Annales de l’Empire/Édition Garnier/Henri III

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HENRI III,
dix-septième empereur.

Depuis 1039 jusqu’à 1042. Henri III, surnommé le Noir, fils de Conrad, déjà couronné du vivant de son père, est reconnu sans difficulté. Il est couronné et sacré une seconde fois par l’archevêque de Cologne. Les premières années de son règne sont signalées par des guerres contre la Bohême, la Pologne, la Hongrie, mais qui n’opèrent aucun grand événement.

Il donne l’archevêché de Lyon, et investit l’archevêque par la crosse et par l’anneau[1], sans aucune contradiction : deux choses très-remarquables. Elles prouvent que Lyon était ville impériale, et que les rois étaient en possession d’investir les évêques.

Depuis 1042 jusqu’à 1046. La confusion ordinaire bouleversait Rome et l’Italie.

La maison de Toscanelle avait toujours dans Rome la principale autorité. Elle avait acheté le pontificat pour un enfant de douze ans de cette maison. Deux autres l’ayant acheté aussi, ces trois pontifes partagèrent en trois les revenus, et s’accordèrent à vivre paisiblement, abandonnant les affaires politiques au chef de la maison de Toscanelle.

Ce triumvirat singulier dura tant qu’ils eurent de l’argent pour fournir à leurs plaisirs ; et quand ils n’en eurent plus, chacun vendit sa part de la papauté au diacre Gratien, que le P. Maimbourg appelle un saint prêtre, homme de qualité, fort riche ; mais comme le jeune Benoit IX avait été élu longtemps avant les deux autres, on lui laissa, par un accord solennel, la jouissance du tribut que l’Angleterre payait alors à Rome, et qu’on appelait le denier de saint Pierre ; à quoi les rois d’Angleterre s’étaient soumis depuis longtemps.

Ce Gratien, qui prit le nom de Grégoire VI, et qui passe pour s’être conduit sagement, jouissait paisiblement du pontificat, lorsque l’empereur Henri III vint à Rome.

Jamais empereur n’y exerça plus d’autorité. Il déposa Grégoire VI comme simoniaque, et nomma pape Suidger[2], son chancelier, évêque de Bamberg, sans qu’on osât murmurer.

Le chancelier, devenu pape, sacre l’empereur et sa femme, et promet tout ce que les papes ont promis aux empereurs, quand ceux-ci ont été les plus forts.

1047. Henri III donne l’investiture de la Pouille, de la Calabre, et de presque tout le Bénéventin, excepté la ville de Bénévent et son territoire, aux princes normands qui avaient conquis ces pays sur les Grecs et sur les Sarrasins. Les papes ne prétendaient pas alors donner ces États. La ville de Bénévent appartenait encore aux Pandolfes de Toscanelle.

L’empereur repasse en Allemagne, et confère tous les évêchés vacants.

1048. Le duché de la Lorraine Mosellanique est donné à Gérard d’Alsace, et la basse Lorraine à la maison de Luxembourg. La maison d’Alsace, depuis ce temps, n’est connue que sous le titre de marquis et ducs de Lorraine.

Le pape étant mort, on voit encore l’empereur donner un pape à Rome, comme on donnait un autre bénéfice. Henri III envoie un Bavarois nommé Popon, qui sur-le-champ est reconnu pape sous le nom de Damase II.

1049. Damase mort, l’empereur dans l’assemblée de Vorms nomme l’évêque de Toul, Brunon, pape, et l’envoie prendre possession : c’est le pape Léon IX. Il est le premier pape qui ait gardé son évêché avec celui de Rome. Il n’est pas surprenant que les empereurs disposent ainsi du saint-siége. Théodora et Marozie y avaient accoutumé les Romains ; et sans Nicolas II et Grégoire VII, le pontificat eût toujours été dépendant. On leur eût baisé les pieds, et ils eussent été esclaves.

1050-1051-1052. Les Hongrois tuent leur roi Pierre, renoncent à la religion chrétienne, et à l’hommage qu’ils avaient fait à l’empire. Henri III leur fait une guerre malheureuse : il ne peut la finir qu’en donnant sa fille au nouveau roi de Hongrie André, qui était chrétien, quoique ses peuples ne le fussent pas.

1053. Le pape Léon IX vient dans Vorms se plaindre à l’empereur que les princes normands deviennent trop puissants.

Henri III reprend les droits féodaux de Bamberg, et donne au pape la ville de Bénévent en échange. On ne pouvait donner au pape que la ville, les princes normands ayant fait hommage à l’empire pour le reste du duché ; mais l’empereur donna au pape une armée avec laquelle il pourrait chasser ces nouveaux conquérants devenus trop voisins de Rome.

Léon IX mène contre eux cette armée, dont la moitié est commandée par des ecclésiastiques.

Humfroi, Richard, et Robert Guiscard ou Guichard, ces Normands si fameux dans l’histoire[3], taillent en pièces l’armée du pape, trois fois plus forte que la leur. Ils prennent le pape prisonnier, se jettent à ses pieds, lui demandent sa bénédiction, et le mènent prisonnier dans la ville de Bénévent.

1054. L’empereur affecte la puissance absolue. Le duc de Bavière ayant la guerre avec l’évêque de Ratisbonne, Henri III prend le parti de l’évêque, cite le duc de Bavière devant son conseil privé, dépouille le duc, et donne la Bavière à son propre fils Henri, âgé de trois ans : c’est le célèbre empereur Henri IV.

Le duc de Bavière se réfugie chez les Hongrois, et veut en vain les intéresser à sa vengeance.

L’empereur propose aux seigneurs qui lui sont attachés d’assurer l’empire à son fils presque au berceau. Il le fait déclarer roi des Romains dans le château de Tribur, près de Mayence. Ce titre n’était pas nouveau ; il avait été pris par Ludolphe, fils d’Othon Ier.

1055. Il fait un traité d’alliance avec Contarini, duc de Venise. Cette république était déjà puissante et riche, quoiqu’elle ne battît monnaie que depuis l’an 950, et qu’elle ne fût affranchie que depuis 998 d’une redevance d’un manteau de drap d’or, seul tribut qu’elle avait payé aux empereurs d’Occident.

Gênes était la rivale de sa puissance et de son commerce. Elle avait déjà la Corse, qu’elle avait prise sur les Arabes ; mais son négoce valait plus que la Corse, que les Pisans lui disputèrent.

Il n’y avait point de telles villes en Allemagne, et tout ce qui était au delà du Rhin était pauvre et grossier. Les peuples du Nord et de l’Est, plus pauvres encore, ravageaient toujours ces pays.

1056. Les Slaves font encore une irruption, et désolent le duché de Saxe.

Henri III meurt auprès de Paderborn, entre les bras du pape Victor II, qui avant sa mort sacre l’empereur son fils Henri IV, âgé de près de six ans.


  1. Voyez, tome XI, page 399 ; et ci-après, page 297.
  2. Il prit le nom de Clément II.
  3. Voyez, tome XI, page 356 et suivantes.