Autour de l’Afghanistan/Chapitre III

Librairie Hachette et cie. (p. 51-76).

CHAPITRE III

DU TRANSALAÏ À LA FRONTIÈRE CHINOISE

Le grand Kara-Kouz. || Torta-Sin et son chien. || À la poursuite des ibex. || Col d’Ak-Baital. || Kornei-Tartik. || La Pierre-Lampe. || Campement au bord de Roung-Koul. || Ahmed vole un cheval. || Scènes de la vie des Kirghizes. || Arrivée au Pamirski-Post. || La vallée de l’Ak-Sou. || Course à la chèvre. || En vue de la frontière chinoise.
* * *


L A descente du col du Kizil-Art s’est effectuée silencieusement sous la bise folle qui nous transperce et nous glace. En moins d’une heure nous sommes arrivés dans la plaine, vaste étendue grise qu’on aperçoit ou qu’on devine plutôt, par instants, à travers un épais brouillard de sable. Les rafales succèdent aux rafales et c’est à peine si j’arrive à me faire entendre des caravaniers auxquels je donne ordre d’établir le camp sur l’emplacement d’un refuge construit jadis ici par les Russes. Il reste encore de cette construction provisoire quelques mottes de gazon qui vont nous être précieuses pour maintenir au sol la toile de nos tentes et empêcher qu’elle ne soit enlevée par le vent qui balaye tout sans merci.

Le baromètre indique 3 980 mètres. Aucun de nous n’éprouve le mal des montagnes, mais nous sommes essoufflés au moindre effort, et nos visages affreusement brûlés par le soleil commencent à changer de peau. Sur le sol blanchissent çà et là de beaux squelettes d’ovis polii dont la mort naturelle, assez fréquente en ces parages, m’est expliquée par Iskandar. Quand ce grand mouflon des Pamirs arrive à un âge avancé, ses cornes prennent, paraît-il, un tel développement qu’un jour vient où elles empêchent le pauvre animal d’atteindre avec ses lèvres les herbes courtes et rares qui germent dans ces solitudes, si bien que lassé d’efforts inutiles il finit par mourir de faim[1].

Le thermomètre n’est pas descendu pendant la nuit au-dessous de — 4° et nous avons la joie au réveil de constater que le ciel est pur et que la tourmente s’est apaisée. C’est donc plus confiants que nous entamons notre première étape dans les Pamirs. Devant nous, un désert de pierres sans un arbuste, sans une plante, sans rien ; derrière, la longue chaîne du Transalaï dominée par le dôme étincelant du Kou-Roundi. Nous suivons une simple piste, à peine tracée, qui grimpe un escalier de sable aux marches colossales et qui nous amène au col de Ouï-Boulak. De ce point le coup d’œil est merveilleux. L’immense nappe d’eau du lac Kara
LE TRANSALAÏ ET LE DÔME DU KOU-ROUNDI.

LE MASSIF DU KAUFMANN, VU DES BORDS DU KARA-KOUL.

LE KARA-KOUL ET LA CHAÎNE DU TRANSALAÏ.

NOTRE CAMPEMENT AU SUD DU KARA-KOUL.
Koul[2], après la traversée de ces plateaux arides, apparaît comme une oasis de clarté, d’un bleu presque noir, bordée de tous côtés par des blancheurs aux mille pointes qui sont les glaciers des Pamirs… Mais nous n’y touchons pas encore, il faut descendre une longue pente de galets pour arriver au refuge[3] bâti sur le modèle de celui de Bor-Teppé et qui se trouve à environ 3 kilomètres du lac. On est ici à 3 850 mètres d’altitude.

Un Kirghize noir, gardien du refuge, nous reçoit à la porte et nous présente Torta-Sin, un de ses compatriotes, grand chasseur qui promet de nous faire tuer la grosse bête. Malgré sa figure peu sympathique j’engage ce Nemrod des Pamirs, comptant bien le mettre à l’épreuve un de ces jours.

Pendant que les caravaniers déchargent les chevaux et dressent les tentes, je me rends au bord du lac par le chemin le plus court, mais cette précipitation me vaut un bain des plus désagréables. À peu de distance en effet, le sable enfonce sous mes pas et je disparais jusqu’aux genoux dans un terrain vaseux, ayant pris pour une dune solide ce qui n’était en réalité qu’un sol marécageux recouvert par le vent d’une mince couche de poussière. Enselme et Zabieha m’ont suivi, et notre apparition fait fuir dans toutes les directions des bandes d’oies et de canards sauvages qui tourbillonnent un instant dans le ciel, se détachant en noir sur le blanc des sommets neigeux, et se posent les uns au milieu de l’eau, d’autres sur une assez grande île jaunâtre que l’on aperçoit vers l’ouest. Mon intention est de tendre des lignes de fond afin de contrôler les dires des explorateurs qui m’ont précédé et qui prétendent, comme les indigènes, que le Kara-Koul est un lac mort et qu’il ne renferme aucun poisson.

Les rives, saupoudrées presque partout d’une efflorescence de nitre, ne présentent aucune trace de vers ou de larves. Je ne me décourage pas cependant et je place mes lignes tandis que Zabieha goûte l’eau à laquelle il trouve un goût salé, fort peu agréable.

