ΣΩΖΕΙΝ ΤΑ ΦΑΙΝΟΜΕΝΑ
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système de Ptolémée et de ses disciples qui supposent des excentriques et des épicycles, car ils rendent suffisamment compte des apparences, et cela par le moindre nombre de mouvements ».

Pierre d’Abano invoque alors l’autorité de Simplicius, puis il continue en ces termes[1] : « Ce qui me confirme en cette supposition, c’est qu’elle emploie, pour réaliser le mouvement céleste, le plus petit nombre d’organes : j’estime, en effet, que l’on ne doit pas composer le mouvement en question avec un grand nombre d’éléments lorsque l’on peut le construire plus brièvement et plus rapidement ; l’art démontre, d’ailleurs, la justesse de cette considération. C’est aussi que cette supposition sauve les apparences mieux que toutes les autres, comme on le voit à l’aide des instruments. C’est enfin qu’elle parvient mieux que les autres, par ses calculs, à découvrir les durées de révolution des orbes et des planètes. »

Ces divers passages écrits par Pierre d’Abano résument la Philosophie scientifique des astronomes chrétiens du Moyen-Âge ; cette Philosophie elle-même se condense en deux principes :

Les hypothèses astronomiques doivent être les plus simples possibles.

Elles doivent sauver les phénomènes le plus exactement possible.


IV
La Renaissance avant Copernic.


Au xive siècle, l’Université de Paris avait essaimé ; les maîtres savants et nombreux de la Nation Anglaise, venus pour la plupart des pays de langue allemande, quittaient parfois les bords de la Seine pour fonder dans les contrées germaniques des Universités nouvelles qui fussent comme des colonies de l’Alma mater. La plupart du temps, ces Universités de langue allemande continuaient à subir les diverses influences émanées de Paris.

C’est ainsi que vers 1380, Henri Heinbuch de Hesse, très savant maître ès arts et bachelier en théologie de l’Université parisienne, s’éloignait des écoles de la rue du Fouarre et des chaires de la Sorbonne pour devenir, selon le titre qui lui est souvent donné, le planteur de l’Université de Vienne (Plantator gymnasii Viennensis). Astronome autant que théologien, il orienta l’Université nouvelle selon les tendances que ses maîtres lui avaient imprimées. Acceptant sans les discuter les principes du système de Ptolémée, l’école de Vienne consacra tous ses efforts à perfectionner le détail des théories, à créer ou à développer les procédés de calcul, adresser des tables et des éphémérides, à construire des instruments, à imaginer des méthodes d’observation. Ses maîtres les plus illustres, les Georges de Peurbach et les Jean Müller de Kœnigsberg (Regiomontanus) réalisèrent au plus haut degré le type de l’homme qui excelle en chacun des détails techniques d’une science, mais à qui l’idée n’est jamais venue d’examiner la nature et la valeur des hypothèses qui portent cette science.

Tandis que les astronomes de Vienne mettaient les postulats du système de Ptolémée au nombre des vérités établies à jamais, les Averroïstes de l’École de Padoue, admirateurs fanatiques des enseignements du Commentateur, attaquaient avec frénésie les doctrines qu’il avait combattues.

Comme leur maître, les Averroïstes italiens refusaient à l’Astronomie le droit d’user d’hypothèses qui ne fussent pas conformes à la nature des choses, c’est-à-dire à la Physique du Philosophe et du Commentateur ; comme Averroès, ils déclaraient le système de Ptolémée irrecevable de ce chef ; comme Al-Bitrogi, ceux d’entre eux qui se croyaient astronomes essayaient de substituer à la théorie de l'Almageste une théorie exclusivement fondée sur l’emploi de sphères homocentriques.

Nicolas de Cues, qui avait étudié à Padoue, fit une première tentative de ce genre ; mais il eut le bon esprit de la garder secrète. Alessandro Achillini, le célèbre émule de Pomponat, n’eut garde d’imiter sa réserve. En 1494, il fit imprimer à Bologne ses Quatuor libri de orbibus ; une nouvelle édition, plus correcte, en fut donnée en 1498 ; puis cet écrit fut réimprimé dans la collection des œuvres d’Achillini publiée à Venise en 1508, en 1545, en 1561 et en 1568.

Les quatre livres Sur les orbes développent, avec une pédante et fastidieuse minutie, les doctrines d’Averroès sur la matière des cieux, sur leur forme, sur les intelligences qui les meuvent.

C’est au premier livre de cet ouvrage[2]que le célèbre professeur averroïste de Bologne et de Padoue entreprend de ruiner le système de Ptolémée et qu’il trace l’esquisse de la théorie qu’il voudrait lui substituer.

Dès le début, l’auteur formule[3]cette proposition : « Les mouvements que Ptolémée suppose sont fondés sur deux hypothèses, l’excentrique et l’épicycle, qui ne s’accordent pas avec la Physique ; ces hypothèses sont fausses toutes deux. »

Il reprend alors, contre ces hypothèses, tous les arguments d’Averroès ; il indique les fondements d’une doctrine astronomique qui lui paraît conforme aux principes de la saine Physique et qui ne diffère guère de la doctrine d’Al-Bitrogi. « En réalité, conclut-t-il[4] en répétant textuellement un propos d’Averroès, l’Astronomie actuelle n’existe pas ; elle convient seulement au calcul des éphémérides. »

