Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Géométrie élémentaire, article 11

GÉOMÉTRIE ÉLÉMENTAIRE.

Démonstration des propriétés des quadrilatères
à la fois inscriptibles et circonscriptibles au cercle ;

M. J. B. Durrande, professeur de physique
au collége royal de Marseille.
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Les principales propriétés des quadrilatères inscrits ou circonscrits au cercle sont connues depuis long-temps : mais quelques-unes seulement ont été introduites dans les traités élémentaires de géométrie. Les autres se trouvent reléguées dans quelques ouvrages particuliers que consultent rarement ceux qui ne font pas une étude spéciale de la géométrie ; et il en résulte que la connaissance de ces dernières propriétés n’est pas assez généralement répandue. Ces propriétés peuvent pourtant être assez simplement démontrées, en appliquant, comme je l’ai déjà fait, dans quelques articles des Annales, les principes sur les contacts des cercles ; principes qui m’ont toujours paru d’un facile secours dans toutes les recherches de ce genre.

Je me propose de compléter ici ce que j’ai déjà publié sur cette matière, en présentant la démonstration des propriétés des quadrilatères qui sont à la fois inscrits à un cercle et circonscrits à un autre, propriétés dont la découverte est due à M. Poncelet, qui les a fait connaître dans son Traité des propriétés projectives des figures (pag. 283 et 360) ; et elles ne sont pas la partie la moins curieuse de l’excellent ouvrage de ce géomètre.

Si je me permets de revenir sur un sujet déjà traite par M. Poncelet, ce n’est, certes, pas que j’aie la prétention de faire mieux que lui ; mais, comme les démonstrations qu’il donne des propositions dont il va être question reposent sur des considérations qui n’ont point encore obtenu et pourront même ne pas obtenir de long-temps encore l’assentiment universel des géomètres, j’ai pensé faire une chose agréable à ceux qui ne connaissent pas encore les propriétés dont il s’agit, ou qui ne les croiraient pas suffisamment établies par les doctrines particulières à ce savant estimable, en les leur démontrant ici par les principes rigoureux de l’ancienne géométrie ; persuadé que M. Poncelet lui-même me pardonnera volontiers une excursion sur son domaine qui n’a d’autre but que de répandre davantage, en les rendant plus accessibles, les découvertes dont il a enrichi la géométrie.

Les considérations employées par M. Poncelet, et qui ne paraissent pas de nature à satisfaire pleinement les amateurs zélés de la géométrie Euclidienne, sont, d’une part, celles qu’il déduit de la loi de continuité, et d’une autre, celles qui se rapportent aux droites variables de situation considérées comme s’éloignant à l’infini de certains points ou de certaines autres droites.

On a vu, par le rapport de M. Cauchy à l’Institut, sur l’ouvrage de M. Poncelet, ce que pense cet habile professeur du principe de continuité, qu’il regarde seulement comme une forte induction et comme une méthode de recherche. M. Poncelet lui-même n’a pu le considérer autrement, puisqu’il ne l’a proprement démontré nulle part. Ainsi, tant que ce principe n’aura pas reçu la sanction qu’une démonstration rigoureuse peut seule lui faire acquérir, les géomètres, jaloux de conserver à la science cette antique prérogative de certitude qui la caractérise, rejetteront ces principes métaphysiques qui, après avoir bouleversé toutes les sciences où ils se sont introduits, ne manqueraient pas de porter le désordre dans celle qui a traversé les siècles sans recevoir aucune atteinte.

En accordant à M. Poncelet que son principe de continuité paraît empreindre de son caractère tous les faits géométriques connus, on n’en sera pas moins fondé à lui en demander la démonstration ; et je ne la croîs pas facile à donner, précisément parce que ce principe érigé en loi n’est pas une propriété positive, susceptible de tel ou tel genre de démonstration, mais bien plutôt le résumé général d’une multitude de faits connus, lequel, par sa trop grande généralité même, ne semble devoir se dérober à tous les efforts que l’on voudrait faire dans la vue de le démontrer.

Ce que je viens de dire semble pouvoir être également appliqué à on autre genre de considération dont l’auteur fait aussi un usage très-fréquent, et qui consiste à supposer que des droites passent à l’infini. Ce principe, comme le précédent, employé avec trop de précipitation, semblerait de nature à légitimer beaucoup d’erreurs ; et c’en est assez pour que ceux qui attachent encore quelque prix à l’ancienne manière de procéder en géométrie répugnent à en faire usage.

