Bases de la politique positive/Chapitre 2

Bases de la politique positive, manifeste de l’école sociétaire fondée par Fourier (1847)
Texte établi par Librairie Phalanstérienne, Paul Renouard (p. 39-81).


CHAPITRE II.

CONDITIONS DE LA STABILITÉ ET DU PROGRÈS.


I.

Vérification de toute Doctrine de Réforme sociale.


Évidemment, toute Doctrine de Réforme sociale, de nouvelle Organisation sociale ou de Progrès dans la Constitution de la Société, postule un changement dans l’État de la Société, autrement dit, toute Doctrine de Progrès postule la réalisation d’un État Social encore irréalisé, mais considéré toutefois comme supérieur aux Systèmes actuellement réalisés, et capable d’améliorer le sort des populations humaines.


Or, l’État ou le Système social qu’une Doctrine quelconque de Progrès suppose, ne saurait évidemment, et dans la plus grande généralité, être réalisé sur le Globe entier, qu’à la condition d’être préalablement réalisé sur les Continents, qui sont les grandes divisions du Globe. De même, il ne saurait être réalisé sur un Continent qu’à la condition d’avoir été réalisé dans les États dont un Continent se compose ; enfin, ce Mécanisme social ne saurait exister dans un État qui est formé de Communes qu’à la condition d’être réalisé dans chacune des Communes de cet État.


Il résulte de cette simple observation analytique que le fait élémentaire et capital de la Solution du problème social pris dans sa plus grande généralité, n’est autre chose que la Détermination des conditions de l’association des individus, des familles et des classes dans la Commune, — élément alvéolaire de l’État et de la Société.


(Nous supplions le lecteur de relire avec la plus grande attention les lignes qui précèdent : elles constituent une révolution complète dans le domaine des idées sociales et politiques, et sont, à proprement parler, la Déclaration des Droits de la Vérité contre les Erreurs, de la Réalité contre les chimères.)


En effet, et sans entrer ici dans tous les développements que comporte cette Donnée nouvelle et fondamentale du Problème de la Réforme sociale, on comprend de prime abord que le Système d’Organisation qui réaliserait dans les Communes l’harmonie des intérêts, des individus, des familles et des classes, réaliserait évidemment cette harmonie dans l’État et en général dans la Société ; et l’on comprend aussi facilement, que toute Théorie prétendue de Réforme sociale, qui ne serait pas propre à réaliser cette Harmonie dans les Communes, serait manifestement impropre à la réaliser dans l’État et en général dans la Société.

Cette Donnée très-simple, qui ramène le Problème social à son véritable élément en ramenant toute Réforme ou en général toute Théorie d’Organisation sociale à la Réforme ou à l’Organisation de la commune, est aussi nécessaire aux intérêts du Progrès social ou de l’Avenir, qu’elle est nécessaire aux intérêts du Présent ou de la Stabilité de la Société : de plus, elle est claire et irrécusable pour l’intelligence. En effet, cette donnée fondamentale, en rappelant à la question l’Intelligence humaine, sape par la base toutes les Erreurs révolutionnaires de notre temps. En ouvrant enfin au Progrès social le terrain pacifique et sûr de l’Expérience, elle opère, dans l’ordre de ce Progrès, une rénovation analogue à celle que Bacon a opérée dans l’ordre des Sciences physiques, mais bien autrement large, bien autrement féconde, et incomparablement plus importante pour l’Humanité.

Pour être convaincu de ce que nous avançons, il suffit d’observer qu’il résulte de la Donnée très-simple dont nous exposons l’immense valeur, que toute Théorie de Réforme sociale, sous peine de n’être qu’un vain mot, qu’une étiquette sans idée, qu’un prétexte à de vagues déclamations ou à d’absurdes Renversements, doit fournir, AVANT TOUT[1], un plan déterminé quelconque pour une combinaison nouvelle des intérêts dans la commune. — Or, si elle remplit cette première condition extérieure et sine qua non de réalisabilité, cette Théorie de Réforme sociale est évidemment susceptible d’être vérifiée par une mise en expérience qui n’exige que l’étendue moyenne du terrain occupé par une Commune rurale. Cette condition fondamentale de toute Réforme sociale réelle exclut toute tentative sur l’État et tout danger pour la Société existante.

Il demeure donc avéré, en premier lieu, que toute Doctrine de Réforme sociale, à moins de se déclarer elle-même un rêve vague et incohérent, de reconnaître elle-même sa propre irréalisabilité, doit posséder un Plan déterminé relatif à une nouvelle organisation de la Commune. Conséquemment cette doctrine devra s’en tenir à demander la vérification expérimentale ou l’épreuve locale, en abdiquant ainsi tout caractère actuel de Réforme politique[2], c’est-à-dire de Réforme préalable dans la forme constitutionnelle du Pouvoir existant.

En second lieu, — sous peine de flagrante immoralité[3], le But de toute Réforme sociale doit être la réalisation absolue de l’Association des individus et des classes dans la Société, ou, au moins, une réalisation de cette Association, plus avancée et plus complète que celle qui peut exister dans l’état social que ladite Réforme a la prétention d’améliorer. — De là il résulte incontestablement :

Que le Système nouveau, pour être socialement supérieur au Système existant, et sous peine de confesser lui-même sa propre immoralité ou son caractère anti-social, doit être de nature à lier et à servir, mieux que le Système existant, les Intérêts et les Besoins essentiels de toutes les classes de la Société.


Donc, le premier Caractère extérieur de la Rationalité ou de la Réalisabilité d’une Théorie quelconque de Réforme ou de Progrès social, réside dans la faculté que doit posséder cette Théorie, de pouvoir être soumise à l’Épreuve locale, et vérifiée par l’Expérience, — sans compromettre l’État et la Société existante ;

Et le premier Caractère extérieur de la Supériorité sociale d’un Système nouveau sur le Système existant, et, conséquemment, le premier caractère de la moralité sociale d’une Doctrine réformatrice, réside dans la faculté, que doit posséder le Système nouveau, de se faire accepter librement et volontairement par toutes les classes de la Société, en servant et en liant, mieux que le Système existant, les intérêts essentiels de toutes ces classes, — bien loin de jeter entre elles de nouveaux ferments de dissension et de haine, ou d’activer les éléments d’irritation et de guerre intestine qui existent entre elles.

Ces déductions sont incontestables.



II.

Droits et Devoirs de toute Doctrine de Réforme sociale.


Ainsi, la Faculté de fournir à la Société existante, la vérification de la théorie par l’ÉPREUVE LOCALE, et la Faculté d’entraîner l’humanité à la réalisation universelle du Système nouveau par l’IMITATION SPONTANÉE ; tels sont les caractères généraux et extérieurs auxquels nulle Théorie de Réforme ou de Progrès social ne saurait renoncer sans se déclarer elle-même absurde, ignorante et immorale ou anti-sociale[4].

Et toute Théorie réformatrice, fondée en Raison et en Vérité, ou ayant au moins le droit de se croire telle, c’est-à-dire toute Doctrine qui se présente à la Société comme lui apportant le plan d’une Organisation supérieure susceptible de Vérification expérimentale par l’épreuve locale, et qui, loin d’exiger la force (le Pouvoir politique, la faculté de créer et d’imposer la Loi), ne compte que sur sa propre supériorité, sur ses propres bienfaits, et n’a besoin que de l’Épreuve locale pour se faire réaliser universellement par l’Imitation libre et spontanée ; — toute Théorie réformatrice qui se présente avec ces deux caractères essentiels de Légitimité, n’a que deux Devoirs à remplir dans la Société existante, et deux Droits à réclamer de cette Société et des Pouvoirs préposés à la conservation de l’État.