Le thermomètre est descendu à — 9° pendant la nuit et le froid commence à piquer. Nous partons relever nos lignes, les appâts sont intacts. De nouveaux essais, tentés en différents points du lac, demeurent infructueux ; il y a donc lieu de croire que les Kirghizes avaient raison et que les eaux du Kara-Koul ne sont pas habitées. En suivant la rive, nous apercevons quelques mouettes blanches et faisons lever à grand fracas une troupe d’oies sauvages. Il est midi, la tempête commence : tempête quotidienne qui monte peu à peu vers le milieu du jour et souffle sans discontinuer jusqu’à minuit, heure à laquelle tout redevient calme.

Nous reprenons le chemin du campement. Dans la plaine, en face de nous, des trombes de sable s’élèvent en tourbillons, quelques-unes à de grandes hauteurs. Le thermomètre marque + 40° au soleil et + 10° à l’ombre. C’est ici un des caractères météorologiques observés dans les très hautes régions : il suffit même qu’un nuage vienne cacher un instant le soleil pour que le thermomètre baisse immédiatement de 30° à 20°. Pendant la nuit, on note un froid de — 9° à — 10°.

Nous hâtons le pas sous un soleil de plomb. De minces ruisseaux où coulait une eau assez abondante ce matin, au moment de notre départ, sont maintenant complètement à sec. La chaleur ardente du plein midi les assèche avant leur arrivée au lac et ils ne reprennent leur cours normal que grâce à la fraîcheur des nuits.

La tourmente nous retient jusqu’au soir dans les petites salles voûtées du refuge et nous en profitons pour prendre avec Torta-Sin nos dispositions pour la chasse du lendemain.

8 juillet. — Nous quittons le refuge à cheval vers deux heures du matin sous la conduite de Torta-Sin et de son chien. L’homme est un grand diable imberbe portant en travers de sa selle le fusil à mèche des Kirghizes, arme lourde et bizarre munie d’une longue fourche qui sert d’appui pendant le tir. Quant au chien, c’est une sorte de grand Saint-Bernard fauve au poil hirsute, aux dents de loup, au regard mauvais, peu enthousiaste, semble-t-il, d’aller courir l’ibex dans la montagne. Un des caravaniers, le jeune Ahmed, nous accompagne également afin de tenir nos chevaux pendant la chasse.

C’est une de ces inoubliables nuits des Pamirs, semée d’étoiles éblouissantes, où la lune brille d’un tel éclat que nos yeux peuvent à peine en supporter la lumière. Nous nous dirigeons à une allure rapide vers le nord-est, en remontant le cours d’un ruisseau ; en moins d’une heure, nous avons atteint les pentes escarpées qui bordent le bassin du Kara-Koul et maintenant il faut grimper le long d’à-pics vertigineux, parmi l’amoncellement fou des roches où les chevaux risquent à tout instant de se rompre les jambes. Partout, autour de nous, gisent entassés pêle-mêle d’énormes blocs de granit poli aux silhouettes fantastiques qui prennent, aux premières lueurs du jour, des aspects de grandes bêtes monstrueuses…

Notre guide nous fait mettre pied à terre ; on quitte les fourrures, trop lourdes pour escalader la montagne, et le fusil à la main on se met en quête du gibier. Torta-Sin glisse comme un serpent entre les roches ; soudain il fait un geste : un troupeau d’ibex broute l’herbe au-dessous de nous dans un ravin, sans avoir soupçon de notre présence. Malgré une fusillade générale, les bêtes agiles grimpent sans accident les rochers qui nous font face. Il faut chercher ailleurs.

Une heure de marche dans des éboulis, au pied d’anciennes moraines, et nous apercevons sur une crête toute proche un troupeau de kouldjas (ovis polii) qui disparaît presque aussitôt. Torta-Sin se lance en avant suivi d’Enselme et de Zabieha. Je les laisse continuer et je me poste, dans l’espoir de tirer un animal au passage ; mais en vain, bientôt je vois revenir mes compagnons penauds et lassés qui ont manqué,
REFUGE ET LAC DE GLACE DE MOZ-KOUI. (4 080  M.).

LA « PIERRE-LAMPE » ET LA RIVE SUD DU ROUNG-KOUL.
me disent-ils, de superbes ovis. Torta-Sin, resté en arrière, ne revient qu’à midi : il n’a pas été plus heureux. La chaleur est étouffante et l’altitude aidant, nous avons quelque mal à redescendre jusqu’au point où sont demeurés les chevaux.

Le 9 juillet au matin, le temps est clair et le massif du Kaufmann, baigné d’une lumière vaporeuse qui en adoucit les contours, se dresse majestueux dans la pureté du ciel comme une immense tente toute blanche. Les glaciers se reflètent dans une eau sans la moindre ride ; le décor est de toute beauté. Nous nous mettons en route, définitivement cette fois, par un calme tel que la respiration est très difficile. La piste suit la rive du Kara-Koul ; elle est jalonnée de distance en distance par des pylones[4] qui permettent aux caravanes de retrouver la route, quand la tourmente met dans l’atmosphère ce terrible brouillard de sable, presque impénétrable à la vue.

