Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Géométrie analitique, article 3

GÉOMÉTRIE ANALITIQUE.

De la nature et des propriétés principales des sections planes
de toute surface conique du second ordre ;

Par M. Gergonne.
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Soit une droite rapportée à trois axes de direction arbitraire. Supposons que cette droite passe par l’origine des coordonnées, et prenons pour ses deux équations

(1)

Si et sont donnés, cette droite sera absolument déterminée de situation et unique dans l’espace. Si, au contraire, ces deux coefficiens sont, à la fois, indéterminés et indépendans, les équations ci-dessus pourront, suivant les valeurs qu’on voudra attribuer à et exprimer indistinctement toutes les droites qui peuvent être menées dans l’espace, par l’origine.

Mais et sans être déterminés ni indépendans, peuvent être liés par une relation, telle que

(2)

Alors, les équations (1) n’exprimeront plus ni une droite unique ni la totalité des droites qu’on peut mener dans l’espace par l’origine des coordonnées, mais seulement une certaine série de ces droites, c’est-à-dire, des droites se succédant sans interruption dans l’espace, et formant conséquemment, par leur ensemble, une surface conique ayant son sommet ou centre à l’origine. Voyons quelle est l’équation générale de cette surface.

En résolvant l’équation (2) par rapport à on en tirera une valeur de cette forme

qui, substituée dans la dernière des équations (1), les changera en celle-ci

(3)

qui exprimeront, par leur ensemble, l’intersection de deux plans variables, passant respectivement par les axes des et des laquelle intersection sera constamment une des génératrices de la surface conique dont il s’agit, quelque valeur d’ailleurs qu’on attribue à

Mais, lorsqu’une ligne est donnée par l’intersection de deux surfaces, toute combinaison qu’on voudra faire des équations de ces deux surfaces sera l’équation d’une troisième surface contenant cette même ligne ; donc, toute combinaison qu’on voudra faire des équations (3) sera l’équation d’une surface contenant la génératrice de la surface conique qui répond à toute valeur déterminée de

Donc, en particulier, l’équation résultant de l’élimination de entre les équations (3), sera l’équation d’une surface contenant, pour chaque valeur qu’on voudra donner à l’une des génératrices de la surface conique. Mais, cette équation, ne renfermant plus demeurera constamment la même, quelque valeur qu’on donne à ce paramètre variable ; donc, la surface qu’elle exprimera contiendra, à la fois, toutes les génératrices, et sera conséquemment l’équation même de la surface conique dont il s’agit.

La recherche de la surface conique, lieu de toutes les droites données par les équations (1) et (2), se réduit donc, comme l’on voit, à tirer de l’équation (2) la valeur de pour la porter dans la dernière des équations (1), et à éliminer ensuite entre la première de ces équations et l’équation résultante.

Mais ce calcul revient évidemment à éliminer et entre les équations (1) et (2), et doit nécessairement conduire au même résultat, de quelque manière d’ailleurs que l’on procède à l’élimination de ces deux paramètres ; donc on parviendra également à l’équation de la surface conique dont il s’agit, en mettant simplement pour et dans l’équation (2), leurs valeurs données par les équations (1) ; donc finalement l’équation de la surface conique dont il s’agit, et, par suite, l’équation générale de toutes les surfaces coniques qui ont leur sommet ou centre à l’origine, est

équation dans laquelle désigne une fonction tout-à-fait arbitraire[1].

Il suit de là, en particulier, que l’équation générale des surfaces coniques du second ordre qui ont leur sommet ou centre à l’origine est de la forme

c’est-à-dire,

(4)

Soit coupée cette surface par un plan parallèle au plan des et conséquemment par un plan quelconque, puisque le plan des est supposé de direction quelconque par rapport à elle. En désignant par la distance entre ces deux plans, mesurée parallèlement à l’axe des l’équation de la projection de la section sur le plan des sera

(5)

et cette section, comme l’on sait, sera appelée

Ellipse, si l’on a
Parabole,si l’on a
Hyperbole, si l’on a

D’un autre côté, si, dans l’équation (4), on fait l’équation résultante

(6)

sera celle de la section de la surface conique par le plan des c’est-à-dire, par un plan mené par son sommet, parallèlement au plan coupant. Or, en résolvant cette dernière équation par rapport à on démontre aisément qu’elle exprime

Un point si l’on a
Deux droites qui se confondent, si l’on a
Deux droites qui se coupent, si l’on a

donc, un plan coupe une surface conique du second ordre suivant une ellipse, une parabole ou une hyperbole, suivant que le plan parallèle à celui-là, conduit par le sommet de cette surface conique, est hors d’elle, la touche ou la coupe. Or, comme ce sont là les trois seuls cas qui puissent se présenter, il s’ensuit qu’on n’aura jamais, pour les sections planes d’une surface conique du second ordre, que les trois courbes que nous venons de signaler et que de plus on pourra les avoir toutes. On voit en même temps que la parabole tient le milieu entre les ellipses et les hyperboles ; de sorte qu’elle est à la fois la dernière des ellipses et la première des hyperboles.

