Traduction par Bénédict H. Révoil.
Hachette (p. 73-82).


VIII


Le lever de Son Excellence le secrétaire d’État.


Le marquis de Guiscard croyait être reçu sur-le-champ, et cependant il fut introduit dans une antichambre, où plusieurs personnes attendaient comme lui une audience du secrétaire.

Il s’y trouvait entre autres trois individus dont les visages lui étaient familiers, car il les avait remarqués parmi la foule des curieux dans Saint-James’s-Street le jour de la réception de la reine, précisément un instant avant son infructueuse tentative contre miss Abigaïl Hill.

Ces personnes étaient le ministre Hyde, sa femme et sa fille.

La fraîcheur et la beauté d’Angelica avaient bien attiré l’attention de Guiscard dès la première vue, mais il était alors trop occupé de son projet pour songer à elle. À cette heure qu’elle s’offrait à ses yeux sous d’autres auspices, il s’étonna de ne pas avoir été frappé davantage par ses attraits enchanteurs.

Angelica était modestement vêtue ; cette toilette simple la faisait paraître à son avantage. Placé sur le haut de la tête, un chapeau à forme plate et à larges bords ombrageait son visage et suffisait pour donner un cachet tout particulier à la beauté des nombreuses boucles de cheveux châtains qui retombaient sur ses épaules. Sous une jupe de calicot blanc relevée de côté, paraissait un jupon de soie écarlate ; le corsage était de la même couleur que le jupon, et le tablier en mousseline blanche ; de longues mitaines de soie blanche qui montaient jusqu’au coude, des souliers à hauts talons qui encerclaient à ravir son petit pied, complétaient cet ajustement du meilleur goût.

La mère de la jeune fille, qui, ainsi que cela a déjà été dit, n’avait pas encore perdu ses grâces, portait une robe de soie noire un peu fanée, une écharpe garnie de falbalas, des manchettes, un capuchon moucheté et des sabots lacés.

Le ministre Hyde causait avec un collègue, dont le rang dans l’Église était supérieur au sien, ce qui était facile à constater par l’examen de leurs vêtements et par le chapeau de docteur que le dernier tenait sur ses genoux. Les traits du ministre étaient réguliers et agréables, son teint reposé et son maintien imposant.

Lorsque Guiscard entra, le collègue de Hyde regarda fixement le marquis, et répondit par un froncement de sourcils au regard hautain du Français, puis il continua sa conversation avec Hyde, qui, en lui parlant, l’appelait le docteur Sacheverell.

Bientôt après, et tandis que le marquis lorgnait la jolie Angelica qui rougissait et minaudait sous son regard, en s’agitant en tous sens, riant avec sa mère et tortillaut son tablier entre ses doigts pour cacher son trouble, une porte intérieure s’ouvrit, et, au milieu de bruyants éclats de rire, deux personnes parurent qur le seuil.

Un huissier s’approchant de Guiscard lui apprit que sir Harley était libre ; et, au même instant, le marquis, envoyant du bout des doigts un baiser à Angelica et saluant poliment les nouveaux venus, passa dans le cabinet où il était attendu.

Le premier des deux individus qui venaient de quitter le secrétaire, beaucoup plus jeune que son compagnon, était réellement un homme fort remarquable. Sa taille, quoique médiocre et d’une élégance qui tenait de la femme, était admirablement proportionnée, et ses traits, en harmonie avec sa tournure, étaient beaux et délicats. Un front d’un blanc de marbre, un nez quelque peu proéminent, mais d’une régularité parfaite, des lèvres frémissantes et un menton classique, des yeux bien fendus, d’un noir de jais, d’un éclat tout particulier et d’une douceur sans pareille, une grâce indéfinissable dans le moindre de ses gestes, un port à la fois noble et nonchalant, tout l’ensemble de cette personne eût été des plus séduisants, si un certain air moqueur et une expression de libertinage n’eussent dominé en elle.

