Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du zinc

DU ZINC[1]

Le zinc ne se trouve pas, comme le bismuth, dans un état natif de minéral pur, ni même comme l’antimoine dans une seule espèce de mine ; car on le tire également de la calamine ou pierre calaminaire et de la blende, qui sont deux matières différentes par leur composition et leur formation, et qui n’ont de commun que de renfermer du zinc : la calamine se présente en veines continues comme les autres minéraux ; la blende se trouve, au contraire, dispersée et en masses séparées dans presque toutes les mines métalliques : la calamine est principalement composée de zinc et de fer[2] ; la blende contient ordinairement d’autres minéraux avec le zinc[3]. La calamine est d’une couleur jaune ou rougeâtre, et assez aisée à distinguer des autres minéraux ; la blende, au contraire, tire son nom de son apparence trompeuse et de sa forme équivoque[4] : il y a des blendes qui ressemblent à la galène de plomb[5] ; d’autres qui ont l’apparence de la corne, et que les mineurs allemands appellent horn-blende ; d’autres qui sont noires et luisantes comme la poix, auxquels ils donnent le nom de pech-blende, et d’autres encore qui sont de différentes couleurs, grises, jaunes, brunes, rougeâtres, quelquefois cristallisées, et même transparentes, mais plus souvent opaques et sans figure régulière. Les blendes noires, grises et jaunâtres sont mêlées d’arsenic ; les rougeâtres doivent cette couleur au fer ; celles qui sont transparentes et cristallisées sont chargées de soufre et d’arsenic ; enfin toutes contiennent une plus, ou moins grande quantité de zinc.

Non seulement ce demi-métal se trouve dans la pierre calaminaire et dans les blendes, mais il existe aussi en assez grande quantité dans plusieurs mines de fer concrètes ou en grains, et de dernière formation ; ce qui prouve que le zinc est disséminé presque partout en molécules insensibles, qui se sont réunies avec le fer dans la pierre calaminaire et dans les mines secondaires de ce métal, et qui se sont aussi mêlées dans les blendes avec d’autres minéraux et avec des matières pyriteuses : ce demi-métal ne peut donc être que d’une formation postérieure à celle des métaux, et même postérieure à leur décomposition, puisque c’est presque toujours avec le fer décomposé qu’on le trouve réuni. D’ailleurs, comme il est très volatil, il n’a pu se former qu’après les métaux et minéraux plus fixes, dans le même temps à peu près que l’antimoine, le mercure et l’arsenic : ils étaient tous relégués dans l’atmosphère, avec les eaux et les autres substances volatiles pendant l’incandescence du globe, et ils n’en sont descendus qu’avec ces mêmes substances ; aussi le zinc ne se trouve dans aucune mine primordiale des métaux, mais seulement dans les mines secondaires produites par la décomposition des premières.

Pour tirer le zinc de la calamine ou des blendes, il suffit de les exposer au feu de calcination, ce demi-métal se sublime en vapeurs qui, par leur condensation, forment de petits flocons blancs et légers, auxquels on a donné le nom de fleurs de zinc.

Dans la calamine ou pierre calaminaire, le zinc est sous la forme de chaux : en faisant griller cette pierre, elle perd près d’un tiers de son poids ; elle s’effleurit à l’air, et se présente ordinairement en masses irrégulières, quelquefois cristallisées ; elle est presque toujours accompagnée ou voisine des terres alumineuses ; mais, quoique la substance du zinc soit disséminée partout, ce n’est qu’en quelques endroits qu’on trouve de la pierre calaminaire. Nous citerons tout à l’heure les mines les plus fameuses de ce minéral en Europe, et nous savons d’ailleurs que le toutenague, qu’on nous apporte des Indes orientales, est un zinc même plus pur que celui d’Allemagne : ainsi l’on ne peut douter qu’il n’y ait des mines de pierres calaminaires dans plusieurs endroits des régions orientales, puisque ce n’est que de cette pierre qu’on peut tirer du zinc d’une grande pureté.

