Augusta Holmès et la femme compositeur/19

Librairie Fischbacher (p. 82-84).


XIX

« Les Argonautes »


Les Argonautes, symphonie dramatique en quatre parties, s’inspirent de l’aventure de Jason, conduisant les Argonautes en Colchide, afin de conquérir la Toison d’or. Pour revenir victorieux, il devra subir diverses épreuves et résister aux séductions de l’Amour. C’est pourtant l’amour qui décide Médée à trahir son père et ses dieux en faveur de Jason, dont elle s’éprend subitement ; elle le met en possession du Trésor, espérant ainsi se faire aimer, mais l’ingrat ambitieux, insensible aux plus véhémentes supplications, repousse et abandonne la magicienne.

La partition colore ce sujet avec éclat et agrément. L’ensemble a du mouvement, de la vie ; l’entrée de Jason est fière, brillante ; sa phrase évoquant la Toison d’Or se déploie, non sans grandeur, sur un accompagnement bien gradué en de chatoyantes modulations.

La deuxième partie débute par un bon prélude symphonique, mieux alimenté, mieux étayé que d’habitude les intermèdes d’Holmès. On regrette d’y relever un écho affaibli de quelques pages de Wagner et de Reyer. Ce prélude dépeint le voyage en mer des Argonautes, hantés par la vision merveilleuse et stimulés par l’entraînant Jason. Le chœur des Sirènes qui, ensuite, s’efforcent d’amollir le courage des guerriers et de les détourner de leur projet, est séduisant ; son effet pouvait s’augmenter des interruptions indignées de Jason, rappelant ses compagnons à leur mission, et leur faisant honte de leurs tentations devant les caressants appels des Sirènes. Le contraste, heureux comme idée, n’est pas assez fortement indiqué ; les phrases du fils d’Eson, trop brèves, ne tranchent pas assez sur le caractère voluptueux du chœur ; elles ramènent néanmoins la troupe un moment ébranlée, et bientôt la terre promise apparaît ! Un chœur agréable célèbre l’arrivée triomphante des Argonautes.

La troisième partie se déroule dans le bois sacré, où les prêtresses d’Hécate se livrent, sous les yeux de Médée, à des danses magiques. Présentées d’abord en prélude, ces danses offrent un joli effet de rythme, d’une originalité qu’on aimerait à trouver plus souvent ; le chœur qui bientôt s’y mêle, répétant le dessin de l’orchestre, complète heureusement ce morceau. Mais Jason paraît et la passion soudaine de Médée provoque, dans la partition, des écarts de voix dont l’auteur abuse dès qu’elle veut traduire les sentiments violents de l’âme ; — sans doute ce procédé lui semble un symbole des écarts auxquels la passion entraîne ses victimes ! — Le duo entre Jason et la fille du roi de Colchide est terne ; quelques passages bien inspirés, puis des banalités, du vide, du remplissage, de médiocres commentaires à l’orchestre ; d’ailleurs, sauf le début, cette partie est la moins bonne de l’ouvrage. Avec la dernière, nous profitons d’un long récit de Jason, récit mouvementé et soutenu par un accompagnement varié et indépendant de la voix, particularité assez rare chez Holmès en général fervente de l’homophonie.

Les pathétiques supplications de Médée nous toucheraient plus qu’elles ne touchent celui qui en est l’objet, si elles ne s’entravaient pas dans toute une défroque de trémolos ; enfin l’œuvre s’achève par le retour du motif du début, caractérisant la Toison d’Or et glorifiant la splendeur du prestigieux métal.