Il faut néanmoins convenir en toute justice que cette expression n’était pas habituelle chez le personnage dont il s’agit. Il y avait des occasions fréquentes où cet air railleur et sensuel faisait place à la sensibilité et à la plus tendre passion dans le regard et dans l’attitude. Cet homme n’avait pas tout à fait trente ans ; mais son maintien et sa tournure trahissaient une telle apparence de jeunesse, qu’on lui eùt donné tout au plus vingt-trois ou vingt-quatre ans. Il était vêtu à la dernière mode : son babit de velours bleu clair à larges revers richement brodés d’argent, ses bas couleur d’ambre, ses souliers de maroquin rouge attachés avec des boucles de diamants, son épée dont la poignée était enrichie de perles, et à laquelle était tortillée une ganse de soie terminée par deux glands, sa cravate en point d’Angleterre, et ses manchettes pareilles, d’une richesse, d’une ampleur telles, qu’elles lui cachaient les mains, son chapeau galonné d’argent et bordé de plumes, tout en lui décelait le gentilhomme.

L’inconnu ne portait pas de perruque : ses propres cheveux, de couleur foncés, tombaient sur ees épaules en larges boucles d’un pied et demi de long. Ils étaient rattachés par derrière avec un long ruban rouge flottant au gré du vent : c’était une mode qu’il avait inventée lui-même. Le mouchoir qu’il tenait à la main, et qu’il appliquait de temps à autre sur ses lèvres en parlant, était fortement parfumé et embaumait l’atmosphère comme s’il fût sorti d’un bain de fleurs.

Tel était l’homme d’État, l’orateur, le poëte, le philosophe, le bel esprit, le bellâtre, le sybarite, le renommé Henri Saint-John, secrétaire d’État de Sa Majesté au département de la guerre.

San compagnon, qu’il appelait familièrement Mat, bien connu à cette époque sous le nom de Matthew Prior, poëte renommé, était un homme maigre, au teint brun et aux joues creuses ; la teinte naturelle de sa peau était brunie par l’extrême noirceur de sa barbe. Des traits fort prononcés et anguleux, des yeux gris dont la jaunisse avait coloré l’orbite, remplis d’un éclat particulier et trahissant une expression de gaieté et d’originalité, une bouche moqueuse et des manières aisées et joviales, tout cela était relevé par un son de voix qui, lorsqu’il riait, était fort agréable à l’oreille.

Matthew Prior avait quarante-deux ans, mais il en paraissait cinquante. Dépossédé de l’emploi de sous-secrétaire d’État, on l’avait nommé un des commissaires du commerce, et il siégeait au Parlement en qualité de député de East-Greustead. Prior était simplement vêtu d’un habit complet de cheval, de couleur soirs ; il portait des bottes, une perruque et un chapeau assortis, et tenait un fouet à la main.

Après avoir chuchoté ensemble quelques instants, les deux hommes d’État se disposaient l’un et l’autre à quitter la chambre, lorsque Saint-John aperçut par hasard Sacheverell, et s’arrêta tout court.

« Ah, docteur ! c’est vous ? s’écria-t-il ; je suis ravi de vous voir ; j’ai à vous féliciter, et l’Église se réjouira comme moi de votre récente nomination au rectorat de Saint-Sauveur. À ma grande honte je n’ai pas encore été vous entendre… Pourquoi riez-vous, Mat, scélérat que vous êtes ? J’ai entendu dire que vos derniers sermons étaient admirables.

— Je croirais plutôt qu’ils étaient soporifiques ! murmura Prior.

— Ah ! monsieur Saint-John, vous me faites trop d’honneur, dit Sacheverell en s’inclinant ; cet éloge de vous est aussi flatteur qu’inattendu.

— Il est grandement mérité en tous cas, mon cher docteur, reprit Saint-John ; l’effet de vos sermons s’est déjà fait sentir là où vous désirez le plus faire impression.

— Oh ! oui, parce qu’il les assaisonne fortement de politique, murmura de nouveau Prior ; les personnalités qu’ils contiennent font leur principal mérite. »

Tandis que Sacheverell s’inclinait jusqu’à terre, Saint-Jobhn fit signe à son ami de se taire.

« Le haut clergé vous doit beaucoup, poursuivit Saint-John, et je ne crains pas de m’abuser en vous disant qu’il saura se montrer reconnaissant.

— Que les whigs le corrompent en lui donnant un évêché, et il prêchera tout ce qu’ils voudront, ajouta encore Prior à l’oreille du secrétaire d’État.