Mais, va-t-on lui objecter[5], « il faut bien admettre les hypothèses qui, pendant très longtemps et sans aucune erreur, ont été contrôlées par les observations, celles sans lesquelles il est impossible de sauver les phénomènes ; or les excentriques et les épicycles sont des hypothèses de ce genre ». A quoi Achillini répond : « La mineure de ce syllogisme doit être niée, puisque nous proposons de rendre, par d’autres causes, raison des phénomènes. D’ailleurs, les astronomes n’établissent l’existence des excentriques et des épicycles par aucune démonstration, de quelque genre que ce soit… ; il est évident, en effet, qu’ils ne la prouvent pas à priori ; ils ne la prouvent pas non plus à posteriori, car les effets qui nous apparaissent pourraient provenir d’autres causes… Ptolémée commet une erreur de Physique en usant de corps fictifs comme de causes propres à rendre raison des phénomènes. »

Agostino Nifo a, lui aussi[6], tenté d’écrire une Astronomie dont les hypothèses de Ptolémée fussent bannies ; il traite de « fables de vieilles femmes » les combinaisons de ceux qui admettent ces hypothèses. Contre eux et contre leurs doctrines, il reprend, comme Achillini, les divers arguments d’Averroès. « Vous devez savoir qu’une bonne démonstration prouve que la cause nécessite l’effet et inversement. Or, les excentriques et les épicycles étant admis, il est bien vrai que les apparences en résultent et peuvent être sauvées de la sorte ; mais il n’est pas vrai qu’inversement, les apparences étant posées, les excentriques et les épicycles existent nécessairement ; cela n’est vrai que d’une manière provisoire, jusqu’à ce que l’on ait trouvé une cause meilleure, qui nécessite les phénomènes et qui soit nécessitée par eux. Ceux-là donc pèchent qui partent d’une proposition dont la vérité peut découler de plusieurs causes et qui concluent en faveur de l’une de ces causes. Les apparences, en effet, peuvent être sauvées par cette sorte d’hypothèses dont nous avons parlé, mais aussi par d’autres suppositions qui n’ont pas encore été inventées.

«… Il y a trois espèces de démonstrations : La démonstration par le signe où, d’un effet qui nous est connu, nous concluons à la cause de cet effet. La démonstration par la cause seulement où, de la cause que son effet nous a permis de découvrir, nous concluons à l’effet. Enfin la démonstration par la cause et l’essence, ou démonstration simple ou de nature, qui part d’une cause qui nous est connue ; telle est la démonstration géométrique. »

Or la preuve de l’existence des excentriques et des épicycles n’appartient à aucun de ces trois genres de démonstration. « En effet, on peut bien procéder des mouvements apparents aux excentriques et aux épicycles, mais il est impossible de suivre la marche inverse ; on procéderait de l’inconnu au connu, car ce sont les apparences qui sont connues, tandis que les excentriques et les épicycles sont inconnus. »

Ces divers passages ne reproduisent pas seulement l’enseignement d’Averroès ; ils portent également, et bien reconnaissable, la marque de la pensée de saint Thomas d’Aquin, dont certaines propositions se trouvent textuellement reproduites en l’exposé de Nifo.

Cette critique prouve victorieusement que l’accord d’une théorie avec les observations ne saurait transformer en vérités démontrées les hypothèses sur lesquelles repose cette théorie ; pour achever la démonstration, en effet, il faudrait établir, en outre, qu’aucun autre ensemble d’hypothèses n’est capable de sauver les apparences. Mais les Averroïstes padouans de la Renaissance n’en tirent pas la conclusion prudente qu’au xive siècle, Jean de Jandun leur avait apportée de Paris ; ils n’accordent pas à l’Astronomie le droit d’user d’hypothèses purement conventionnelles et fictives ; ils ne veulent pas qu’elle borne ses ambitions à la composition d’une théorie propre au calcul des tables et des éphémérides ; dignes continuateurs du Commentateur et de son condisciple Al-Bitrogi, ils veulent la construire sur des principes démontrés par la Physique et ils condamnent rudement quiconque prétendrait procéder d’autre manière.

Écoutons plutôt Fracastor, présentant en 1535, au Pape Paul III, son livre des Homocentriques[7] :

« Vous n’ignorez pas que ceux qui font profession d’Astronomie ont toujours éprouvé une grande difficulté à rendre raison des apparences présentées par les astres. Deux voies, en effet, s’offrent pour en rendre raison ; l’une procède à l’aide de ces orbes que l’on nomme homocentriques, l’autre au moyen de ceux que l’on appelle excentriques ; chacune de ces deux voies a ses dangers, chacune a son écueil. Ceux qui usent des homocentriques ne parviennent pas à expliquer les phénomènes. Ceux qui usent des excentriques semblent, il est vrai, les mieux expliquer ; mais l’opinion qu’ils conçoivent de ces corps divins est injuste et, pour ainsi dire, impie ; ils leur attribuent des situations et des figures qui ne sauraient convenir aux cieux. Nous savons que, parmi les anciens, Eudoxe et Calippe, qui ont tenté de rendre compte des phénomènes à l’aide des homocentriques, ont été déçus à plusieurs reprises par suite de ces difficultés. Hipparque fut un des premiers qui aimèrent mieux admettre les orbes excentriques que d’être mis en défaut par les phénomènes. Ptolémée l’a suivi et, bientôt, presque tous les astronomes ont été entraînés par Ptolémée. Mais contre ces astronomes ou, du moins, contre l’hypothèse des excentriques dont ils usaient, la Philosophie tout entière a élevé de continuelles réclamations ; que dis-je, la Philosophie ? C’est bien plutôt la Nature et les orbes célestes eux-mêmes qui ont réclamé sans cesse. On n’a pu jusqu’ici rencontrer un philosophe qui permît d’affirmer l’existence de ces sphères monstrueuses parmi ces corps divins et parfaits. »