La minière la plus fameuse de pierre calaminaire est celle de Calmsberg, près d’Aix-la-Chapelle ; elle est mêlée avec une mine de fer en ocre : il y en a une autre qui est mêlée de mine de plomb au-dessous de Namur. On prétend que le mot de calamine est le nom d’un territoire d’assez grande étendue, près des confins du duché de Limbourg, qui est plein de ce minéral. « Tout le terrain, dit Lémery, à plus de vingt lieues à la ronde, est si rempli de pierres calaminaires que les grosses pierres dont on se sert pour paver, étant exposées au soleil, laissent voir une grande quantité de parcelles métalliques et brillantes. » M. de Gensane en a reconnu une minière de plus de quatre toises de largeur, au-dessous du château de Montalet, diocèse d’Uzès : on y trouve des pierres calaminaires ferrugineuses, comme à Aix-la-Chapelle, et d’autres mêlées de mine de plomb, comme à Namur, et l’on y voit aussi des terres alumineuses ; on en trouve encore dans le Berry près de Bourges, et dans l’Anjou et le territoire de Saumur, qui sont également mêlées de parties ferrugineuses.

En Angleterre, on exploite quelques mines de pierre calaminaire dans le comté de Sommerset ; la pierre de cette mine est rougeâtre à sa surface, et d’un jaune verdâtre à l’intérieur ; elle est très pesante, quoique trouée et comme cellulaire ; elle est aussi très dure et donne des étincelles lorsqu’on la choque contre l’acier ; elle est soluble dans les acides : celle du comté de Nottingham en diffère en ce qu’elle n’est pas soluble, et qu’elle ne fait point feu contre l’acier, quoiqu’elle soit compacte, opaque et cellulaire comme celle de Sommerset ; elle en diffère encore par la couleur qui est ordinairement blanche, et quelquefois d’un vert clair cristallisé. Ces différences indiquent assez que la calamine, en général, est une pierre composée de différents minéraux, et que sa nature varie suivant la quantité ou la qualité des matières qui en constituent la substance : le zinc est la seule matière qui soit commune à toutes les espèces de calamine ; celle qui en contient le plus est ordinairement jaune ; mais on peut se servir de toutes pour jaunir le cuivre rouge ; c’est pour cet usage qu’on les recherche et qu’on les travaille, plutôt que pour en faire du zinc qui ne s’emploie que rarement pur, et qui même n’est pas aussi propre à faire du cuivre jaune que la pierre calaminaire : d’ailleurs, on ne peut en tirer le zinc que dans des vaisseaux clos, parce que non seulement il est très volatil, mais encore parce qu’il s’enflamme à l’air libre ; et c’est par la cémentation du cuivre rouge avec la calamine que la vapeur du zinc contenu dans cette pierre entre dans le cuivre, lui donne la couleur jaune et le convertit en laiton.

La calamine est souvent parsemée de petites veines ou filets de mine de plomb ; elle se trouve même fréquemment mêlée dans les mines de ce métal, comme dans celles de fer de dernière formation ; et, lorsqu’elle y est très abondante, comme dans la mine de Rammelsberg près de Goslar, on en tire le zinc en même temps que le plomb, en faisant placer dans le fourneau de fusion un vaisseau presque clos, à l’endroit où l’ardeur du feu n’est pas assez forte pour enflammer le zinc, et on le reçoit en substance coulante ; mais, quelque précaution que l’on prenne en le travaillant, même dans des vaisseaux bien clos, le zinc n’acquiert jamais une pureté entière, ni même telle qu’il doit l’avoir pour faire d’aussi bon laiton qu’on en fait avec la pierre calaminaire, dont la vapeur fournit les parties les plus pures du zinc ; et le laiton fait avec cette pierre est ductile, au lieu que celui qu’on fait avec le zinc est toujours aigre et cassant.