1o Le Devoir de se faire connaître à la Société en se produisant dans le domaine intellectuel par tous les moyens de Propagation convenables ;

Le Droit de se faire connaître et de se produire dans ce domaine intellectuel, avec pleine et entière liberté, en se conformant toutefois aux Lois établies dans l’État pour la production publique des idées[5] ;


2o Le Devoir de se soumettre à l’Expérience, en se produisant dans le domaine des faits avec les moyens de réalisation qui lui sont propres, c’est-à-dire en obtenant l’Épreuve locale qui peut seule édifier définitivement la Société existante sur la valeur réelle de la Théorie nouvelle ;

Le Droit de réaliser avec une entière liberté devant la Société cette Expérience décisive, à la condition, bien entendu, que la Théorie nouvelle, dans l’Acte de cette Expérience, n’enfreigne point les prescriptions des Lois politiques, des Lois civiles, des Lois religieuses et des Lois morales de la Société, c’est-à-dire à la condition qu’elle se conforme pratiquement aux Règles légalement établies par la Société existante, pour maintenir l’Ordre dans son sein.

Ces déductions inattaquables établissent scientifiquement les Conditions extérieures ou les Caractères extrinsèques de légitimité d’une doctrine quelconque de Progrès social ; elles en fixent rationnellement l’action en déterminant l’étendue de ses Devoirs et les limites de ses Droits. Ces déductions fournissent, en outre, les bases de la législation spéciale que l’on pourrait formuler sur la Production des Doctrines et le principe des institutions qu’il est urgent de fonder pour la Vérification des Théories relatives à la Réforme et à l’Amélioration ou au Progrès de la Société.


III.

Anéantissement des Doctrines Révolutionnaires par les Principes précédents.


Ces Vérités, élémentaires et très-simples, dont la découverte, la déduction et la production scientifiques appartiennent à Fourier et à son École (qui a pris le nom d’École Sociétaire), ont, — surtout au sein de l’Anarchie des idées et du Désordre révolutionnaire actuels, — une importance capitale.

En effet, ces Vérités élémentaires, qui sont à la base de la Science Sociale ou de la Science du Progrès réel, et qui, par l’autorité de leur Évidence, s’imposent à la Raison de tout homme comme les Axiomes mathématiques ; ces Vérités suffisent pour opérer, par leur simple Production, l’anéantissement des fausses Doctrines de Progrès, et nommément des Doctrines révolutionnaires. — C’est ce que nous allons prouver.


D’abord, n’est-il pas évident que les Gouvernements débordés par l’Esprit Révolutionnaire, s’épuisent en efforts impuissants pour combattre cet Esprit qui dirige contre eux l’arme très-dangereuse de ses déclamations aussi vagues qu’irritantes sur la Liberté, les Droits du Peuple, la Réforme sociale et le Progrès ? Eh bien, les Gouvernements peuvent, dès aujourd’hui, confondre publiquement toutes les Doctrines subversives et les anéantir sous l’aveu forcé de leur propre vacuité, de leur propre fausseté ; et cela, purement et simplement, en les sommant de produire leurs prétendues Théories de Réforme sociale et de Progrès, et, spécialement leurs Plans d’Organisation susceptibles d’être mis à l’Épreuve locale devant la Société, et de provoquer l’Imitation spontanée dans l’humanité.

Il est incontestable que la simple mise en demeure de produire quelque chose, publiquement et officiellement signifiée au nom du Progrès par les Gouvernements à tous leurs ennemis, c’est-à-dire à tous les Partis Révolutionnaires, confondrait et anéantirait À L’INSTANT MÊME tous ces Partis. Et, en effet, n’est-il pas certain que tous les membres de ces Partis n’étant liés que par une commune Négation, ces Partis n’existent et n’ont de force que dans la voie de la Négation ou du Renversement, et qu’ils seraient amenés à s’imposer silence à eux-mêmes aussitôt que les Gouvernements les sommeraient, au nom du Progrès et des Réformes sociales dont ils font tant de bruit, de produire seulement une Affirmation sociale déterminée quelconque, et à plus forte raison une Affirmation susceptible d’affronter l’épreuve de l’Expérience locale et de l’imitation spontanée ?

En outre, cette confusion dont seraient subitement couvertes les Doctrines révolutionnaires, et le silence auquel seraient réduits leurs fauteurs en face de l’Énigme du Progrès Réel, nettement proposée par les Gouvernements dans ses conditions d’évidente Rationalité, ouvriraient à l’instant les yeux à tous les hommes intelligents et honnêtes, qui sont très-nombreux dans ces Partis. Ces hommes généreux, reconnaissant qu’ils ont été victimes d’une illusion extrême en croyant que les Doctrines révolutionnaires recèlent le Progrès, s’empresseraient de passer du camp du faux Progrès ou de la Politique révolutionnaire, au champ du Progrès réel ou de la Science sociale, c’est-à-dire de l’Agitation à l’Étude, de la Querelle à la Discussion, de la Conspiration à la Recherche, de l’Émeute à l’Expérience.

Mais il n’est guère probable que les Gouvernements, et particulièrement le Gouvernement français actuel, prennent, de quelque temps encore, cette initiative de haute attaque, au point de vue du Progrès réel et de ses conditions essentielles contre les Doctrines révolutionnaires ; et cela, par la raison, pour ce dernier Gouvernement en particulier, qu’il a lui-même une origine révolutionnaire. En effet, ce Gouvernement est issu du Libéralisme ; et le Libéralisme, avorton du Génie révolutionnaire, ne tendait à rien de moins qu’à la destruction de tout Pouvoir directeur dans la Société, ainsi qu’il appert de ses actes et notamment de sa fameuse maxime que les Gouvernements sont des ulcères qu’il faut réduire autant que possible. Ce Gouvernement se trouve donc, par la nature même de son origine et par les principes de ses hommes d’État ou prétendus tels, réduit au rôle inférieur d’une simple agence administrative, faisant au jour le jour, avec plus ou moins d’habileté et d’honnêteté, mais toujours sans aucun Principe de Direction et sans aucun But Final, un service purement routinier. Si bien que les prétendus hommes d’État qui sont le plus en affinité avec l’origine libéraliste ou avec le principe révolutionnaire d’où ce Gouvernement est sorti[6], sont précisément ceux qui tendent le plus naïvement et le plus directement à réduire le rôle du Gouvernement à cette pure et simple trituration plus ou moins habile des affaires. Il suit de là que, ayant parqué le Pouvoir dans la Sphère purement pratique des faits réalisés, et ayant abdiqué, avec un risible mépris, au nom de leur étroit esprit pratique, toute Direction et même toute intervention dans la Sphère des Faits intellectuels et des Idées, ces hommes d’État sont forcément conduits à ne savoir et à ne pouvoir combattre les Idées et les Doctrines les plus erronées (et par conséquent les plus subversives), que par les seules réactions de la Force matérielle et brutale. — Or, les moyens de la Force brutale sont attentatoires à la Dignité de l’Intelligence humaine et très-compromettants pour les Gouvernements qui s’en servent…

Ainsi, à cause des antécédents, des habitudes et des préjugés de ces hommes d’État, et à moins d’un subit et intelligent retour, il n’est guère permis d’espérer que le Gouvernement français prenne bientôt la haute initiative du Progrès social, par la Promulgation officielle et solennelle des Conditions scientifiques ou rationnellement impératives de ce Progrès, et par la traduction de ces Conditions scientifiques, en institutions politiques[7]. Il est peu probable que ce Gouvernement, sommant du haut de cette position les Partis révolutionnaires et toutes les prétendues Doctrines de Progrès de produire publiquement ce qu’elles peuvent avoir de présentable à l’épreuve de la Vérification locale et de l’Imitation spontanée, réalise aujourd’hui lui-même ce glorieux anéantissement général et subit des Doctrines révolutionnaires.

