Andromaque/Édition Mesnard, 1865/Acte I

Andromaque/Édition Mesnard, 1865
Andromaque, Texte établi par Paul Mesnard, Librairie de L. Hachette et Cie (Les Grands Écrivains de la France)Tome deuxième (p. 41-59).
Acte II  ►

ANDROMAQUE.

TRAGÉDIE.

ACTE I.



Scène première.

ORESTE, PYLADE.
ORESTE.

Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle ;
Et déjà son courroux semble s’être adouci,
Depuis qu’elle a pris soin de nous rejoindre ici[1].
5Qui l’eût dit, qu’un rivage à mes vœux si funeste[2]
Présenteroit d’abord Pylade aux yeux d’Oreste ?
Qu’après plus de six mois que je t’avois perdu,
À la cour de Pyrrhus tu me serois rendu ?

PYLADE.

J’en rends grâces au ciel, qui m’arrêtant sans cesse
10Sembloit m’avoir fermé le chemin de la Grèce,

 
Depuis le jour fatal que la fureur des eaux
Presque aux yeux de l’Épire écarta nos vaisseaux[3].
Combien dans cet exil ai-je souffert d’alarmes !
Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes,
15Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger
Que ma triste amitié ne pouvoit partager !
Surtout je redoutois cette mélancolie
Où j’ai vu si longtemps votre âme ensevelie.
Je craignois que le ciel, par un cruel secours,
20Ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours.
Mais je vous vois, Seigneur ; et si j’ose le dire,
Un destin plus heureux vous conduit en Épire :
Le pompeux appareil qui suit ici vos pas
N’est point d’un malheureux qui cherche le trépas.

ORESTE.

25Hélas ! qui peut savoir le destin qui m’amène ?
L’amour me fait ici chercher une inhumaine.
Mais qui sait ce qu’il doit ordonner de mon sort,
Et si je viens chercher ou la vie ou la mort ?

PYLADE.

Quoi ? votre âme à l’amour en esclave asservie
30Se repose sur lui du soin de votre vie ?
Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts[4],
Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers ?
Pensez-vous qu’Hermione, à Sparte inexorable,
Vous prépare en Épire un sort plus favorable ?
35Honteux d’avoir poussé tant de vœux superflus,
Vous l’abhorriez ; enfin vous ne m’en parliez plus,
Vous me trompiez, Seigneur.

ORESTE.

Vous me trompiez, Seigneur.Je me trompois moi-même.

Ami, n’accable point un malheureux qui t’aime[5].
T’ai-je jamais caché mon cœur et mes désirs ?
40Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs.
Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille
En faveur de Pyrrhus, vengeur de sa famille[6],
Tu vis mon désespoir ; et tu m’as vu depuis
Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis.
45Je te vis à regret, en cet état funeste,
Prêt à suivre partout le déplorable Oreste,
Toujours de ma fureur interrompre le cours,
Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.
Mais quand je me souvins que parmi tant d’alarmes
50Hermione à Pyrrhus prodiguoit tous ses charmes[7],
Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris
Voulut en l’oubliant punir tous ses mépris[8].

Je fis croire et je crus ma victoire certaine ;
Je pris tous mes transports pour des transports de haine ;
55Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits,
Je défiois ses yeux de me troubler jamais.
Voilà comme je crus étouffer ma tendresse.
En ce calme trompeur j’arrivai dans la Grèce[9] ;
Et je trouvai d’abord ses princes rassemblés,
60Qu’un péril assez grand sembloit avoir troublés.
J’y courus. Je pensai que la guerre et la gloire
De soins plus importants rempliroient ma mémoire ;
Que mes sens reprenant leur première vigueur,
L’amour achèveroit de sortir de mon cœur.
65Mais admire avec moi le sort dont la poursuite
Me fait courir alors au piège que j’évite[10].
J’entends de tous côtés qu’on menace Pyrrhus ;
Toute la Grèce éclate en murmures confus ;
On se plaint qu’oubliant son sang et sa promesse
70Il élève en sa cour l’ennemi de la Grèce,
Astyanax, d’Hector jeune et malheureux fils,
Reste de tant de rois sous Troie ensevelis.
J’apprends que pour ravir son enfance au supplice
Andromaque trompa l’ingénieux Ulysse,
75Tandis qu’un autre enfant, arraché de ses bras,
Sous le nom de son fils fut conduit au trépas.
On dit que peu sensible aux charmes d’Hermione,
Mon rival porte ailleurs son cœur et sa couronne ;
Ménélas, sans le croire, en paroît affligé,

