Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Géométrie élémentaire, article 17

GÉOMÉTRIE PURE.

Recherches nouvelles sur les sections du cône
et sur les hexagones inscrits et circonscrits à ces sections ;

Par M. G. Dandelin, officier du génie, membre
de l’académie royale des sciences de Bruxelles.
(Extrait ; par M. Gergonne.)
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Si quelquefois, dans ce recueil, nous avons montré une prédilection marquée pour l’emploi de l’analise algébrique, dans les recherches relatives aux propriétés de l’étendue ; cette prédilection ne va pourtant pas jusqu’à méconnaître le mérite des recherches de géométrie pure, lorsque ces recherches sont élégamment conduites, lorsqu’elles sont dégagées de tout emploi des proportions et du calcul, et sur-tout lorsqu’elles peuvent être aisément suivies sans qu’il soit nécessaire d’avoir une figure sous les yeux.

Persuadé que beaucoup de nos lecteurs sont de notre goût sur ce point, nous ne saurions nous refuser à leur faire partager le plaisir que vient de nous causer la lecture des recherches de M. Dandelin, officier du génie militaire du royaume des Pays-Bas, sur l’hyperboloïde et les hexagones inscrits et circonscrits aux sections coniques ; recherches destinées à faire partie du III.e volume des Mémoires de l’académie royale des sciences de Bruxelles, qui s’imprime actuellement, et dont nous devons la communication à l’extrême obligeance de M. Quetelet, auteur lui-même d’un très-beau travail sur les caustiques, que nous avons mentionné récemment.

I. Soient deux droites indéfinies, non situées dans un même plan, invariablement liées l’une à l’autre. Si l’on conçoit que l’une d’elles tourne autour de l’autre prise pour axe, elle engendrera, dans son mouvement, une surface de révolution, connue sous le nom d’hyperboloïde à une nappe, dont les variétés dépendront, à la fois, et de la plus courte distance entre l’axe et la génératrice et de l’angle que formeront entre elles ces deux droites.

Mais la plus courte distance demeurant la même, la génératrice peut faire le même angle avec l’axe dans deux directions différentes ; d’où il suit qu’une même hyperboloïde de révolution à une nappe peut être engendrée de deux manières différentes par une droite tournant autour d’un axe fixe.

Il résulte de là que, par chacun des points de cette surface, on peut toujours tracer deux droites indéfinies qui s’y trouvent entièrement situées ; ou encore que cette surface est une sorte de tissu de deux séries d’élémens rectilignes, tels que deux élément quelconques d’une même série, non situés dans un même plan, ne sauraient se rencontrer, tandis qu’au contraire chaque élément de l’une quelconque des deux séries est coupé, tour à tour, par tous les autres élémens de l’autre série ; d’où il suit encore qu’une telle surface peut être considérée comme engendrée par une droite indéfinie qui se meut sur trois élémens quelconques d’une même série.

Toutes les sections d’une telle surface, par des plans perpendiculaires à son axe, sont, comme toutes les sections faites de cette manière, dans les surfaces de révolution, en général, des cercles de rayon variable, ayant leurs centres sur l’axe de révolution ; et il est aisé de voir que toutes les portions d’élémens rectilignes de l’une et de l’autre séries, comprises entre deux tels cercles, sont de même longueur, puisque ce sont des droites également indignées entre deux plans parallèles. Chacune des sections circulaires de l’hyperboloïde peut d’ailleurs être indistinctement considérée comme sa ligne de contact soit avec une sphère inscrite soit avec lin cône droit inscrit ; et il est clair qu’alors le centre de la sphère ou le sommet du cône est dans l’axe de révolution.

Dans le cas particulier où la génératrice serait perpendiculaire à l’axe de révolution, il est manifeste que la surface engendrée serait un plan. Si, au contraire, cette génératrice était parallèle à l’axe, la surface engendrée serait un cylindre droit. Enfin cette surface serait un cône droit, si la génératrice, n’étant ni perpendiculaire ni parallèle à l’axe, leur plus courte distance était d’une longueur nulle, c’est-à-dire, si la génératrice et l’axe se rencontraient. Ainsi, le plan, le cylindre droit et le cône droit ne sont que des cas particuliers de l’hyperboloïde de révolution à une nappe.