Si l’on imagine que la distance diminue sans cesse, jusqu’à devenir nulle, on verra en outre que le point est un cas particulier de l’ellipse, que deux droites qui se confondent sont un cas particulier de la parabole, et qu’enfin deux droites qui se coupent sont un cas particulier de l’hyperbole.

Si l’on conçoit que le sommet de la surface conique s’éloigne à l’infini, cette surface deviendra une surface cylindrique. On ne pourra plus avoir alors ni des sections paraboliques ni des sections hyperboliques, qui se trouveront remplacées par des droites parallèles. Il se pourra aussi alors que le plan et la surface cylindrique ne se coupent pas.

À la page 61 du tome V.e du présent recueil, nous avons démontré fort simplement que les courbes comprises dans l’équation (5) sont telles 1.o que les milieux de toutes leurs cordes parallèles à une droite fixe quelconque sont tous sur une autre droite que nous avons appelée diamètre, et qui a les tangentes à ses extrémités parallèles à la droite fixe ; 2.o que tous les diamètres de l’ellipse et de l’hyperbole se coupent en un même point qui en est le milieu commun, et que nous avons appelé le centre de la courbe, tandis que, dans la parabole, tous les diamètres sont parallèles ; 3.o qu’à un quelconque des diamètres de l’ellipse ou de l’hyperbole, il en répond toujours un autre, qui en est dit le conjugué, tels que chacun d’eux contient les milieux des cordes parallèles à l’autre ; 4.o que, parmi les systèmes de diamètres conjugués de ces deux courbes, en nombre infini, il en est un, et un seul, dans lequel ces deux diamètres, qui sont dits alors les diamètres principaux ou les axes de la courbe, sont perpendiculaires l’un à l’autre ; 5.o qu’enfin, parmi les diamètres de la parabole, il en est un, et un seul, qui est perpendiculaire à la tangente à son extrémité : c’est le diamètre principal ou l’axe de la courbe.

On conclut de là 1.o qu’en prenant pour axes des coordonnées, dans l’ellipse, deux diamètres conjugués quelconques, et représentant leurs longueurs respectives par et l’équation de la courbe prend cette forme fort simple

(7)

ce qui veut dire que, dans l’ellipse, la somme des çuarrés des rapports des deux coordonnées d’un même point aux moitiés des diamètres conjugués auxquels elles sont respectivement parallèles est constamment égale à l’unité.

2.o Dans les mêmes circonstances, l’équation de l’hyperbole prend la forme

(8)

la courbe a alors un diamètre réel tandis que son conjugué a une longueur imaginaire, et c’est alors la différence des quarrés des rapports des coordonnées d’un même point de la courbe aux moitiés des diamètres auxquels elles sont respectivement parallèles qui est constamment égale à l’unité.

3.o Enfin, dans la parabole, si l’on prend un diamètre quelconque pour axe des et la tangente à son extrémité pour axe des l’équation de la courbe prend cette forme très-simple

(9)

Supposons que, dans les équations (7), (8), (9) les coordonnées soient rectangulaires. On tire de l’équation (7)

en ajoutant tour-à-tour aux deux membres

et

on aura

extrayant les racines quarrées des deux membres de ces deux équations, en remarquant que, par la nature de la courbe, ne pouvant être plus grand que les racines des deux membres doivent être de mêmes signes, on aura

d’où, en ajoutant membre à membre et réduisant,

Or, les deux radicaux du premier membre de cette dernière équation expriment les distances de l’un quelconque des points de la courbe à deux points de l’axe des pris à des distances de part et d’autre de l’origine ; donc, la somme des distances des divers points de l’ellipse à deux points fixes, pris sur son plan, est une quantité constante. Ces points sont ce qu’on appelle les foyers de la courbe.

Ce qui précède suppose qu’on a Dans cette hypothèse, si l’on répète le calcul que nous venons de faire, en traitant et comme nous avons traité et et vice versâ, on s’assurera de l’existence de deux foyers imaginaires ; sur le plus petit des deux axes de la courbe[2].