Il en est de même de la blende ; elle donne comme la calamine, par la cémentation, du plus beau et du meilleur laiton qu’on ne peut en obtenir par le mélange immédiat du zinc avec le cuivre : toutes deux même n’ont guère d’autre usage, et ne sont recherchées et travaillées que pour faire du cuivre jaune ; mais, comme je l’ai déjà dit, ce ne sont pas les deux seules matières qui contiennent du zinc ; car il est très généralement répandu, et en assez grande quantité, dans plusieurs mines de fer ; on le trouve aussi quelquefois sous la forme d’un sel ou vitriol blanc, et dans la blende il est toujours combiné avec le fer et le soufre.

Il se forme assez souvent dans les grands fourneaux des concrétions qui ont paru à nos chimistes[6] toutes semblables aux blendes naturelles. Cependant il y a toute raison de croire que les moyens de leur formation sont bien différents : ces blendes artificielles, produites par l’action du feu de nos fourneaux, doivent différer de celles qui se trouvent dans le sein de la terre, à moins qu’on ne suppose que celles-ci ont été formées par le feu des volcans, et cependant il y a toute raison de penser que la plupart au moins n’ont été produites que par l’intermède de l’eau[7], et que le foie de soufre, c’est-à-dire l’alcali mêlé aux principes du soufre, a grande part à leur formation.

Comme le zinc est non seulement très volatil, mais fort inflammable, il se brûle dans les fourneaux où l’on fond les mines de fer, de plomb, etc., qui en sont mêlées ; cette fumée du zinc à demi brûlé se condense sous une forme concrète contre les parois des fourneaux et cheminées des fonderies et affineries ; dans cet état, on lui donne le nom de cadmie des fourneaux : c’est une concrétion de fleurs de zinc, qui s’accumulent souvent au point de former un conduit épais contre les parois de ces cheminées ; la substance de cet enduit est dure, elle jette des étincelles lorsqu’on la frotte rapidement ou qu’on la choque contre l’acier ; les parties de cette cadmie qui se sont le plus élevées, et qui sont attachées au haut de la cheminée, sont les plus pures et les meilleures pour faire du laiton[8], parce que la cadmie, qui s’est sublimée et élevée si haut, y est moins mêlée de fer, de plomb, ou de tout autre minéral moins volatil que le zinc ; au reste, on peut aisément la recueillir, elle se lève par écailles dures, et il ne faut que la pulvériser pour la mêler et la faire fondre avec le cuivre rouge, et c’est peut-être la manière la moins coûteuse de faire du laiton.

Le zinc, tel qu’on l’obtient par la fusion, est d’un blanc un peu bleuâtre et assez brillant ; mais, quoiqu’il se ternisse à l’air moins vite que le plomb, il prend cependant en assez peu de temps une couleur terne et d’un jaune verdâtre, et les nuances différentes de sa couleur dépendent beaucoup de son degré de pureté ; car, en le traitant par les procédés ordinaires, il conserve toujours quelques petites parties de matières avec lesquelles il était mêlé dans sa mine : ce n’est que très récemment qu’on a trouvé le moyen de le rendre plus pur. Pour obtenir le zinc dans sa plus grande pureté, il faut précipiter par le zinc même son vitriol blanc : ce vitriol, décomposé ensuite par l’alcali, donne une chaux qu’il suffit de réduire pour avoir un zinc pur et sans aucun mélange.

La substance du zinc est dure et n’est point cassante ; on ne peut la réduire en poudre qu’en la faisant fondre et la mettant en grenailles ; aussi acquiert-elle quelque ductilité par l’addition des matières inflammables en la fondant en vaisseaux clos : sa densité est un peu plus grande que celle du régule d’antimoine, et un peu moindre que celle de l’étain[9].