Ce n’est pas pourtant que je pense qu’on ne puisse démontrer rigoureusement les propositions dont la géométrie se compose qu’en s’astreignant à suivre servilement la marche tracée par les anciens. Ce que j’ai dit ailleurs de la manière large dont je voudrais que l’on traitât présentement la géométrie pure semble devoir me justifier suffisamment de ce reproche. Mais je ne pense pas non plus qu’il doive être permis de s’écarter aussi essentiellement de cette marche qu’a tenté de le faire l’estimable auteur du Traité des propriétés projectives.

Mon but étant de compléter la théorie élémentaire des propriétés des quadrilatères inscrits et circonscrits au cercle, j’ai pensé qu’il convenait d’abord d’offrir un résumé de ces propriétés, en rassemblant ici tout ce qu’on a trouvé de plus intéressant sur cette matière.

Les propriétés les plus élémentaires du quadrilatère inscrit au cercle, démontrées dans les élémens, sont les suivantes :

THÉORÈME I. Dans tout quadrilatère inscrit au cercle, la somme de deux angles opposés est égale à la somme des deux autres.

Et réciproquement, tout quadrilatère dans lequel les sommes d’angles opposés sont égales est par là même inscriptible au cercle.

THÉORÈME II. Dans tout quadrilatère inscrit au cercle, le rectangle des segmens de l’une des diagonales est égal au rectangle des segmens de l’autre diagonale.

Et réciproquement, tout quadrilatère dans lequel les rectangles des segmens des deux diagonales sont égaux est par là même inscriptible au cercle.

THÉORÈME III. Dans tout quadrilatère inscrit, le rectangle des diagonales est égal à la somme des rectangles des côtés opposés.

THÉORÈME IV. Dans tout quadrilatère inscrit, les diagonales sont entre elles comme les sommes des rectangles des côtés qui partent de leurs extrémités.

À ces propriétés on peut encore ajouter les propriétés des quadrilatères inscrits à diagonales orthogonales découvertes par Archimède, et étendues à la sphère par Carnot.

THÉORÈME V. Dans tout quadrilatère inscrit, à diagonales orthogonales, 1.o la somme des carrés des quatre côtés est double du carré du diamètre ; 2.o la somme des carrés des quatre segmens des diagonales est égale au carré du diamètre ; 3.o enfin, la somme des carrés des deux diagonales est égale au carré du diamètre, moins le quadruple du carré de la distance de leur point de concours au centre du cercle.

Passons actuellement aux propriétés des quadrilatères circonscrits.

THÉORÈME VI. Dans tout quadrilatère circonscrit au cercle, la somme de deux côtés opposés est égale à la somme des outres.

Et réciproquement, tout quadrilatère dans lequel les sommes de côtés opposés sont égales est circonscriptible au cercle.

Je me suis occupé de cette réciproque à la page 49 du VI.e volume des Annales, et j’ai fait voir (page 50, note) comment elle pouvait être démontrée par la théorie des contacts des cercles.

THÉORÈME VII. Dans tout quadrilatère circonscrit, la somme de deux angles opposés quelconques est égale à la somme des angles opposés aux sommets formés par les droites qui joignent les points de contact des côtés opposés ; pourvu que l’on prenne ceux qui regardent les deux angles restans du quadrilatère.

Ce théorème, dont la démonstration est fort simple, est dû à M. Poncelet, (Propriétés projectives, pag. 284).

THÉORÈME VIII. Dans tout quadrilatère circonscrit, la droite qui joint les milieux des diagonales passe par le centre du cercle.

Ce beau théorème est dû à Newton ; mais il n’avait pas encore été démontré, pour le cercle en particulier, d’une manière élémentaire. Je l’ai démontré par la théorie des contacts (Annales, tom. XIV, pag. 309).

Si l’on considère deux quadrilatères dont l’un soit inscrit et l’autre circonscrit à un même cercle, et qui soient en outre inscrits l’un à l’autre, on aura le théorème suivant, que j’ai aussi démontré par la théorie des contacts (Annales, tom. XIII, pag. 305, et tom. XIV, pag. 43.

THÉORÈME IX. Si deux quadrilatères sont l’un inscrit et l’autre circonscrit à un même cercle, de telle sorte que les sommets de l’inscrit soient les points de contact du circonscrit, 1.o les diagonales des deux quadrilatères se couperont toutes quatre au même point ; 2.o les points de concours des directions des côtés opposés des deux quadrilatères appartiendront tous quatre à une même ligne droite ; 3.o le point de concours des quatre diagonales sera le pôle de la droite qui contiendra les points de cours des directions des côtés opposés.

Occupons-nous présentement des propriétés des quadrilatères à la fois inscriptibles et circonscriptibles au cercle et que nous avons annoncé avoir ici principalement en vue.