Fracastor ne se contentera pas d’éviter ces hypothèses absurdes ; il ne se contentera pas non plus de construire une théorie propre au calcul des mouvements célestes ; c’est aux causes mêmes de ces mouvements qu’il prétend atteindre[8] : « En nos Homocentriques, on ne rencontrera pas seulement cette utilité qui est la suite de toute théorie astronomique ; on y trouvera encore d’autres choses qui sont grandement désirables ; ces choses, en effet, semblent, en premier lieu, importer beaucoup à la vérité, c’est-à-dire à l’objet que nous devons le plus souhaiter ; elles importent à la découverte des causes propres des mouvements célestes, enfin aux qualités mêmes de ces mouvements. »

Un an après la publication des Homocentriques de Fracastor, Gianbatista Amico faisait imprimer son opuscule sur le même sujet : « Parmi les anciens, disait-il[9], il en est qui se sont efforcés d’unir l’Astrologie à la Philosophie naturelle ; d’autres, au contraire, ont tenté de séparer ces deux sciences. Eudoxe, en effet, Calippe et Aristote ont cherché à ramener’tous les mouvements variés et non uniformes que nous présentent les corps célestes, à des assemblages d orbes homocentriques que la Nature reconnaît ; Ptolémée, au contraire, et ceux qui ont suivi sa méthode ont voulu, malgré la Nature, les réduire à des excentriques et à des épicycles. »

« Les astronomes[10] attribuent tous les phénomènes que nous percevons en observant les corps supérieurs à des excentriques et à ces sphérules que l’on nomme épicycles. Mais ils ont fort mal réduit tous ces effets à ces causes-là. D’ailleurs, il n’y a pas à s’étonner qu’ils aient erré en cette réduction Comme le dit Aristote au premier livre des Seconds analytiques, toute solution est difficile lorsque ceux qui prétendent la donner usent de faux principes. Si donc la Nature ne connaît ni excentriques, ni épicycles, selon le sentiment qu’Averroès exprime très justement ; il nous faudra rejeter ces orbes ; et nous le ferons d’autant plus volontiers que les astronomes attribuent aux épicycles et aux excentriques certains mouvements qu’ils nomment inclinaisons, réflexions, déviations, et qui ne sauraient d’aucune façon, du moins à mon avis, convenir à la cinquième essence. »

Il s’est trouvé de tout temps des gens qui se sont crus capables de pénétrer la nature même des corps et de découvrir, touchant cette nature, certaines vérités dont la Physique pût être déduite comme de ses véritables principes. lia presque toujours été impossible de contraindre ces physiciens-philosophes de pousser leur déduction jusqu’au bout, de développer leur théorie jusqu’à ce point où ses conséquences pussent être soumises au contrôle de l’expérience.

Les Averroïstes ont proclamé bien haut qu’ils possédaient les vérités de Physique d*où devait découler toute Astronomie recevable ; comme Al-Bitrogi, ils ont tracé le plan de la théorie qu’ils proposaient de construire sur ces fondements ; mais, encore comme Al-Bitrogi, ils se sont bien gardés d’élever Tédifice jusqu’au faîte ; ils n’ont pas détaillé leur système à tel point que l’ont pût le réduire en tables et comparer les indications de ces tables aux constatations des observateurs.

« Nous n’avons pas l’intention, dit Alessandro Achillini[11], d’exposer selon notre supposition les causes propres de toutes les variétés que présentent les mouvements célestes. C’est une tâche qu’il faut laisser aux astronomes. Conduits comme par la main par ce que nous avons dit, ils sauront, j’en ai l’assurance, scruter et élaborer toutes choses au point de donner ce complément à nos théories.

En rendant compte des mouvements des planètes, dit Fracastor[12], nous avons négligé les calculs d’une extrême exactitude, et personne ne s’en étonnera ; nous avons jugé, en effet, que ces calculs n’appartenaient aucunement à notre œuvre ; nous avons admis que ces évaluations minutieuses devaient être demandées à des tables et que les tables mêmes qui sont en usage pourraient être très aisément accommodées à nos homocentriques.

Peut-être, en cet ouvrage, ne trouvera-t-on rien d’achevé, dit Gianbattista Amico[13], mais je croirai avoir assez fait si j’ai pu exciter des esprits plus illustres au désir de rendre plus claire cette explication. » Les Averroïstes n’ont pas voulu admettre que l’Astronomie eût atteint son but lorsqu’elle était parvenue à sauver les apparences ; du moins n’ont-ils point osé nier que la condition de s’accorder avec les phénomènes lui fût imposée ; ils n’ont pu, cependant, reconnaître si leurs théories se soumettaient à cette indispensable condition.

Si les Averroïstes étaient victimes de cette illusion que l’on peut, d’une doctrine métaphysique, déduire une théorie astronomique, les partisans du système de Ptolémée se laissaient parfois séduire par une autre illusion ; ils croyaient que l’exacte constatation des phénomènes pouvait conférer la certitude aux suppositions destinées à rendre compte de ces faits ; par des voies opposées, les uns et les autres aboutissaient à la même erreur ; ils attribuaient une réalité véritable aux hypothèses qui portent la théorie astronomique.