Mais heureusement, à défaut de la haute habileté qu’il y aurait de la part du Gouvernement à opérer dès aujourd’hui l’Anéantissement immédiat et absolu des doctrines révolutionnaires dans la Société, et à fonder inébranlablement la Stabilité intérieure de l’État sur les principes naturels du progrès ; heureusement, et comme nous l’avons déjà dit, ces principes possèdent en eux-mêmes, par leur Évidence Inconditionnelle, et indépendamment du secours de tout Pouvoir de Fait, une autorité absolue sur la Raison humaine. La Raison n’est pas plus libre de se soustraire à l’autorité de ces principes qu’à l’autorité absolue d’une Vérité mathématique quelconque, lorsqu’elle a vu cette Vérité clairement, et face à face. D’où il suit que la simple Promulgation et la Vulgarisation, par l’École sociétaire, de ces Conditions essentielles et évidentes du Progrès social, suffiront pour opérer, plus ou moins rapidement mais infailliblement, dans la Société, l’Anéantissement des doctrines révolutionnaires et de toutes les doctrines de Faux Progrès. Ces principes en effet donnent à chacun, pour la Vérification immédiate de toutes les Doctrines qui peuvent se présenter, une véritable pierre de touche qui détermine, avec la plus grande facilité, s’il est possible que telle Doctrine soit vraie ou s’il est certain qu’elle est fausse, et qui, en outre, renvoyant en dernier ressort toute Doctrine qui peut être bonne, à la décisive Épreuve de l’Expérience locale et de l’Imitation spontanée, condamne ainsi à priori toute prétendue Doctrine de Progrès affectée du caractère révolutionnaire, ou privée du caractère scientifique.

Or, il est incontestable que si des Partis, et nommément les Partis révolutionnaires peuvent se fonder et se fondent en effet sur des doctrines fausses et immorales ou anti-sociales, aucun Parti cependant n’existe et ne pourrait exister, ayant la conscience claire de sa fausseté et de son immoralité. Bien plus, il est certain que, si les Partis révolutionnaires sont dangereux, c’est précisément en raison de la forte croyance qu’ils ont dans la Légitimité de leurs Doctrines, c’est-à-dire en raison de leur réelle bonne foi politique : car la violence de la passion, du moins pour l’immense majorité des membres de ces Partis, est toujours proportionnelle à l’énergie du sentiment qu’ils ont de leur Bon Droit et de la Justice de leur cause. Ces Partis comptent dans leur sein les cœurs les plus chauds, les natures les plus généreuses.

Donc, la simple vulgarisation des principes que nous venons de faire connaître, en donnant à ces Partis la Conscience de la fausseté de leurs doctrines de Négation et de Renversement, anéantira infailliblement celles-ci au profit des Doctrines positives d’Organisation.


IV.

Déclaration de l’indépendance et de la supériorité de l’École Sociétaire.


Nous venons de faire connaître les Conditions très-simples de la Stabilité et du Progrès ; nous avons donné aux Gouvernements le moyen de détruire tout esprit révolutionnaire en inaugurant une institution qui serait la garantie du Progrès social ; de plus, nous avons prouvé que l’École Sociétaire, en vulgarisant la connaissance des Conditions Élémentaires de toute Réforme réelle dans la constitution de la Société, amènera infailliblement, à défaut de l’initiative des Gouvernements, l’ère du Progrès régulier et de la Stabilité[8] consentie et inébranlable.

Eh bien ! où en était la Société relativement à la science de la Stabilité et à la science du Progrès, avant les communications faites sur ce sujet par l’École sociétaire ? — Le voici :

D’une part, les plus ardents amis du Progrès (dans une Société pressée et tourmentée par le plus urgent besoin de Progrès social qu’on ait jamais ressenti sur la terre), restaient dans la plus profonde ignorance des Conditions, mêmes les plus simples et les plus élémentaires du Progrès, — D’autre part, dans cette Société (profondément ébranlée par les plus terribles Révolutions politiques, et menacée de Révolutions sociales bien plus terribles encore), les plus ardents amis de la Stabilité ignoraient absolument les Conditions les plus élémentaires de la Stabilité.

Or, la Stabilité et le Progrès étant les deux données fondamentales de toute spéculation concernant la Société, son existence et sa vie, il demeure établi clairement que la Société, antérieurement aux communications de l’École sociétaire, vivait dans l’ignorance profonde des principes les plus simples et des données les plus élémentaires de la Science politique et sociale.


Il résulte naturellement de là qu’une Société qui, dans l’ordre des faits sociaux, pousse l’ignorance jusqu’à méconnaître les conditions les plus élémentaires de sa Stabilité et de son Progrès ; qui, faute d’avoir déterminé et promulgué chez elle ces conditions, ne tend au Progrès que par les voies sauvages, odieuses et rétrogrades des Révolutions, et ne sait garantir sa Stabilité que par les voies barbares, brutales et provocatrices des Répressions ; une Société qui ne connaît pas même, comme le plus humble des animaux, ce qu’elle doit faire pour assurer son existence du jour ! une telle Société est et demeure évidemment dépouillée de tout droit et de toute compétence pour juger à priori, par elle-même, et autrement qu’à l’aide du critérium que nous venons de lui donner, quelque Proposition et quelque Affirmation que ce soit, relatives à la Science sociale. À plus forte raison donc, une telle Société ne saurait être reçue à faire prévaloir ses Présomptions, purement empiriques et routinières, contre une Doctrine qui, déjà, rend publiquement, sur son caractère scientifique de Vérité, le plus imposant Témoignage.

En effet, par la Fixation certaine des Conditions de Légitimité de toute proposition de Réforme sociale, cette Doctrine donne à la Société la faculté, certes bien imprévue, de réaliser — sans aucune violence, et par la toute puissance d’une Conception ou d’un Fait intellectuel, — l’anéantissement subit et volontaire des Doctrines et des Partis révolutionnaires.

