Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Analise transcendante, article 1

ANALISE TRANSCENDANTE.

Réponse aux remarques de M. Stein, publiées à la page 230
du XV.e volume des Annales ;

Par M. Vincent, Professeur de mathématiques et de physique
au Collége royal de Reims.
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Au Rédacteur des Annales ;
Monsieur,

En attendant que je livre à l’impression une petite dissertation où je crois avoir jeté quelque jour sur les paradoxes que présente la théorie des logarithmes, je crois ne devoir pas laisser sans réponse les objections faites par M. Stein aux propositions que j’ai avancées dans le n.o 14 du mémoire inséré au commencement du XV.e volume des Annales.

M. Stein regarde l’expression comme étant plus générale que si cette assertion pouvait être admise, ne serait plus identique avec qu’il faut bien distinguer de Or, il n’y a que deux manières d’interpréter ou bien c’est la n.me puissance de la racine n.me de ce qui donne évidemment ou bien c’est la racine n.me de la n.me puissance de Dans ce dernier cas, il semble que le résultat doive avoir valeurs différentes ; mais, comme on connaît la racine qui a formé on donnerait au résultat de la deuxième opération une généralité que réellement il n’a pas, si on lui attribuait toute autre valeur que [1].

Mais, en admettant que cette raison ne soit pas jugée suffisante, en voici une autre qui me paraît sans réplique. On a, en représentant par la valeur arithmétique de

Or, si est une fraction irréductible, en donnant à toutes les valeurs entières possibles, on obtiendra valeurs différentes de ni plus ni moins. Si, ensuite, on met à la place de on aura

or il est facile de voir qu’en donnant à toutes les valeurs entières possibles dans cette dernière formule, on n’obtiendra jamais que les valeurs différentes déjà déduites de la première. Il n’est donc pas besoin de donner une restriction arbitraire à la définition des logarithmes, pour réduire l’exposant à ses moindres termes, puisque la formule l’y réduit nécessairement ; ce serait, au contraire, tomber dans cet inconvénient que de donner aux exposans des dénominateurs infinis, et d’établir arbitrairement qu’on ne doit pas les réduire.

Un autre objection, relative aux courbes discontinues, me paraît encore moins fondée que la précédente. M. Stein dit que, si l’on faisait d’autres hypothèses que les miennes sur la succession des valeurs de on parviendrait à des résultats différens des miens ; que si, par exemple, au lieu du dénominateur on choisissait on trouverait, pour la courbe en suivant mot à mot mon raisonnement, une branche composée de parties continues, séparées par des points, du côté des négatives ; et que, si l’on prenait pour dénominateur ou ne trouverait rien du côté des négatives.

Avant de répondre à cette objection, je ferai d’abord deux observations : la première, que ni la formule ni la formule n’est propre à représenter tous les nombres entiers. J’ai choisi la dernière uniquement parce qu’elle m’a paru plus propre qu’aucune autre à faire ressortir les résultats que je voulais mettre en évidence. La seconde observation est qu’une série de points infiniment rapprochés ne suffisent pas plus pour constituer une ligne que les sommets d’un polygone pour former le polygone. D’un côté comme de l’autre, il faut que ces points soient liés entre eux ; car une ligne se compose d’élémens et non de points ; et cela prouve, en passant, que l’on a tort de définir les lignes, comme on le fait quelquefois, une série de points infiniment rapprochés[2].

Maintenant, pour répondre à M. Stein, il me suffira de mettre en regard son raisonnement et le mien, M. Stein donne à des valeurs qui ont pour dénominateur commun  ; il trouve plusieurs ordonnées successives réelles : et, sans s’inquiéter si, entre elles, il n’en existe pas d’imaginaires, il conclut qu’il y a continuité, ou bien les valeurs qu’il donne à ont pour dénominateur commun il trouve plusieurs ordonnées successives imaginaires ; et, sans s’inquiéter si entre elles il n’en existe pas de réelles, il conclut que le lieu géométrique est entièrement imaginaire de ce côté. Tel est le raisonnement de M. Stein ; voici le mien : je donne à des valeurs qui ont pour dénominateur je trouve les ordonnées successives alternativement réelles et imaginaires, et j’en conclus qu’il y a discontinuité. Je laisse au lecteur à décider de quel côté est la vigueur du raisonnement.}}

Que l’on veuille donc bien remarquer une chose sur laquelle, apparemment je n’ai pas assez insisté. C’est en croissant d’une manière continue dans la formule

que la variable fait prendre à la variable des valeurs discontinues ; et cela ne paraîtra pas très-surprenant, si l’on considère que la formule, bien que continue par rapport à est, par sa nature, essentiellement discontinue relativement à cette quantité ne devant recevoir que des valeurs entières. C’est cette même considération, assez délicate pour échapper au premier aperçu, qui, à ce qu’il me paraît, rend fautif le raisonnement de M. Stein, au n.o 12 de sa dissertation (page 105) ; la quantité qu’il considère étant astreinte à demeurer entière, même à sa limite infinie ; la continuité qu’il suppose ne me paraît plus pouvoir être admise.

Je pourrais ajouter d’autres raisons encore à l’appui de mon opinion ; mais je veux épargner au lecteur l’ennui d’une discussion qui, peut-être, ne serait pas à ses yeux d’une haute importance. Je crois cependant devoir signaler l’existence de certaines lignes, composées de points situés d’abord à des distances finies, se rapprochant insensiblement et se terminant en lignes pointillées ou ponctuées ; et à l’égard desquelles, conséquemment, il n’est plus possible de nier la discontinuité ; et les lignes discontinues se présentent alors tout naturellement comme les limites de séries de points qui se rapprochent indéfiniment sans jamais s’éteindre. Je pourrai revenir plus amplement sur ce sujet dans la dissertation dont je m’occupe actuellement.

Il ne sera pas sans doute hors de propos de répéter ici la déclaration que j’ai déjà faite dans les Annales (tom. XV, pag. 195) que le fond de la théorie des courbes discontinues se trouve dans Euler. Si je l’eusse su plutôt, probablement que je me serais dispensé d’écrire sur ce sujet. Mais, puisqu’il en est autrement, on trouvera naturel, je pense, que je m’appuye de l’autorité d’Euler, ou plutôt que je défende ses principes, auxquels j’ai été conduit par mes propres recherches.

  1. Voyez l’Algèbre de M. Lacroix, n.o 172.
  2. On peut très-bien définir la ligne une série de points infiniment voisins les uns des autres, pourvu qu’on ajoute cette condition qu’il se trouve toujours un de ces points sur toute droite indéfinie menée sur leur plan, de manière à passer entre le premier et le dernier d’entre eux.
    J. D. G.