80Et se plaint d’un hymen si longtemps négligé.
Parmi les déplaisirs où son âme se noie,
Il s’élève en la mienne une secrète joie :
Je triomphe ; et pourtant je me flatte d’abord
Que la seule vengeance excite ce transport.
85Mais l’ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place :
De mes feux mal éteints je reconnus la trace[11] ;
Je sentis que ma haine alloit finir son cours,
Ou plutôt je sentis que je l’aimois toujours.
Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage.
90On m’envoie à Pyrrhus : j’entreprends ce voyage.
Je viens voir si l’on peut arracher de ses bras
Cet enfant dont la vie alarme tant d’États :
Heureux si je pouvois, dans l’ardeur qui me presse,
Au lieu d’Astyanax lui ravir ma princesse !
95Car enfin n’attends pas que mes feux redoublés
Des périls les plus grands puissent être troublés.
Puisqu’après tant d’efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne[12].
J’aime : je viens chercher Hermione en ces lieux,
100La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux.
Toi qui connois Pyrrhus, que penses-tu qu’il fasse ?
Dans sa cour, dans son cœur, dis-moi ce qui se passe.
Mon Hermione encor le tient-elle asservi ?
Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu’il m’a ravi[13] ?

PYLADE.

105Je vous abuserois si j’osois vous promettre

Qu’entre vos mains, Seigneur, il voulût la remettre :
Non que de sa conquête il paroisse flatté.
Pour la veuve d’Hector ses feux ont éclaté :
Il l’aime. Mais enfin cette veuve inhumaine
110N’a payé jusqu’ici son amour que de haine ;
Et chaque jour encore on lui voit tout tenter
Pour fléchir sa captive, ou pour l’épouvanter.
De son fils, qu’il lui cache, il menace la tête[14],
Et fait couler des pleurs, qu’aussitôt il arrête.
115Hermione elle-même a vu plus de cent fois
Cet amant irrité revenir sous ses lois,
Et de ses vœux troublés lui rapportant l’hommage,
Soupirer à ses pieds moins d’amour que de rage.
Ainsi n’attendez pas que l’on puisse aujourd’hui
120Vous répondre d’un cœur si peu maître de lui :
Il peut, Seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu’il hait, et punir ce qu’il aime[15].

ORESTE.

Mais dis-moi de quel œil Hermione peut voir
Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir[16] ?

PYLADE.

125Hermione, Seigneur, au moins en apparence,
Semble de son amant dédaigner l’inconstance,
Et croit que trop heureux de fléchir sa rigueur[17],

Il la viendra presser de reprendre son cœur.
Mais je l’ai vue enfin me confier ses larmes.
130Elle pleure en secret le mépris de ses charmes.
Toujours prête à partir, et demeurant toujours,
Quelquefois elle appelle Oreste à son secours.

ORESTE.

Ah ! si je le croyois, j’irois bientôt, Pylade,
Me jeter…

PYLADE.

Me jeter…Achevez, Seigneur, votre ambassade.
135Vous attendez le Roi. Parlez, et lui montrez
Contre le fils d’Hector tous les Grecs conjurés.
Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse,
Leur haine ne fera qu’irriter sa tendresse.
Plus on les veut brouiller, plus on va les unir.
140Pressez : demandez tout, pour ne rien obtenir.
Il vient.

ORESTE.

Il vient.Hé bien ! va donc disposer la cruelle
À revoir un amant qui ne vient que pour elle.


Scène II.

PYRRHUS, ORESTE, PHŒNIX.
ORESTE.

Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix[18],
Souffrez que j’ose ici me flatter de leur choix[19]

145Et qu’à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d’Achille et le vainqueur de Troie.
Oui, comme ses exploits nous admirons vos coups :
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous ;
Et vous avez montré, par une heureuse audace,
150Que le fils seul d’Achille a pu remplir sa place.
Mais ce qu’il n’eût point fait, la Grèce avec douleur
Vous voit du sang troyen relever le malheur,
Et vous laissant toucher d’une pitié funeste,
D’une guerre si longue entretenir le reste.
155Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector ?
Nos peuples affoiblis s’en souviennent encor.
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles ;
Et dans toute la Grèce il n’est point de familles
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
160D’un père ou d’un époux qu’Hector leur a ravis.
Et qui sait ce qu’un jour ce fils peut entreprendre[20] ?
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre,
Tel qu’on a vu son père embraser nos vaisseaux,
Et la flamme à la main, les suivre sur les eaux.
165Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ?
Vous-même de vos soins craignez la récompense,
Et que dans votre sein ce serpent élevé
Ne vous punisse un jour de l’avoir conservé.
Enfin de tous les Grecs satisfaites l’envie,
170Assurez leur vengeance, assurez votre vie ;
Perdez un ennemi d’autant plus dangereux

Qu’il s’essaiera sur vous à combattre contre eux.