Bien plus, si l’on observe le piteux état de cette Société, les affreuses misères qui la rongent, les vices qui l’empoisonnent, les crimes qui chaque jour la déciment, les grands dangers qui la menacent et l’Incertitude à laquelle elle est universellement en proie ; si l’on observe que l’Aveu de la nécessité d’un changement d’état ou d’une Réforme sociale sort implicitement ou explicitement de toutes les bouches[9] ; — s’il est avéré que, — au milieu de ces maux présents et terribles, de ces dangers immenses, de ce trouble général des esprits, et devant cet appel universel à un ordre de choses inconnu, — l’École sociétaire SEULE présente une Solution, un Système déterminé, immédiatement vérifiable par l’Expérience locale et par l’Imitation spontanée ; qu’ainsi, cette École SEULE répond, par une proposition revêtue des indispensables caractères de la Légitimité, de la Possibilité et du Bon-sens, à cette incessante invocation d’un état inconnu : et s’il est avéré que cette Société refuse la vérification très-simple, très-facile et très-calmante, de ce seul Remède offert à ses lamentables invocations ; qu’elle ne veut pas même examiner ce Remède ; qu’elle aime mieux en rester à ses saturnales politiques et morales, à ses honteuses aberrations intellectuelles, à ses misères littéraires, industrielles et parlementaires ; qu’elle se complaît ainsi dans sa corruption et sa gangrène, tout en continuant à invoquer misérablement et lamentablement un Remède à ses plaies effrayantes ; ne sera-t-on pas forcé de reconnaître que cette Société, considérée dans son ensemble, est réellement atteinte de vertige, d’imbécillité ou de folie ?

Et que sera-ce donc si une pareille Société, continuant toujours à pousser ses lamentations impuissantes et ses risibles invocations d’un Remède inconnu, a traité de Fou et indignement jeté dans la fosse, sous les huées, les sarcasmes et les injures, le SEUL HOMME qui lui ait présenté un Remède déterminé et vérifiable ; — repoussant et bafouant ainsi cet homme, non point à cause de la nature du Remède par lui proposé (remède qu’elle n’a ni vérifié, ni seulement examiné !), mais purement et simplement parce que cet homme, répondant aux cris de douleur de ses frères, annonçait et proposait un Remède !!

Ainsi donc, vu l’ignorance de la Société actuelle, non-seulement en tout ce qui concerne son Avenir, mais encore en tout ce qui concerne les Conditions les plus élémentaires de son Existence présente ; vu, d’autre part, le Témoignage que l’École Sociétaire fournit du caractère scientifique de ses Doctrines sociales et de la sûreté de sa Raison en révélant à la Société les garanties certaines de la Stabilité et du Progrès, — cette école est en droit de dénier absolument à cette Société toute compétence à prononcer le moindre jugement contre la Théorie sociétaire, avant que l’EXPÉRIENCE ait appris à cette Société ce qu’elle peut et ce qu’elle doit penser de cette Théorie.

De plus, nous sommons ici tout homme qui ne veut point rester complice et solidaire de l’égoïsme, de la légèreté et de la folie générale, tout homme qui conserve au fond du cœur le sentiment social et l’amour de ses Frères malheureux. Nous sommons tous ceux qui désirent sérieusement que l’on substitue enfin à une Société ridicule et infâme un Ordre de choses plus conforme à cet amour du Juste, du Vrai, du Bon et du Beau, que tout Être Humain apporte en naissant dans son âme, et que la Société actuelle brise indignement au contact de ses réalités immorales et difformes. Nous sommons enfin tout homme intelligent, honorable et sincère, de dépouiller immédiatement et complétement les Opinions incertaines, indéterminées et illégitimes qu’il peut avoir consciencieusement nourries jusqu’à ce jour, de déclarer formellement la nécessité urgente d’une Réforme sociale ; et, comme conséquence obligée de cette déclaration, de proclamer la Nécessité de mettre en Expérience le seul et unique Plan de Réforme qui s’offre aujourd’hui à la vérification de l’Épreuve locale et de l’Imitation spontanée.

Nous ajoutons que pour tout homme qui a compris l’ensemble des Principes et des Déductions que nous venons d’établir, c’est un devoir impérieux d’entrer dans la seule voie légitime de Production du Bien social qui soit ouverte devant lui ; et cela, en nous aidant, par tous les moyens dont il peut disposer sans compromettre ses autres devoirs, à atteindre notre But, qui est l’Expérimentation locale de la seule Théorie de Progrès ou de Réforme qui puisse être présumée réalisable et qui se présente avec un caractère de Légitimité rationnelle et morale. — Nous spécifions positivement, en outre, qu’un tel concours ou apport de moyens (qui suppose, il est vrai, la foi à notre moralité) ne dépasse la sphère du Devoir social pour devenir un Dévouement social, que quand il entraîne de la part de l’individu des Sacrifices notables dans sa fortune, dans sa position ou dans ses jouissances habituelles.

Ainsi l’École Sociétaire est loin de se prosterner humblement devant l’Opinion publique ; elle est loin de flatter et cajoler indignement cette Opinion anarchique, incohérente et incapable, comme le font la plupart des Organes des Partis, comme le font ces hommes égarés et ces vains ou ambitieux Coureurs de Popularité qui s’efforcent de persuader à cette Opinion anarchique et ignorante que, seule, par son incohérent suffrage universel, elle serait capable de produire la vraie Réforme, c’est-à-dire d’improviser et décréter la Science sociale. — Au lieu de s’agenouiller devant une telle Opinion publique, l’École Sociétaire, interpellant directement la Raison individuelle de tout homme intelligent et sincère, et lui montrant dans cette Opinion, plus morcelée et plus contradictoire que jamais, les caractères formels de la Déraison sociale et du Faux, déclare ignorante et incapable en matières sociales cette orgueilleuse Opinion du Siècle ; et enseigne que le premier effort vers la Vérité consiste à s’affranchir du joug de cette Opinion divisée contre elle-même, qui n’a ni principe commun, ni but commun ; et qui ne sait absolument ni ce qu’elle veut ni où elle va…


Nous pouvons maintenant, et en nous résumant, fixer en peu de mots la position de la Doctrine Sociétaire vis-à-vis de toutes les Doctrines contemporaines, — politiques ou sociales.

Du côté de la Stabilité. — La Doctrine Sociétaire, en faisant connaître ces vérités si simples : 1o Que toute Réforme sociale, pour être réalisable, doit pouvoir être expérimentée sur le terrain d’une Commune ; 2o que pour être bonne, il faut qu’elle soit de nature à être imitée spontanément par la Nation et par l’Humanité ; 3o que tout Gouvernement peut et doit donner lui-même à la Société la Garantie du Progrès par la création du Ministère des Progrès industriels et des Améliorations sociales ; la Doctrine Sociétaire, disons-nous, par la simple promulgation de ces Conditions générales de la Stabilité et du Progrès, donne déjà, à la Stabilité, des garanties infiniment plus puissantes que ne lui en aient jamais offert et que ne lui en aient même jamais soupçonné ses partisans les plus sages et notamment les Gouvernements — qui sont préposés à cette Stabilité. Et en effet ces Principes sont tels, que leur vulgarisation seule suffira pour anéantir l’Esprit révolutionnaire.

Du côté du Progrès. — La Doctrine Sociétaire ne fît-elle que poser la question du Progrès social dans ses véritables termes, préciser le But, dévoiler le point d’attaque du Problème et fixer avec une Certitude absolue les conditions logiques et morales de la Vérification et de la Réalisation pratique de toute Réforme désirable dans la Constitution intime de la Société ; — Cette Doctrine, disons-nous, donnerait déjà au Progrès, par ces seuls préliminaires, des garanties infiniment plus solides que ne lui en aient jamais offert et que ne lui en aient même jamais soupçonné ses plus bouillants partisans. — Ces Principes sont tels, en effet, qu’ils ne sauraient être vulgarisés sans forcer les Gouvernements à créer l’Institution qui garantirait le Progrès, et sans conduire l’Intelligence publique à s’occuper des recherches et des expériences qui imprimeraient à la Société l’impulsion la plus rapide.