Francesco Capuano de Manfredonia (ou de Maria Siponto) qui fut professeur d’Astronomie à l’Université de Padoue, et qui échangea son prénom contre celui de Giovanni Battista lorsqu’il quitta le Siècle pour entrer dans l’ordre des Chanoines réguliers de Latran, fut victime de la seconde illusion.

En 1495, Francesco Capuano fit imprimer à Venise un Commentaire à la Théorie des planètes[14]de Georges de Peurbach ; ce commentaire eut ensuite un grand nombre d’éditions.

Capuano consacre plusieurs pages de son écrit à réfuter les objections que les Averroïstes ont élevées contre les épicycles et les excentriques ; les objections qu’il réfute ne sont pas seulement celles d’Averroès, mais aussi celles qui ont été adressées à Capuano lui-même par « quidam subtilis hujus ætatis, et noster conterraneus Averrois imitator » ; par ces mots, le professeur d’Astronomie de l’Université de Padoue désigne assurément son collègue Alessandro Achillini.

Le commentateur de Peurbach ne se contente pas d’établir que les hypothèses de Ptolémée sont recevables ; il veut, en outre, qu’elles soient vraies ; il prétend le prouver, non pas, sans cloute, a priori mais, du moins, a posteriori. Au Proœmium qui ouvre l'accès de son écrit, il annonce « qu’il démontrera a priori tout ce qui est susceptible de recevoir une preuve a priori et mathématique ; quant aux principes, tels que les orbes et les mouvements des orbes, qui ne sauraient recevoir une telle démonstration, il a décidé de les faire connaître a posteriori et au moyen des apparences ». Un peu plus loin, il développe davantage sa pensée : « Ici, comme en l'Almageste, les voies qui conduisent à la Science sont les deux espèces de démonstrations, la démonstration de signe et la démonstration simple. En effet, c’est a posteriori et par le sens que se concluent les principes de l’Astronomie. Lorsqu’on a constaté et observé le mouvement d’une planète et les autres accidents qu’elle présente, on conclut par voie démonstrative, comme on le verra clairement par la suite, que cette planète a un excentrique ou un épicycle ; le principe de cette démonstration est le sens et l’effet sensible, c’est-à-dire le mouvement observé ; cela se voit en la manière selon laquelle procède constamment l'Almageste ; avant de poser l’excentrique et l’épicycle , ce livre expose le mouvement des planètes, à l’aide de nombreuses observations, faites en des temps divers, par des astronomes différents. Mais on rencontre aussi certains genres de démonstrations simples ou mathématiques ; car les orbes et leurs mouvements étant posés, les objets des observations s’en concluent par voie démonstrative. »

Visiblement, c’est à ce passage du Commentaire de Capuano qu’Agostino Nifo répondait en son exposition sur le De Caelo ; et la réplique portait juste ; si le professeur d’Astronomie de Padoue prouve d’une manière efficace que les hypothèses de Ptolémée suffisent à sauver les mouvements apparents des astres errants, il ne démontre pas qu’elles soient nécessaires à cet objet ; et comment le pourrait-il démontrer ? Peut-il affirmer que les hommes ne trouveront jamais d’autres suppositions capables de sauver les mêmes phénomènes ?

La critique de Nifo montre clairement l’imprudence avec laquelle Capuano prétendait prouver la vérité des hypothèses de Ptolémée.

Instruit sans doute par renseignement de saint Thomas d’Aquin, le Dominicain Sylvestre de Prierio montre plus de prudence. Professeur d’Astronomie à Pavie, il commente, lui aussi, la Théorie des planètes de Georges de Peurbach[15]. C’est en cet ouvrage qu’il nous laisse deviner son opinion touchant les théories astronomiques. Lorsqu’il décrit la forme que Peurbach et Regiomontan attribuent aux orbes du Soleil, « ils ne prouvent pas qu’il en soit ainsi, dit-il, et peut-être que ce qu’ils affirment n’est pas nécessaire.... Le Soleil donc possède trois orbes ; c’est-à-dire que l’on croit qu’il les possède ; en effet, cela n’est pas démontré ; on l’imagine seulement afin de sauver ce qui apparaît dans les cieux » .

Tandis que philosophes averroïstes et astronomes ptoléméens s’obstinaient, de part et d’autre, à attribuer aux hypothèses astronomiques une inadmissible réalité, les humanistes et les beaux esprits, qui donnaient volontiers dans le Platonisme, se ralliaient aisément, touchant la nature de ces hypothèses, au sentiment de Proclus ; leur dilettantisme et leur scepticisme, d’ailleurs, s’accommodaient fort de ce sentiment.

Giovanni Gioviano Pontano, de Ceretto, né en 1426, mourut en 1503. Son écrit intitulé De rebus coelestibus libri XIV fut imprimé pour la première fois à Naples en 1512 ; il fut reproduit au troisième volume des Opera de Pontano, en l’édition que les Aides donnèrent, à Venise, en 1519. Cet écrit astrologique eut sans doute grande vogue, car il fut maintes fois réimprimé avec les autres écrits de Pontano. Nous le citons d’après une édition [16] donnée à Bâie en 1540.

Chacun des quatorze livres en lesquels se divise le traité de Pontano est précédé d’un Proœmium par lequel chacun de ces livres est dédié à un personnage différent. C’est au Proœmium du troisième livre[17] que l’auteur développe, avec une grande clarté et une grande élégance, ce qu’il pense des hypothèses astronomiques.