— Vous attachez à mes humbles services plus d’importance qu’ils n’en méritent, monsieur Saint-John, dit Sacheverell ; mais je poursuivrai l’œuvre que j’ai commencée, car je suis convaincu que je puis faire du bien. Mon zèle compensera ce qui me manque en talent, et je ne reculerai devant aucunes menaces, comme je n’accepterai aucune offre corruptrice, quoique ces deux moyens, je n’hésite pas à vous le dire, aient été employés à mon endroit.

— Comment ! Harry, vous ne comprenez pas l’insinuation ? dit Prior tout bas ; offrez-lui donc tout d’un trait Lincoln ou Chester.

— Je marcherai, dis-je, monsieur, sans me troubler, continua Sacheverell ; et dans un temps donné, je n’en doute pas, je réveillerai la tiédeur des ouvriers de la vigne du Seigneur ; leur énergie est nécessaire, car à présent plus que jamais l’Église d’Angleterre est en danger. Vous souriez, monsieur Prior, et pourtant ce sujet ne saurait être traité légèrement. Je le répète, l’Église est en danger. Je ferai retentir ce cri jusqu’à ce que les échos me répondent de toutes les parties de ce pays, jusqu’à ce qu’il ébranle le présent ministère dans la sécurité coupable au milieu de laquelle il s’endort.

— Mille dieux ! s’il parvient à faire cela, il aura réellement mérité la mitre, ajouta Prior. Je commence à croire que ce brave homme pourrait être utile, il ne manque pas d’énergie.

— Excellent docteur, ce que vous dites est parfait ! s’écria Saint-John, en s’efforçant, par de bruyants applaudissements, d’étouffer les remarques de son ami. L’Église a en vous un valeureux champion.

— On a montré trop de tolérance envers ses ennemis, et ses amis l’ont trop faiblement défendue, s’écria Sacheverell en s’échauffant ; je veux déclarer la guerre aux non-conformistes, et ce sera une guerre d’extermination, monsieur Saint-John.

— Il rallumera les bûchers à Smithfield, dit tout bas Prior.

— Tout l’appui qu’il sera en notre pouvoir de vous donner, docteur, ne vous fera pas défaut, je vous le jure, ajouta Saint-John, qui s’efforça de sourire. Vous feriez bien de développer complétement vos idées à M. Harley.

— C’est dans cette intention que je suis venu aujourd’hui, monsieur, répondit Sacheverell, et, d’après ce qu’il m’a fait dire, je suis sûr que sa coopération ne me fera pas défaut. M. Harley est un véritable ami de l’Église.

— Il est le véritable ami de lui-même fit Prior à demi-voix, et il a pour culte son propre avancement. Toutefois, s’il appartient à une secte plutôt qu’à une autre, c’est à celle des dissidents. À vrai dire pourtant, en protégeant le haut clergé, il sert ses projets actuels, et on ne pourrait choisir une occasion plus favorable pour solliciter son appui.

— Que dites-vous, monsieur Prior ? demanda Sacheverell.

— Je disais simplement, docteur, que M. Harley sera heureux d’acquérir un allié tel que vous, et qu’il vous appuiera envers et contre tous, répliqua Prior.

— J’ai épousé ma cause sérieusement, monsieur Prior, dit Sacheverell, et, s’il le faut, je suis résigné au martyre pour le triomphe de mes opinions.

— Il faut espérer, docteur, fit Prior d’un ton légèrement railleur, que vous modifierez votre programme. »

Saint-John se hâta d’intervenir ; mais dans cet instant la porte intérieure s’ouvrit et Guiscard parut, la physionomie radieuse.

En même temps l’huissier annonça à Sacheverell que son tour d’audience était arrivé. Le docteur prit cérémonieusement congé de Saint-John et de Prior, et, aussitôt que la porte se fut refermée sur lui, les deux amis éclatèrent tous deux d’un rire bruyant, sans prendre garde le moins du monde à la présence des autres personnes qui se trouvaient avec eux.

« Fameux ! s’écria Saint-John. Si Sacheverell sauve l’Église, il méritera au moins d’être canonisé.

— Qu’il réussisse à expulser le ministère whig et il sera élu archevèque de Canterbury ; du moins, je lui donne ma voix, répliqua Prior.

— Vous vous moquez du docteur Sacheverell, messieurs, dit Guiscard en s’approchant d’eux, mais laissez-moi vous dire qu’il ne mérite pas vos railleries. Ce n’est pas un homme à mépriser, vous vous en apercevrez plus tard. Le feu est à peine allumé, mais il saura le faire flamber.