Il suit incontestablement de là que la Doctrine Sociétaire est placée :

Dans la sphère des Intérêts et de la Science de la Stabilité, fort au-dessus de tous les Partis Conservateurs et des Gouvernements eux-mêmes ;

Et dans la sphère des Intérêts et de la Science du Progrès, fort au-dessus de tous les Partis progressistes.

D’où il suit que l’École qui professe cette Doctrine, loin de relever de l’Opinion et de l’Autorité d’aucun Gouvernement, d’aucun Parti conservateur, ou d’aucun Parti progressiste, aborde au contraire d’Autorité supérieure ces Gouvernements et ces Partis.

Il y a plus, c’est que, — du moins en ce qui concerne les principes inconditionnels de la garantie du Progrès et de la Stabilité, à l’Évidence desquels nul n’est libre de se soustraire, — cette École a déjà le droit de dire qu’elle impose, d’Autorité absolue, sa Doctrine, à ces Partis et à ces Gouvernements.


V.

Les Principes de la Doctrine Sociétaire excluent absolument l’Orgueil.


Pour prévenir les accusations des esprits légers dont le propre est de prononcer sur la Forme sans aller au Fond, remarquons immédiatement qu’il ne serait pas moins absurde, en s’arrêtant à une fausse apparence, de voir, dans la présente Déclaration de l’indépendance et de la supériorité de l’École Sociétaire, un caractère d’Orgueil que d’y voir un caractère révolutionnaire.

En effet si, dans la région absolument scientifique où la placent ses propres principes, l’École Sociétaire est réellement en dehors et au-dessus de l’autorité des Gouvernements, c’est précisément parce qu’elle est plus et mieux conservatrice ou anti-révolutionnaire que ces Gouvernements eux-mêmes ; puisque, d’une part, dans la sphère des faits pratiques, les Principes fondamentaux de cette École impliquent une soumission volontaire et complète aux Lois qui régissent l’ordre pratique et l’action des Gouvernements chargés de le maintenir ; et que, d’autre part, dans la sphère des faits moraux et intellectuels, elle donne à la Société des garanties décisives de Stabilité que n’ont pas su jusqu’ici lui donner ces Gouvernements, — dont, cependant, la fonction capitale consiste à garantir la Stabilité de la Société, et qui tirent même de cette fonction leur principal caractère de Légitimité.

Semblablement, si l’École Sociétaire se trouve placée en dehors et au-dessus de tous les Partis, c’est précisément parce que, seule et par ses données fondamentales elles-mêmes, elle renonce absolument au Principe d’Orgueil, c’est-à-dire, parce qu’elle renonce à tout moyen illégitime de faire dominer ses idées, et se soumet exclusivement à la Domination de la Vérité. En effet, seule encore et par la nature même de ses principes, cette École s’interdit, pour la Réalisation de ses propres Vues sociales, toute voie autre que celle de la démonstration scientifique, de la Vérification expérimentale, et de l’Imitation spontanée : c’est-à-dire, — toute voie autre que l’appel à la Raison théoriquement éclairée de chaque individu, et à la Volonté pratiquement éclairée et absolument libre de la Société. La Doctrine Sociétaire a donc, il est vrai, avec chacun des Partis, cela de commun, qu’elle taxe d’erreur les vues qui ne sont pas conformes aux siennes ; mais elle se sépare franchement de tous ces Partis en ceci que, loin de vouloir, comme chacun d’eux, établir dans la Société, par le Pouvoir, la Domination de ses idées, elle apporte un Criterium irrécusable dont le Caractère est de ne laisser passer et dominer que ce qui est bon, vrai et légitime, soumettant elle-même à ce Criterium la décisive Vérification et la Réalisation ultérieure de ses propres vues sociales.

Ainsi, d’un côté, la Doctrine Sociétaire est essentiellement un fait de Savoir, c’est-à-dire qu’elle ne peut être réalisée qu’autant que la Société sera parvenue à savoir que cette Doctrine est bonne, et à vouloir librement en réaliser les Plans déterminés et expérimentés. Ce caractère même est tel que, si cette Doctrine était maîtresse du Pouvoir, manifestement elle ne pourrait l’employer qu’à la Vérification locale de ses vues, et non à leur Généralisation forcée par la Loi. — D’un autre côté, tous les Partis demandent le Pouvoir pour appliquer à la Société et au gouvernement de l’État leurs Idées vagues et inexpérimentales, Idées qu’eux-mêmes, arbitrairement et contrairement à tous ceux qui ne sont pas de leur opinion, ils décident être les meilleures. Comment ces Partis seraient-ils donc reçus à accuser d’Orgueil la seule Doctrine qui, par la nature même de ses Principes, soit entièrement à l’abri de toute imputation de tendance à l’établissement d’une Domination illégitime et arbitraire de ses Idées, et qui peut avec pleine raison porter cette accusation contre eux tous ?

Nous ferons observer, en outre, que chaque Parti ne se contente pas de décider par lui-même, et sans soumettre sa décision à aucune Vérification scientifique, que ses opinions sont la Vérité, et que les opinions des autres sont l’Erreur. Généralement ces Partis décident encore que leurs adversaires sont des hommes de mauvaise foi, et ils les attaquent publiquement comme tels avec une violence extrême. Or, l’École sociétaire reconnaît et professe que la presque totalité des hommes qui composent les différents Partis sont de bonne foi, et qu’ils restent dans l’Erreur parce qu’ils n’ont pas conscience de la Fausseté ou de l’Immoralité sociale de leurs Doctrines. Aussi les critiques et les attaques dirigées par l’École sociétaire contre les Partis sont-elles et peuvent-elles légitimement être d’autant plus énergiques que, portant sur de fausses Croyances et sur des Prétentions illégitimes, elles respectent toujours le caractère de Bonne Foi des hommes qui forment la masse de ces Partis.

Ainsi, sans craindre que les esprits sérieux et justes taxent d’Orgueil notre énergique et légitime défense de ce que nous croyons vrai et bon, contre ce que nous démontrons être faux et malfaisant, nous sommes en droit de répondre aux accusations sans nombre et sans mesure qui ont été portées contre notre Doctrine par les ignorantes et orgueilleuses Opinions de notre temps, que la Doctrine sociétaire, avant même d’entrer sur son propre terrain d’Avenir ou de Réforme sociale, et en restant encore sur le terrain des Principes de Conservation et de Progrès, où se trouvent présentement les différents Partis, établit et constate déjà sa Supériorité formelle sur tous ces Partis.

D’où il résulte clairement que, tout en conservant un Doute philosophique et légitime sur la valeur intrinsèque de la Réforme sociale proposée par l’École sociétaire, et tout en attendant, pour cesser de douter, qu’une Épreuve décisive prononce sur cette proposition de Réforme, aucun homme sincère, engagé jusqu’ici dans les rangs des Partis qui professent l’amour de la Stabilité, ou l’amour du Progrès, ne saurait, en vertu même des sentiments qui l’ont poussé dans tel ou tel de ces Partis, refuser de reconnaître l’Insuffisance ou l’Illégitimité des vues de ces Partis, et de se rallier aux Principes fondamentaux de l’École sociétaire touchant les conditions générales et présentes de la Stabilité et du Progrès.