Indépendamment de ce rapport assez prochain de densité, le zinc en a plusieurs autres avec l’étain ; il rend, lorsqu’on le plie, un petit cri comme l’étain[10] ; il résiste de même aux impressions des éléments humides, et ne se convertit point en rouille : quelques minéralogistes l’ont même regardé comme une espèce d’étain[11], et il est vrai qu’il a plusieurs propriétés communes avec ce métal ; car on peut étamer le fer et le cuivre avec le zinc comme avec l’étain ; et l’un de nos chimistes a prétendu que cet étamage avec le zinc[12], qui est moins fusible que l’étain, et par conséquent plus durable, est en même temps moins dangereux que l’étamage ordinaire, dans lequel les chaudronniers mêlent toujours du plomb : on connaît les qualités funestes du plomb, on sait aussi que l’étain contient toujours une petite quantité d’arsenic, et il faut convenir que le zinc en contient aussi ; car, lorsqu’on le fait fuser sur les charbons ardents, il répand une odeur arsenicale qu’il faut éviter de respirer ; et, tout considéré, l’étamage avec du bon étain doit être préféré à celui qu’on ferait avec le zinc[13], que le vinaigre dissout et attaque même à froid.

Si ces rapports semblent rapprocher le zinc de l’étain, il s’en éloigne par plusieurs propriétés : il est beaucoup moins fusible ; il faut qu’il soit chauffé presque au rouge avant qu’il puisse entrer en fusion ; dans cet état de fonte, sa surface se calcine sans augmenter le feu, et se convertit en chaux grise, qui diffère de celle de l’étain en ce qu’elle est bien plus aisément réductible et que, quand on les pousse à un feu violent, celle de l’étain ne fait que blanchir davantage, et enfin se convertit en verre, au lieu que celle du zinc s’enflamme d’elle-même et sans addition de matière combustible. On peut même dire qu’aucune autre matière, aucune substance végétale ou animale, qui cependant semblent être les vraies matières combustibles, ne donnent une flamme aussi vive que le zinc ; cette flamme est sans fumée et dans une parfaite incandescence ; elle est accompagnée d’une si grande quantité de lumière blanche, que les yeux peuvent à peine en supporter l’éclat éblouissant : c’est au mélange de la limaille de fer avec du zinc que sont dus les plus beaux effets de nos feux d’artifice.

Et non seulement le zinc est par lui-même très combustible, mais il est encore phosphorique : sa chaux paraît lumineuse en la triturant, et ses fleurs, recueillies au moment qu’elles s’élèvent et placées dans un lieu obscur, jettent de la lumière pendant un petit temps[14].

Au reste, le zinc n’est pas le seul des minéraux qui s’enflamme lorsqu’on le fait rougir ; l’arsenic, le cuivre et même l’antimoine, éprouvent le même effet ; le fer jette aussi de la flamme lorsque l’incandescence est poussée jusqu’au blanc, et il ne faut pas attribuer, avec quelques-uns de nos chimistes[15], cette flamme au zinc qu’il contient, ni croire, comme ils le disent, que c’est le zinc qui rend la fonte de fer aigre et cassante ; car il y a beaucoup de mines de fer qui ne contiennent point de zinc, et dont néanmoins le fer donne une flamme aussi vive que les autres fers qui en contiennent : je m’en suis assuré par plusieurs essais, et d’ailleurs, on peut toujours reconnaître, par la simple observation, si la mine que l’on traite contient du zinc, puisqu’alors ce demi-métal, en se sublimant, forme de la cadmie au-dessus du fourneau et dans les cheminées des affineries ; toutes les fois donc que cette sublimation n’aura pas lieu, on peut être assuré que le fer ne contient point de zinc, du moins en quantité sensible, et néanmoins le fer en gueuse n’en est pas moins aigre et cassant, et cette aigreur, comme nous l’avons dit, vient des matières vitreuses avec lesquelles la substance du fer est mêlée, et ce verre se manifeste bien évidemment par les laitiers et les scories qui s’en séparent, tant au fourneau de fusion qu’a l’affinerie ; enfin cette fonte en fer, qui ne contient point de zinc, ne laisse pas de jeter de la flamme lorsqu’elle est chauffée à blanc, et dès lors ce n’est point au zinc qu’on doit attribuer cette flamme, mais au fer même, qui est en effet combustible lorsqu’il éprouve la violente action du feu.

