Demoiselle vint à mourir, et son père se remaria. Mais la marâtre ne pouvait pas voir la Petite Demoiselle, et elle faisait tout au monde pour la faire jeter dehors.

— « Vois, disait-elle au père, cette drôlesse donne tout le pain aux pauvres. Tout-à-l’heure, je l’ai vue en emporter son plein tablier. »

Le père appela la Petite Demoiselle, pour voir ce qu’elle emportait dans son tablier. Mais il se trouva que, par un miracle du Bon Dieu, le tablier était plein de fleurs.

Donc, la marâtre ne pouvait pas voir la Petite Demoiselle. Vingt fois le jour elle la battait. Mais la Petite Demoiselle priait toujours Dieu, et était toujours compatissante et aumônière envers les pauvres.

Le père de la Petite Demoiselle et la marâtre eurent une fille. Que fit la marâtre ? Elle tua sa fille, et s’en alla dire à son homme :

— « Ta fille a tué ma fille. Tu sais ce que tu as à faire. »

Que fit le père ? Il coupa le poignet à la Petite Demoiselle, lui mit l’enfant morte dans le tablier, et la jeta dehors.

La Petite Demoiselle s’en alla loin, loin, loin : elle trouva une petite fontaine. À la petite fontaine, elle lava son bras mutilé. Aussitôt, sa main lui revint plus belle qu’auparavant. Ensuite elle y baigna l’enfant morte, et l’enfant revint à la vie.

La Petite Demoiselle et l’enfant s’en allèrent loin, loin, loin. Ils trouvèrent une troupe de bergers. La Petite Demoiselle leur demanda de lui donner un peu de lait, pour faire vivre l’enfant. Les bergers lui donnèrent du lait, et toutes deux repartirent.

Elles s’en allèrent loin, loin, loin. Enfin, elles arrivèrent à Jérusalem, et se retirèrent dans une honnête maison.

Mais depuis que la Petite Demoiselle avait quitté sa paroisse, toutes les récoltes manquaient. Les champs ne portaient que des chardons et des ronces. Alors, les gens comprirent que cela venait de ce que la Petite Demoiselle était partie. Ils dirent qu’il fallait qu’elle se retrouvât morte ou vive, et se mirent en route pour la chercher.

Ces gens-là s’en allèrent loin, loin, loin. Ils rencontrèrent une troupe de bergers.

— « Bergers, n’avez-vous pas vu passer une Petite Demoiselle manchote, avec une enfant morte dans son tablier ?

— Non, nous ne l’avons pas vue. »

Les gens de la paroisse se remirent en route. Enfin, ils arrivèrent à Jérusalem, et s’en allèrent frapper à la porte de l’honnête maison où s’était logée la Petite Demoiselle.

— « Brave fille, ne pourriez-vous pas nous loger pour cette nuit ?

— Oui, répondit la Petite Demoiselle.

— Brave fille, n’est-il pas arrivé, à Jérusalem, une jeune fille manchote, avec une enfant morte dans son tablier ?

— Je n’en ai pas entendu parler. »

Les étrangers allèrent se coucher. Le lendemain, à la pointe de l’aube, la Petite Demoiselle se leva pour peigner du lin. Et le lin criait :

— « Aïe ! aïe !

— Souffre, lin, souffre, disait la Petite Demoiselle. Moi, j’ai bien souffert. On m’a coupé le poignet, on m’a mis une enfant morte dans le tablier. Et pourtant je suis ici. »

Alors, les étrangers qui l’entendaient dirent :

— « Vous êtes bien la Petite Demoiselle.

— Non, je ne la suis pas. Vous voyez bien que je ne suis pas manchote. Vous voyez bien que l’enfant que j’ai avec moi n’est pas morte.

— Petite Demoiselle, il faut que vous veniez avec nous.

— Non, je ne veux pas y aller. »

Mais les étrangers emmenèrent la Petite Demoiselle par force, avec l’enfant, et ils les reconduisirent dans leur pays. Comme ils approchaient du village, les cloches se lancèrent d’elles-mêmes à la volée. Et à partir de ce moment, les récoltes redevinrent là aussi belles que dans les autres paroisses[1].

  1. Dicté par Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).