Arrivés à l’extrémité du lac, nous prenons un sentier qui nous amène dans une prairie couverte de nitre où séjournent quelques mares d’eau douce. Des Kirghizes y sont campés et grâce à eux il y aura ce soir du mouton au menu… Près des tentes, une ruine assez curieuse attire mon attention : quatre murs à moitié démolis, mais — observation intéressante — construits en « béton armé ». Le béton est de la terre glaise et l’armature est faite de cornes d’arkar et d’ibex ; c’est le principe des constructions actuelles dont sont si fiers nos modernes ingénieurs. Nous allons, le fusil à la main, examiner ce côté sud du lac sillonné de lagunes qui indiquent nettement que le terrain fut jadis couvert par les eaux et que le lac s’est resserré. Ces lagunes, sortes d’entonnoirs aux bords escarpés, sont appelées à disparaître par suite du lent éboulement de leurs parois et les abords du lac ne présenteront plus sans doute un jour qu’une vaste étendue de terrain bossué. Nous regagnons le camp sans avoir trouvé l’occasion de décharger nos armes, admirant vers le sud la cime du Moz-Koul[5] que le soleil à son déclin colore des tons les plus merveilleux.

La nuit a été très froide sous la tente, bien que le thermomètre ne soit pas descendu au-dessous de 5°. Nous brûlons pour nous chauffer de grosses racines déterrées par les caravaniers et nous entretenons la flamme à l’aide du crottin sec de nos chevaux : maigre chaleur dont il faut nous contenter car nous n’avons plus d’autre combustible depuis notre entrée dans les Pamirs. Heureusement le ciel nous gâte ; le temps est superbe. Nous marchons toujours vers le sud et suivons pendant 8 kilomètres une large vallée entre des montagnes arides. Quelques mazars ornés de cornes et de chiffons rompent seuls la monotonie sinistre du paysage : tout est noir, tout est calciné autour de nous. Ici, le « Toit du monde » est couvert d’immenses tuiles d’une ardoise polie qui nous renvoient, comme les parois d’un four gigantesque, la chaleur d’un soleil de feu… Une heure de marche à travers cette fournaise, et le décor change brusquement : nous sommes sur les bords d’un lac de glace sillonné en tout sens de larges fentes aux reflets d’émeraude. Sans nous arrêter devant la nouveauté du spectacle, nous contournons le glacier et, laissant à gauche une piste qui conduit au Roung-Koul[6], nous arrivons bientôt devant le refuge de Moz-Koul, sur la rive ouest d’un autre lac de glace.

Le refuge est très bien tenu mais vide de gardiens. Dans la cour, quelques belles cornes d’ovis font pousser une exclamation de joie à Torta-Sin qui part immédiatement armé de son grand fusil et… de son chien jaune. Iskandar le suit du regard et rentre dans la cour en murmurant à son adresse une phrase qui n’a pas l’air aimable et que Zabieha me traduit en riant : « Torta-Sin ne veut pas travailler, la canaille. Il a pris son fusil pour aller dormir au soleil ! » Le rusé Kirghize ne revient en effet qu’à sept heures du soir, et bredouille, bien entendu.

11 juillet. — Pendant toute la matinée nous remontons la rivière de Moz-Koul et, vers midi, nous sommes au pied du col d’Ak-Baïtal. Avant d’en faire l’ascension qui promet d’être pénible, nous déjeunons à l’ombre d’un énorme caillou, isolé, unique, et qui à l’air d’avoir été déposé là, aux premiers temps du monde, pour servir d’abri aux caravanes. Une heure et demie après avoir quitté la vallée, nous franchissons l’Ak-Baïtal[7]. Ce col, un des plus élevés des Pamirs, sépare les bassins des deux grands lacs, le Kara-Koul que nous venons de quitter et le Roung-Koul vers lequel nous marchons. Véritable brèche taillée comme par le pic de quelque géant, il s’ouvre à travers une roche cristalline aux tons d’améthyste dont la coloration très douce est un charme pour les yeux.

Comme je descends rapidement à pied, j’entends derrière moi de bruyantes exclamations que je soupçonne être des jurons : c’est Iskandar, furieux contre lui-même d’avoir lâché mon cheval, lequel dévale vers la caravane déjà dans la plaine. L’animal heureusement s’arrête de lui-même pour boire à un petit ruisseau qui coule sur un lit de cailloux très large et uniforme : c’est l’Ak-Baïtal que nous suivrons jusqu’à l’Ak-Sou. À droite et à gauche de cette plaine caillouteuse, des pyramides nues s’enchevêtrent, semblant danser une ronde infernale, et nombreux sont les « villages » de sougours réunis par des sentiers battus où nous assistons à la course effrayée des habitants… Une route insipide nous conduit pour bivouaquer au pied d’une immense pyramide appelée dans le pays Korneï-Tartik[8]. Notre caravanbasch prétend que jadis, lorsqu’un Khan revenait victorieux de la guerre, un héraut d’armes montait là-haut, sur le sommet pointu, pour annoncer à son de trompe le retour du vainqueur
ON DÉJEUNE À L’OMBRE D’UN ÉNORME BLOC ERRATIQUE.