La chaux du zinc, chauffée presque jusqu’au rouge, s’enflamme tout à coup et avec un sorte d’explosion, et en même temps les parties les plus fixes sont, comme nous l’avons dit, emportées en fleurs ou flocons blancs ; leur augmentation de volume n’est pas proportionnelle à leur légèreté apparente, car il n’y a, dit-on[16], qu’un dixième de différence entre la pesanteur spécifique du zinc et celle de ses fleurs ; mais, lorsqu’on la calcine très lentement et qu’on l’empêche de se sublimer en l’agitant continuellement avec une spatule de fer, l’augmentation du volume de cette chaux est de près d’un sixième[17] : au reste, comme la chaux du zinc est très volatile, on ne peut la vitrifier seule ; mais en y ajoutant du verre blanc, réduit en poudre et du salin, on la convertit en un verre couleur d’aigue-marine.

Plusieurs chimistes ont écrit que, comme le soufre ne peut contracter aucune union avec le zinc, il pouvait servir de moyen pour le purifier ; mais ce moyen ne peut être employé généralement pour séparer du zinc tous les métaux, puisque le soufre s’unit au zinc par l’intermède du fer.

Le zinc en fusion, et sous sa forme propre, s’allie avec tous les métaux et minéraux métalliques, à l’exception du bismuth et du nickel[18]. Quoiqu’il se trouve très souvent uni avec la mine de fer, il ne s’allie que très difficilement par la fusion avec ce métal ; il rend tous les métaux aigres et cassants ; il augmente la densité du cuivre et du plomb, mais il diminue celle de l’étain, du fer et du régule d’antimoine ; l’arsenic et le zinc, traités ensemble au feu de sublimation, forment une masse noire qui présente dans sa cassure une apparence plutôt vitreuse que métallique[19] ; il s’amalgame très bien avec le mercure[20] : « Si l’on verse, dit M. de Morveau, le zinc fondu sur le mercure, il se fait un bruit pareil à celui que fait l’immersion subite d’un corps froid dans de l’huile bouillante ; l’amalgame paraît d’abord solide, mais il redevient fluide par la trituration ; la cristallisation de cet amalgame laisse apercevoir ses éléments, même à la partie supérieure qui n’est pas en contact avec le mercure, ce qui est différent des autres amalgames… une once de zinc retient deux onces de mercure[21]. » J’observerai que cette solidité que prend d’abord cet amalgame ne dépend pas de la nature du zinc, puisque le mercure seul, versé dans l’huile bouillante, prend une solidité même plus durable que celle de cet amalgame de zinc.

Les affinités du zinc avec les métaux sont, selon M. Geller, dans l’ordre suivant : le cuivre, le fer, l’argent, l’or, l’étain et le plomb.

Autant la chaux de plomb est facile à réduire, autant la chaux ou les fleurs de zinc sont de difficile réduction ; de là vient que la céruse ou blanc de plomb devient noire par la seule vapeur des matières putrides, tandis que la chaux de zinc conserve sa blancheur : c’est d’après cette propriété éprouvée par la vapeur du foie de soufre que M. de Morveau a proposé le blanc de zinc comme préférable, dans la peinture, au blanc de plomb ; les expériences comparées ont été faites cette année 1781, dans la séance publique de l’Académie de Dijon ; elles démontrent qu’il suffit d’ajouter à la chaux du zinc un peu de terre d’alun et de craie pour lui donner du corps et en faire une bonne couleur blanche, bien plus fixe et bien moins altérable à l’air que la céruse ou blanc de plomb qu’on emploie ordinairement dans la peinture à l’huile.

