Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/La Jambe d’Or

IV

la jambe d’or



Il y avait, une fois, une dame belle comme le jour. Cette dame se cassa la jambe, un soir, en descendant, sans chandelle, l’escalier de sa maison. Le mari fit appeler un médecin.

— « Bonjour, médecin.

— Bonjour, monsieur.

— Médecin, tu vas arranger la jambe de ma femme. Pour ta peine, je te donnerai de l’or et de l’argent tant que tu voudras.

— Monsieur, ni moi ni personne ne sommes en état d’arranger cette jambe. Il faut la couper.

— Eh bien, médecin, fais ton métier. »

Le médecin coupa donc la jambe de la dame ; et le mari s’en alla chez un bijoutier, commander pour sa femme une jambe d’or. Cette jambe était si bien, si bien faite, que la dame s’en servait pour aller où elle voulait, sans boiter, ni se servir d’un bâton.

Au bout de sept ans, la dame mourut, et son mari donna l’ordre de l’enterrer avec sa jambe d’or. Sa volonté fut faite. Mais, la nuit même de l’enterrement, un valet sortit en secret de la maison. Il s’en alla au cimetière, déterra la dame, lui prit la jambe d’or, remit le corps en place, combla la fosse, et rentra cacher la jambe dans son armoire. À peine s’était-il couché, qu’on entendit une voix crier au cimetière :

— « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. »

Le lendemain matin, à l’Angelus, le fossoyeur vint trouver le mari et lui dit :

— « Bonjour, monsieur. Je viens du cimetière. Votre femme, qui est sous terre, ne fait que crier : « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. » Envoyez quelqu’un, je vous prie, pour savoir ce qu’elle veut. »

Le mari courut au cimetière.

— « Que veux-tu, mie ?

— D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or.

— Mie, tu as tort de te plaindre. J’ai donné l’ordre de t’enterrer avec ta jambe d’or.

— D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or.

— Mie, tu n’es pas raisonnable. Si tu n’as rien de mieux à me dire, bonjour. Je te ferai dire des messes. »

Le mari s’en retourna à la maison. Mais une heure après, le fossoyeur revint lui dire :

— « Bonjour, monsieur. Je viens du cimetière. Votre femme, qui est sous terre, ne fait que crier : « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. » Envoyez quelqu’un, je vous prie, pour savoir ce qu’elle veut. »

Le mari y envoya la servante.

— « Madame, vous avez tort de vous plaindre. On vous a enterrée avec votre jambe d’or.

— D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or.

— Madame, vous n’êtes pas raisonnable. Si vous n’avez rien de mieux à me dire, bonjour. Votre mari vous fera dire des messes. »

La servante s’en retourna à la maison. Mais une heure après, le fossoyeur revint dire au mari :

— « Bonjour, monsieur. Je viens du cimetière. Votre femme, qui est sous terre, ne fait que crier : « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. » Envoyez quelqu’un, je vous prie, pour savoir ce qu’elle veut. »

Le mari voulut y envoyer le valet.

— « Monsieur, je n’ose pas.

— Vas-y, poltron.

— Monsieur, je n’ose pas.

Vas-y, ou je te tue d’un coup de fusil. »

Par force, le valet partit pour le cimetière.

— « Que voulez-vous, madame ?

— C’est toi que je veux. »

La dame sortit de sa fosse, emporta le valet sous terre, et le mangea[1].

  1. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).