ENSELME ET ZABIEHA AU COL D’AK-BATTAL (4 540 MÈTRES).
aux nomades de la montagne. Le coin est frais[9], un clair ruisseau y fait entendre sa chanson, mais le bois manque et comme chaque jour, nos hommes doivent aller chercher des racines sur les pentes proches du camp.

La soirée est malheureusement troublée par le brusque départ de Torta-Sin qui, après une discussion assez violente avec les caravaniers, prend son fusil, siffle son chien et s’enfonce dans la nuit.

Nous continuons le lendemain, par temps calme, à cheminer dans des gorges de plus en plus désolées. Le long ruban de route qui se déroule à perte de vue nous décourage par sa monotonie. Bêtes et gens, anéantis par la chaleur, s’en vont la tête basse à travers cette solitude uniformément grise… et l’on marche ainsi pendant des heures jusqu’au mazar de Sari-Mollah. La caravane abandonne alors le chemin du Pamirski-Post, et franchissant le ruisseau d’Ak-Baïtal, elle s’oriente à l’est pour aller vers le Roung-Koul.

C’est là que nous établissons le campement, à l’extrémité sud-ouest du lac. L’eau est potable. Mais le vent souffle en tempête dans cet endroit très découvert, et les tentes que nous montons avec les plus grandes difficultés se déchirent sous l’effort de la rafale.

À notre droite s’élève une montagne dentelée qu’on appelle la « Pierre-lampe » — Tchirag-Tasch — parce que chaque nuit on voit briller une lumière à son sommet. Cette pierre est célèbre dans tout le Ferghana et la jolie légende de sa lueur mystérieuse m’a été racontée par plusieurs officiers russes. Du point où nous sommes la petite flamme vivante ne se voit pas, mais un des caravaniers, le grand Rouzi, affirme que de l’endroit où nous camperons demain, on ne peut manquer de l’apercevoir. Je m’endors, malgré le vent et la poussière, en repassant dans mon esprit tous les détails entendus de cette merveilleuse histoire et je rêve de grotte lumineuse et de trésors cachés. Mon imagination me fait même découvrir Aladin réfugié au sommet du Tchirag-Tasch avec sa lampe célèbre, et roi des Pamirs, adoré par les Kirghizes…

Au matin, les montagnes sont roses entre le ciel et le lac bleu foncé. Nous marchons vers la légende, Le fameux rocher se dresse devant nous. « Voyez, Saheb ! » me dit Rouzi. Et j’aperçois au fond d’un trou noir, une sorte de triangle lumineux qui paraît être la projection d’un rayon de soleil filtrant à travers quelque fissure invisible. La nuit, la clarté de la lune doit produire les mêmes effets et la présence inexplicable de la petite flamme, presque toujours scintillante, suffit à rendre sacrée cette pierre immobile dans la plaine déserte.

Nous campons un kilomètre plus loin, sur une dune peu élevée au bord du lac. Derrière nous les montagnes déchiquetées entrevues la veille. Je vais avec Enselme visiter deux profondes cavernes, dont l’une est certainement habitée pendant l’hiver : dans la
LE CHARGEMENT DES BAGAGES AT DÉPART DE KORNEÏ-TARTIK
voûte, ouvre une cheminée assez large avec des couloirs horizontaux formant comme des étages. Pendant ce temps, Zabieha est allé voir si l’on pourrait se procurer une yourte et quelques moutons chez des Kirghizes qui sont, paraît-il, installés à huit verstes d’ici.

Notre compagnon revient vers la fin de la journée et nous annonce qu’il a réussi dans son ambassade. Le Cazi — ou juge — de la tribu se présente peu après suivi d’un aide de camp : c’est un fort aimable seigneur, aux manières distinguées et à l’air intelligent, avec lequel nous avons plaisir à causer en attendant la yourte promise.

Dans la clarté magique du couchant, à l’heure exquise où le soleil qui va s’éteindre met sur la montagne toute proche comme des lueurs de brasier, elle arrive enfin portée par deux superbes chameaux gris de fer. Le vent s’est levé comme hier soir, il agite déjà nos tentes et, sous la toile qui frémit, nous nous réjouissons à la pensée de dormir dans cette yourte robuste au toit de feutre.

14 juillet. — J’entends au réveil les premiers pétards de la fête nationale ! C’est Zabieha et Enselme qui sont allés chasser les oies. Le Cazi désire nous rendre notre politesse et veut nous emmener déjeuner à son camp. Mais au moment du départ, on s’aperçoit de la disparition du cheval de Zabieha, ainsi que de celle du jeune Ahmed. La bête se sera sans doute éloignée pendant la nuit et l’homme est à sa recherche. Force nous est donc de laisser repartir seul le seigneur du Roung-Koul qui, fort aimablement, nous prêtera sa yourte et ses chameaux jusqu’au Pamirski-Post.