Bien loin donc de vouloir imposer arbitrairement et orgueilleusement nos vues à la Société, nous conjurons tout homme sincère d’examiner sérieusement et loyalement nos Principes ; et, si nous sommons les hommes de tous les Partis de se rallier à nous, ce n’est point au nom d’une ridicule prétention de Supériorité personnelle, mais au nom de la Supériorité même des Principes que nous soumettons au tribunal de la Raison individuelle de chacun des membres de ces Partis, et au nom des bons sentiments dont nous supposons généralement doués les hommes qui militent dans leurs rangs.

De même, si, pour répondre aux étranges imputations d’Utopie, de Folie, et même d’Immoralité, qu’une Société, convaincue d’Ignorance dans la Science des faits sociaux, adresse quelquefois encore à une Théorie de Réforme sociale qu’elle ne connaît pas, nous lui dénions le droit de juger arbitrairement et orgueilleusement cette Réforme, sans Examen et sans Vérification, ce n’est pas que nous prétendions lui imposer nous-mêmes arbitrairement et orgueilleusement cette Réforme. Au contraire, et seuls encore jusqu’ici, nous proclamons et nous démontrons que le Signe décisif de la Légitimité de toute Réforme sociale, et en particulier de celle que nous proposons, ne saurait être que l’Acceptation volontaire de cette Réforme par la Société, à vue d’Expérience.

Ainsi, d’un côté, les Partis visent à faire triompher leurs idées, leurs hommes ou leurs passions, en les imposant à la Société par le Pouvoir dont ils se disputent le maniement : de l’autre côté, l’École sociétaire vise à faire vérifier ses vues par l’Expérience et à mettre simplement la Société en état de les réaliser, SI l’Expérience en démontre la bonté.

Cessez donc de nous accuser de déraison, de folie, de sottise, d’orgueil et même d’immoralité, ô vous qui ne nous avez point épargné jusqu’ici ces accusations mal fondées ! Et Vous, hommes justes et sincères de toutes les Classes et de tous les Partis, à qui nous faisons indistinctement appel, rendez-vous à la Vérité, ralliez-vous à nos Principes, et acceptez la main que nous vous tendons incessamment à tous, quand même nous attaquons très-énergiquement vos Erreurs ! Hommes justes et sincères, venez défendre avec nous les Intérêts, liés intimement entre eux, de la Stabilité et du Progrès, qui sont les Intérêts mêmes de la Société ! Reconnaissez avec nous, comme Fourier nous l’a fait reconnaître, que toute Réforme capable d’améliorer le sort des hommes qui souffrent des conditions de la Société actuelle (et tous en souffrent misérablement, depuis le Monarque jusqu’au Prolétaire), ne peut avoir rien de commun aujourd’hui avec la Politique proprement dite, avec ses dangereuses Réformes et ses détestables querelles[10] ! Enseignez avec nous, à tous les hommes vraiment dévoués au triomphe de la Justice sociale et des Droits imprescriptibles de l’Humanité, que les Doctrines révolutionnaires, en irritant toutes les Classes les unes contre les autres, en fomentant la haine, la lutte et le désordre dans la Société, éloignent toute Réforme intelligente et efficace, loin d’en préparer les voies, puisqu’elles éloignent non-seulement les Expériences pacifiques auxquelles est subordonnée la Réalisation de toute véritable Amélioration sociale, mais encore les Études scientifiques des conditions de toute Réforme de cet ordre.

Et Vous, — qui gouvernez les Peuples, et qui, en principe, avez raison de maintenir l’Autorité des Lois et de vous opposer aux efforts révolutionnaires, — par la Promulgation des Principes exposés dans le présent Manifeste, nous vous mettons en demeure, devant l’Humanité, de conjurer les Révolutions, en prenant en main vous-mêmes la cause du Progrès social ! Songez en outre que, faute à vous d’accomplir ce Devoir élevé, vous vous rendrez complices des Révolutions qui menacent de vous précipiter du Pouvoir et de bouleverser de nouveau la Civilisation européenne !


VI.

État des Idées et des Partis. Accusations contradictoires.


Jusqu’ici, remarquons-le, nous n’avons aucunement fait connaître en quoi consiste l’Hypothèse sociale de Fourier, c’est-à-dire le Système spécial et déterminé d’Organisation sociale que l’École sociétaire propose pour remplacer l’État de Choses actuel ; nous nous sommes bornés à établir les Caractères généraux et sine quibus non de Légitimité de toute Doctrine qui annonce la prétention de changer et d’améliorer l’état de la Société. En outre, nous avons démontré que la simple Production des Principes fondamentaux de la Stabilité et du Progrès place l’École sociétaire dans une région éminemment légitime et positivement supérieure à celles où s’agitent encore tous les Partis.

Dès aujourd’hui donc les Progressistes sincères et les Conservateurs intelligents de tous les pays doivent se rallier au principe de cette École, en reconnaissant qu’au lieu de combattre vainement sur le terrain dangereux des Réformes dans la constitution du Pouvoir, ils sont tenus :


1o De se porter sur le terrain pacifique de la Réforme sociale de la Commune ;


2o De reconnaître la Vérification expérimentale et l’Imitation libre ou spontanée comme le Criterium du Progrès en fait de Constitution de la Société ;


3o De réclamer, des Gouvernements, la création d’un Ministère chargé d’exciter, de diriger, de discuter et de vérifier par l’Expérience les Inventions et les Propositions relatives aux Progrès industriels et aux Améliorations sociales.


Il est donc bien établi que, loin de se séparer de la Société qu’elle a la prétention de transformer, loin de se retirer du monde vivant qu’elle veut conquérir, loin de s’isoler et de s’abstraire dans son monde encore irréalisé, l’École sociétaire se rattache aux sentiments les plus actifs de cette Société, qui sont le besoin de la Stabilité et le besoin du progrès, et que, s’interposant entre les Partis, et leur enseignant les conditions actuelles de la Stabilité et du Progrès, cette École, avant toute justification théorique ou pratique de la Réforme particulière qu’elle propose, fait déjà une œuvre éminemment sociale, et propre à lui donner créance immédiate et Autorité légitime dans le Milieu existant[11].

Examinons en peu de mots l’état de ce Milieu :

En dehors de l’École sociétaire, l’Opinion publique se divise aujourd’hui en trois catégories bien distinctes :

1o Le Parti de la Conservation, qui représente simplement le besoin ou le sentiment de la Stabilité, et qui ignore les Conditions de la Stabilité ;

2o Le Parti du Mouvement, qui représente simplement le besoin ou le sentiment du Progrès, et qui ignore les Conditions du Progrès ;

3o Enfin, un troisième Parti qui est en voie de se former et qui grandit chaque jour sous l’influence générale des Principes de l’École sociétaire. Ce Parti, qui a reçu de l’École sociétaire elle-même le nom de Parti social, et qui se recrute des hommes les plus raisonnables et des intelligences les plus cultivées des deux autres Partis, représente, en mode composé, le Besoin de la Stabilité et le Besoin du Progrès ; mais il ignore généralement encore les Voies et Moyens scientifiques de la satisfaction de l’un et de l’autre besoin.

Les Sentiments encore vagues et les Doctrines encore incertaines de ce Parti sont la transition des Sentiments incomplets et des Doctrines négatives ou fausses des deux premiers Partis, aux Sentiments composés et complets, et aux Doctrines positives et fixes de l’École sociétaire.

Les deux premiers Partis se combattent violemment sur le terrain de la Politique et du Pouvoir, le Parti du Mouvement est agresseur.