Après avoir rappelé que certains astronomes de l’Antiquité attribuaient les stations et les rétrogradations des astres errants à une attraction exercée par les rayons solaires, après s’être élevé contre une semblable supposition, Pontano poursuit en ces termes[18] :

« A mon avis, voici exactement ce qu’il faut croire et penser : Ces corps célestes accomplissent leurs mouvements et leurs révolutions d’une manière spontanée, en vertu d’un pouvoir qui leur est propre, sans être aucunement aidés par des forces extérieures, sans être aucunement attirés vers le Soleil par la chaleur que cet astre produit ; ils les accomplissent par l’effet de leur seule nature.

« Néanmoins, ceux qui ont imaginé les έπικύκλους (c’est ainsi qu’on les nomme en grec) me paraissent mériter des éloges extraordinaires. Afin d’obtenir un moyen de faire concourir les sens au profit de l’intelligence, ils ont exposé à nos yeux ces petits cercles auxquels sont fixés les corps des planètes, et par lesquels ces corps se trouvent, en leurs révolutions, portés en avant ou en arrière,vers le haut ou vers le bas, de telle manière que les véritables proportions de de chaque mouvement se trouvent conservées. Quoi de plus utile aux études, de mieux accommodé à renseignement, que ces inventions grâce auxquelles les sens prêtent à l’intellect le secours de leurs forces ; grâce auxquelles ce que poursuit la contemplation intellectuelle est, en même temps, exposé au regard des yeux ? Aussi l’usage de ces représentations s’est-il répandu sous forme d’instruments d’horlogerie qui figurent le cours des astres, de petites machines et de tableaux de toute sorte, à tel point que ces inventions méritent d’être jugées divines plutôt qu’humaines.

« Mais que nous allions supposer que les étoiles elles-mêmes se trouvent posées sur de semblables cercles, qu’elles sont par eux entraînées comme elles le seraient par des chars, ce serait entièrement absurde.

« Et d’abord, ces cercles, qui les mettrait en mouvement ? Dira-t-on qu’ils se meuvent par leur propre nature ? Pourquoi, dans ce cas, les corps des étoiles ne se mouvraient-ils pas de même, par leur propre nature ? Qu’a-t-on besoin d’actions étrangères là où suffisent les forces propres ? Et puis les corps des étoiles se voient, car ils sont formés par une solidification (concretio) de la substance de leur orbite. Si ce qui est porté est visible parce qu’une solidification Ta formé, les cercles qui portent les astres résultent aussi d’une solidification ; ces cercles solides devraient donc être visibles à nos yeux.

« Or, on ne les voit pas parce qu’en réalité ils n’existent pas ; la pensée seule les voit, lorsqu’elle cherche à comprendre ou à enseigner. Dans le Ciel, en effet, toutes ces lignes et toutes ces intersections de lignes n’existent aucunement ; elles ont été imaginées par des hommes très ingénieux, en vue de l’enseignement et de la démonstration, parce que, sans ce procédé, il serait presque impossible de communiquer à autrui la science astronomique, la connaissance des mouvements célestes...

« Ainsi donc les cercles, les épicycles et toutes les suppositions de ce genre doivent être tenus pour imaginaires ; ils n’ont, dans le Ciel, aucune existence réelle ; ils ont été inventés et imaginés pour faire saisir les mouvements célestes et pour les exposer à nos regards eux-mêmes.

« Les augures qui observent le vol des oiseaux partagent tout l’espace aérien à l’aide de certaines lignes. Ceux qui se proposent de mesurer l’étendue des terres, en distinguent les diverses parties, qu’ils nomment climats, au moyen de certaines lignes menées de l’orient à l’occident....Cependant, il n’existe point de ligne sur la terre, il n’en existe pas dans l’air ; encore moins s’en trouve-t-il au sein des orbes célestes....

« Tenons ces suppositions pour douées d’une sorte de vertu divine lorsqu’il s’agit d’enseigner et de démontrer ; admettons que les choses se passent de la sorte jusqu'à ce que, nos yeux nous servant de guides, nous ayons appris à l’aide d’un tableau ce que nous voulons connaître des mouvements stellaires, et que nous les ayons saisis en leurs valeurs numériques et en leurs dimensions.. Mais dès là que notre esprit aura été pleinement et exactement imbu de ces nombres et de ces grandeurs, que la connaissance en aura pénétré notre intelligence, regardons les cercles que dessinent les astronomes comme ayant bien moins de réalité dans le Ciel que les lignes tracées par les aruspices n’en ont dans l’air. »

« Ces orbes sont imaginaires, dit encore Pontano[19], car, en son entier, la masse des cieux est continue ; tenons-les, cependant, pour une invention presque divine tant qu’il s’agit d’enseigner, d’exposer aux yeux, de représenter le mouvement des étoiles ; grâce à cette invention, l’intelligence possède une représentation sensible qui sert de fondement au début de ses recherches ; mais, à partir de là, elle progresse peu à peu, et elle finit par rejeter toutes ces combinaisons d’orbes imaginaires, pour ne plus s’attacher qu’aux nombres et aux rapports de nombres, qui sont son objet propre. »

La pensée de Pontano est claire : La détermination numériquement exacte des mouvements célestes est le véritable but de l’Astronomie ; les excentriques, les épicycles et autres hypothèses de l’Astronomie ne sont que des artifices d’enseignement, des représentations provisoires qui doivent disparaître lorsque les éphémérides et les tables astronomiques sont construites ; inspiré, à n’en pas douter par les idées de Proclus, notre astrologue de la Renaissance ne veut reconnaître aux théories astronomiques que deux rôles légitimes : le rôle de recettes géométriques propres à la construction de tables qui permettent de prévoir les mouvements célestes ; le rôle de modèles mécaniques mettant les sens au service de l’intelligence dans l’étude de l’Astronomie. Les idées qu’il émettait au voisinage de l'an 1500 eussent pu, vers l’an 1900, passer pour neuves.

