Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Analise transcendante, article 3

CORRESPONDANCE.

Lettre de M. Vincent, professeur de mathématiques
au collége royal de Reims,

Au Rédacteur des Annales ;
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Monsieur,

Depuis l’insertion dans vos Annales de mon mémoire sur les courbes exponentielles et logarithmiques[1], on m’a fait observer que j’avais, à tort, donné, comme nouvelles, des considérations qui, me disait-on, se trouvaient développées dans Euler. Je me hâtai de me procurer l’Introduction à l’analise infinitésimale, que je n’avais point lue ; et je reconnus que, pour ce qui a rapport aux courbes composées de points disjoints, le fond de l’assertion était exact. Je dois donc, dans l’intérêt de la science et de la vérité, me dépouiller d’un honneur qui ne m’appartient point ; celui d’avoir, sinon découvert, du moins fait connaître le premier l’existence de ces sortes de courbes, et me borner à revendiquer celui d’en avoir plus complétement développé la nature et les propriétés. J’aurai aussi à me féliciter d’avoir ramené l’attention des géomètres sur des faits curieux qui paraissaient totalement tombés dans l’oubli, puisque les ouvrages modernes les plus étendus et les plus justement estimés n’en font absolument aucune mention. Ceux qui désireraient savoir ce que j’ai pu ajouter à la théorie d’Euler pourront consulter l’ouvrage cité, liv. II, chap. XXI, n.os 515-520 (pag. 292 du II.e volume de la traduction de M. Labey).

Ces observations ne sont nullement applicables à la théorie analitique que j’ai cherché à établir sur les quantités exponentielles et logarithmiques ; car Euler dit, en parlant de l’exponentielle (Ibid. liv. I, chap. VI, n.o 97, pag. 70) « si l’on substitue à des fractions, on aura pour résultats des quantités qui, considérées en elles-mêmes, ont deux ou un plus grand nombre de valeurs, puisque l’extraction des racines en fournit toujours plusieurs. Cependant, on n’admet ordinairement, dans ce cas, que les valeurs qui se présentent les premières, c’est-à-dire, celles qui sont réelles et positives ; parce que la quantité est regardée comme une fonction uniforme de Il en est de même si l’exposant a des valeurs irrationnelles ; mais, comme il est difficile, dans ce cas, de concevoir le nombre de valeurs que renferme la quantité proposée, on se contente de considérer la seule valeur réelle … » Ainsi, Euler reconnaît implicitement que la théorie des logarithmes, telle qu’on a coutume de l’exposer, est incomplète et de pure convention ; et les expressions qu’il emploie montrent clairement qu’il ne la donne ainsi que pour se conformer à l’usage, et à cause de la difficulté d’en établir une plus rigoureuse. Je me propose, au reste, dès que le temps me le permettra, de donner de nouveaux développemens à ce second objet de mon mémoire.

Je vous prie, Monsieur le Rédacteur, de vouloir bien donner une place à cette lettre, dans un de vos prochains numéros, et d’agréer, etc.[2].

Reims, le 20 octobre 1824.

  1. Voyez à la première page du présent volume.
    J. D. G.
  2. Nous devons nous-mêmes des excuses à nos lecteurs pour ne leur avoir pas fait remarquer, par une note, l’analogie des idées d’Euler avec celles de M. Vincent. Mais la vérité est que, comme cet estimable géomètre, nous les croyons tout-à-fait nouvelles. L’ouvrage d’Euler, où elles sont consignées, est pourtant un de ceux que nous avons le plus souvent sous la main ; mais c’est sur-tout la première partie que nous sommes dans le cas de consulter ; et il y a au moins trente ans que nous ne l’avons lu de suite en entier. Voilà sans doute comment cet endroit nous sera échappé.
    J. D. G.