Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Anrithmétique pratique, article 1

ARITHMÉTIQUE PRATIQUE.

Sur l’erreur que l’emploi des parties proportionnelles
peut entraîner dans les calculs par logarithmes ;

Par M. Vincent, Professeur de mathématiques et de physique
au Collége royal de Reims.
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Lorsque, dans les calculs par logarithmes, pour suppléer à l’insuffisance des tables, on a recours aux parties proportionnelles, les résultats auxquels on parvient sont affectés de deux sortes d’erreurs ; 1.o on suppose d’abord les différences des logarithmes proportionnelles à celles des nombres auxquels ils appartiennent ; ce qui, même pour des nombres très-grands et très-peu différens, n’est qu’à peu près vrai ; 2.o en admettant cette proportionnalité, les logarithmes que l’on emploie pour calculer le résultat qu’on veut obtenir, ne sont point exacts, et peuvent être fautifs, en plus ou en moins, d’une quantité qui a pour limite une demi-unité décimale du dernier ordre.

Bertrand de Genève a discuté, il y a déjà long-temps, l’effet de la première de ces deux causes d’erreur[1] ; mais il n’a rien dit de la second qui est pourtant beaucoup plus influente. C’est en conséquence le seul point que nous traiterons ici où nous supposerons que, dans les limites de l’approximation des tables, la proportionnalité entre les différences des nombres et celles de leurs logarithmes peut être regardée comme tout-à-fait rigoureuse.

Nous ferons d’abord observer que les logarithmes rigoureux différent de ceux qu’on inscrit dans les tables d’une quantité dont la limite est la moitié d’une unité décimale du dernier ordre, et que conséquemment les différences logarithmiques employées peuvent être en erreur d’une quantité dont la limite est une unité toute entière de cet ordre. En second lieu, lorsqu’on multiplie cette différence par la fraction qui accompagne l’entier, dans le nombre dont on veut obtenir le logarithme, on néglige les chiffres du produit qui viennent après le dernier des chiffres décimaux de l’ordre des tables, ce qui affecte le résultat d’une nouvelle erreur, dont la limite est la moitié d’une unité de ce même ordre.

Cela posé, on peut avoir à résoudre ces deux questions : 1.o Étant donné un nombre, déterminer le logarithme qui lui répond ? 2.o Étant donné un logarithme, déterminer le nombre qui lui répond ? Occupons-nous tour à tour de leur résolution. Mais, pour plus de simplicité, et attendu l’usage où l’on est dans les tables de supprimer les caractéristiques, considérons les logarithmes des tables comme des entiers, ce qui revient à prendre pour unité l’unité décimale du dernier ordre des tables.

I. Soit un nombre dont on demande le logarithme : étant un nombre entier et une fraction, et soient et les logarithmes de et tels qu’ils se trouvent dans les tables. Soient respectivement, les quantités dont ces logarithmes sont fautifs en moins, les erreurs pouvant d’ailleurs être indifféremment positives ou négatives ; en supposant la méthode des parties proportionnelles exacte, comme nous le faisons ici, on aurait

mais d’abord on néglige et et en outre on rejette toute la partie fractionnaire du produit sauf à augmenter le dernier chiffre de sa partie entière d’une unité, s’il y a lieu ; ce qui peut encore entraîner une erreur dont la limite est une demi-unité.

En représentant par cette erreur en moins, qui peut être d’ailleurs positive ou négative, on prendra donc au lieu de qu’on devrait prendre ; d’où résulte l’erreur finale

En supposant donc que les trois erreurs atteignent leur limite car c’est évidemment le cas où l’erreur totale est plus considérable ; cette erreur totale sera

Ainsi, l’erreur commise par l’emploi des parties proportionnelles, dans la recherche du logarithme d’un nombre en partie entier et en partie décimal, même dans le cas où cet emploi est légitime, peut s’élever, soit en plus soit en moins, jusqu’à une unité décimale du dernier ordre.

Donc, une somme de logarithmes et de complémens arithmétiques de logarithmes peut être fautive d’une quantité dont la limite est autant d’unités décimales du dernier ordre qu’il y a de parties dont cette somme se compose.

Donc aussi, si, dans la vue d’obtenir une puissance d’un nombre, on multiplie son logarithme par l’exposant de la puissance, le logarithme produit pourra être fautif d’autant d’unités décimales du dernier ordre qu’il y aura d’unités dans l’exposant de la puissance.