II. Ces choses ainsi entendues, examinons la nature des sections planes faites dans une telle hyperboloïde. On voit d’abord clairement que, tant que le plan coupant fera avec l’axe un angle aigu plus grand que celui que fait avec lui la génératrice, la section sera une courbe fermée, tandis qu’au contraire lorsque le plan coupant fera avec l’axe un angle aigu plus grand que celui-là, la section sera formée de deux courbes séparées, ayant l’une et l’autre deux branches infinies.

Considérons, en particulier, une section de l’une ou de l’autre sorte ; et par l’axe imaginons un plan perpendiculaire au plan de la section, lequel le coupera suivant une droite les points et étant tous deux sur l’hyperboloïde. Parmi toutes les sphères qu’il est possible d’inscrire à cette surface, il y en aura toujours deux qui seront tangentes au plan coupant ; et il est visible que leurs points de contact avec lui seront tous deux situés sur la droite Désignons par le point de contact le plus voisin de et par le plus voisin de

Soit un quelconque des points du périmètre de la section dont nous étudions la nature, et par lequel il passe, comme par tous les autres, deux élémens rectilignes de l’hyperboloïde. Considérons seulement un de ces élémens : soit le point où cet élémens coupe la ligne de contact de l’hyperboloïde avec la sphère inscrite qui touche le plan coupant en et soit celui où ce même élément coupe la ligne de contact de cette surface avec la sphère inscrite qui touche le plan coupant en alors sera la portion d’élément interceptée entre les plans de deux sections perpendiculaires à l’axe, et conséquemment cette longueur sera constante quel que soit le point sur le périmètre de la section oblique.

Soient menées présentement et et remarquons que et sont deux tangentes menées à une même sphère d’un même point et qu’il en est de même de et d’où il suit qu’on doit avoir

donc, si le point se trouve situé entre et on aura

constante ;

et si, au contraire, le point est sur le prolongement de en le supposant situé au-delà de on aura

constante ;

de sorte qu’on a ce théorème :

THÉORÈME I. De quelque manière qu’une hyperboloïde de révolution à une nappe soit coupée par un plan ; si l’on conçoit deux sphères à la fois inscrites à cette surface et tangentes au plan coupant ; la somme ou la différence des distances des différens points du périmètre de la section aux points de contact de son plan avec les deux sphères sera constante ; c’est-à-dire, que la section sera une ellipse ou une hyperbole dont ces points de contact seront les deux foyers.

Réciproquement, toute ellipse ou toute hyperbole, c’est-à-dire, toute courbe plane telle que la somme ou la différence des distances de ses différens points à deux points fixes pris sur son plan est constante peut, et même d’une infinité de manières différentes, être considérée comme l’une des sections planes faites dans une ellipsoïde de révolution à une nappe. Si, en effet, par l’un quelconque des points du périmètre de cette courbe on conduit une droite hors de son plan, et qu’ensuite on conçoive deux sphères à la fois tangentes au plan de la courbe en ses deux foyers et tangentes à la droite arbitraire ; en faisant tourner tout le système autour de la droite qui joint les centres des deux sphères, l’arbitraire engendrera l’hyperboloïde demandée.

Il y a un cas particulier qui fait exception ; c’est celui où le plan de la section fait avec l’axe de l’hyperboloïde un angle précisément égal à celui que fait avec lui la génératrice de cette surface. Ce plan ne peut alors être touché que par une seule des sphères inscrites ou, si l’on veut, la seconde a son centre infiniment éloigné et son rayon infini ; mais on démontre aisément que, dans ce cas, les distances des divers points de la courbe au point de contact de la sphère avec son plan croissent exactement de la même quantité que les projections de ces distances sur l’axe de cette courbe, propriété qui appartient exclusivement à la parabole.

Si l’on se rappelle présentement que le cylindre droit et le cône droit ne sont que des cas particuliers de l’hyperboloïde de révolution à une nappe, on conclura de ce qui précède les deux théorèmes suivans :

THÉORÈME II. Toute section plane faite dans un cylindre droit est une ellipse dont les foyers sont les points de contact du plan coupant avec deux sphères inscrites au cylindre.

