Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/103

Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 554-556).
CIII
À M. EUGÈNE RENDU.
Antignano, près Livourne, 17 juillet 1855
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Mon cher ami,

Votre aimable lettre nous a trouvés à Florence, dans la ville des fleurs; c’était bien le lieu pour recevoir un si joli message. Mais pourquoi n’est-il pas arrivé sous l’aile d’une blanche colombe, au lieu de venir dans la boîte poudreuse d’un courrier ? Nous étions donc, madame Ozanam et moi, sur la terrasse de la petite villa qu’habite mon cousin au-dessous de San Miniato, nous avions à nos pieds toute cette cité de marbre dans une corbeille de verdure et tout en jouissant de cette vue, l’une des plus belles du monde, nous commentions la grande nouvelle, et nous en faisions de charmants discours qui ne finissaient pas : « Il est donc pris « cet imprenable, et ce cœur libre a trouvé des « chaînes ! Chaînes d’or et de soie, liens où rien « ne manque de ce qui peut captiver les yeux et «  les oreilles, l’imagination et la raison. Les bons « génies, qui voulaient lui donner cette compagne, « ont pris soin de la charger de leurs présents, «  ils l’ont couronnée de toutes les grâces ; ne nous « étonnons plus que ce superbe ait capitulé. M -Sérieusement, cher ami, nous nous réjouissons de deux choses. D’abord vous, épousez une personne que vous aimez, et je crois que Dieu bénit l’amour chrétien. Ensuite vous vous alliez aux plus honorables familles, et pour tout dire, à des noms dignes du vôtre. La Providence vous réservait cette récompense d’une vertueuse jeunesse, courageusement conduite à travers les périls que vous causaient l’activité même de votre vie et l’agrément de votre esprit. Vous méritiez de rencontrer tôt ou tard une de ces âmes, dont la compagnie fait l’honneur et le bonheur de notre destinée. De telles rencontres ne sont pas communes ; et ceux là seuls. qui en connaissent la douceur ont le droit d’en parler. C’est pourquoi je vous félicite, mon cher ami, et je me réjouis comme d’un heureux augure de ce nom d’Amélie que vous donnerez à votre compagne.

Est-ce notre exemple aussi qui vous a fait choisir un 25 pour vos noces ? Le 25 porte bonheur. Du moins dans notre déplaisir de ne pouvoir vous accompagner à l’autel, nous prierons tendrement pour vous ce jour-là. Nous vous avons toujours beaucoup aimé et comment n’aurions-nous pas aimé, vous d’abord pour vous-même, puis le fils de votre père, et le frère de votre sœur ? Nous espérons que vous ne diminuerez rien de cette affection que vous nous rendiez. Vous êtes trop bon pour ne pas conserver un peu d’attachement aux pauvres pèlerins d’Italie ; si Dieu les ramène, hélas bien délabrés, bien arriérés de carrière et d’esprit après une si longue absence. Nous vous apprendrons du moins, car les vieilles gens ont toujours la prétention d’apprendre aux jeunes, que tous les chagrins d’esprit, de carrière et même de santé, ont une consolation infinie dans la tendresse chrétienne.

Mais pourquoi mêler ici, de tristes images ? J’ai sur ma table d’admirables branches de myrte, cueillies dans les buissons qui décorent ces bords heureux de la Méditerranée. Ces rameaux sont tout blancs d’une neige de fleurs, et je ne me lasse pas d’en admirer la délicatesse et d’en respirer le parfum. Nous voudrions pouvoir envoyer une de nos branches à la jeune épousée qui la porterait avec tant de grâce. Mais, à vrai dire, cette fleur enivrante et légère, sur laquelle il ne faut pas souffler, est bien le symbole des amours profanes. Nous voulons à notre ami, à celle qui va partager sa vie, des joies plus durables les vœux de vos amis, les mérites de vos parents vous tressent une couronne qui ne se flétrira pas. Mes amitiés à Cochin, puisqu’il a trempé dans cette mauvaise action.