Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CXCVI. Pour le jour de Noël. XII. Pour qui l’Incarnation

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXCVI. POUR LE JOUR DE NOEL. XIII. POUR QUI L’INCARNATION ?

ANALYSE. – La génération du Fils de Dieu dans le sein de son Père est ineffable ; sa naissance du sein de sa mère n’est-elle pas merveilleuse aussi ? Pour qui est-il né ? Pour tous les genres de vie qui sont dans l’Église, pour les vierges, les époux et les veufs. C’est donc pour nous et pour nous tous qu’il s’est tant abaissé et qu’il a tant souffert ! Abus censuré à propos des à propos des calendes de janvier.

1. Voici pour nous la fête de la naissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; ce jour natal est celui où est né le Jour même, et s’il l’a choisi, c’est par ce qu’à dater d’aujourd’hui le jour commence à grandir. Notre-Seigneur Jésus-Christ a deux naissances : l’une est divine, l’autre humaine, et toutes deux admirables ; dans l’une il n’a point de femme pour Mère, et dans l’autre point d’homme pour Père. Aussi peut-on appliquer à ces deux naissances le cri du saint Prophète haïe : « Qui racontera sa génération[1] ? » Eh ! qui pourrait expliquer convenablement comment un Dieu engendre, comment enfante une Vierge ? La génération divine est en dehors de tout jour, l’enfantement virginal est à un jour déterminé ; ruais ces actes tous deux merveilleux surpassent tous deux les conceptions de l’homme. Écoutez ; voici la première génération : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[2] ». Le Verbe de qui ? Du Père. Quel est ce Verbe ? Le Fils. Le Père n’a jamais été sans son Fils ; et le Père néanmoins a engendré son Fils. Il l’a engendré ; et pourtant le Fils n’a pas commencé. Comment aurait-il commencé, puisque jamais il n’y a eu de commencement à sa génération ? Toutefois, je le répète, il est réellement son Fils et engendré réellement. Comment, dira-t-on, a-t-il été engendré, s’il n’a pas eu de commencement ? S’il est engendré, il a sûrement commencé ; s’il n’avait pas commencé, pourrait-il être engendré ? – Comment ? Je l’ignore. Est-ce à un homme que tu oses demander comment un Dieu a été engendré ? Ta question m’embarrasse ; néanmoins j’en appellerai au Prophète : « Qui racontera, dit-il, sa génération ? » Viens considérer avec moi cette génération humaine, cette génération où il s’est anéanti en prenant une nature d’esclave : pourrons-nous au moins la comprendre ? nous sera-t-il possible d’en dire au moins quelque chose ? Eh ! qui serait capable de comprendre ceci : « Il avait la nature de Dieu, et il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ? » Oui, qui peut comprendre cela ? Qui peut s’en faire une juste idée ? Quelle intelligence oserait sonder cet abîme ? Quelle langue aurait la hardiesse d’en parler ? Quel esprit assez fort pour concevoir ce mystère ? Mais laissons-le pour le moment ; il est trop au-dessus de nos forces. Afin de s’abaisser jusqu’à nous, « il s’est anéanti en prenant une nature d’esclave, en se faisant semblable aux hommes[3] ». Où l’a-t-il prise ? Dans le sein de la Vierge Marie. Parlons donc de cet événement. Mais pourrons-nous ? Un ange l’annonce ; la Vierge l’écoute, y croit et conçoit. Elle a la foi dans le cœur, et le Christ est dans son sein. Vierge, elle conçoit : qui ne serait étonné ? Vierge, elle enfante, étonnez-vous davantage ; après avoir enfanté elle demeure Vierge, qui raconterait cette génération ?

2. Voici qui vous fera plaisir, mes bien-aimés. Il y a dans l’Église trois genres de vie pour les membres du Christ : la vie conjugale, la vie de veufs et la vie des vierges. Or, comme ces vies devaient être, dans toute leur pureté, les vies des membres saints du Christ, toutes ont été appelées à lui rendre témoignage. La première de ces vies est la vie conjugale. Quand Marie conçut en demeurant Vierge, Élisabeth, épouse de Zacharie, avait déjà conçu et elle portait dans ses entrailles le héraut du grand Juge. Sainte Marie alla vers elle, comme pour rendre ses hommages à une parente, et l’enfant que portait Élisabeth tressaillit dans son sein. L’enfant tressaillit, mais la mère prophétisa : n’est-ce pas le témoignage de la pureté conjugale ? Et le témoignage des veuves ? Voici Anne. Vous venez de l’entendre encore pendant la lecture de l’Évangile : c’était une sainte prophétesse âgée de quatre-vingt-quatre ans, qui en avait passé sept avec son mari, et qui depuis son veuvage était souvent au temple, servait Dieu en le priant nuit et jour. Elle aussi reconnut le Christ. Dans ce petit enfant elle vit une grandeur toute divine et elle lui rendit témoignage. Voilà pour les veuves. Quant aux vierges, elles sont représentées par Marie[4]. À chacun de choisir entre ces trois vies ; vouloir être en dehors de toutes, c’est ne pas vouloir compter parmi les membres du : Christ. Que les épouses ne disent donc pas : Nous sommes pour le Christ des étrangères ; de saintes femmes ont été mariées. Que de leur côté les vierges prennent garde de s’enorgueillir. Plus elles sont grandes, plus elles doivent s’abaisser en toutes choses[5]. Il n’est pas de saints exemples qui ne nous aient été mis sous les yeux. Que nul ne s’égare loin de la voie ; que nul n’aille à d’autre qu’à son épouse. Il est préférable de n’en pas avoir ; mais si on veut des modèles de chasteté conjugale, en voici dans Susanne ; de pureté dans le veuvage, voici Anne ; de sainteté virginale, voici Marie.