PYRRHUS.

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée.
De soins plus importants je l’ai crue agitée,
175Seigneur ; et sur le nom de son ambassadeur,
J’avois dans ses projets conçu plus de grandeur.
Qui croiroit en effet qu’une telle entreprise
Du fils d’Agamemnon méritât l’entremise ;
Qu’un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
180N’eût daigné conspirer que la mort d’un enfant[21] ?
Mais à qui prétend-on que je le sacrifie ?
La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie ?
Et seul de tous les Grecs ne m’est-il pas permis
D’ordonner d’un captif que le sort m’a soumis[22] ?
185Oui, Seigneur, lorsqu’au pied des murs fumants de Troie
Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,
Le sort, dont les arrêts furent alors suivis,
Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
Hécube près d’Ulysse acheva sa misère ;
190Cassandre dans Argos a suivi votre père[23] :
Sur eux, sur leurs captifs ai-je étendu mes droits ?
Ai-je enfin disposé du fruit de leurs exploits ?
On craint qu’avec Hector Troie un jour ne renaisse[24] ;
Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse.

195Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin :
Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.
Je songe quelle étoit autrefois cette ville,
Si superbe en remparts, en héros si fertile,
Maîtresse de l’Asie ; et je regarde enfin
200Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin.
Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes,
Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes,
Un enfant dans les fers ; et je ne puis songer
Que Troie en cet état aspire à se venger[25].
205Ah ! si du fils d’Hector la perte étoit jurée,
Pourquoi d’un an entier l’avons-nous différée ?
Dans le sein de Priam n’a-t-on pu l’immoler ?
Sous tant de morts, sous Troie il falloit l’accabler.
Tout étoit juste alors : la vieillesse et l’enfance
210En vain sur leur foiblesse appuyoient leur défense ;
La victoire et la nuit, plus cruelles que nous,
Nous excitoient au meurtre, et confondoient nos coups.
Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère[26].
Mais que ma cruauté survive à ma colère ?
215Que malgré la pitié dont je me sens saisir,
Dans le sang d’un enfant je me baigne à loisir ?
Non, Seigneur. Que les Grecs cherchent quelque autre proie ;

Qu’ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie :
De mes inimitiés le cours est achevé ;
220L’Épire sauvera ce que Troie a sauvé[27].

ORESTE.

Seigneur, vous savez trop avec quel artifice
Un faux Astyanax fut offert au supplice[28]
Où le seul fils d’Hector devoit être conduit.
Ce n’est pas les Troyens, c’est Hector qu’on poursuit.
225Oui, les Grecs sur le fils persécutent le père ;
Il a par trop de sang acheté leur colère.
Ce n’est que dans le sien qu’elle peut expirer ;
Et jusque dans l’Épire il les peut attirer.
Prévenez-les.

PYRRHUS.

Prévenez-les. Non, non. J’y consens avec joie :
230Qu’ils cherchent dans l’Épire une seconde Troie ;
Qu’ils confondent leur haine, et ne distinguent plus
Le sang qui les fit vaincre et celui des vaincus.
Aussi bien ce n’est pas la première injustice
Dont la Grèce d’Achille a payé le service.

235Hector en profita[29], Seigneur ; et quelque jour
Son fils en pourroit bien profiter à son tour.

ORESTE.

Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle ?

PYRRHUS.

Et je n’ai donc vaincu que pour dépendre d’elle ?

ORESTE.

Hermione, Seigneur, arrêtera vos coups :
240Ses yeux s’opposeront entre son père et vous.

PYRRHUS.

Hermione, Seigneur, peut m’être toujours chère ;
Je puis l’aimer, sans être esclave de son père ;
Et je saurai peut-être accorder quelque jour[30]
Les soins de ma grandeur et ceux de mon amour.
245Vous pouvez cependant voir la fille d’Hélène :
Du sang qui vous unit je sais l’étroite chaîne[31].
Après cela, Seigneur, je ne vous retiens plus,
Et vous pourrez aux Grecs annoncer mon refus.


Scène III.

PYRRHUS, PHŒNIX.
PHŒNIX.

Ainsi vous l’envoyez aux pieds de sa maîtresse !