THÉORÈME III. Toute section plane faite dans un cône droit est une ellipse ou une hyperbole dont les foyers sont les points de contact du plan coupant avec deux sphères inscrites au cône. Dans le cas particulier où une seule sphère inscrite peut toucher le plan coupant, la section est une parabole, et le point de contact de cette sphère en est le foyer[1].

Réciproquement, toute ellipse, hyperbole ou parabole peut être conçue comme l’une des sections planes d’un cône droit d’une espèce donnée[2], d’où il suit que ces courbes peuvent toujours être considérées comme des perspectives les unes des autres et du cercle, et réciproquement.

III. On peut toujours tracer, sur l’hyperboloïde de révolution à une nappe, un hexagone rectiligne gauche, dont les côtés consécutifs devront appartenir alternativement aux deux séries d’élémens rectilignes de cette surface, puisqu’autrement ces côtés ne pourraient se couper ; de manière que l’hexagone emploîra trois élémens de chacune des deux séries. Ses côtés opposés appartiendront aussi à des séries différentes ; de sorte que deux côtés opposés quelconques concourront toujours en un certain point} et seront conséquemment dans un même plan.

Il suit de là que les trois couples de côtés opposés détermineront trois plans qui se couperont en un point ; mais, si l’on mène les diagonales qui joignent les sommets opposés, chacune d’elles appartiendra à deux de ces plans, et sera par conséquent dans leur intersection ; donc ces diagonales seront dirigées suivant les intersections deux à deux ; des trois plans dont il vient d’être question ; d’où il suit qu’elles concourront toutes trois à l’intersection de ces trois plans.

Soient élémens rectilignes de l’une des séries formant les côtés de rangs impairs de l’hexagone gauche, et soient les trois élémens de l’autre série formant les côtés de rangs pairs ; de telle sorte que et et et soient les côtés opposés. Convenons de désigner les points, au nombre de neuf, où les trois élémens de l’une des séries sont coupés par les élémens de l’autre série, par les lettres des élémens qui y concourent, renfermées entre deux parenthèses. Alors, de ces neuf points, les trois seront ceux où concourent les directions des côtés opposés de l’hexagone ; et les six autres en seront les sommets. En supposant donc que les côtés consécutifs de cet hexagone soient ses sommets consécutifs seront

Remarquons présentement que le côté de l’angle et le côté de son opposé concourant en les plans de ces deux angles doivent se couper suivant une droite passant par ce point mais les côtés et de ces deux angles concourant au point ), l’intersection de leurs plans doit aussi passer par ce dernier point ; donc la droite qui joint les points et est l’intersection des plans des angles opposés et

Par un raisonnement tout à fait semblable, on prouvera que la droite qui joint les points et est l’intersection des plans des angles opposés et et que la droite qui joint les points et est l’intersection des plans des angles opposés et

Ainsi les intersections des plans des trois systèmes d’angles opposés et et et sont les trois côtés d’un triangle dont les sommets sont et conséquemment les trois intersections sont dans un même plan, qui est le plan même de ce triangle.

On a donc cet élégant théorème :

THÉORÈME IV. Si, sur une hyperholoïde de révolution à une nappe, on trace un hexagone rectiligne gauche, dont les côtés appartiennent alternativement aux élémens rectilignes de l’une et de l’autre séries de cette surface 1.o les diagonales qui joindront les sommets opposés de cet hexagone concourront toutes trois en un même point ; les plans de ces angles opposés se couperont suivant des droites qui seront toutes trois dans un même plan[3].

IV. Soit présentement un cercle sur la circonférence duquel soient pris arbitrairement six points désignés par Ces six points pourront également être considérés, ou comme les sommets consécutifs d’un hexagone plan inscrit, ou comme les points de contact consécutifs d’un hexagone plan circonscrit.