Le troisième Parti condamne l’agression, invoque la trêve entre les deux Partis hostiles, et cherche à s’établir sur le terrain du Progrès pacifique dont il ne connaît pas les conditions fondamentales.

Quant à l’École sociétaire, elle s’établit avec autorité sur le terrain de la Réforme sociale, au nom de la Stabilité et du Progrès dont elle fait connaître les conditions réelles. L’École sociétaire occupe donc, par rapport aux trois Partis existants au dessous d’elles, une position très-déterminée : sa tâche consiste à développer le sentiment du Progrès chez les hommes de la Conservation, le sentiment de la Stabilité chez les hommes du Mouvement, et à faire connaître aux hommes de ces deux catégories, ainsi qu’à ceux du Parti social, les Conditions positives de la Stabilité et du Progrès.

L’ignorance de ces conditions est la cause fondamentale de l’Hostilité des deux premiers Partis ; cette importante proposition est facile à démontrer.

Ne tombe-t-il pas sous le sens, en effet, que les Conservateurs les plus étroits eux-mêmes ne sauraient être les ennemis du Progrès réel, c’est-à-dire les ennemis des Améliorations sociales pacifiques qui seraient favorables aux Intérêts de toutes les classes et qui assureraient la Stabilité de la Société ? Et n’est-il pas évident au même degré que les Révolutionnaires qui attaquent avec le plus d’acharnement l’Ordre de Choses actuel, ne sauraient se dire ennemis du Principe de la Stabilité, puisqu’ils ne s’efforcent de renverser cet Ordre de Choses que parce qu’ils imaginent, en culbutant celui-ci, pouvoir en établir un meilleur ?

Les Conservateurs ne sont donc pas des ennemis absolus du Progrès ; ils sont ennemis seulement des Agitations et des Perturbations que les Révolutionnaires prennent pour les conditions du Progrès : et les Révolutionnaires ne sont pas ennemis absolus de la Stabilité ; ils sont seulement ennemis d’un Ordre politique que leur ignorance des conditions réelles du Progrès leur fait considérer comme l’Obstacle à la réalisation du Progrès.

Or, s’il est vrai que nous connaissions et que nous ayons même dévoilé déjà dans ce Manifeste les premières et les plus immédiates conditions de la Stabilité et du Progrès ; s’il est vrai que ces conditions, bien loin d’être contradictoires, sont absolument identiques, ou, en d’autres termes, que la Garantie du Progrès se trouve être précisément la Garantie de la Stabilité ; si, non contents d’aller dans le sens de la Stabilité et dans le sens du Progrès bien au-delà des vœux et des espérances de tous les Conservateurs et de tous les Radicaux, nous présentons encore, aux uns, les moyens d’assurer immédiatement la Stabilité de l’État, aux autres, les moyens d’imprimer à la Société une marche aussi régulière et aussi rapide que possible : il résulte nécessairement que notre Doctrine, avant toute exhibition de ses Plans particuliers de Réforme sociale, se distingue par un Caractère à la fois ultra-conservateur et ultra-radical.

Eh bien ! c’est précisément ce double caractère qui a valu à l’École sociétaire, de la part de certains esprits étroits, prévenus ou malveillants, appartenant, les uns aux Partis de la Conservation, les autres aux Partis du Mouvement, des accusations souverainement fausses. En effet, les premiers s’arrêtant aux Manifestations Radicales de notre École, nous ont confondus quelquefois avec les Partis ou les Sectes Révolutionnaires ; les seconds, s’appuyant sur nos Manifestations Conservatrices, nous ont accusés de servilité et d’inféodation au Pouvoir. — Quelle n’est pas l’absurdité de ces imputations lancées contre nous par ces prétendus Conservateurs et par ces prétendus Radicaux dont nos Principes dépassent de si loin, dans la voie de la Conservation et dans la voie du Progrès, les Doctrines impuissantes !

Nous espérons avoir clairement établi la position de l’École sociétaire, et démontré que cette École s’est placée, par la nature même de ses principes, dans une sphère absolument supérieure aux sphères étroites et obscures où s’agitent et se combattent les différents Partis politiques. Nous ne serons donc confondus, par les hommes de bonne foi qui auront examiné nos principes, ni avec les Conservateurs qui ne comprennent pas que le Progrès est la première condition de la Stabilité ; ni avec les Révolutionnaires, qui ne comprennent pas que la Stabilité est la première condition du Progrès. On saura que nous acceptons les Lois existantes et le Pouvoir établi, en tant qu’ils sont les moyens pratiques de l’Ordre dans la Société actuelle, et que nous demandons l’inauguration d’une Ère régulière de Stabilité et de Progrès, en proscrivant toutes les Réformes violentes, et toutes les querelles insensées dont la Possession ou la Modification du Pouvoir est depuis si longtemps l’objet, — querelles et réformes qui n’ont aucun rapport avec la Découverte et l’Expérimentation d’un nouveau Mode d’Organisation de la Commune et par conséquent de la Société[12].

Ainsi nous proclamons radicalement vicieux l’État de Choses actuel ; nous proclamons radicalement insensé le Renversement de cet État de Choses, et nous demandons la transformation de cet État de Choses en un État meilleur, par des Voies et par des Moyens que la Raison puisse approuver, que l’Expérience puisse confirmer, et que tous les Intérêts puissent accepter ; car telles sont, suivant nous, les conditions qui déterminent le Criterium du Progrès réel.

On connaît maintenant les Principes fondamentaux sur lesquels l’École sociétaire est constituée, et dont nous croyons avoir mis la Légitimité hors de toute atteinte.


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  1. Avant tout. — Ce n’est pas nous qui ignorons que le problème de l’Organisation sociale n’est complet dans son énoncé que quand, à l’Association des individus, des familles et des classes dans les Communes, on joint la condition de l’Association des Communes entre elles dans la Nation et des Nations dans l’Humanité. Mais il n’en est pas moins vrai que l’Association des individus et des intérêts dans la Commune est le fait élémentaire, le fait fondamental du problème social. Il est même facile d’apercevoir, pour peu qu’on ait réfléchi sur ces questions, que, de la loi d’Association des individus dans les Communes, on déduirait très-facilement la loi de l’Association des Communes entre elles, pour former les unités successives qui doivent se résoudre toutes définitivement dans la grande Unité de l’Humanité. Il est sensible, en effet, qu’obtenir la bonne harmonie des hommes et des classes dans la Commune (où les intérêts et les passions sont côte à côte), est un problème bien autrement difficile que celui qui consiste à régler convenablement les rapports des communes dans le département, des départements dans la province, etc.

    C’est ainsi que, dès qu’on a su organiser et discipliner des régiments, il est devenu facile de former des corps d’armée plus ou moins considérables ; tandis qu’il serait absurde de songer à avoir un corps d’armée régulièrement organisé et discipliné, si l’on ne savait pas d’abord et avant tout constituer des régiments réguliers.