PYRRHUS.

250On dit qu’il a longtemps brûlé pour la princesse.

PHŒNIX.

Mais si ce feu, Seigneur, vient à se rallumer ?
S’il lui rendoit son cœur, s’il s’en faisoit aimer ?

PYRRHUS.

Ah ! qu’ils s’aiment, Phœnix : j’y consens. Qu’elle parte.
Que charmés l’un de l’autre, ils retournent à Sparte :
255Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui.
Qu’elle m’épargneroit de contrainte et d’ennui !

PHŒNIX.

Seigneur…

PYRRHUS.

Seigneur…Une autre fois je t’ouvrirai mon âme :
Andromaque paroît.


Scène IV.

PYRRHUS, ANDROMAQUE, CÉPHISE[32]
PYRRHUS.

Andromaque paroît.Me cherchiez-vous, Madame ?
Un espoir si charmant me seroit-il permis[33] ?

ANDROMAQUE.

260Je passois jusqu’aux lieux où l’on garde mon fils.
Puisqu’une fois le jour vous souffrez que je voie
Le seul bien qui me reste et d’Hector et de Troie,
J’allois, Seigneur, pleurer un moment avec lui :
Je ne l’ai point encore embrassé d’aujourd’hui.

PYRRHUS.

265Ah ! Madame, les Grecs, si j’en crois leurs alarmes,
Vous donneront bientôt d’autres sujets de larmes.

ANDROMAQUE.

Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé,
Seigneur ? Quelque Troyen vous est-il échappé ?

PYRRHUS.

Leur haine pour Hector n’est pas encore éteinte.
Ils redoutent son fils.

ANDROMAQUE.

270Ils redoutent son fils.Digne objet de leur crainte[34] !
Un enfant malheureux, qui ne sait pas encor
Que Pyrrhus est son maître, et qu’il est fils d’Hector.

PYRRHUS.

Tel qu’il est, tous les Grecs demandent qu’il périsse.
Le fils d’Agamemnon vient hâter son supplice.

ANDROMAQUE.

275Et vous prononcerez un arrêt si cruel ?
Est-ce mon intérêt qui le rend criminel ?
Hélas ! on ne craint point qu’il venge un jour son père ;
On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère[35].
Il m’auroit tenu lieu d’un père[36] et d’un époux ;
280Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups.

PYRRHUS.

Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.
Tous les Grecs m’ont déjà menacé de leurs armes ;
Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux,
Demander votre fils avec mille vaisseaux ;
285Coûtât-il tout le sang qu’Hélène a fait répandre ;

Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre,
Je ne balance point, je vole à son secours :
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours.
Mais parmi ces périls où je cours pour vous plaire,
290Me refuserez-vous un regard moins sévère ?
Haï de tous les Grecs, pressé de tous côtés,
Me faudra-t-il combattre encor vos cruautés ?
Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore
Que vous accepterez un cœur qui vous adore ?
295En combattant pour vous, me sera-t-il permis
De ne vous point compter parmi mes ennemis ?

ANDROMAQUE.

Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de foiblesse ?
Voulez-vous qu’un dessein si beau, si généreux
300Passe pour le transport d’un esprit amoureux[37] ?
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ?
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés[38]
Qu’à des pleurs éternels vous avez condamnés ?
305Non, non, d’un ennemi respecter la misère,

Sauver des malheureux, rendre un fils à sa mère,
De cent peuples pour lui combattre la rigueur,
Sans me faire payer son salut de mon cœur,
Malgré moi, s’il le faut, lui donner un asile :
310Seigneur, voilà des soins dignes du fils d’Achille.

PYRRHUS.

Hé quoi ? votre courroux n’a-t-il pas eu son cours ?
Peut-on haïr sans cesse ? et punit-on toujours ?
J’ai fait des malheureux, sans doute ; et la Phrygie
Cent fois de votre sang a vu ma main rougie.
315Mais que vos yeux sur moi se sont bien exercés !
Qu’ils m’ont vendu bien cher les pleurs qu’ils ont versés !
De combien de remords m’ont-ils rendu la proie !
Je souffre tous les maux que j’ai faits devant Troie.
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
320Brûlé de plus de feux que je n’en allumai[39],
Tant de soins, tant de pleurs, tant d’ardeurs inquiètes…
Hélas ! fus-je jamais si cruel que vous l’êtes ?
Mais enfin, tour à tour, c’est assez nous punir :
Nos ennemis communs devroient nous réunir.
325Madame, dites-moi seulement que j’espère,
Je vous rends votre fils, et je lui sers de père ;
Je l’instruirai moi-même à venger les Troyens ;
J’irai punir les Grecs de vos maux et des miens.
Animé d’un regard, je puis tout entreprendre :

330Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre ;
Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l’ont pris,
Dans ses murs relevés couronner votre fils.

