Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CXCV. Pour le jour de Noël. XII. Les titres du Sauveur

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXCV. POUR LE JOUR DE NOEL. XII. LES TITRES DU SAUVEUR.

ANALYSE. – Celui dont nous honorons aujourd’hui la naissance est à la fois le Fils de Dieu et le Fils de Marie, l’Époux de l’Église et le Sauveur des hommes, en faveur de qui il sait user de douceur et de force, de sévérité et de bonté.

1. Celui qui est à la fois Fils de Dieu et fils de l’homme, Jésus-Christ Notre-Seigneur, comme Fils de Dieu n’a point de Mère et il a créé tous les jours ; comme fils de l’homme il n’a point de Père et il a consacré ce jour. Invisible par sa naissance divine, rendu visible par sa naissance humaine, il est admirable dans l’une et dans l’autre. Quand donc un prophète disait de lui : « Qui racontera sa génération[1] ? » de laquelle parlait-il préférablement ? Il est difficile de décider si c’est de celle où par sa naissance éternelle il est coéternel au Père, ou bien de celle où, formé dans le temps, il avait auparavant créé sa Mère afin de naître d’elle ; si c’est de celle où il n’a jamais commencé puisqu’il a existé toujours. Eh ! qui pourrait expliquer comment la Lumière est née de la Lumière, en ne formant toutefois qu’une seule et même Lumière ; comment un Dieu est né d’un Dieu, sans faire néanmoins plusieurs dieux ; comment on présente cette naissance à titre de fait accompli, quand il a été impossible de distinguer en elle soit un temps passé qui la montre comme passée, soit un temps futur qui l’ait indiquée comme devant avoir lieu, soit un temps présent qui la désigne comme s’accomplissant, sans être accomplie encore ? Qui donc racontera cette génération, puisque l’acte à raconter subsiste au-dessus du temps, et que les paroles du récit passent avec le temps ? Quant à cette autre génération qui lui donne une Vierge pour Mère, qui la racontera encore, puisque sa conception dans la chair n’a pas eu lieu d’une manière charnelle, et puisqu’en naissant de la chair, il a rempli de lait le sein de sa nourrice, sans altérer l’intégrité de sa Mère. Qui donc racontera ces deux générations ou l’une d’elles ?

2. Ah ! voici le Seigneur notre Dieu ; voici le Médiateur de Dieu et des hommes, notre Sauveur fait homme. Fils du Père, il a créé sa Mère ; Fils de sa Mère, il a glorifié son Père ; comme Fils unique du Père, il n’a point de Mère, et comme Fils unique de sa Mère, il n’a point de Père parmi les hommes. Voici le plus beau des enfants des hommes[2], le Fils de sainte Marie, l’Époux de la sainte Église, qu’il a rendue semblable à sa Mère, puisqu’il nous l’a donnée pour être notre mère et puisqu’il lui conserve pour lui-même une pureté virginale. N’est-ce pas à elle que dit l’Apôtre : « Je vous ai parée, comme une vierge pure, pour vous présenter au Christ, votre unique Époux[3] ? » N’est-ce pas de cette mère qu’il dit encore qu’elle est, non pas la servante, mais la femme libre dont les enfants sont plus nombreux, malgré son délaissement, que les fils de celle qui a un époux[4] ? L’Église a donc, comme Marie, une virginité inaltérable et une inviolable fécondité. Ce que Marie a mérité de posséder dans sa chair, l’Église le conserve dans son âme seulement Marie n’a mis au monde qu’un Fils, l’Église en enfante une multitude entre lesquels sera établie l’unité par la grâce du Fils unique de Marie.

3. Ce jour est donc celui où est venu au monde le Créateur même du monde ; où il s’y est rendu corporellement présent, quoique par sa puissance il n’en ait jamais été absent, puisqu’il a toujours été dans ce monde, et qu’il y est descendu chez lui-même. Sans doute il était dans ce monde, mais il y était caché ; la Lumière luisait dans les ténèbres, sans que les ténèbres la comprissent[5]. Il y est venu avec un corps de chair, pour purifier les vices de la chair. Il y est venu avec un corps de terre, qui devait aider à guérir en nous les yeux du cœur, privés de lumière par notre corps de boue : ainsi, après notre guérison, nous deviendrions lumière dans le Seigneur, de ténèbres que nous étions[6] ; ainsi encore à Lumière ne luirait plus dan les ténèbres près d’hommes absents, elle se révélerait à des regards qui ne douteraient plus de la vérité. Tel est le but pour lequel l’Époux est sorti du lit nuptial, et le géant s’est élancé afin de fournir sa carrière[7] ; car le Fils de Marie est beau comme un époux et fort comme un géant ; il est à la fois aimable et terrible, doux et sévère, plein de charmes pour les bons, de rigueurs pour les méchants, demeurant dans le sein de son Père et remplissant celui de sa Mère. C’est dans ce sein de la Vierge, dans ce lit nuptial, que la nature divine s’est unie la nature humaine ; que pour nous le Verbe s’est fait chair afin de demeurer au milieu de nous après l’avoir quitté[8], et afin de nous précéder près de son Père pour nous y préparer une ; demeure. Aussi célébrons ce jour avec allégresse, avec solennité, et par la grâce de l’éternel qui pour nous est né dans le temps, aspirons avec une fidélité constante à contempler l’éternel jour.

  1. Isa. 53, 8
  2. Psa. 44, 3.
  3. 2Co. 11, 12.
  4. Gal. 4, 26, 27.
  5. Jn. 1, 10, 11, 5.
  6. Eph. 5, 8.
  7. Psa. 18, 6.
  8. Jn. 1, 14.