Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Analise indéterminée, article 1

ANALISE INDÉTERMINÉE.

Résolution générale de l’équation indéterminée
du premier degré à deux inconnues ;

Par M. le Comte Guillaume Libri, de Florence.
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La résolution générale de l’équation indéterminée du premier degré, à deux inconnues, paraît avoir été trouvée pour la première fois par les Indiens. Les commentateurs de Bhasker ou Bhascara-Acharya[1], attribuent cette découverte à Arya-Bhatta, géomètre indien, que l’on croit presque contemporain de Diophante ; mais les ouvrages de cet auteur ayant été perdus, il est difficile de juger du degré de généralité qu’il avait donné à sa solution. Cependant, nous possédons le traité d’algèbre de Bramegupta (qui, d’après les calculs de M. Bentley, a été composé au commencement du septième siècle de l’ère chrétienne) où l’on trouve la résolution générale de l’équation du premier degré à deux inconnues. Cette résolution est exposée aussi dans les ouvrages de Bhascara-Acharya, et dans ceux de tous les analistes indiens plus modernes. La méthode dont ils ont fait usage est semblable à celle que Bachet de Méziriac publia en France en 1624. On sait qu’elle consiste à réduire l’équation proposée à l’équation et à résoudre celle-ci, en cherchant le plus grand commun diviseur entre et

Lagrange a résolu l’équation dont il s’agit à l’aide des fractions continues, et M. Gauss l’a réduite à sa théorie des congruences ; mais toutes ces méthodes, qui dans le fond sont identiques entre elles, n’ont pas toute la généralité qu’on pourrait désirer. En effet, il est clair que les racines d’une équation à plusieurs inconnues, de même que celles d’une équation à une seule inconnue, doivent être fonctions de ses coefficiens exprimés généralement ; et cependant, même pour résoudre l’équation du premier degré à deux inconnues, qui est la plus simple de toutes, il faut connaître les coefficiens en nombres, ce qui montre combien les méthodes connues sont imparfaites.

La note que nous publions ici a pour objet de donner l’expression générale des racines entières d’une équation du premier degré à deux inconnues, en fonction de ses coefficiens. Elle est extraite d’un mémoire sur la théorie des nombres, présenté à l’Académie royale des sciences de Paris, et qui doit paraître dans le recueil des Savans étrangers. Notre méthode s’applique à toutes les équations indéterminées ; elle sert aussi à résoudre directement, et avec simplicité, les équations desquelles dépend la division du cercle, et à traiter beaucoup d’autres questions ; mais ces recherches ne sont pas de nature à trouver place ici, et nous les réservons pour une autre circonstance.

Étant donné l’équation à une seule inconnue

si l’on représente par les sommes des puissances ièmes, ièmes, ièmes, ièmes, … de ses racines, on aura

de sorte que, si est un multiple de on obtient et, dans le cas contraire, on trouve En exprimant les racines de l’équation (1) en fonctions circulaires, on aura

Si l’on transforme le second membre, au moyen de la relation connue et qu’on néglige les imaginaires qui, dans le cas actuel, doivent nécessairement se détruire, on obtiendra

c’est-à-dire,

(2)[2]

et la valeur de cette expression sera ou zéro, suivant que le nombre sera entier ou fractionnaire.

On sait qu’étant proposé de résoudre l’équation en nombres entiers, il suffit de trouver une valeur a de comprise entre zéro et car les autres s’en déduisent en ajoutant à celle-là un multiple quelconque de de sorte qu’on a, en général, étant un nombre entier quelconque.

Maintenant il faut observer que si, dans l’équation (2), on fait et que l’on donne à successivement toutes les valeurs on obtiendra l’intégrale

qui aura pour valeur répété autant de fois que la quantité a de valeurs entières, lorsqu’on y fait égal à un nombre entier moindre que d’où il suit que la formule

(3)

exprimera le nombre des solutions de l’équation en supposant qu’on ne prenne pour que des nombres entiers plus petits que

Si l’on considère le terme général de la série (3), on aura l’équation

dans le second membre de laquelle le numérateur est toujours zéro ; mais dont le dénominateur ne peut se réduire à zéro que lorsque et ont un diviseur commun, plus grand que l’unité, puisque est toujours plus petit que Il résulte de là que, si et sont premiers entre eux, tous les termes de la série (3) s’évanouissent, excepté le premier, dont la valeur se réduit à