Le zinc est attaqué par tous les acides, et même la plupart le dissolvent assez facilement : l’acide vitriolique n’a pas besoin d’être aidé pour cela par la chaleur, et le zinc paraît avoir plus d’affinité qu’aucune autre substance métallique avec cet acide ; il faut seulement, pour que la dissolution s’opère promptement, lui présenter le zinc en petites grenailles ou en lames minces, et mêler l’acide avec un peu d’eau, afin que le sel qui se forme n’arrête pas la dissolution par le dépôt qui s’en fait à la surface. Cette dissolution laisse, après l’évaporation, des cristaux blancs : ce vitriol de zinc est connu sous le nom de couperose blanche, comme ceux de cuivre et de fer, sous les noms de couperose bleue et de couperose verte. Et l’on doit observer que les fleurs de zinc, quoiqu’en état de chaux, offrent les mêmes phénomènes avec cet acide que le zinc même, ce qui ne s’accorde point avec la théorie de nos chimistes, qui veulent qu’en général les chaux métalliques ne puissent être attaquées par les acides. Ce vitriol de zinc ou vitriol blanc se trouve dans le sein de la terre[22], rarement en cristaux réguliers, mais plutôt en stalactites, et quelquefois en filets blancs : il se couvre d’une efflorescence bleuâtre s’il contient du cuivre.

L’acide nitreux dissout le zinc avec autant de rapidité que de puissance, car il peut en dissoudre promptement une quantité égale à la moitié de son poids : la dissolution saturée n’est pas limpide comme l’eau, mais un peu obscure comme de l’huile ; et, si le zinc est mêlé de quelques parties de fer, ce métal s’en sépare en se précipitant, ce qui fournit un autre moyen que celui du soufre pour purifier le zinc. L’on doit encore observer que la chaux et les fleurs de zinc se dissolvent dans cet acide et dans l’acide vitriolique et que, par conséquent, cela fait une grande exception à la prétendue règle que les acides ne doivent pas dissoudre les chaux ou terres métalliques.

L’acide marin dissout aussi le zinc très facilement, moins pleinement que l’acide nitreux, car il ne peut en prendre que la huitième partie de son poids ; il ne se forme pas de cristaux après l’évaporation de cette dissolution, mais seulement un sel en gelée blanche et très déliquescent, dont la qualité est fort corrosive.

Le zinc, et même les fleurs de zinc, se dissolvent aussi dans l’acide du vinaigre, et il en résulte des cristaux ; il en est de même de l’acide du tartre : ainsi tous les acides minéraux ou végétaux, et jusqu’aux acerbes, tels que la noix de galle, agissent sur le zinc ; les alcalis, et surtout l’alcali volatil, le dissolvent aussi, et cette dernière dissolution donne, après l’évaporation, un sel blanc et brillant qui attire l’humidité de l’air et tombe en déliquescence.

Voilà le précis de ce que nous savons sur le zinc : on voit qu’étant très volatil, il doit être disséminé partout ; qu’étant susceptible d’altération et de dissolution par tous les acides et par les alcalis, il peut se trouver en état de chaux ou de précipité dans le sein de la terre ; d’ailleurs, les matières qui le contiennent en plus grande quantité, telles que la pierre calaminaire et les blendes, sont composées des détriments du fer et d’autres minéraux ; l’on ne peut donc pas douter que ce demi-métal ne soit d’une formation bien postérieure à celle des métaux.