ANDROMAQUE.

Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère :
Je les lui promettois tant qu’a vécu son père[40].
335Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n’a pu conserver mon Hector.
À de moindres faveurs des malheureux prétendent,
Seigneur : c’est un exil que mes pleurs vous demandent.
Souffrez que loin des Grecs, et même loin de vous,
340J’aille cacher mon fils, et pleurer mon époux.
Votre amour contre nous allume trop de haine :
Retournez, retournez à la fille d’Hélène.

PYRRHUS.

Et le puis-je, Madame ? Ah ! que vous me gênez !
Comment lui rendre un cœur que vous me retenez ?
345Je sais que de mes vœux on lui promit l’empire ;
Je sais que pour régner elle vint dans l’Épire ;
Le sort vous y voulut l’une et l’autre amener :
Vous, pour porter des fers ; elle, pour en donner.
Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire ?
350Et ne diroit-on pas, en voyant au contraire
Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés,
Qu’elle est ici captive, et que vous y régnez ?
Ah ! qu’un seul des soupirs que mon cœur vous envoie,
S’il s’échappoit vers elle, y porteroit de joie !

ANDROMAQUE.

355Et pourquoi vos soupirs seroient-ils repoussés ?

Auroit-elle oublié vos services passés ?
Troie, Hector contre vous révoltent-ils son âme ?
Aux cendres d’un époux doit-elle enfin sa flamme ?
Et quel époux encore ! Ah ! souvenir cruel !
360Sa mort seule a rendu votre père immortel.
Il doit au sang d’Hector tout l’éclat de ses armes,
Et vous n’êtes tous deux connus que par mes larmes.

PYRRHUS.

Hé bien, Madame, hé bien, il faut vous obéir :
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
365Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence
Pour ne plus s’arrêter que dans l’indifférence.
Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur,
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.
Je n’épargnerai rien dans ma juste colère :
370Le fils me répondra des mépris de la mère ;
La Grèce le demande, et je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats[41].

ANDROMAQUE.

Hélas ! il mourra donc. Il n’a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère, et que son innocence.
375Et peut-être après tout, en l’état où je suis,
Sa mort avancera la fin de mes ennuis.
Je prolongeois pour lui ma vie et ma misère[42] ;

Mais enfin sur ses pas j’irai revoir son père.
Ainsi tous trois, Seigneur, par vos soins réunis,
Nous vous…

PYRRHUS.

380Nous vous…Allez, Madame, allez voir votre fils[43].
Peut-être, en le voyant, votre amour plus timide
Ne prendra pas toujours sa colère pour guide.
Pour savoir nos destins, j’irai vous retrouver.
Madame, en l’embrassant, songez à le sauver[44].


FIN DU PREMIER ACTE.
  1. H. Latouche, dans sa notice sur André Chénier (Poésies d’André Chénier, Paris, 1844, pages XIX et XX), raconte que lorsque Roucher et André Chénier étaient sur la charrette qui les conduisait tous deux au supplice, ils récitèrent ces premiers vers d’Andromaque, qui prenaient en ce moment pour eux un sens si touchant. Mais peut-être, comme on paraît le croire généralement aujourd’hui, n’est-ce là qu’une ingénieuse légende.
  2. Var. Qui m’eût dit qu’un rivage à mes yeux si funeste. (1668-87)
  3. Var. Presque aux yeux de Mycène écarta nos vaisseaux. (1668 et 73)
  4. Var. Par quels charmes, après tant de tourments soufferts,
    Peut-il vous inviter à rentrer dans ses fers ? (1668-87)
  5. Var. Ami, n’insulte point un malheureux qui t’aime. (1668 et 73)
  6. Oreste, dans l’Andromaque d’Euripide (vers 948-963), accuse aussi Ménélas de ce manque de foi. Il dit à Hermione :

    · · · · · · · · · Ἐμὴ γὰρ οὖσα πρὶν,
    Σὺν τῷδε ναίεις ἀνδρὶ σοῦ πατρὸς κάκῃ,
    Ὀς πρὶν τὰ Τροίας ἐσβαλεῖν ὁρίσματα,
    Γυναῖκ' ἐμοί σε δοὺς ὑπέσχεθ' ὕστερον
    Τῷ νῦν σ' ἔχοντι, Τρῳάδ' εἰ πέρσοι πόλιν…
    Ἦλγουν μὲν ἤλγουν · · · · · · · · ·
    Σῶν δὲ στερηθεὶς ᾠχόμην ἄκων γάμων.