Confiance excessive en la réalité des objets sur lesquels portent les hypothèses astronomiques, ou bien défiance exagérée touchant la valeur dn ces hypothèses, tels sont les deux sentiments, opposés à l'extrême, entre lesquels les philosophes italiens n’ont pas su garder le juste milieu. L’enseignement parisien nous fera connaître des penseurs qui ont su tenir une opinion mieux équilibrée.

En 1503, Lefèvre d’Étaples publie à Paris son Introductorium astronomicum, theorias corporum cœlesiium duobus libris complectens ; sous le titre : Fabri Stapulensis Astronomicum theoricum, cet ouvrage est réimprimé à Paris en 1510, en 1515 et en 1517, à Cologne en 1516. Quel esprit a présidé à la rédaction de ce traité, Lefèvre d’Etaples nous le définit clairement par ces lignes, qui sont extraites de l’épitre dédicatoire :

« Cette partie de l’Astronomie est presque entièrement affaire de représentation et d’imagination. Le très-bon et très-sage Artisan de toutes choses, par une opération de sa divine intelligence, a produit les cieux véritables et leurs véritables mouvements ; de même, notre intelligence, qui s’efforce d’imiter l’Intelligence dont elle tient l’existence, en effaçant chaque jour un peu plus les taches de son ignorance, notre intelligence, dis-je, compose en elle-même es cieux fictifs et des mouvements fictifs ; ce sont des simulacres des vrais cieux et des vrais mouvements ; et, dans ces simulacres, elle saisit la vérité comme s’ils étaient des traces laissées par l’Intelligence divine du Créateur. Lors donc que l'esprit de l’astronome compose une représentation précise des cieux et de leurs mouvements, il ressemble à l'artisan de toutes choses, créant les cieux et leurs mouvements. »

Les hypothèses à l’aide desquelles Lefèvre d’Étaples représente les mouvements célestes ne sont donc pas, pour lui, dés propositions démontrées ; elles n’ont pas la prétention d’exprimer ce que sont les corps célestes ni quelles sont les lois réelles de leurs cours ; ce sont des créations du génie de l’astronome ; à l’aide de ces fictions, il s’efforce de figurer à l’imagination la marche des étoiles ou des planètes ; ces hypothèses ne sont pas des vérités, mais seulement des traces, des vestiges, des simulacres de la vérité ; Dieu voit les cieux réels et leur marche ; l'astronome conduit ses constructions géométriques et ses calculs à l'aide de cieux imaginaires.

En ces pensées de Lefèvre d’Étaples, il semble que l'on retrouve un lointain souvenir des idées de Proclus ; peut-être est-il permis d’y reconnaître aussi l’influence de Nicolas de Cues, dont Lefèvre d’Étaples était l’admirateur et le disciple, et dont il allait bientôt éditer les œuvres. Les caractères, en effet, que le savant érudit attribue aux théories astronomiques s’accordent fort bien avec ceux dont le célèbre cardinal marquait toute connaissance humaine.

Voici les principes[20] que Nicolas de Cues posait au début de son ouvrage fondamental, de ce De docta ignorantia dont ils expliquent et justifient le titre :

Il est impossible qu’une intelligence finie puisse s’assimiler aucune vérité précise. Le vrai n’est pas, en effet, une chose qui soit susceptible de plus ou de moins ; il consiste essentiellement en quelque chose d’indivisible ; et ce quelque chose ne peut être saisi par un être, si cet être n’est la vérité même. De même, l’essence du cercle est quelque chose d’indivisible, et ce qui n’est pas cercle ne peut s’assimiler ce quelque chose ; le polygone régulier que l’on inscrit dans un cercle n’est pas semblable au cercle ; il lui ressemble d’autant plus que l’on multiplie davantage le nombre de ses côtés ; mais on a beau multiplier indéfiniment ce nombre, jamais le polygone ne devient égal au cercle ; aucune figure ne peut être égale à ce cercle, si ce n’est ce cercle lui-même.

Ainsi en est-il, à l’égard de la vérité, de notre intelligence, qui n’est pas la vérité même ; jamais elle ne saisira la vérité d’une manière si précise qu’elle ne la puisse saisir d’une manière plus précise encore, et cela indéfiniment.

Le vrai s’oppose donc, en quelque sorte, à notre raison ; il est une nécessité qui n’admet ni diminution, ni accroissement ; elle est une possibilité, toujours susceptible d’un nouveau développement. En sorte que du vrai nous ne savons rien, sinon que nous ne pouvons le comprendre.

Quelle conclusion devons nous tirer de là ? « Que l’essence même des choses, qui est la véritable nature des êtres, ne saurait être, par nous, atteinte on sa pureté. Tous les philosophes l'ont cherchée ; aucun ne l'a trouvée. Plus profondément nous serons instruits de cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité même.»