Soient et (fig. 1) les centres des deux cercles, et un quadrilatère à la fois inscrit au premier et circonscrit au dernier, de manière que ses côtés consécutifs touchent ce dernier en Soient menées formant un nouveau quadrilatère inscrit au cercle Les diagonales des deux quadrilatères se couperont toutes quatre en un même point (Théor. IX). En outre, les trois droites et concourront en un même point les trois droites et en un même point les trois droites et en un même point et enfin les trois droites et en un même point et les quatre points appartiendront à une même ligne droite dont le point sera le pôle.

Désignons par le rayon du cercle inscrit, par le rayon du cercle circonscrit, et par respectivement, les tangentes

THÉORÈME X. Dans tout quadrilatère à la fois inscrit à un cercle et circonscrit à un autre, les droites qui joignent les points de contact des côtés opposés du quadrilatère avec le cercle inscrit divisent en deux parties égales les quatre angles formés par les deux diagonales, et sont par conséquent perpendiculaires l’une à l’autre.

Démonstration. En effet, le quadrilatère étant inscrit au cercle les deux angles sont égaux comme inscrits au même arc. Les deux angles sont aussi égaux, comme formés par une même corde et les tangentes à ses deux extrémités. Donc les deux triangles et sont équiangles ; d’où il suit que mais on a comme opposés au sommet ; donc, donc la droite divise en deux parties égales l’angle et on prouvera, d’une manière semblable, que la droite divise en deux parties égales l’angle donc les deux droites et qui divisent en deux parties égales les angles adjacens et sont perpendiculaires l’une à l’autre.

THÉORÈME XI. Réciproquement, si, dans un quadrilatère circonscrit au cercle, les droites qui joignent les points de contact des côtés opposés sont perpendiculaires l’une à l’autre, ce quadrilatère sera inscriptible à un autre cercle.

Démonstration. En effet, dans les deux quadrilatères les angles en sont égaux comme droits ; de plus, il est aisé de voir que les angles et du premier sont les supplémens respectifs des angles et du second ; donc leurs angles et sont aussi supplément l’un de l’autre ; ce qui prouve que le quadrilatère déjà circonscrit à un cercle, est inscriptible à un autre cercle.

THÉORÈME XII. Dans tout quadrilatère à la fois inscrit à un cercle et circonscrit à un autre, les centres des deux cercles et le point de concours des diagonales appartiennent tous trois à une même ligne droite.

Démonstration. En effet, le point étant le pôle commun de la droite par rapport aux deux cercles, leurs centres et doivent se trouver tous deux sur la perpendiculaire abaissée de ce point sur cette droite.

THÉORÈME XIII. Dans tout quadrilatère à la fois inscriptible et circonscriptible, les distances des sommets au point de concours des diagonales sont proportionnelles aux tangentes menées de ces sommets au cercle inscrit et terminées à ce cercle. Les diagonales de ce même quadrilatère sont proportionnelles aux sommes de tangentes menées de leurs extrémités au même cercle.

Démonstration. En effet, le triangle dans lequel la droite divise l’angle en deux parties égales donne Les triangles donnent, pour les mêmes raisons, et d’où on conclut

De cette suite de rapports égaux, on conclut ensuite sans difficulté

THÉORÈME XIV. Dans tout quadrilatère à la fois inscripttille et circonscriptible, le produit des tangentes menées de deux sommets opposés et terminées à leurs points de contact est constant et égal au carré du rayon du cercle inscrit.

Démonstration. En effet, menons les droites des sommets du quadrilatère au centre du cercle inscrit, et les rayons aux points de contact des côtés de ce quadrilatère ; les deux triangles seront semblables. En effet, ils sont d’abord rectangles, l’un en et l’autre en de plus, leurs angles en et sont les moitiés des angles de même dénomination du quadrilatère ; et, puisque ces derniers sont supplément l’un de l’autre, les autres seront complément l’un de l’autre. On aura donc et Ces deux triangles semblables donnent ainsi ou d’où On trouverait pareillement ainsi

Ce théorème, assez remarquable, n’était point encore connu.

Corollaire I. Le quadrilatère étant inscrit au cercle, on doit avoir

II. On a aussi De là on tire

III. On a encore

d’où l’on tire

IV. Du centre du cercle circonscrit abaissons des perpendiculaires et sur les diagonales et du quadrilatère ; les points et seront les milieux de ces diagonales ; et la droite qui les joint passera (Théor. VIII) par le centre du cercle inscrit. Le quadrilatère ayant deux angles droits opposés et sera inscriptible (Théor. I) ; et l’on aura par conséquent (Théor. II)

Cela posé, on aura, d’après un théorème d’Euler ou bien Mais on tire des triangles

substituant donc, il viendra

substituant enfin pour leurs valeurs respectives il viendra, toutes réductions faites,

V. Le triangle donne Le triangle donne d’ailleurs

donc

substituant donc pour leurs valeurs, il viendra

ou bien

d’où

donc

donc aussi

THÉORÈME XV. Les quadrilatères circonscrits à un même cercle de telle sorte que leurs diagonales se coupent au même point, et qu’en outre les droites qui joignent les points de contact des côtés opposés soient rectangulaires, sont tous inscriptibles à un même cercle.