Considérons ce cercle comme la section d’une hyperboloïde quelconque de révolution à une nappe, par un plan perpendiculaire à son axe, et considérons sur cette hyperboloïde les élémens rectilignes alternatifs qui passent respectivement par les six points de la circonférence de dénominations analogues, ces élémens formeront, comme ci-dessus, un hexagone gauche sur l’hyperboloïde, et les traces des plans des angles consécutifs de cet hexagone gauche sur le plan du cercle ne seront autre chose que les côtés consécutifs de l’hexagone plan inscrit à ce cercle. Or, par le précédent théorème, les plans des sommets opposés de l’hexagone gauche se coupent suivant trois droites situées dans un même plan, lesquelles doivent conséquemment percer le plan du cercle en trois points en lignes droites ; donc les traces de ces plans, c’est-à-dire, les directions des côtés opposés de l’hexagone inscrit au cercle doivent aussi concourir à ces trois points.

Considérons présentement notre cercle comme la ligne de contact de l’hyperboloïde avec un cône droit circonscrit, dont le sommet sera conséquemment dans l’axe de révolution. Si, par chacun des points on conduit un plan tangent à l’hyperboloïde, ce plan passera par le sommet du cône, contiendra l’élément rectiligne de l’hyperboloïde de dénomination analogue à celle de ce point, et coupera le plan du cercle suivant une tangente au même point. Les six plans tangens ainsi conduits seront donc les faces d’un angle hexaèdre circonscrit au cône, et sur lequel se trouvera tracé l’hexagone gauche ; et cet angle hexaèdre sera coupé par le plan du cercle suivant un hexagone plan circonscrit à ce cercle ; or, par le théorème qui vient d’être démontré, les diagonales qui joignent les sommets opposés de l’hexagone gauche concourent en un même point ; donc les plans diagonaux qui joignent les arêtes opposés de l’angle hexaèdre se coupent suivant une même droite, menée de son sommet à ce point ; donc enfin les diagonales qui joignent les sommets opposés de l’hexagone plan circonscrit au cercle doivent passer toutes trois par le point où son plan est percé par cette droite.

Il demeure donc prouvé, par ce qui précède, 1.o que, dans tout hexagone inscrit au cercle, les points de concours des directions des côtés opposés appartiennent tous trois à une même ligne droite ; 2.o que, dans tout hexagone circonscrit au cercle, les diagonales qui joignent les sommets opposés passent toutes trois par un même point.

Or, comme tout hexagone inscrit ou circonscrit à une section conique quelconque est la perspective d’un hexagone inscrit ou circonscrit au cercle ; et comme, d’un autre côté, les perspectives des points en ligne droite et des droites qui concourent au même point sont aussi des points en ligne droite ou des droites qui concourent au même point, on a ces deux théorèmes :

THÉORÈME V. Dans tout hexagone inscrit à une section conique, les points de concours des directions des côtés opposés appartiennent tous trois à une même ligne droite.

THÉORÈME VI. Dans tout hexagone circonscrit à une section conique, les droites qui joignent les sommets opposés concourent toutes trois en un même point[4].

Ainsi se trouvent établis, sans calcul et par une sorte d’intuition les deux théorèmes de Pascal et de M. Brianchon, c’est-à-dire, les plus important peut-être de tous ceux qui composent la théorie des sections coniques.

Si les recueils de l’académie royale des sciences de Bruxelles offrent souvent des mémoires du mérite de ceux de MM. Quetelet et Dandelin, ils ne pourront manquer d’être accueillis et recherchés par tous les amateurs de la belle géométrie.

  1. Ce dernier théorème avait d’abord été directement découvert par M. Quetelet. M. Dandelin n’a fait que l’étendre à l’hyperboloïde.
  2. Voy. aussi, sur ce sujet, la pag. 126 du XIV.e vol. du présent recueil.
  3. Le théorème aurait également lieu pour l’hexagone rectiligne gauche tracé sur la paraboloïde hyperbolique ; et c’est à cela que reviennent à peu près les articles de MM. Servois et Rochat insérés aux pages 332 et 336 du tom. 1.er du présent recueil. Il aurait lieu, plus généralement, pour tout hexagone gauche dont les côtés des rangs impairs seraient trois droites non situées deux à deux dans un même plan, et les côtés de rangs pairs trois autres droites posant sur celles-là.
  4. Voy., sur le même sujet, deux articles insérés dans le IV.e volume du présent recueil, pag. 78 et 381.