Quelle est donc la perfection que doit rechercher l'homme d’études ? C’est d’être le plus savant possible en cette ignorance, qui est son état propre.« i1 sera d’autant plus savant qu’il se connaîtra plus ignorant. »

Proclus avait distingué deux Physiques. L’une se proposait de connaître l’essence et les causes des choses sublunaires, et celle-ci était accessible à l’homme. L’autre avait pour objet la nature des choses célestes, et celle-là était réservée à l’Intelligence divine.

Nicolas de Cues attribue aux astres une nature toute semblable à celle des quatre éléments ; pour lui donc, la distinction établie par Proclus perd tout sens ; il continue cependant à discerner deux Physiques, mais il les oppose l'une à l'autre d’une manière toute nouvelle.

L’une de ces Physiques est la connaissance des essences et des causes. Elle vérifie la définition que l’École imposait à tout savoir : Scire per causas. Nécessairement parfaite et immuable, elle est inaccessible à l'homme, elle est la Science de Dieu.

L’autre est radicalement hétérogène à la première, comme le polygone est hétérogène au cercle. Elle ignore les véritables causes et les véritables essences. Si elle prononce ces mots, elle ne pourra les appliquer qu’à des causes hypothétiques et à des essences fictives, créations de la raison et non point réalités. La Physique ainsi construite va sans cesse se perfectionnant ; en son développement, elle a la Physique des essences et des causes pour limite, mais pour limite qu’il lui est à jamais interdit d’atteindre. Cette Physique des fictions et des abstractions est la seule qui soit accessible à l’homme. L’opposition que les penseurs hellènes, les Posidonius, les Ptolémée, les Proclus, les Simplicius avaient établie entre la Physique et l'Astronomie, Nicolas de Cues la déplace ; il la met entre la Physique absolue des essences réelles et des causes véritables et la Physique relative et perfectible des essences abstraites et des causes fictives.

Lorsqu’au Collège de Montaigu, en 1511, l’espagnol Luiz Coronel écrivait sur la Physique[21], subissait-il l’influence de Nicolas de Cues ? Cela est fort possible. Les œuvres du Cardinal allemand étaient alors bien connues ; elles avaient déjà été imprimées deux fois et, à Paris même, Lefèvre d’Étaples en allait donner, en 1514, une troisième édition. Quoi qu’il en soit, certains propos tenus, en ses Physicæ perscrutationes. Si par le régent du Collège de Montaigu s’accordent fort bien avec les principes de la Docta ignorantia.

Pour Luiz Coronel, la Physique n’est pas une science déductive dont les propositions découlent de principes évidents a priori ; c’est une science dont l’origine se trouve dans l’expérience, et les principes de la Cosmologie ne sont pas autre chose que des hypothèses conçues en vue de sauver les phénomènes que l’expérience a fait connaître.

Lorsqu’il se propose, par exemple, d’établir[22] qu’en toute substance il y a non seulement une forme, mais aussi une matière, Coronel prend pour point de départ ce fait d’expérience : On ne peut engendrer du feu qu’en détruisant du combustible ; la notion de matière s’impose à lui parce que ce phénomène ne se prêterait pas à une représentation rationnelle si le feu était forme pure. Généralisant alors la méthode qu’il vient de pratiquer, il ose poser cet axiome : « En Physique, ce sont les raisons tirées de l’expérience qui tiennent le rang de primat : Rationes ex experientia sumptœ in Physica obtinent primatum. » Ce titre, voici par quelles cçnsidérations Luiz Coronel le développe : « Comme le voulait Albert le Grand, ce sont les raisons tirées de l’expérience qui, en la méthode physique, jouent le rôle de principes (rationes ex experientia sumptæ in physica disciplina oblinent principatum). Les raisons des astronomes, tirées de la diversité des mouvements célestes, des distances des corps célestes et des astres conduisent, par voie de conclusion, à poser les épicycles, les excentriques et les déférents ; de même cette raison naturelle doit entraîner cette conclusion : la matière doit être posée. En effet, si Ton ne pose pas la matière, le fait que la production de feu exige un apport de combustible ne peut pas être sauvé (non potest salvari), tout comme les apparences célestes ne sauraient être sauvées si l’on ne posait les épicycles, etc. L’hypothèse des épicycles, des excentriques et des déférents déplaisait au Commentateur Averroès ; mais il n’a assigné aucun procédé qui fût propre à sauver ce que l'on sauve au moyen de ces suppositions. On ppurrait lui en dire autant de l’admission de la matière et des autres causes naturelles, car il les pose en vue de sauver les phénomènes naturels (et sic dicerettir etiam ei de assignatione materiæ et aliarum causarum naturalium quas ipseponit ad salvandum ea que naturaliter contingunt). »

Mais pour expliquer les propos de Luiz Coronel, il n’est pas nécessaire de faire appel à l’influence de Nicolas de Cues ; il suffit d’invoquer les traditions de l'Université de Paris ; Louis Coronel n’a fait que formuler la règle constamment suivie, en cette Université, dès le milieu du XIVe siècle, règle dont les travaux de Jean Buridan, d’Albert de Saxe, de Nicole Oresme fournissent maint exemple.

