Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Analise transcendante, article 2

ANALISE TRANSCENDANTE.

Dissertation sur la théorie des logarithmes ;

Par M. Stein, professeur de mathématiques au gymnase de Trèves,
ancien élève de l’école polytechnique[1].
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En réfléchissant sur les résultats obtenus par M. Bouvier, à la page 275 du précédent volume des Annales, il nous a paru que ces résultats pouvaient être plus facilement et peut-être même plus rigoureusement déduits de la définition ordinaire des logarithmes. C’est ce que nous nous proposons de faire voir ici. Nous présenterons ensuite au lecteur quelques réflexions sur la nature des logarithmes.

1. Soit la base des logarithmes de Néper ; en posant sera ce qu’on appelle le logarithme népérien de Cherchons quelles valeurs de peuvent correspondre à une même valeur réelle de et réciproquement quelles valeurs de peuvent répondre à une même valeur réelle de

Il est d’abord facile de voir qu’à une même valeur réelle de ne saurait répondre qu’une seule valeur réelle de puisque deux puissances différentes de ne sauraient être égales entre elles. Désignons par cette valeur réelle, et représentons par la quantité inconnue qui doit lui être ajoutée pour avoir toutes les autres ; nous aurons ainsi

d’où, à cause de nous conclurons

Mais, d’un autre côté, on sait que

donc sera donné par l’équation

d’où l’on tire ce qui revient à étant un nombre entier positif quelconque. On a donc, en général,

d’où(1)

Pour avoir le logarithme de nous poserons semblablement

étant toujours, comme ci-dessus, le logarithme réel de il viendra ainsi, en simplifiant

ou bien

d’où ce qui donne et par suite

d’où(2)

2. Lorsqu’au contraire on demande quelles peuvent être les diverses valeurs de qui répondent à une même valeur réelle de on doit essentiellement distinguer trois cas ; savoir : celui où ce est un nombre entier ; celui où est un nombre fractionnaire ; et enfin celui où est un nombre irrationnel.

Dans le premier cas, il est manifeste que la puissance ou ne saurait avoir qu’une seule valeur. Ainsi, le logarithme entier, positif ou négatif ne saurait répondre qu’à un seul nombre

Si est fractionnaire, en désignant par son dénominateur, aura, comme l’on sait, valeurs différentes, dont une réelle positive. Représentant celle-ci par on aura en général c’est-à-dire,

ou

Si enfin l’on suppose irrationnel, cela reviendra à supposer infini ; et aura autant de valeurs différentes qu’en aura lorsque est infini. Or, quelque grand que soit , l’expression aura toujours valeurs différentes, depuis jusqu’à ou zéro, où les arcs forment la suite ascendante

Si l’on fait croître indéfiniment, les termes de cette série se rapprocheront sans cesse les uns des autres, en conservant toujours la même limite supérieure tandis que la limite inférieure descendra continuellement vers zéro. Enfin, devenant infini, la suite deviendra continue, et sa limite inférieure sera tout-à-fait nulle ; donc, dans ce cas, les arcs pourront avoir toutes les valeurs possibles entre et On en devra conclure qu’une expression quelconque de la forme représente, quelque valeur réelle et positive qu’on donne à une des racines d’un degré infini de l’unité. L’unité a donc une infinité de racines d’un degré infini ; ce qui nous prouve qu’à un même logarithme irrationnel doivent répondre une infinité de nombres différens.

3. Examinons présentement de plus près la question des logarithmes des nombres négatifs. En nous appuyant sur ce qui vient d’être exposé ci-dessus, nous serons conduits à établir, comme autant de vérités incontestables,

1.o Que, lorsque est un nombre entier, le nombre négatif ne saurait être compris parmi ceux qui correspondent à ce logarithme, puisqu’il ne peut alors y correspondre aucun nombre autre que

2.o Que, lorsque est fractionnaire et de dénominateur impair, le nombre ne saurait davantage correspondre à ce logarithme ;

3.o Que, lorsque est fractionnaire de dénominateur pair, il répond également aux deux nombres et

4.o Qu’enfin la même chose a également lieu lorsque est irrationnel, puisque rien n’empêche de supposer pair le dénominateur alors infini[2].