Et nous voici au crépuscule, transportés au Japon : coucher de soleil dans un ciel jaune citron où courent de légers nuages noirs avec la découpure sombre des montagnes en papier de soie. C’est une véritable aquarelle de kakemono aux teintes d’une délicatesse infinie…

Les nombreux essais de pêche tentés dans le Roung-Koul ont été aussi infructueux que dans le Kara-Koul ; pourtant l’eau du lac est ici moins salée, et j’ai pu recueillir quelques crevettes microscopiques ainsi que de petits coquillages.

Nos caravaniers sont très agités par la perte de leur cheval ; Rouzi ne parle de rien moins que de retourner à Osch. La tempête qui souffle, pas plus que mes observations, ne parvient à les retenir. Il faut d’ailleurs qu’ils ramènent également nos autres chevaux, qui ont profité de leur liberté trop grande de la nuit pour s’éloigner du camp. Le caravanbasch et Rouzi se mettent donc en campagne. Nous commençons à penser — Iskandar est de cet avis — que le jeune Ahmed pourrait bien avoir pris la clef… du désert en enfourchant l’échine de notre meilleur coursier.

Un honnête Kirghize nous ramène bientôt les bêtes vagabondes : elles avaient repris en file indienne la route d’Ak-Baïtal et, dégoûtées du Pamir, se dirigeaient résolument vers Osch. C’est raté pour cette fois, et l’air penaud, la tête basse, elles se laissent attacher
LE DJICHITE ENVOYÉ PAR LE COMMANDANT DU PAMIRSKI-POST.

NOTRE CAMPEMENT SUR LES BORDS DU ROUNG-KOUL.
selon la mode kirghize, deux par deux et côte à côte, le nez de l’une touchant la croupe de l’autre. Mais Ahmed et son cheval manquent toujours à l’appel.

Pendant le déjeuner, Rouzi revient furieux. Il n’a rien trouvé. Nos soupçons se précisent. Nous ne pouvons pourtant pas demeurer plus longtemps sur cette plage inhospitalière et je décide les caravaniers à plier bagage. Comme j’allais donner le signal du départ, un coup de vent s’abat sur la yourte qui s’écroule en un fracas épouvantable. Il ne faut plus songer à l’emporter et nous voilà sans abri, réduits encore pour ce soir à la frêle maison de toile.

Marche fatigante : nous sommes constamment courbés en deux sur le col de nos bêtes pour faire face à la tempête et tâcher d’éviter le sable qui nous aveugle. Les chevaux sont eux-mêmes jetés de côté à tout instant, et doivent s’arc-bouter des quatre membres pour ne pas tomber. C’est ainsi que, luttant contre la tourmente, notre petite caravane passe pour la seconde fois devant la Pierre-lampe, puis devant le cimetière de Sari-Mollah et retrouve dans la vallée le chemin du Pamirski-Post. Zabieha, qui était parti en éclaireur, accourt vers nous à fond de train en faisant des moulinets avec son fusil. Il a découvert des yourtes et nous en a fait préparer une. La plaine cachait en effet un campement kirghize : c’est Moukour-Tchetchak-Tchi où nous sommes reçus le plus cordialement du monde. On nous aide à descendre de cheval, on allume le feu, chacun s’empresse à nous servir. Un grand Kirghize blond, à figure diabolique, anime la flamme à l’aide d’un soufflet en peau de bouc dont l’extrémité imite à s’y méprendre le bec d’un canard, et les racines crépitent bientôt sous les coins-coins étouffés de l’original instrument.

Notre arrivée a mis toute la tribu, bêtes et gens, en mouvement : autour de nous, dans un désordre pittoresque, grouillent chevaux, chiens, yaks, qui fraternisent avec les enfants des nomades, Voici, vers le soir, la rentrée des troupeaux. D’abord, en masse bondissante, les cabris et les agneaux qu’on met à la corde, puis un instant après, venant d’une autre partie de la plaine, le troupeau des mères. Et c’est charmant, au milieu d’appels attendris et de bêlements répétés, de voir les brebis et les chèvres chercher leurs petits dans le tas des bêtes moutonneuses et les caresser, heureuses de les retrouver après une journée de séparation. Les femmes kirghizes arrivent alors avec de grands seaux et s’installent pour traire les chèvres, tandis que les enfants confondus avec les bêtes, mêlent leurs cris joyeux aux bêlements que l’écho répercute à l’infini. L’ancien de la tribu, figure majestueuse à longue barbe grise, préside à cette cérémonie comme un patriarche des anciens âges. Mais le soleil se couche derrière les montagnes dentelées. C’est l’heure de la prière. Le vieillard étend la main. Tout bruit cesse. Le visage paisible et souriant de l’ancêtre s’est fait grave et attentif. Il devient à cette minute recueillie le prêtre de la tribu, et lançant dans le calme du soir la chanson
LES KIRGHIZES DE MOUKOUR-TCHETCHAK-TCHI, AUTOUR DE NOTRE CUISINE EN PLEIN VENT.
sacrée de l’Islam, il appelle tous ses enfants au Namaz-gar[10].

