Annales de l’Empire/Édition Garnier/Conrad II

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CONRAD II, dit LE SALIQUE,
seizième empereur.

1024. On ne peut assez s’étonner du nombre prodigieux de dissertations sur les prétendus sept électeurs qu’on a crus institués dans ce temps-là. Jamais pourtant il n’y eut de plus grande assemblée que celle où Conrad II fut élu. On fut obligé de la tenir en plein champ entre Vorms et Mayence. Les ducs de Saxe, de Bohême, de Bavière, de Carinthie, de la Souabe, de la Franconie, de la haute, de la basse Lorraine ; un nombre prodigieux de comtes, d’évêques, d’abbés : tous donnèrent leurs voix. Il faut remarquer que les magistrats des villes y assistèrent, mais qu’ils ne donnèrent point leurs suffrages. On fut campé six semaines dans le champ d’élection avant de se déterminer.

Enfin le choix tomba sur Conrad, surnommé le Salique, parce qu’il était né sur la rivière de la Saale. C’était un seigneur de Franconie, qu’on fait descendre d’Othon le Grand par les femmes. Il y a grande apparence qu’il fut choisi comme le moins dangereux de tous les prétendants ; en effet, on ne voit point de grandes villes qui lui appartiennent, et il n’est que le chef de puissants vassaux, dont chacun est aussi fort que lui.

1025-1026. L’Allemagne se regardait toujours comme le centre de l’empire ; et le nom d’empereur paraissait confondu avec celui de roi de Germanie. Les Italiens saisissaient toutes les occasions de séparer ces deux titres.

Les députés des grands fiefs d’Italie vont offrir l’empire à Robert, roi de France ; c’était offrir alors un titre fort vain, et des guerres réelles. Robert le refuse sagement. On s’adresse à un duc de Guienne, pair de France : il l’accepte, ayant moins à risquer. Mais le pape Jean XX et l’archevêque de Milan font venir Conrad le Salique en Italie. Il fait auparavant élire et couronner son fils Henri roi de Germanie ; c’était la coutume alors en France, et partout ailleurs.

Il est obligé d’assiéger Pavie. Il essuie des séditions à Ravenne. Tout empereur allemand appelé en Italie y est toujours mal reçu.

1027. À peine Conrad est couronné à Rome qu’il n’y est plus en sûreté. Il repasse en Allemagne, et il y trouve un parti contre lui. Ce sont là les causes de ces fréquents voyages des empereurs.

1028-1029-1030. Henri duc de Bavière étant mort, le roi de Hongrie Étienne, parent par sa mère, demande la Bavière, au préjudice du fils du dernier duc ; preuve que les droits du sang n’étaient pas encore bien établis : et en effet, rien ne l’était. L’empereur donne la Bavière au fils. Le Hongrois veut l’avoir les armes à la main. On se bat, et on l’apaise. Et après la mort de cet Étienne, l’empereur a le crédit de faire placer sur le trône de Hongrie un parent d’Étienne, nommé Pierre : il a de plus le pouvoir de se faire rendre hommage et de se faire payer un tribut par ce roi Pierre, que les Hongrois irrités appelèrent Pierre l’Allemand. Les papes, qui croyaient toujours avoir érigé la Hongrie en royaume, auraient voulu qu’on l’appelât Pierre le Romain.

Ernest, duc de Souabe, qui avait armé contre l’empereur, est mis au ban de l’empire. Ban signifiait d’abord bannière ; ensuite édit, publication ; il signifia aussi depuis bannissement. C’est un des premiers exemples de cette proscription. La formule était : « Nous déclarons ta femme veuve, tes enfants orphelins, et nous t’envoyons au nom du diable aux quatre coins du monde[1]. »

1031-1032. On commence alors à connaître des souverains de Silésie, qui ne sont sous le joug ni de la Bohême, ni de la Pologne : la Pologne se détache insensiblement de l’empire, et ne veut plus le reconnaître.

1032-1033-1034. Si l’empire perd un vassal dans la Pologne, il en acquiert cent dans le royaume de Bourgogne.

Le dernier roi, Rodolphe, qui n’avait point d’enfants, laisse en mourant ses États à Conrad le Salique. C’était très-peu de domaine, avec la supériorité territoriale, ou du moins des prétentions de supériorité, c’est-à-dire de suzeraineté, de domaine suprême, sur les Suisses, les Grisons, la Provence, la Franche-Comté, la Savoie, Genève, le Dauphiné. C’est de là que les terres au delà du Rhône sont encore appelées terres d’empire. Tous les seigneurs de ces cantons, qui relevaient auparavant de Rodolphe, relèvent de l’empereur.

Quelques évêques s’étaient érigés aussi en princes feudataires. Conrad leur donna à tous les mêmes droits. Les empereurs élevèrent toujours les évêques pour les opposer aux seigneurs ; ils s’en trouvèrent bien quand ces deux corps étaient divisés, et mal quand ils s’unissaient.

Les siéges de Lyon, de Besançon, d’Embrun, de Vienne, de Lausanne, de Genève, de Bâle, de Grenoble, de Valence, de Gap, de Die, furent des fiefs impériaux.

De tous les feudataires de la Bourgogne, un seul jette les fondements d’une puissance durable. C’est Humbert aux blanches mains, tige des ducs de Savoie. Il n’avait que la Maurienne, l’empereur lui donne le Chablais, le Valais, et Saint-Maurice ; ainsi de la Pologne jusqu’à l’Escaut, et de la Saône au Garillan, les empereurs faisaient partout des princes, et se regardaient comme les seigneurs suzerains de presque toute l’Europe.

Depuis 1035 jusqu’à 1039. L’Italie encore troublée rappelle encore Conrad. Ce même archevêque de Milan qui avait couronné l’empereur était par cette raison-là même contre lui. Ses droits et ses prétentions en avaient augmenté. Conrad le fait arrêter avec trois autres évêques. il est ensuite obligé d’assiéger

Milan, et il ne peut le prendre. Il y perd une partie de son armée, et il perd par conséquent tout son crédit dans Rome. Il va faire des lois à Bénévent et à Capoue ; mais pendant ce temps les aventuriers normands y font des conquêtes.

Enfin il rentre dans Milan par des négociations, et il s’en retourne selon l’usage ordinaire.

Une maladie le fait mourir à Utrecht le 4 juin 1039.


  1. Les auteurs de l’Art du vérifier les dates prétendent que cette formule est purement de l’invention de Voltaire, qu’ils désignent sans le nommer. Leur jugement est sévère ; mais Voltaire a eu, en cette circonstance, comme en beaucoup d’autres, le tort de ne pas citer ses autorités. (Cl.)