Mais, si et ont un facteur commun on supposera et, en faisant on obtiendra


Cette expression se réduit en vertu de l’hypothèse On devra donc différentier le numérateur et le dénominateur par rapport à pour en avoir la valeur déterminée, et l’on trouvera





Si, au lieu de prendre on fait, en général, étant un nombre entier quelconque, on trouve

et, comme le nombre est compris fois dans on pourra faire successivement et la valeur de l’intégrale (3) sera exprimée (dans le cas actuel, où l’on suppose que et ont un commun diviseur ) par la série

dont la somme

a pour valeur lorsque est un nombre entier, et se réduit à zéro, dans le cas contraire.

De là résulte 1.o que l’équation a toujours une solution entière, et plus petite que lorsque et n’ont d’autres diviseurs communs que l’unité ;

2.o Que si et ont un commun diviseur différent de l’unité, qui ne divise point cette équation n’admet aucune solution entière ;

3.o Qu’enfin, si est un nombre entier, on trouvera pour un nombre de valeurs entières, plus petites que qui satisferont à l’équation proposée.

Puisque l’intégrale (3) représente le nombre des solutions entières de l’équation en prenant pour des valeurs moindres que il est clair que la formule

(4)

exprimera la somme des valeurs de entières et moindres que qui satisfont à l’équation lorsqu’elle est résoluble et que, lorsqu’elle ne l’est pas, cette intégrale se réduit à zéro.

Nous avons démontré que, si et ont un facteur commun, différent de l’unité, qui ne divise pas l’équation n’admet aucune solution entière, et comme, si ce facteur commun divise aussi on peut toujours le supprimer, il sera permis dans en cas, de supposer que et sont premiers entre eux ; et alors on sera assuré qu’il existe toujours une valeur entière de comprise entre zéro et y qui satisfait à l’équation dont il s’agit, et qu’il n’en existe qu’une seule.

Actuellement, pour trouver cette valeur de on considérera le terme général de l’intégrale (4), et on aura

(5)


Il faudra faire successivement et ajouter au résultat le premier terme de la série (4) qui est

Puisque et sont premiers entre eux, et que est plus petit que il s’ensuit que le dénominateur du second membre de l’équation (5) ne pourra jamais s’évanouir ; on obtiendra, par conséquent, en faisant les réductions nécessaires,

et partant



Cette formule très-simple donne pour la plus petite valeur de qui satisfasse à l’équation en nombres entiers ; et toutes les autres valeurs sont exprimées par l’équation étant un nombre entier quelconque.

Soit proposé, par exemple, de résoudre en nombres entiers, l’équation

on aura, en comparant à l’équation générale

et par conséquent

c’est-à-dire,

et toutes les valeurs de qui résolvent l’équation seront données par l’équation comme on le sait d’ailleurs.

La valeur de peut, en général, se calculer à l’aide des tables du sinus. Il est vrai que, par ce moyen, on n’obtiendra, le plus souvent, que des valeurs fractionnaires approchées ; mais comme, d’après ce qui précède, ne peut avoir que des valeurs entières, on en trouvera la valeur exacte en substituant à cette valeur approchée le nombre entier le plus voisin.

On peut observer que, puisqu’on a


et que d’ailleurs

on pourra écrire

On pourra faire usage de cette expression, aussi bien que de la précédente, pour résoudre l’équation proposée[3].

  1. Géomètre indien, de la ville de Bidder, sur la frontière septentrionale de l’Indostan, où il paraît qu’il enseignait les mathématiques, vers la fin du XII.e siècle. Voyez l’ouvrage de M. Hutton intitulé : Tracts on Mathematical, etc., 3 vol. in-8.o, Londres, 1812.
    J. D. G.
  2. Voy. entre autres, l’Introduction à l’analise infinitésimale d’Euler, tom. I, chap. XIV, n.o 260.
    J. D. G.
  3. Ces formules, étendues à un nombre quelconque d’équations du premier degré, entre un grand nombre d’inconnues, compléteraient la théorie exposée à la page 147 du III.e volume du présent recueil.
    J. D. G.