Le lendemain, dès l’aube, arrive un courrier bizarrement accoutré, porteur d’une lettre de l’officier commandant le poste du Pamir. Celui-ci nous demande nos papiers, sinon nous ne passerons pas la frontière chinoise. Il faut s’incliner devant cet ordre et je remets le laisser-passer du colonel Alexeieff au djighite[11] qui repart aussitôt.

En route, nous sommes rejoints par un cavalier kirghize. Quel n’est pas notre étonnement de reconnaître Torta-Sin, notre chasseur du Kara-Koul, qui nous avait abandonnés depuis quatre jours. Zabieha lui paye les journées passées avec nous et bon voyage !

On traverse la rivière Pchart, au lit très large et très caillouteux actuellement desséché. Peu après le sentier bifurque. Une piste à peine visible conduit à l’ancien poste ; l’autre, celle que nous suivons, incline à droite et passe au pied d’un rocher à pic surmonté d’un mazar. Sitôt le rocher contourné, j’aperçois au pied d’une assez haute montagne des toits qui brillent au soleil. C’est le Pamirski-Post[12]. Nous rejoignons alors l’Ak-Sou bordé de prairies vertes qui poussent sur un sol blanc de salpêtre et, tout en suivant la rive droite du torrent, nous parvenons à quelques centaines de mètres du poste.

À cet instant, je vois deux cavaliers passer la porte et venir à notre rencontre. Le premier est le commandant militaire, l’autre un interprète kirghize. Le capitaine nous fait le meilleur accueil, mais la conversation est fort difficile, car son cheval, qui n’est pas sorti depuis longtemps, ne peut tenir en place. On met pied à terre ; notre hôte nous fait entrer dans des chambres propres et confortables dont les miroirs montrent à nos yeux ébahis des figures de sauvages, au nez pelé, à la barbe en broussaille, aux joues couleur de brique… Par bonheur, on ne nous demandera pas d’endosser l’habit, ni d’arborer la cravate blanche. Les rudes hommes aux larges épaules qui acceptent de vivre dans cet exil n’ont rien qui rappelle l’officier de parade.

Nous sommes présentés, à l’heure du repas, à l’épouse du capitaine : c’est la treizième femme qui soit venue habiter au Pamir. La douzième y est morte l’année dernière d’une maladie de cœur, mais notre charmante hôtesse ne paraît pas superstitieuse…

La soirée se prolonge gaiement jusque fort avant dans la nuit. On fête notre venue par des récits de chasse, des légendes kirghizes et des chansons cosaques au rythme étrange et doux qu’accompagne en sourdine la plainte grêle d’une balalaïka[13].

18 juillet. — Les réjouissances continuent. On nous fait visiter le poste dans tous ses détails. Puis c’est, durant une longue journée, l’histoire de la vie rude et monotone des habitants de cette demeure inhospitalière, vrai nid d’aigle battu par les bouranes, où le froid intense des nuits d’hiver glace le corps et annihile les cerveaux. Il faut, pour supporter cette existence, le tempérament spécial de ces géants du nord dont on doit sans réserve admirer la stoïque endurance.

Le lendemain matin, sur le seuil du poste, je trouve Iskandar qui a sa figure des mauvais jours. Nous devons nous remettre en route et les hommes, paraît-il, refusent de pousser plus loin. À partir du Pamirski-Post c’est en effet pour eux l’inconnu, car les caravanes ne dépassent jamais Chah-Djan[14]. Avant de parler aux caravaniers, je vais trouver le capitaine Busch et lui demande s’il ne pourrait pas nous fournir un guide jusqu’à la frontière chinoise. Il y consent de la meilleure grâce et je vais parlementer alors avec nos Sartes ; mais les pourparlers sont interminables. Pourtant, après leur avoir donné l’assurance que la route n’est pas trop mauvaise pour les chevaux et que nous serons guidés par un Kirghize qui connaît les passes, après leur avoir rappelé en outre qu’ils ont pris l’engagement formel de m’accompagner jusqu’au bout et qu’il pourrait leur en coûter de ne pas me suivre, j’obtiens enfin la promesse qu’ils ne chercheront pas à revenir en arrière.

Nous quittons le poste en compagnie des deux capitaines et de Mme Busch qui, pour la circonstance, s’est costumée en cosaque d’Orenbourg. Six ou sept verstes après Chah-Djan, on passe devant le cimetière russe, devant l’ancien poste, maintenant démoli, et l’on arrive un peu plus loin aux yourtes du Volosnoïe[15], où les Kirghizes nous font fête.

La yourte sous laquelle nous déjeunons est intérieurement couverte de tapis et d’étoffes aux brillantes couleurs. Tout autour, le long de la paroi sont rangés d’énormes coffres rouges et verts qui renferment, à n’en pas douter, les richesses de la famille. On nous présente notre guide, un homme à l’aspect déjà vénérable mais de figure énergique. Son nom est Rahim-Berdi[16] et il porte sur la poitrine deux larges médailles russes.

Après déjeuner, je photographie le groupe des convives ; on se donne l’accolade et notre caravane se met en route au milieu des hourras.

