Augusta Holmès et la femme compositeur/18

Librairie Fischbacher (p. 78-81).


XVIII

« Hymne à Apollon » — « Andromède[1] »


Encore deux poèmes symphoniques où l’auteur ne se montre pas heureusement inspirée. Les sujets grandioses sont rendus par boursouflures plus que par fermes reliefs. Cet « Apollon » de l’Hymne, — solo, chœurs et orchestre — c’est Phébus, dieu du jour et du soleil. Holmès clame sa splendeur, et son triomphe sur les haïssables ténèbres, au moyen d’un verbe chargé de r sonores comme tonnerre dans les gosiers des chanteurs ; les chants font cliqueter des armes de fer-blanc et s’agiter panaches et étendards multicolores ; les accompagnements roulent en surabondance des trémolos, ces r de la musique, et mettent en branle un assortiment complet d’effets imitatifs ou descriptifs. Certes, la musique descriptive se prête à d’intéressantes combinaisons symphoniques pour qui sait en tirer parti intelligemment en usant d’infinies ressources harmoniques. Exemples entre mille : Le mouvement onduleux et passionné à l’orchestre sur lequel Isolde déploie son écharpe pour donner à Tristan le signal du rendez-vous, et les lourdes basses, rythmant formidablement les pas des géants dans l’Or du Rhin ; mais réduire la foudre à un trémolo, le bruissement des flots à des arpèges ininterrompus, l’éclair à une fusée de notes hautes perchées, l’éblouissement d’un lever d’aurore à un patinage de gammes diatoniques ou le courroux d’une mer démontée à une ruée de chromatiques, est aussi enfantin et à côté de l’effet cherché que, dans une narration, des onomatopées telles que « brououm ! » « patapoumpoum ! » « houhouhou ! » employés par un narrateur mal inspiré en s’imaginant nous mieux représenter ainsi ce dont il nous entretient : tonnerre, tempête, rugissements.

De tant d’erreurs, il faut séparer les phrases du baryton, surtout la première ; un récitatif imité de Gluck, et le dernier morceau dépeignant le calme victorieux de la Lumière : Une voix et le chœur dialoguent dans un style entraînant et animé souvent rencontré chez Holmès.

La poésie d’Andromède ne manque ni d’intérêt, ni de flamme ; la musique la trahit un peu. Quantité d’accompagnements ont juste la valeur d’un exercice des cinq doigts, on trouve des répétitions, absolument insignifiantes en principe, poussées jusqu’à exaspérer l’auditeur également poursuivi par la recherche de « l’effet » qu’Holmès n’oublie presque jamais ! Son excuse c’est qu’elle était de la meilleure foi du monde et croyait ainsi porter au plus haut point l’expression dramatique, faire un tableau frappant des souffrances d’Andromède, décrire avec éclat l’arrivée libératrice de Persée, puis l’ivresse des amants et leur apothéose.

La conception, les plans sont bons, certaines phrases jaillissent vives et brillantes, le contrôle sur leur distinction manque toujours, ainsi que le tact et le jugement, qui pouvaient éviter des imperfections d’autant plus irritantes que supériorité de l’artiste qui s’en rendit coupable est incontestable.

Malgré des faiblesses inhérentes à sa nature et à ses procédés harmoniques, Holmès a donné des œuvres beaucoup moins imparfaites et infiniment plus intéressantes que celles dont il vient d’être question ; ce sont : Les Argonautes, Ludus pro Patria, Lutèce, et même d’assez importants fragments de sa peu triomphante Montagne Noire.

À côté de ces volumineux édifices, je signale une simple fleur, un lys, peut-être le seul parmi les coquelicots pourpres, les tubéreuses, les gros bleuets, les voyants tournesols, les lourds dahlias, dominant dans la gerbe d’Holmès : c’est un court prélude pour piano[2] intitulé : « Ce qu’on entendit dans la nuit de Noël », il s’inspire du texte suivant :

« Les bergers, s’étant éveillés, virent dans les cieux les anges se dirigeant vers Bethléem ;

« Les airs s’emplirent de leurs chants, puis ils s’éloignèrent…

« Alors les bergers ayant connu que le Seigneur était né, se rendormirent heureux… »

Une petite phrase naïve et gracieuse, d’un caractère pastoral, passe par des modulations délicieuses : c’est bien la nuit sacrée, pure et mystérieuse, des clochettes cristallines tintent doucement, des voix angéliques planent en un chant lointain… de grandes ailes lumineuses glissent sous la voûte sombre où leurs calmes battements avivent les étoiles… Les simples de la terre se prosternent inondés de joie, puis repris de sommeil, prolongent en rêve la miraculeuse réalité.

Pas d’arpèges ! pas « d’effet » ! pas de bruit!… Quel dommage qu’Holmès n’ait pas cultivé cette gracieuse plante…



  1. Ce poème symphonique est transcrit à quatre mains par Missa.
  2. « Ce qu’on entendit dans la nuit de Noël » prélude — piano seul – pour les Contes mystiques, poésie de Stephan Bordèse, édition Durand. C’est la seule pièce (avec une Polonaise… inutile) qu’Holmès ait écrite pour l’instrument si justement favori de nos grands compositeurs.