3. C’est pour nous qu’a voulu se faire homme le Seigneur Jésus. Ne dédaignons point sa miséricorde ; c’est la Sagesse étendue sur la terre. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». O Pain divin et aliment des Anges ! c’est vous que mangent les Anges, de vous qu’ils se rassasient sans dégoût, de vous qu’ils vivent, en vous qu’ils puisent la sagesse et la félicité. Ah ! où êtes-vous descendu à cause de moi ? Dans une étroite hôtellerie ; sur des langes, dans une crèche ; et pour qui ? Oui, Celui qui dirige les astres prend le sein d’une femme ; Celui qui nourrit les Anges et qui parle dans le sein de son Père, garde le silence sur le sein de sa Mère. Mais il parlera quand sera venu l’âge convenable ; pour nous alors il publiera tout l’Évangile. Il souffrira pour nous, pour nous il mourra, et afin de montrer en lui quelle sera notre biture récompense, il ressuscitera, montera au ciel sous les yeux de ses disciples et en reviendra pour juger l’univers. Ainsi donc en s’abaissant dans une crèche il n’a rien perdu de lui-même ; il a pris ce qu’il n’était pas, tout en demeurant ce qu’il était. Nous l’avons, ce divin Enfant, croisons avec lui.

4. Que votre charité veuille bien se contenter de cela. La solennité ayant amené ici une nombreuse assistance, je dois faire uns observation.

Les calendes de Janvier vont arriver ; vous êtes tous chrétiens ; oui, par la grâce de Dieu, la ville est chrétienne. Il y a pourtant dans cette ville des Juifs mêlés aux chrétiens. Ah ! qu’on ne fasse rien de ce qui déplaît à Dieu : il est des divertissements où se commet l’iniquité, des jeux où se pratique l’injustice. Gardez-vous d’appeler la vengeance des juges, pour ne tomber pas entre les mains du Juge suprême. Vous êtes chrétiens, vous êtes membres du Christ. Réfléchissez à votre dignité, songez au prix qui a été donné pour vous acheter. Mais que faites-vous donc ? Je m’adresse aux seuls coupables. Vous à qui déplaît cette conduite, ne vous offensez pas ; je parle qu’à ceux qui se livrent et qui se plaît à ces désordres. Voulez-vous savoir enfin ce que vous faites et de quelle douleur vous nous pénétrez ? Vous imitez les Juifs. N’est-ce assez pour vous porter à rougir et à ne plus recommencer ?

Le jour de la nativité de saint Jean, il y a six mois, car le héraut précède le Juge de tout ce temps, des chrétiens vinrent se laver dans la mer, conformément à un usage superstitieux des païens. Je n’étais pas ici ; mais, m’a-t-il dit, quelques prêtres, zélés pour la discipline chrétienne, imposèrent à quelques-uns de ces coupables une pénitence convenable et canonique. On en murmura, et plusieurs s’écrièrent : En coûtait-il tant de nous prévenir ? Si nous avions été avertis d’avance, nous n’aurions pas agi ainsi. Que ces prêtres eux-mêmes ne nous prévenaient-ils ? Nous n’aurions pas fait cela. Eh bien ! votre évêque aujourd’hui vous prévient ; je vous avertis, je le fais hautement, je le fais clairement. Qu’on se rende donc à l’évêque quand il commande, à l’évêque quand il prévient, à l’évêque quand il supplie, à l’évêque quand il adjure ; oui, au nom de Celui qui est né aujourd’hui, je vous adjure, je vous y oblige, ne continuez pas. Ainsi je me décharge ; mais il vaut mieux que vous écoutiez mes avertissements que de sentir le poids de ma douleur.

  1. Isa. 53, 8.
  2. Jn. 1, 1.
  3. Phi. 2, 6, 7.
  4. Luc. 1, 11.
  5. Sir. 3, 20.