Bientôt les yourtes n’apparaissent plus que comme de grands oiseaux blancs dans le vert des prairies ; le désert recommence triste et désolé. Autour de nous les montagnes dressent des cimes brunes, des dômes cyclopéens à l’aspect un peu fantastique avec leurs formes torturées et architecturales. Ici de vieilles tours démantelées, là d’étranges dragons, plus loin un escalier monumental gardé par des sphinx… On dirait les
LE VOLOSNOÏE DE CHAH-DJAN, SA FEMME ET NOTRE GUIDE RAHIM-BERDI.
ruines d’une ville immense construite pour un peuple de géants.

Le soir venu, nous campons au pied de grands rochers qui se découpent en silhouette sur le ciel où commencent à s’allumer les étoiles. Au sud, de superbes glaciers encore visibles ; au nord, des nuages d’un noir intense sillonnés de longs éclairs bleuâtres.

Le 19, nous sommes en vue de la frontière chinoise entièrement couverte de neige fraîche et longeant toujours l’Ak-Sou, nous atteignons vers midi un point de la rivière appelé Bak-Choldi. Coin très herbeux où nous montons la yourte. Nouvelles tentatives de pêche, cette fois couronnées de succès. Je ramène au bout de ma ligne quelques poissons de grosseur raisonnable ; ouverts, ils montrent un intérieur noir peu engageant. « Poison ! » dit laconiquement le guide[17].

Notre caravane chemine encore le lendemain au milieu d’une plaine assez large que bordent de hautes falaises affreusement dénudées.

Cependant, de loin en loin, le sentier revient vers l’Ak-Sou qu’il côtoie, et traverse alors de fraîches prairies émaillées de petites fleurs violettes. Après 15 kilomètres environ, c’est, à l’embouchure de la rivière Istik, un robat ou refuge kirghize à moitié démoli. La vallée, à partir de là, se resserre et le sentier pénètre dans une gorge rocheuse : au-dessous de nous, à 30 mètres, coule la rivière où nagent des oies. Zabieha fait un essai de tir plongeant, mais les oies se sont levées hors de portée… Après cette gorge la vallée s’épanouit, large et gazonnée. On dresse la yourte à 3 810 mètres d’altitude, au confluent du Dong-Keldik et de l’Ak-Sou, à l’abri d’une haute terrasse. L’énorme pain de sucre qui a nom Ak-Tasch ou Pierre blanche est encore loin et pourtant nous l’apercevons depuis deux jours.

Dans la journée, je prends un poisson bizarre qui tient à la fois de la truite et du barbeau. Iskandar, sous la surveillance de Zabieha, enlève avec soin la matière noire qui constitue le poison, après quoi il nous le sert à la maître d’hôtel… et de l’avis de tous notre barbeau est trouvé excellent.

Nous avons hâte maintenant d’atteindre la frontière chinoise et nous sommes en route de bonne heure par temps couvert et brise fraîche. Le sol de la vallée est un vrai marécage où nos chevaux pataugent, s’enlizent et n’avancent guère, malgré les cris répétés des caravaniers. Nous voici tout à coup devant un curieux cimetière dont les coupoles toutes blanches mettent une note gaie dans le gris du paysage. C’est — dit Rahim — le Mazar Goudan, dominé au loin par le dôme cyclopéen d’Ak-Tasch, blanc lui aussi de neige fraîche… Nous passons la rivière qui descend du col de Naïza-Tasch (Pierre-baïonnette). Le paysage est sinistre. Nous sommes ici dans un carrefour, assez redouté des caravanes, où notre route coupe une piste fréquentée par les pillards afghans qui du Wakan se rendent en Chine. Cette piste débouche de l’Afghanistan par une brèche profonde — appelée Aïk-Vouli — que l’on voit à droite et pénètre sur le territoire chinois par le col rocheux de la « Pierre-baïonnette » qui s’ouvre à notre gauche.

Au pied du mur à pic de l’Ak-Tasch, de nombreuses sources se réunissent et forment un gracieux petit lac entouré de prairies : c’est l’Aschdahar-Koul ou lac du Serpent. Rahim-Berdi nous raconte qu’autrefois un énorme dragon vivait dans ses eaux, qui dévorait tous les voyageurs ; mais le prophète Ali, voyant diminuer le nombre de ses fidèies, daigna se déranger et vint un jour tuer de sa propre main cette féroce tarasque des Pamirs.

L’aspect change, nous cheminons maintenant à travers un vaste cirque[18] que bordent à l’est les glaciers du Tagdoumbasch. Après avoir passé une rivière assez grosse, notre caravane se déploie dans un vallon verdoyant où, de tous côtés, s’élèvent des yourtes blanches et où paissent de nombreux troupeaux. Derrière les yourtes, à mi-coteau, on aperçoit le mazar pâle d’Ak-Beït (3 870 mètres d’altitude).

Nous sommes reçus à notre arrivée par le chef du village et par tous les jeunes Kirghizes à cheval qui se livrent, en notre honneur, à une fantasia échevelée. C’est la tamascha ou Fête de la chèvre.

Ce jeu qui semble d’une sauvagerie cruelle à notre sensibilité européenne a une telle puissance de nouveauté et de couleur locale qu’on arrive très vite à y prendre un goût passionné et à oublier qu’un animal vivant en est la cause et la victime.