  7. Voltaire, comme le fait remarquer la Harpe, a imité ce vers dans la Henriade, chant IX :

    D’Estrée à son amant prodiguait ses appas.


    Mais le vers de Voltaire serait un mauvais commentaire de celui de Racine. « Oreste, dit Louis Racine, veut dire seulement qu’Hermione, qui l’a oublié, ne songe qu’à plaire à Pyrrhus. » L’expression si poétique et si passionnée que le poëte lui a mise dans la bouche, fut de bonne heure détournée de son vrai sens par la malignité de la critique. Subligny (Folle querelle, acte III, scène IV) en fait l’objet d’une raillerie vulgaire.

  8. Var. Voulut, en l’oubliant, venger tous ses mépris (a). (1668 et 73) (a) Subligny avait dit dans la Préface de la Folle querelle : « Tant qu’il écrira ainsi, on dira toujours qu’il exprime ses pensées à contre-sens, parce qu’on voit bien qu’il a prétendu dire : punir ses mépris, et non pas les venger. » Bien que cet emploi, un peu latin peut-être, du verbe venger n’eût, ce nous semble, rien de choquant, Racine, comme l’on voit, a tenu compte de la critique.
  9. Var. Dans ce calme trompeur j’arrivai dans la Grèce. (1668-87)
  10. Var. Me fait courir moi-même au piège que j’évite (a). (1668 et 73)
    (a) « Ce moi-même, avait dit Subligny (acte III, scène viii), n’est-il pas une belle cheville ? » Il avait, au même endroit, fait sur ce vers et sur le précédent d’autres chicanes, auxquelles Racine, avec raison, ne s’est pas rendu.
  11. C’est une imitation du vers de Virgile (Énéide, livre IV, vers 23) :

    · · · · Agnosco veteris vestigia flammæ.


    Corneille a dit, dans Sertorius (vers 263 et 264) :

    On a peine à haïr ce qu’on a bien aimé,
    Et le feu mal éteint est bientôt rallumé.

  12. Var. Je me livre en aveugle au transport qui m’entraîne. (1668-87)
  13. Var. Me rendra-t-il, Pylade, un cœur qu’il m’a ravi ? (1668-76)
  14. Var. Il lui cache son fils, il menace sa tête. (1668-87)
  15. Var. Épouser ce qu’il hait, et perdre ce qu’il aime. (1668-87)
  16. Var. Ses attraits offensés et ses yeux sans pouvoir(a). (1668 et 73)

    (a). Subligny (et plusieurs éditeurs l’ont à tort suivi) cite ainsi le vers précédent, dans sa comédie (acte III, scène viii) :

    Mais dis-moi de quels yeux Hermione peut voir ;


    et il dit : « De quels yeux une personne peut voir ses yeux. Voilà une étrange expression ! » Avec la leçon « de quel œil » la faute était beaucoup moins apparente. Cependant Racine a mis la critique à profit.

  17. Var. Et croit que trop heureux d’apaiser sa rigueur(b). (1668 et 73)

    (b). Subligny, dans sa Préface, avait blâmé apaiser : « On lui répondra qu’on n’apaise point une rigueur, mais qu’on l’adoucit. »
  18. · · · · · · · Graiorum omnium
    Procerumque vox est · · · · · ·

    (Troyennes de Sénèque, vers 527 et 528.)
  19. Var. Souffrez que je me flatte en secret de leur choix(a). (1668 et 73)

    « Cet en secret est un beau galimatias. » (Subligny, Préface de la Folle querelle.)
  20. Sollicita Danaos pacis incertae fides
    Semper tenebit, semper a tergo timor
    Respicere coget, arma nec poni sinet
    Dum Phrygibus animos natus eversis dabit.

    (Troyennes de Sénèque, vers 530-534.)

    · · · · · · Magna res Danaos movet,
    Futurus Hector : libera Graios metu.

