Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/22

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XXII

Comment saint François convertit à Bologne deux écoliers qui se firent frères, et comment ensuite délivra l’un d’une grande tentation.


Saint François arrivant un jour. à Bologne, tout le peuple de .la ville courait pour le voir ; et si grande était la presse, que .les gens ne pouvaient qu’à grand’peine arriver à la place, qui était pleine d’hommes, de femmes et d’écoliers ; Saint François se tint debout sur un lieu élevé, et commença : à prêcher ce que l’Esprit-Saint lui enseignait. Et il prêchait si merveilleusement, qu’il paraissait que ce fût un ange plutôt qu’un homme. Ces paroles toutes célestes semblaient des flèches aiguës qui traversaient le cœur de ceux qui l’écoutaient, si bien que cette prédication convertit à la pénitence une multitude -d’hommes et de femmes. De ce nombre étaient deux nobles étudiants de la Marche d’Ancône. L’un avait nom Pellegrino, et l’autre Rénier. Tous deux, à la suite de cette prédication, touchés jusqu’au fond du cœur d’une inspiration divine, vinrent trouver saint François, disant qu’il voulaient absolument abandonner le monde et être de ses frères. Alors saint François, connaissant par révélation qu’ils étaient envoyés de Dieu, qu’ils devaient mener une sainte vie dans l’Ordre, et considérant leur grande ferveur, les reçut avec allégresse, en disant « Toi, Pellegrino, tu garderas dans l’Ordre la voie de l’humilité et toi, frère Rénier, tu serviras les frères» Et il en fut ainsi ; car frère Pellegrino ne voulut jamais être traité comme clerc, mais comme laïque, bien qu’il fut très-lettre et grand décrétaliste. Par cette humilité, il parvint à une rare perfection de vertu ; tellement que frère Bernard, le premier-né de saint Françoise disait de lui que c’était un des plus parfaits religieux de ce monde. Finalement, ledit frère Pellegrino, plein de vertus, passa de cette vie à la vie bienheureuse : il fit beaucoup de miracles avant et après sa mort.

Or frère Rénier servait les frères dévotement et fidèlement, vivant en grande sainteté et humilité, et devint très-familier avec saint François et saint François lui révéla beaucoup de secrets. Etant fait ensuite ministre de la province de la Marche d’Ancône, il la gouverna pendant longtemps avec une grande sagesse et une grande paix puis, au bout de quelque temps,.Dieu lui envoya une violente tentation dans l’âme, qui le remplissait de tribulations et d’angoisses. Il se mortifiait fortement par des jeûnes ; des disciplines, des larmes et des prières, le jour et la nuit ; et cependant il ne pouvait chasser cette tentation. Mais souvent il était en grand désespoir, parce qu’il se croyait abandonné de Dieu. Dans ce désespoir, il résolut, pour dernier remède, d’aller trouver saint François, avec cette pensée : « Si saint François me fait bon visage et se montre familier comme de coutume, je croirai que Dieu m’a pris en pitié ; sinon, ce sera la marqué que je suis abandonné de Dieu. » Il se mit en route et alla trouver saint François, qui, dans ce temps, était gravement malade dans le palais de l’évêque d’Assise ; Dieu révéla au saint toute la tentation et les sentiments de frère Rénier, sa résolution et sa venue. Incontinent saint François appelle frère Léon et frère Masséo, et leur dit : « Allez de suite à la rencontre de mon très-cher fils, frère Rénier ; embrassez-le de ma part, saluez-le, et dites-lui qu’entre tous les frères qui sont dans le monde je l’aime particulièrement. » Ceux-ci allèrent, trouvèrent sur le chemin frère Rénier, et, l’embrassant, ils lui dirent ce que saint François leur avait commandé, dont il ressentit tant de consolation et de douceur dans son âme, qu’il en fut comme hors de lui. Et, rendant grâce Dieu de tout son cœur, il alla et arriva jusqu’au lieu où saint François était couché. Et, bien que saint François fût gravement malade, néanmoins, entendant venir frère Rénier, il se leva et alla au-devant de lui. Il l’embrassa tendrement, et lui dit: « Mon très-cher fils, frère Rénier, entre tous les frères qui sont dans le monde, je t’aime, je t’aime particulièrement. » Et, cette parole dite, il lui fit le signe de la très-sainte croix sur le front, le baisa à cet. endroit, et lui dit encore : « Mon très-cher fils, Dieu a permis cette tentation pour te faire gagner de grands mérites. Mais, si tu ne veux pas de ce gain, tu ne l’auras pas. » Et. chose merveilleuse, aussitôt que saint François eut dit ces paroles, le frère se sentit délivré de cette tentation, comme s’il ne l’avait jamais éprouvée de sa vie, et il resta tout consolé.