4. En résumant ce que nous venons de dire, on voit qu’il est nécessaire de bien distinguer les trois cas où le logarithme est entier, fractionnaire ou irrationnel ; et que, dans le second cas, il faut encore considérer séparément la fraction dont le dénominateur est pair de celle dont le dénominateur est impair. On pourrait néanmoins faire disparaître ces différences en modifiant convenablement la définition. En disant que le logarithme d’un nombre est l’exposant de la puissance à laquelle il faut élever pour avoir ce nombre, il suffirait d’ajouter que l’on est convenu de donner à tous les logarithmes un dénominateur infini. Il y aurait, pour motiver cette addition à la définition ordinaire, beaucoup de raisons déduites de la nature même du calcul des exposans fractionnaires, et sur lesquelles nous pourrons revenir dans une autre occasion.

5. Quoi qu’il en soit, nous passerons présentement à ce qui nous paraît le plus important dans le sujet qui nous occupe. Nous venons de voir que, dans certains cas, peut être égal à Cependant, nous avons trouvé plus haut

valeurs qui, dans aucun cas, ne sauraient coïncider. Il faut donc ou que ces formules ne soient point exactes, ou que nos raisonnemens (1, 2) soient erronés[3]. Or, il ne sera pas difficile de voir que l’erreur réside dans nos formules. En effet, après, avoir posé l’équation

à cause de nous en avons conclu

À la vérité, il n’y a aucun doute qu’en divisant par on ne doive obtenir pour quotient mais il faut observer que, si peut admettre plusieurs valeurs différentes, il ne suffira pas de diviser par une seule de ces valeurs, pour obtenir celle de et qu’il faudra alors diviser successivement par toutes les valeurs que peut admettre, pour être certain d’obtenir toutes celles dont est susceptible. Si donc est uns fraction dont soit le dénominateur, ce ne sera pas par mais bien par

qu’il faudra diviser les deux membres de l’équation

pour obtenir la valeur complète de Par suite de cette remarque, on n’aura pas, comme ci-dessus, mais

d’où

donc

On trouvera par un raisonnement analogue,

Si présentement est un nombre pair, que nous représenterons par nous aurons,


et, dans le cas présent, on verra facilement que, pour une valeur quelconque de il en existe toujours une de qui coïncide avec elle.

Si ensuite est un nombre impair, en le représentant par nous aurons


et ici, quelques valeurs entières et positives qu’on attribue à on ne parviendra jamais à faire coïncider les deux expressions.

Nous voilà donc conduits de nouveau à cette conclusion que est ou n’est pas le même que suivant que le dénominateur de ce logarithme est pair ou impair.

On voit donc, par ce qui précède, que les formules

ne sont point générales, et ne sauraient être appliquées qu’au seul cas où le logarithme réel de est un nombre entier ; dans tout autre cas, il faut écrire


étant le dénominateur du logarithme réel de

6. Nous ferons, en terminant, une observation qui se présente pour ainsi dire d’elle-même : c’est que, lorsqu’on veut raisonner sur un logarithme développé en série, soit sous la forme ordinaire, soit sous toute autre, il ne suffit pas d’écrire

mais qu’il est nécessaire d’ajouter au développement l’une ou l’autre quantité

suivant que est un nombre positif ou négatif[4].

  1. Nous croyons devoir prévenir nos lecteurs qu’au 10 juillet dernier, le mémoire de M. Vincent, imprimé au commencement du présent volume, était encore entre nos mains, et que l’article que l’on va lire nous a été adressé de Trêves, sous la date du 8 du même mois.
    J. D. G.
  2. Mais rien n’empêche non plus de supposer ce dénominateur impair, et alors la conclusion deviendra fausse. C’est ici exactement le cas de la somme de la suite infinie qui est ou suivant qu’on suppose l’infini pair ou impair y et qui pourtant n’est réellement ni l’un ni l’autre.
    J. D. G.
  3. On a lieu d’être surpris que M. Bouvier, qui a donné les mêmes formules, ne se soit pas aperçu de la contradiction qu’elles présentent, et ait conclu généralement que les logarithmes des nombres sont toujours les mêmes, quels que soient les signes de ces nombres.
    (Note de M. Stein.)
  4. Une remarque analogue nous avait déjà été faite par M. Querret à l’occasion de la formule de M. Bouvier.
    J. D. G.