    (Ibidem, vers 551 et 552.)
  21. · · · · · · Fortis in pueri necem.
    (Troyennes de Sénèque, vers 756.)
  22. Var. D’ordonner des captifs que le sort m’a soumis. (1668-76)
  23. On peut voir dans les Troyennes d’Euripide (vers 239 et suivants) la scène où Talthybius vient annoncer à Hécube et aux autres captives à quel maître le sort a donné chacune d’elles.
  24. Τί τόνδ', Ἀχαιοί, παῖδα δείσαντες φόνον
    Καινὸν διειργάσασθε; μὴ Τροίαν ποτὲ
    Πεσοῦσαν ὀρθώσειεν; · · · · · · · · ·
    Πόλεως δ' ἁλούσης καὶ Φρυγῶν ἐφθαρμένων
    Βρέφος τοσόνδ' ἐδείσατε · · · · · ·

    (Troyennes d’Euripide, vers 1156-1162.)
  25. An has ruinas urbis in cinerem datas
    Hic excitabit ? Hæ manus Trojam erigent ?
    Nullas habet spes Troja, si tales habet.

    (Troyennes de Sénèque, vers 740-742.)
  26. Ces beaux vers ont été certainement inspirés par ceux que Sénèque (Troyennes, vers 267 et 268 et vers 280-286) met dans la bouche d’Agamemnon :

    · · · · · Fateor, aliquando impotens
    Regno ac superbus, altius memet tuli…
    · · · · · Sed regi frenis nequit
    Et ira, et ardens hostis, et victoria
    Commissa nocti. Quidquid indignum aut ferum
    Cuiquam videri potuit, hoc fecit dolor,
    Tenebræque, per quas ipse se irritat furor,
    Gladiusque felix, cujus infecti semel
    Vecors libido est · · · · · · · · · · ·

  27. · · · · · · · · Quidquid eversæ potest
    Superesse Trojæ, maneat. Exactum satis
    Pœnarum et ultra est
    · · · · · · · · · ·

    (Troyennes de Sénèque, vers 286-288.)
  28. « Ulysse jeta Astyanax en bas des murailles. (Servius in Æneide, lib. III, v. 489.) D’autres disent que ce fut Ménélas qui fit cette exécution. (Idem in Æneide, lib. II, v. 457.) D’autres l’attribuent à Pyrrhus tout seul… (Pausanias, lib. X.) Quoi qu’il en soit, les poëtes et les faiseurs de romans ont bien su le ressusciter, ou plutôt le faire échapper de la main des Grecs. » (Dictionnaire de Bayle, au mot Astyanax.) Les poëtes auraient pu répondre qu’ils avaient trouvé le fondement de leurs fables dans les Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, où il est dit qu’Ascagne ramena à Troie Scamandrius (qui est le même qu’Astyanax) et les autres Hectorides que Néoptolème avait laissés sortir de Grèce. (Livre I, chapitre xlvii.) Il y a aussi dans Strabon (livre XIII), à propos de la ville de Scepsis, un passage qui suppose que Scamandrius, fils d’Hector, ne fut pas immolé par les Grecs et devint l’ami et le compagnon d’Ascagne. Cependant Racine, dans sa seconde préface, n’allègue pas ces anciennes autorités, mais se contente de rappeler que l’exemple de la liberté qu’il a prise avait déjà été donné par Ronsard et par nos vieilles chroniques.
  29. Allusion à la colère d’Achille, qui est le sujet de l’Iliade.
  30. Var. Et je saurai peut-être accorder en ce jour. (1668-76)
  31. Hermione était fille de Ménélas, frère d’Agamemnon ; Agamemnon était père d’Oreste.
  32. Dans l’indication des personnages de cette scène, l’édition de 1736(a) ajoute le nom de PHŒNIX, qui n’est point dans les anciennes éditions.

    (a). Il est bon de remarquer ici que dans l’Avertissement de cette édition de 1736, p. xiii, il est dit : « Pour donner la tragédie d’Andromaque telle que les comédiens la représentent, on s’est servi de leur exemplaire. »
  33. Cet hémistiche : « un espoir si charmant, » se trouve aussi dans l’Alexandre, vers 1168.
  34. Hic est, hic est terror, Ulysse,
    Mille carinis · · · · · · · · ·

    (Troyennes de Sénèque, vers 708 et 709.)
  35. La phrase, sans ellipse, serait, comme l’a fait remarquer M. Aignan : « On craint que, s’il vivait, il n’essuyât… » Racine a dit, dans cette même pièce (vers 986 et 987) : « Pensez-vous… qu’il méprisât… » L’ellipse est la même ; mais on est moins arrêté, parce qu’avec l’interrogation le tour nous est rendu plus familier par l’usage.
  36. Éétion, père d’Andromaque, avait été, comme Hector, tué par Achille. Voyez le VIe chant de l’Iliade, vers 414 et suivants.
  37. La ressemblance de ce discours avec celui que, dans Pertharite, Rodelinde adresse à Grimoald, a été signalée par Voltaire :