    Qu’on ne vienne donc pas nous reprocher, comme quelques-uns l’ont fait, frappés de l’importance capitale que nous donnons à la question de l’état de la Commune, qu’on ne vienne pas nous reprocher de méconnaître ou d’ignorer la valeur des questions relatives à l’Association des Communes dans l’Unité nationale et des Unités nationales dans la grande Unité humanitaire. Nous savons fort bien que pour avoir une pyramide il ne suffit pas d’avoir des pierres convenablement taillées, qu’il faut encore que ces pierres soient rangées, superposées et jointes en assises successives, depuis la base jusqu’à la pierre angulaire du sommet ; mais ce que nous savons et ce que nous demandons à bien faire comprendre, c’est que, pour avoir une pyramide solide et bien construite, il faut avant tout avoir, bien saines et convenablement taillées, les pierres dont la pyramide doit être formée. Les pierres de base de la grande pyramide sociale, ce sont les Communes rurales ordinaires ; les pierres de la seconde assise sont les communes chefs-lieux de canton ; celles de la troisième assise sont les chefs-lieux d’arrondissement, et ainsi de suite jusqu’à la pierre angulaire du sommet, qui représente la grande cité capitale du globe, dont Fourier est allé jusqu’à déterminer d’avance l’emplacement. Cette dernière remarque suffirait à elle seule pour prouver combien est erronée et légère l’accusation que nous repoussons en ce moment.

  2. Le mot politique est pris ici dans l’un des sens les plus vulgaires (Voy. page 7 et suivantes).
  3. Toute Doctrine qui implique une contradiction avec le But social supérieur, c’est-à-dire avec l’Association des individus, des classes et des peuples, est immorale. La moralité des actes ou des idées n’est autre chose, au point de vue élevé (voyez page 11), que leur Concordance avec le But social.
  4. Il y a lieu d’observer que plus le Système nouveau sera supérieur au Système existant, c’est-à-dire plus il produira de bienfaits, et mieux il servira tous les intérêts sociaux, plus rapide alors sera l’Imitation de ce Système par la Société. C’est ainsi qu’en fait de Machines, par exemple, à partir d’un succès public bien constaté par l’Expérience, une Invention se propage d’autant plus rapidement qu’elle est plus économique, plus utile et plus parfaite. Que l’on présente aujourd’hui un Système nouveau pour remplacer le Système existant de la Machine à vapeur, il est évident que si le Système nouveau réalise un dixième d’économie sur le Système actuel, il remplacera, mais assez lentement, celui-ci ; tandis que, s’il réalise moitié, trois quarts ou quatre cinquièmes, il supplantera très-rapidement l’ancien Système. On ne saurait donc plaider la grande supériorité d’un Système de Réforme sociale sans admettre que la simple Expérience locale de ce Système suffira pour le propager rapidement, non-seulement dans le pays où l’Essai en aura été fait, mais encore chez tous les autres Peuples.
  5. Remarquons que ces Lois ne sauraient, sans une immoralité flagrante, et sans une atteinte formelle et dangereuse à la dignité du Pouvoir lui-même, s’opposer à la production libre des idées, autant du moins que celles-ci renfermeraient leurs déductions organiques ou critiques dans les formes didactiques. — Or, dans la plupart des États, et notamment en France, la liberté de la production publique des idées, du moins par la voie de la Presse, dépasse, en fait, la simple liberté de la déduction didactique, seule liberté qui soit, à la rigueur, exigible.
  6. MM. Thiers, Guizot, Barrot, etc.
  7. L’institution politique, qui garantirait à jamais la Sûreté sociale ou la Stabilité intérieure de l’État, n’est autre chose que le Ministère du Progrès, spécialement chargé de faciliter et de régulariser les Études des améliorations sociales, et de faciliter aussi l’Expérience locale de toutes les Propositions qui, après une mise en discussion régulière, auraient trouvé sérieuse créance dans l’Opinion publique. L’École sociétaire, dans plusieurs productions, a déjà signalé la nécessité de combler, par la création d’un semblable Ministère, la grande et dangereuse lacune que fait dans notre Constitution politique actuelle l’absence de cette Institution.

    Nous développerons en détail ailleurs les attributions, faciles à déterminer, d’un tel Ministère. Il comporte naturellement deux Divisions : la Division des Progrès industriels, chargée de l’examen, de la vérification et de la promulgation des inventions techniques, ou proprement industrielles, et la Division du Progrès social, chargée de l’examen, de la mise en discussion et de l’expérimentation des propositions systématiques, c’est-à-dire des Plans relatifs à l’Amélioration du Système social lui-même.

    Il est palpable que la création d’un tel Ministère, en garantissant à la Société son Progrès normal, éteindrait jusqu’à la pensée même des Révolutions dans les États civilisés.

  8. La vulgarisation générale de ces principes garantit immédiatement la Stabilité intérieure de l’État ; mais elle n’agit que médiatement, quoique très-énergiquement, sur la Stabilité extérieure qui a d’autres conditions encore. La plus importante de ces conditions est l’Institution du Congrès d’Unité ou Assemblée amphictyonique des États civilisés.
  9. Cet Aveu est fait explicitement par les Révolutionnaires politiques, sociaux, etc., de tous les degrés, qui motivent sur cette nécessité leurs agressions fatales. Il est fait implicitement par les Conservateurs de toutes sortes, politiques, moralistes, religieux,… qui ne cessent d’exhaler contre les effets de l’état de choses actuel les plaintes, les lamentations et les déclamations les plus ridicules, — bien ridicules, en effet, puisque leur impuissance est patente.
  10. Il est inutile sans doute ici de rappeler encore au lecteur que le mot Politique comporte des sens différents, et de le renvoyer aux Définitions données dans les Prolégomènes.
  11. Ces considérations sont extrêmement importantes pour cette École, et même pour l’accomplissement de son But spécial, qui est la Vérification et la Réalisation de son plan particulier de Réforme. En effet, tant que la Société n’est pas encore édifiée sur la bonté intrinsèque de cette Réforme, il serait orgueilleusement absurde à l’École sociétaire de justifier et d’expliquer, devant la Société, son existence et ses œuvres actuelles de Propagation par l’excellence de son Système, puisque cette excellence n’existe encore que dans l’esprit ou dans la conviction de l’École sociétaire, et ne saurait être qu’une Hypothèse, ou une pure Prétention, dans le monde extérieur sur lequel cette École veut et doit agir.
    Ainsi donc, l’Autorité que l’École sociétaire a besoin de conquérir dans la Société pour obtenir la Réalisation locale ou l’Expérience décisive qui, suivant cette École, entraînera la Réalisation générale de son Système de Réforme ; cette Autorité, disons-nous, ne saurait aucunement reposer sur le postulatum de l’excellence du Système sociétaire en lui-même, la Société à laquelle s’adresse l’École sociétaire n’admettant pas ce postulatum. — L’École Sociétaire ne peut donc s’appuyer logiquement, pour conquérir cette Autorité, que sur la Légitimité irrécusable ou immédiatement évidente de ses Principes généraux concernant la Stabilité et le Progrès de la Société. — Ce n’est que par la Vulgarisation de ces Principes qu’elle peut déterminer les hommes sincères des Partis à se réunir à elle sur le terrain de ses Principes scientifiques, incontestables et certains, de la Stabilité ET du Progrès, et à proclamer la nécessité des Expériences Locales qui sont le But prochain de ses efforts.
  12. Le principe que nous émettons ici est général. La Doctrine Sociétaire accepte la République en Amérique, la Monarchie constitutionnelle en France, la Monarchie absolue dans le Nord ; elle opère sur la Commune pour transformer la Société. Si la Forme Républicaine était établie en France et y déterminait le Gouvernement régulier du pays, nous en combattrions les adversaires par les mêmes arguments avec lesquels nous en combattons aujourd’hui les partisans violents. — Cela ne veut pas dire pourtant qu’à nos yeux les formes politiques n’aient aucune valeur.