— Oui ! il remplira l’office du soufflet, observa Prior ; c’est un ustensile de ménage dont on ne saurait se passer.

— Je crois que Guiscard a raison, dit Saint-John, qui redevint grave. Parbleu, marquis, puisque je vous rencontre, laissez-moi vous féliciter ; il paraît que vous êtes à la veille d’épouser la nouvelle favorite de la reine : nous aurons bientôt à pétitionner auprès de vous, si nous voulons obtenir des places, n’est-ce pas ?

— Vous ne demanderez pas en vain, monsieur Saint-John, si j’ai jamais quelque puissance, répondit Guiscard avec condescendance. Personne ne saurait mieux que vous diriger une importante administration.

— Ah ! marquis !

— C’est mon avis, sur l’honneur !

— Si j’osais me prévaloir d’un titre… dit Prior, celui d’humble poëte…

— C’est le seul litre que M. Prior doive invoquer, répliqua le marquis, et il est plus que suffisant pour lui acquérir mon bon vouloir. Toutefois, M. Prior a d’autres titres encore aux quels il paraît attacher peu d’importance, et qui, cependant, doivent être pris en considération. Je veux parler de ses capacités comme homme d’État. Pour un homme de la valeur intellectuelle de M. Prior, un sous-secrétariat n’est pas une position convenable.

— Oh ! marquis ! » s’écria le poëte, qui fit en lui-mêmé cette réflexion : « Sur mon âme, cet homme a le jugement sain : il est digne de réussir. »

Le révérend Hyde, qui remarqua les respects ironiques dont le marquis était l’objet, se crut obligé de se lover et d’aller lui faire un profond salut.

« J’ai eu l’honneur de vous voir hier, monsieur le marquis, lorsque vous avez arrêté miss Abigaïl Hill dans Saint-James’s-Street. J’étais loin de m’attendre à pareil dénoûment, dit-il, car la jeune dame me paraissait fort mal recevoir vos prévenances.

— Si vous aviez plus d’expérience du monde, mon révérend, répondit Guiscard, vous sauriez qu’une dame change d’opinions aussi souvent que de vêtements.

— Oh ! je sais cela à merveille, monsieur le marquis, reprit Hyde en jetant à la dérobée un regard sur sa femme, et je suis bien aise que le vent ait tourné de votre côté. Puisque vous allez être placé de façon à distribuer des grâces, permettez-moi de réclamer votre protection. J’ai dans le comté d’Essex un bénéfice qui ne me rapporte que quarante livres par an.

— Vous pouvez être sûr de tout mon intérêt, mon révérénd, ne fût-ce que par égard pour votre charmante fille, réplique Guiscard, qui adressa une tendre œillade à miss Angelica.

— Par ma foi ! voilà une délicieuse enfant ! s’écria Prior, dont l’attention se porta alors sur la fille du ministre. Regardez-la donc, Harry, elle est presque aussi belle que ma Chloé.

— Pardieu, vous avez raison ! reprit Saint-John. Vous êtes venu pour solliciter M. Harley, n’est-ce pas, mon révérend ?

— Oui, monsieur, répondit Hyde, J’ai appris par mon ami, M. Greg, qu’il avait renvoyé depuis peu son chapelain, et je suis venu dans l’espoir d’obtenir cette place.

M. Harley a un chapelain pour chaque jour de la semaine, dit Prior, et il a des conférences avec chacun d’eux à son tour : ainsi le dimanche il est de l’Église établie, le lundi il est presbytérien, le mardi il est romain, le mercredi quaker, et ainsi de suite tout le reste de la semaine.

— Ce que vous dites-là m’étonne, monsieur ! s’écria Hyde.

— Je vous proteste que c’est très-vrai, répondit Prior.

— Si vous échouez chez M. Harley, vous me trouverez, dit Saint-John. Je n’ai pas de chapelain pour le moment.

— Permettez-moi, mon révérend, dit Prior, de vous présenter le très-honorable sir Henry Saint-John, secrétaire d’État au département de la guerre.

— Je suis à tout jamais votre obligé, monsieur, répondit Hyde en saluant respectueusement Saint-Jobhn.