    Comte, penses-y bien, et pour m’avoir aimée,
    N’imprime point de tache à tant de renommée ;
    Ne crois que ta vertu : laisse-la seule agir,
    De peur qu’un tel effort ne te donne à rougir.
    On publieroit de toi que les yeux d’une femme
    Plus que ta propre gloire auroient touché ton âme ;
    On diroit qu’un héros si grand, si renommé
    Ne seroit qu’un tyran s’il n’avoit point aimé.

    (Pertharite, acte II, scène v, vers 667-674.)
  38. Var. Que feriez-vous, hélas ! d’un cœur infortuné
    Qu’à des pleurs éternels vous avez condamné(a) ? (1668 et 73)

    (a). Racine a voulu ici encore donner satisfaction à Subligny, qui avait dit dans sa Préface : « Les pleurs sont l’office des yeux, comme les soupirs celui du cœur ; mais le cœur ne pleure pas. »
  39. Il y a allumé, au lieu de allumai, dans les diverses éditions publiées du vivant de Racine. — Dans ses notes sur Paul et Virginie traduit en grec moderne (Βερναρδινου Σαιμπιερρου Διηγηματα, p. 342 et 343), M. Piccolos, auteur de cette traduction, a rapproché ingénieusement ce vers, tant critiqué, d’un passage du roman d’Héliodore si cher à la jeunesse de Racine. C’est celui où « Hydaspe, dit-il, après la reconnaissance, se voit forcé d’immoler sa fille (Éthiopiques, livre X, chapitre xvii) : Ἐπέβαλλε τῇ Χαρικλείᾳ τὰς χεῖρας, ἄγειν μὲν ἐπὶ τοὺς βωμοὺς καὶ τὴν ἐπ´ αὐτῶν πυρκαϊὰν ἐνδεικνύμενος πλείονι δὲ αὐτὸς πυρὶ τῷ πάθει τὴν καρδίαν σμυχόμενος καὶ τὴν ἐπιτυχίαν τῶν ἐνηδρευμένων τῇ δημηγορίᾳ λόγων ἀπευχόμενος. « Il saisit Chariclée, et fit mine de la conduire à l’autel et sur le bûcher qui y était allumé ; et lui-même, dans sa douleur, était brûlé de plus de feux. »
  40. Eritne tempus illud ac felix dies
    Quo, Troici defensor et vindex soli,
    Recidiva ponas Pergama ? · · · · ·
    · · · · · · Sed mei fati memor,
    Tam magna timeo vota : quod captis sat est,
    Vivamus · · · · · · · · · · · · · ·

    (Troyennes de Sénèque, vers 471-477.)
  41. Grimoald, dans Pertharite, irrité des refus de Rodelinde, lui fait des menaces semblables :

    · · · · · · · · · Puisqu’on me méprise,
    Je deviendrai tyran de qui me tyrannise,
    Et ne souffrirai plus qu’une indigne fierté
    Se joue impunément de mon trop de bonté.

    (Pertharite, vers 727-730.)
  42. Jam erepta Danais conjugem sequerer meum,
    Nisi hic teneret : hic meos animos domat,
    Morique prohibet · · · · · · · · · · · ·
    · · · · · · · · Tempus ærummæ addidit.

    (Troyennes de Sénèque, vers 419-422.)
  43. Var. Nos cœurs… PYRR. Allez, Madame, allez voir votre fils. (1668-76)
  44. Préville, dans ses Mémoires, fait cette remarque : « Quelques acteurs, dans ce vers de Pyrrhus à Andromaque :

    Madame, en l’embrassant, songez à le sauver,


    emploient la menace, quand au contraire le pathétique, l’intérêt, la pitié en marquent l’esprit. » Voyez ces Mémoires, page 131, dans la Collection des Mémoires sur l’art dramatique, Paris, 1823. — Baron, qui joua avec tant de succès le rôle de Pyrrhus, interprétait ce vers de la manière que veut Préville, comme on le voit dans les Anecdotes dramatiques de l’abbé de la Porte. « Baron, dit-il, employait, au lieu de la menace, l’expression pathétique de l’intérêt et de la pitié. Il semblait même, par le geste touchant avec lequel il accompagnait ces mots en l’embrassant, tenir Astyanax entre ses mains et le présenter à sa mère. »