Une foule tumultueuse, composée surtout de femmes et de vieillards, se presse autour des cavaliers qui se mesurent du regard avant l’entrée en lutte. Les admirables bêtes qu’ils montent, entraînées à ce sport spécial, ont les oreilles dressées et frémissent d’impatience. On amène une jeune chèvre dont les cornes ne sont pas encore poussées — les cornes seraient en effet de prise trop facile — et le jeu consiste à empoigner la bête en passant au galop de charge à côté d’elle. C’est le début. Se retenant d’une main au pommeau et penché jusqu’à raser le sol, le Kirghize réussit à saisir la chèvre. D’un brusque mouvement il se relève avec sa proie qu’il étreint entre sa jambe et la selle et le voici, lancé à fond de train dans la plaine, allant, revenant, faisant nulle crochets, mille détours pour échapper aux autres joueurs qui le poursuivent et cherchent à lui arracher la malheureuse bête. Ce premier vainqueur, excité par les cris et les encouragements de la foule, défend son bien avec furie. La chèvre, réduite au bout d’une demi-heure à l’état de loque informe, est cent fois prise et reprise, jetée à terre, enlevée à bout de bras, arrachée brutalement.

Dès qu’un des coureurs s’est emparé de la bête, il est déclaré vainqueur, abandonne la poursuite et vient recevoir sa récompense de nos mains : c’est une bague,
GROUPE DEVANT LA YOURTE DU VOLOSNOÏE DE CHAH-DJAN.

LA TAMASCHA DE LA CHÈVRE CHEZ LES KIRGHIZES D’AK-BEÏT.
une paire de boucles d’oreilles, un mouchoir, une pièce d’argent. Et lorsqu’après beaucoup de courses folles et de chutes, les hommes et les chevaux sont à bout de souffle, le jeu prend fin et les cavaliers regagnent leurs yourtes aux applaudissements de l’assistance.

22 juillet. — Les caravaniers font une nouvelle tentative, d’alleurs infructueuse, de nous abandonner là pour retourner en arrière ; mais sentant l’inutilité de leurs efforts ils se résignent en maugréant, et nous partons à sept heures du matin accompagnés par le chef du village.

Aujourd’hui nous quittons l’Ak-Sou et, nous dirigeant vers le col du Beïk, nous escaladons une série de terrasses surplombées par le cône rocheux de l’Aou-Tasch. Les montées sont raides. À chaque minute nos braves petits chevaux s’arrêtent pour souffler, puis ils repartent courageusement et finissent par grimper très vite cet escalier gigantesque. En nous retournant, nous apercevons dans le lointain une construction toute blanche : c’est le poste russe de Kizil-Robat où quelques cosaques montent la garde aux portes de l’Afghanistan.

Nous sommes à présent sur le dernier gradin, en vue d’une large vallée dans laquelle nous allons croiser, tous les 5 ou 6 kilomètres, des groupes de yourtes hospitalières. Partout la vie familiale et paisible ; au bord du sentier et dans les fonds, des troupeaux de yaks, de moutons et de chèvres que surveillent de petits bergers en guenilles.

Peu à peu, à mesure qu’on avance, le paysage se fait plus sévère. Toute trace de vie disparaît, les montagnes prennent une teinte de plus en plus sombre et, vers le soir, leurs parois qui nous dominent se rapprochent en une étroite brèche, où il semble qu’on ne pourra jamais pénétrer.

Nos tentes sont dressées à l’entrée même de cette gorge sinistre. C’est ici notre dernière soirée dans les solitudes pamiriennes… Nous campons au pied du col du Beïk qui nous sépare de la Chine et demain nous sortirons de l’« Enfer » pour entrer dans le Céleste Empire.

  1. Les cornes sont en effet fortement usées sur la partie qui touchait le sol quand l’animal cherchait sa nourriture.
  2. Lac noir.
  3. Les refuges du Pamir ont été construits en 1898. Il y en a 8 entre Osch et le Pamirski-Post distants l’un de l’autre de 40 verstes en moyenne.
  4. Simples tas de cailloux.
  5. Lac de glace.
  6. Lac coloré.
  7. 4 540 mètres d’altitude.
  8. Appel de trompe.
  9. 4 190 mètres d’altitude.
  10. Prière du soir.
  11. Les Djighites sont des cavaliers kirghizes, à la solde de la Russie, qui font le service de la poste à travers le Pamir.
  12. Le point où est établi le Pamirski-Post est appelé par les gens du pays Chah-Djan ou Mourgab. Altitude 3 700 mètres.
  13. Sorte de mandoline.
  14. Une seule, en juillet, vient d’Osch approvisionner chaque année le poste et elle s’en retourne, bien entendu, par le même chemin.
  15. Mot russe qui signifie : chef de district.
  16. Dieudonné.
  17. Nous étions déjà prévenus depuis Osch de cette dangereuse propriété des poissons du Pamir.
  18. Dans ce cirque débouchent trois cols-frontière qui sont, en commençant par le nord, Kara-Koul, Khan-Youli et Beïk.