L’équation (10) peut être mise sous cette forme

puis sous celle-ci

Or, le premier membre de cette équation est le rapport entre la distance de l’un quelconque des points de la courbe à l’un des foyers et la distance du même point à une perpendiculaire à l’axe des menée à la distance de l’origine ; donc, les distances des divers points de l’ellipse à un point fixe et à une droite fixe sont dans un rapport constant. On voit que le point fixe dont il s’agit ici est l’un des foyers. Quant à la droite fixe, on s’assurera aisément qu’elle en est la polaire.

Si, dans l’équation (7), ainsi que dans les diverses transformées que nous en avons successivement déduites, on change en on obtiendra les transformées analogues relatives à l’hyperbole donnée par l’équation (8) ; et l’on sera conduit aux deux équations

mais ici, où est toujours plus grand que il faudra, dans l’extraction des racines, écrire

d’où, en ajoutant et réduisant

Or, les radicaux du premier membre expriment les distances de l’un quelconque des points de la courbé à deux points de l’axe des pris à des distances de part et d’autre de l’origine ; donc la différence des distances des divers points de l’hyperbole à deux points fixes pris sur son plan, est une quantité constante. Ces points sont ce qu’on appelle les foyers de la courbe.

En traitant l’équation (12) comme nous avons traité l’équation (10), on parviendra à lui donner cette forme

(13)

ce qui, pour les mêmes raisons que ci-dessus, montre que les distances de divers points de l’hyperbole à un point fixe et à une droite fixe sont dans un rapport constant. On voit qu’ici encore le point fixe dont il s’agit est l’un des foyers, tandis que la droite fixe en est la polaire.

L’équation (9) de la parabole peut être écrite ainsi :

d’où, en transposant et extrayant la racine quarrée des deux membres,

ou bien

(14)

c’est-à-dire que les distances des divers points de la parabole à un point fixe et à une droite fixe sont dans un rapport constant. Le point fixe est ce qu’on appelle le foyer de la courbe ; et il est facile de s’assurer que la droite fixe est la polaire de ce point.

C’est donc une propriété commune à toutes les sections coniques que la constance du rapport des distances de leurs divers points à un point et à une droite fixe ; rapport plus petit que l’unité pour l’ellipse, égal à l’unité pour la parabole et plus grand que l’unité pour l’hyperbole.

La droite qui va de l’un des foyers d’une section conique à l’un quelconque des points de la courbe est dite le rayon vecteur de cette courbe ; l’angle que fait ce rayon vecteur avec l’axe qui contient les foyers est appelé l’anomalie ; la distance d’un foyer au centre est dite l’excentricité, et la double ordonnée qui passe par ce foyer est ce qu’on appelle le paramètre.

Représentons, pour l’ellipse, par le rayon vecteur, par l’anomalie, par le paramètre et par le rapport de l’excentricité au demi-grand axe ; nous aurons


de là nous conclurons et par conséquent

En substituant toutes ces valeurs dans l’équation (11), elle deviendra

d’où on tirera

(15)

et une transformation analogue, appliquée à l’équation (13) conduirait exactement au même résultat.

Quant à la parabole, on a pour cette courbe

d’où

et

au moyen de quoi l’équation (14) devient

et donne

Ainsi l’équation (15) qu’on appelle l’équation polaire des sections coniques, convient généralement à toutes ces courbes qui sont ellipses, paraboles ou hyperboles, suivant qu’on a ou

En ajoutant à ce qu’on vient de lire, les dix pages de notre V.e volume rappelées ci-dessus, on obtiendrait un traité de sections coniques qui, bien que fort court, serait néanmoins presque complet.

  1. On brusque d’ordinaire cette conclusion, en s’étayant d’une certaine propriété de l’élimination. Mais on sent qu’à moins de démontrer préalablement cette propriété, à priori, ce qui ne paraît pas facile, l’élève n’y peut voir qu’une sorte de qualité occulte, dont l’emploi, dans les sciences exactes, doit lui paraître assez surprenant.

    Nous ne prétendons pas, au surplus, que l’on soit tenu de répéter le long raisonnement que nous venons de faire toutes les fois qu’on se retrouvera dans les mêmes circonstances ; mais nous pensons que du moins il faudra le répéter aussi long-temps que l’élève ne sera pas en état de le suppléer facilement de lui-même.

  2. Voyez, sur ce sujet, la page 317 du VIII.e volume du présent recueil.