— Pas le moins du monde, mon cher monsieur, répliqua ce dernier ; l’obligation est de mon côté. Voici vos deux filles, je suppose, ajouta-t-il en s’avançant vers les deux dames.

— Juste ciel ! monsieur, s’écria la plus âgée ; je suis mistress Hyde, et voici ma fille Angelica.

— Je vous avais positivement prise pour sa sœur, madame, répliqua Saint-Jobn. Mais vraiment auriez-vous peur de moi, pour vous détourner ainsi, ma belle Angelica ? ajouta-t-il ; je ne vous croquerai point.

— Je n’en suis pas bien sûre, monsieur. Notre ami Greg m’a dit que vous étiez un grand libertin, et ma mère m’assure que les libertins sont pires que des lions dévorants, ajouta la belle fille de l’air le plus chaste du monde.

— Comment ! M. Greg me traite de libertin ? Serait-il vrai ? dit Saint-Jobhn avec un rire forcé. Ah ! ah ! M. Greg est facétieux ; il s’est amusé à mes dépens… Mais voici M. Prior, mon ami, le plus grand poëte de ce siècle, un rigide moraliste, qui vous dira tout le contraire. Qu’en pensez-vous, Mat ? est ce que je mérite la qualification de libertin ?

— Certainement non, Harry, pas plus que le grand Alcibiade ne méritait cette épithète, répliqua Prior ; celui qui a dit cela de vous est un misérable calomniateur.

— Je commence à le croire aussi, dit à demi-voix Angelica à sa mère. Ce seigneur est un beau et aimable gentilhomme, et il paraît tout à fait incapable de faire le mal.

— Je suis de votre avis, répliqua la mère, et M. Greg a dû se tromper. Il est évident que ce gentilhomme n’est point un libertin, car il ne sait même pas distinguer une vieille femme d’une jeune.

— C’est là une preuve certaine, fit Angelica.

— Je vois, charmante miss Angelica, dit Saint-John, que vous avez changé d’opinion à mon égard. Vous vous apercevrez, lorsque vous me connaîtrez mieux, que je suis l’homme le plus modeste de la terre ; si j’ai un défaut, c’est précisément celui d’être d’une simplicité évangélique.

— J’aurais toute confiance en lui, quoiqu’il m’ait trouvée trop jeune, dit délibérément mistress Hyde.

— Et vous le pourriez sans courir aucun danger, répliqua Prior à part.

— Allons ! ma jolie Angelica, je vais, pour à présent, vous souhaiter le bonjour, dit Saint-John. Hélas ! des affaires importantes m’appellent ailleurs ; mais soyez persuadée, ajouta-t-il en baissant la voix, que je ne vous perdrai pas de vue : vos charmes ont fait sur moi la plus vive impression. »

Angelica baissa les yeux en rougissant jusqu’aux oreilles.

« Bonjour, madame, poursuivit Saint-Jobn en se tournant vers mistress Hyde. Même après ce que vous m’avez affirmé vous-même, j’ai peine à demeurer convaincu que vous êtes la mère d’Angelica : il faut que vous vous soyez mariée dès l’âge le plus tendre. Monsieur Hyde, je suis votre très-humble serviteur. N’oubliez pas ce que vous m’avez promis en cas de non-succès auprès de M. Harley.

— Je ne manquerai pas d’avoir recours à vous, monsieur, » dit le prêtre en saluant.

Saint-John envoya de la main un baiser à Angelica, et sortit accompagné de Prior et du marquis.

« Que vous a-t-il dit en prenant congé de vous, ma chère ? demanda mistress Hyde à sa fille.

— Il m’a dit tout simplement, ma mère, qu’il était dans un profond étonnement de vous voir si jeune, répliqua Angelica.

— En vérité, ceci est fort bizarre, marmotta mistress Hyde ; je n’ai jamais, jusqu’à présent, entendu personne s’extasier sur mon air juvénile, pas même votre père. Ah ! voici le docteur Sacheverell. Nous allons maintenant avoir notre audience de M. Harley. Je serais presque tentés de souhaiter que la place de chapelain fût déjà donnée, car alors nous irions chez M. Saint-John. »

Angelica témoignait par ses regards qu’elle était du même avis que sa mère, lorsque l’huissier vint annoncer aux trois personnes qu’il était prêt à lea conduire près de son maître.