Demandons un tel exemple à une théorie que Jean Buridan défend avec autant de persévérance que de bonheur : Le mouvement d’un projectile n’est pas, comme le voulait Aristote, entretenu par le mouvement de l’air ambiant ; il est dû à une certaine qualité ou impetus engendrée en la substance du projectile par celui qui a lancé ce corps. Après avoir montré que les hypothèses, différentes de celle-là, qui ont été imaginées par divers philosophes sont toutes contredîtes par plusieurs expériences, Buridan dit[23] au sujet de sa propre théorie : « Il me semble qu’il faut adopter cette supposition parce que les autres suppositions ne paraissent pas exactes, et parce qu’en outre tous les phénomènes s’accordent avec celle-ci. Hujusmodi etiam modo omnia apparentia consonant. » Et Jean Buridan compare à son hypothèse tous les faits d’expérience qu’il connaît. La méthode qu’il suit ici n’est-elle pas celle que prônera Luiz Coronel ? Que l'on réunisse ces pensées de Luiz Coronel à celle d Jean de Jandun et de Lefèvre d’Étaples et l'on sera autorisé, croyons-nous, à formuler cette conclusion : Du début du XIVe siècle au début du XVIe siècle, l’Université de Paris, a donné, touchant la méthode physique, des enseignements dont la justesse et la profondeur passent de beaucoup tout ce que le Monde entendra dire à ce sujet jusqu’au milieu du XIXe siècle.

En particulier, la Scolastique parisienne a proclamé et pratiqué un principe puissant et fécond ; elle a reconnu que la Physique du monde sublunaire n’était pas hétérogène à la Physique céleste ; qu’elles procédaient toutes deux selon la même méthode ; que les hypothèses de l'une, comme les hypothèses de l’autre, avaient pour seul objet de sauver les phénomènes.


V
Copernic et Rhaeticus.


L’idée si nette, touchant la nature des hypothèses physiques, que plusieurs avaient conçue au Moyen-Age et au début de la Renaissance va se troubler peu à peu aux époques suivantes ; elle reculera dans le temps même que l’Astronomie et la Physique feront de nouveaux et rapides progrès ; les plus grands artistes ne sont pas toujours ceux qui philosophent le mieux sur leur art. Le 24 mai 1643, Copernic mourait tandis que l’on im

  1. Pierre d’Abano, loc. cit., fol. 115, col. b.
  2. Alexandri Achillini Bononiensis Liber primus de orbibus. Dubium tertium : An eccentrici sunt ponendi.
  3. Alexandri Achillini Bononiensis Opera omnia ; Venetiis, apud Hieronymum Scotum, MDXLV, fol. 29, col. b.
  4. Achillini, Op. cit,, fol. 31, col. b.
  5. Achillini, Op. cit., fol, 85, coll. a et b.
  6. Aristoteus Stagiritæ De Cœlo et Mundo îibri quatuor, e Græco in Latinum ah Augustino Nipho philosopho Suessano conversi, et ah eodem etiam praeclara, neque non longe omnibus aliis in hac scienta resotu» tiore aucii expositione... S eneiiïStJkpud Hieronymum Scotum, MDXLIX. (En terminant cet ouvrage, Nifo le date du 15 octobre 1514). Liber secundus, fol. 82, coll. c. et d.
  7. Hieronymi Fracastori Veronensis Homocentricorum, sive de stellis, liber unus ; Venetiis, MDXXXV.
  8. Fracastori Homocentrica, Cap. I.
  9. Jonnis Baptistae Amici Cosentini, De molibus corporum cœîetiium juxta principia peripatetica sine eccentricis cf epicyclis. Venetiis » MDXXXVl. Caput primum.
  10. Amico, Op. cit., Cap. VII.
  11. Alexandri Achillini De orbibus liber primus, in fine.
  12. Hieronymi Fracastori Homocentricorum, sive de stellis, liber unus, cap. ultimum in fine.
  13. Joannis Baptistæ Amigi Cosentini De motibus eorporum cœlettium ; Epist. ad Card. Nicolaum Rodalpham.
  14. Theorice nove planetarum Georgii Purbachii astronomi celebralissimi, ac in eas eximii artium et medîcine docioris Domini Franasci Capuani de Manfredonia in studio Patavino astronomiam publice legentis sublimis expositio et luculentissimum scriptum. Venetiis, per Simonem Bevilaquam Papiensem. Cum gratia. Anno Salutis 1495, die decimo Augusti.
  15. R. p. Fratris Sylvestri de Prierio, Sacri ordinis Prœdicatorum, in novas Georgii Purbaghii theoricas pianetarum commentaria ; Mediolani, 1514 ; Parrhisiis, 1515.
  16. Joannis Joviani Pontani Librorum omnium,, quos soluta oratione composuit, Tomus tertius. In quo Centum Ptolemaei tententiæ, a Pontano è Greco in Latinum translatæ, atque expositæ. — Ejusdem Pontani De rebus cœlestibus libri XIIII.— De luna liber imperfectus Basileae MDXL. in fine ; Basileae, per haeredes Andreae Cratandri, Mense Augusto Anno MDXL.
  17. Joannis Joviani Pontani Ad Joantiem Pardum de rebus cœlestibus liber tertius. Proœmium. Éd. cit., pp. 262-276.
  18. Pontano, loc, cit. ; éd. cit., pp. 267-269.
  19. Pontano, loc. cit., éd. cit. p. 278.
  20. Nicolai De Cusa, De docta ignorantia, lib. I, capp. I et III.
  21. Physice perscrustationes Magistri Ludovici Coronel Hispani Segoviensis. Prostant in edibus Joannis Barbier librarii jurati Parrhisiensis. Academie sub signo ensis in via regia ad divum Jacobum. MDXI.
  22. Luiz Coronel, Op. cit., fol. II, col. a.
  23. Questiones totius libri phisicorum edite a Magistro Johanne Buridam ; in lib. VIII quaest. XII ; Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. n°14723 ; fol. 106, col. d.