Démonstration. En effet, les quadrilatères étant tels qu’il vient d’ètre dit, il résulte du Théorème XI que ces quadrilatères sont inscriptibles, chacun en particulier, et du Théorème XII que les centres des cercles circonscrits sont sur la droite qui passe par le centre du cercle inscrit et par le point où concourent toutes les diagonales. Il résulte enfin de tout ce que nous venons de prouver que la distance du centre de chacun des cercles circonscrits au centre du cercle inscrit est et que, par conséquent, cette distance est constante ; d’où il suit d’abord que les centres des cercles circonscrits se confondent tous au point de tel que Mais le point devant être le pôle d’une même droite, relativement au cercle et à chacun de ces cercles circonscrits, et ce point étant déjà le pôle de la droite relativement au cercle on aura aussi donc, puisque le point est le même pour tous ces cercles, et étant constans, tous ces cercles auront le même centre et le même rayon, et conséquemment tous nos quadrilatères seront inscrits à un même cercle.

THÉORÈME XVI. Si un quadrilatère est à la fois inscrit à un cercle et circonscrit à un autre cercle, il y aura une infinité d’autres quadrilatères qui seront aussi inscrits au premier cercle et circonscrits au second, dont les diagonales passeront toutes par un même point, et dont les points de concours des directions des côtés opposés seront sur une même droite, polaire de ce point par rapport à l’un et à l’autre cercles.

Démonstration. En effet, par le point de concours des diagonales de notre quadrilatère, menons deux cordes orthogonales quelconques du cercle inscrit, et circonscrivons à ce cercle un quadrilatère dont les points de contact soient les extrémités de ces cordes ; il résulte du précédent théorème que ce quadrilatère et le premier devront être inscrits au même cercle ; mais le premier est déjà inscrit à un cercle, auquel le second devra conséquemment être aussi inscrit ; il y aura donc une infinité d’autres quadrilatères jouissant de la même propriété que le premier.

Je dis de plus que tous ces quadrilatères que l’on circonscrirait au cercle auquel est circonscrit le premier, en prenant trois de ses sommets sur la circonférence du cercle auquel celui-là est inscrit, se trouverait également inscrit à ce cercle. Cela est évident, par ce qui vient d’être dit plus haut.

Considérant présentement, en particulier, deux des quadrilatères en nombre infini qui peuvent être à la fois inscrits à l’un de nos cercles et circonscrits à l’autre, les points de concours des diagonales de l’un et de l’autre doivent coïncider. En effet, chacun de ces points doit être le pôle d’une même droite relativement aux deux cercles ; ils doivent donc être situés tous deux sur la droite qui joint leurs centres. Soient l’un de ces points et le pied de la perpendiculaire à la polaire de on aura, relativement au cercle inscrit, et relativement au cercle circonscrit ou d’où et Le rectangle des deux droites et est donc donné, ainsi que leur somme ; ces deux droites sont donc données elles-mêmes ; la situation du point P est donc constante sur la droite ce point est donc commun à toutes les diagonales, ainsi que nous l’avions annoncé.

PROBLÈME. Deux cercles étant donnés de grandeur, quelle doit être la distance entre leurs centres pour qu’un même quadrilatère puisse à la fois être circonscrit au plus petit et inscrit au plus grand ?

Solution. Soient le rayon du plus grand cercle, le rayon du plus petit, et la distance cherchée entre leurs centres qui résout le problème.

Supposons les deux cercles disposés l’un par rapport à l’autre de la manière que l’exige le problème ; comme alors une des diagonales du quadrilatère pourra être prise arbitrairement, nous pourrons prendre pour cette diagonale le diamètre du cercle circonscrit qui contient le centre de l’inscrit. Soit donc ce diamètre (fig. 2) et un troisième sommet ; et soient menées sur et les perpendiculaires et On aura et par suite

d’où

ajoutant et retranchant tour à tour à cette dernière équation, l’équation il viendra

d’où, en multipliant,

Mais on a, d’un autre côté,

égalant donc ces deux valeurs, transposant et réduisant, on aura finalement

d’où

On lèvera l’ambiguïté du signe en observant que lorsque la valeur de doit être nulle, ce qui prouve que c’est le signe inférieur qui doit être admis.