II. Passons à la seconde question. Soit proposé de déterminer le nombre auquel répond un logarithme donné compris entre deux logarithmes consécutifs et des tables, répondant aux nombres, aussi consécutifs, et On répute pour le nombre cherché

mais d’abord, le logarithme donné n’étant poussé qu’au même degré d’approximation des logarithmes des tables, est passible d’une erreur positive ou négative en moins qu’on peut représenter par et dont la limite est En outre, les deux logarithmes des tables et peuvent, comme ci-dessus, être fautifs en moins des quantités, positives ou négatives et dont la limite est également une demi-unité ; enfin au lieu de on devrait prendre c’est-à-dire de sorte que le nombre demandé est réellement

en prenant donc sa différence avec l’autre, on aura, pour l’erreur commise

ou, en représentant par la différence des tables ;

or, il est manifeste que cette fraction sera la plus grande possible, lorsque aura la plus grande valeur positive et la plus grande valeur négative possible, c’est-à-dire, lorsque la première de ces deux quantités sera égale à et la seconde égale à de sorte que la limite de l’erreur commise est

Présentement, si, au lieu de corriger le nombre par addition, nous eussions voulu corriger le nombre par soustraction, nous aurions eu alors pour limite de l’erreur, en faisant exactement les mêmes raisonnemens et les mêmes calculs,

Cela posé, est toujours compris entre et et la première fraction croît en même temps que lui ; mais quand on a on peut prendre la seconde, qui est alors moindre, de sorte que le maximum d’erreurs répond à  ; ce maximum est donc

quantité qui croît de plus en plus, à mesure que diminue ou qu’on avance davantage dans les tables.

Par exemple, dans les tables de Lalande, où la plus petite différence est le maximum de l’erreur est d’où il suit qu’en employant ces tables à la recherche d’un nombre voisin de dix mille, à l’aide de son logarithme, on ne pourra pas compter sur le chiffre des dixièmes. Si ce sont les tables de Callet dont on fait usage, comme leur plus petite différence est le maximum de l’erreur sera de sorte qu’en employant ces tables à la recherche d’un nombre voisin de cent mille à l’aide de son logarithme, on ne devra pas compter sur le chiffre des centièmes.

Si l’on veut déterminer quelle doit être la valeur de pour que le nombre cherché ne soit pas fautif de la fraction il faudra satisfaire à l’inégalité

d’où

Ainsi, malgré ce que nous venons de dire, on peut, en employant les tables de Lalande, compter sur le chiffre des dixièmes, lorsque les différences tabulaires ne sont pas moindres que c’est-à-dire, lorsque le nombre cherché est compris entre et environ ; et, en employant les tables de Callet, on peut compter sur les centièmes, lorsque les différences ne sont pas moindres que c’est-à-dire, lorsque le nombre cherché est compris entre et environ.

Dans une autre note nous nous occuperons des tables des fonctions circulaires.

  1. Tout ce que Bertrand a si longuement développé sur ce sujet, dans son volumineux ouvrage, nous paraît pouvoir être réduit au peu qui suit :

    Lorqu’on cherche, par les parties proportionnelles, le logarithme d’un nombre en partie entier et en partie fractionnaire, on emploie dans le calcul les logarithmes de deux nombres consécutifs des tables, ne différant que d’une unité ; d’où il suit que, pour que l’emploi des parties proportionnelles soit légitime, il faut, tout au moins, que les différences des logarithmes soient constantes en même temps que celles des nombres, pour une portion des tables dans laquelle les nombres extrêmes ne différent d’une unité. En prenant donc pour ces nombres extrêmes et il faudra que, si l’on n’a pas rigoureusement

    ou, ce qui revient au même,

    la différence entre ces deux quantités soit au moins plus petite qu’une demi-unité décimale du dernier ordre des tables ; c’est-à-dire qu’en désignant par le nombre des chiffres décimaux admis dans les tables, il faudra qu’on ait

    Mais en désignant par le module de nos tables vulgaires, on a rigoureusement

    et, comme les termes qui suivent le premier dans la série sont d’une petitesse incomparable à la sienne, il suffira bien qu’on ait
    ou même simplement

    d’où

    En se rappelant donc que on trouvera, pour les tables

    à décimales,
    à décimales,
    à décimales,
    à décimales,

    et ainsi de suite. On peut donc, dans l’usage des tables de Callet, qui commencent à employer les parties proportionnelles dès l’origine.

    J. D. G.