Notes de Buffon
  1. Paracelse est le premier qui ait employé le nom de zinc. Agricola le nomme contrefeyn, on l’a appelé stannum indicum, parce qu’il a été apporté des Indes en assez grande quantité dans le siècle dernier ; les auteurs arabes n’en font aucune mention, quoique l’art de tirer le zinc de sa mine existe depuis longtemps aux Indes orientales. Voyez la Dissertation de M. Bergman sur le zinc.
  2. M. Bergman a soumis à l’analyse la calamine de Hongrie, et il a trouvé qu’elle tenait au quintal quatre-vingt-quatre livres de chaux de zinc, trois livres de chaux de fer, douze de silex et une d’argile, sur quoi j’observerai que la matière de l’argile et celle du silex ne sont qu’une seule et même substance, puisque le silex se réduit en argile en se décomposant par les éléments humides.
  3. M. Bergman a trouvé que la blende noire de Danemora tenait au quintal quarante-cinq livres de zinc, neuf de fer, six de plomb, une de régule d’arsenic, vingt-neuf de soufre, quatre de silex et six d’eau.
  4. Ce mot blende signifie dans le langage des mineurs allemands une substance trompeuse, parce qu’il y en a qui ressemble à la galène de plomb. Dictionnaire d’histoire naturelle, par M. de Bomare, article Blende (blind, éblouir, tromper les yeux).
  5. On a donné à la mine de zinc blanchâtre le nom de fausse galène ; mais, quoique le tissu de cette dernière soit à peu près feuilleté comme celui de la galène, les feuillets qui la composent sont cependant moins distincts et moins éclatants que ceux de la mine de plomb sulfureuse ; sa pesanteur spécifique est d’ailleurs beaucoup moins considérable ; au reste, il est aisé de distinguer la blende d’avec la galène, car, si l’on gratte avec un couteau le morceau dont l’apparence est équivoque, il s’en dégagera, si c’est une blende, une odeur de foie de soufre des mieux caractérisées… M. de Born nous a fait connaître une blende transparente, d’un vert jaunâtre qui se trouve à Ratieborzis en Bohême. J’en ai vu des échantillons qui avaient la transparence et la couleur de la topaze et de la chrysolithe. Enfin, quoique le tissu de la blende soit presque toujours lamelleux ou feuilleté, il s’y rencontre quelquefois des morceaux qui, par leur tissu fibreux ou strié, imitent assez bien la mine d’antimoine grise ; on les en distingue facilement à leur couleur d’un gris sombre et à l’odeur de foie de soufre qu’on en dégage par le frottement… Cette dernière sorte de blende est commune dans les mines de Pompéan ; elle a moins d’éclat que la manganèse et ne tache point les doigts comme cette substance. Lettre du docteur Demeste, t. II, p. 176, 180 et 181.
  6. « Il y a des blendes artificielles qui imitent parfaitement les blendes naturelles dans leur tissu, leur couleur et leur phosphorescence… J’en ai vu un morceau d’un noir luisant et feuilleté provenant des fonderies de Saint-Bel… Un autre morceau, venant du même lieu, donnait, outre l’odeur du foie de soufre, des étincelles lorsqu’on le grattait avec un couteau, et n’en donnait point avec la plume… et un troisième morceau venant des fonderies de Saxe, et qui est de couleur jaunâtre, était si phosphorique qu’en le frottant de la plume on en tirait des étincelles comme de la blende rouge de Schaffenberg. » Lettre du docteur Demeste, t. II, p. 179 et 180. — Je dois observer qu’on trouvait en effet de ces blendes artificielles dans les laitiers des fonderies, mais que jusqu’ici l’on ne savait pas les produire à volonté, et que même on ne pouvait expliquer comment elles s’étaient formées ; on pensait au contraire que l’art ne pouvait imiter la nature dans la combinaison du zinc avec le soufre. M. de Morveau est le premier qui ait donné, cette année 1780, un procédé pour faire à volonté l’union directe du zinc et du soufre : il suffit pour cela de priver ce demi-métal de sa volatilité en le calcinant, et de le fondre ensuite avec le soufre ; il en résulte une vraie pyrite de zinc qui a, comme toutes les autres pyrites, une sorte de brillant métallique.
  7. M. Bergman croit, comme moi, que les blendes naturelles ont été formées par l’eau, et il se fonde sur ce qu’elles contiennent réellement de l’eau ; il dit aussi qu’on peut les imiter en unissant par la fusion le zinc, le fer et le soufre.
  8. On connaissait très bien, dès le temps de Pline, la cadmie des fourneaux et on avait déjà remarqué qu’elle était de qualité et de bonté différentes, suivant qu’elle se trouvait sublimée plus haut ou plus bas dans les cheminées des fonderies : « Est ipse lapis ex quo fit æs, cadmia vocatur… Hic rursus in fornacibus existit, aliamque nominis sui originem recipit : fit autem egestâ flammis atque flatu tenuissimâ parte materiæ, et cameris lateribusve fornacum pro quantitate levitatis applicatâ. Tenuissima est in ipso fornacum ore quâ flammæ eluctantur, appellata capnitis, exusta et nimiâ levitate similis favillæ : interior optima, cameris dependens, et ab eo argumento botrytis cognominata ; tertia est in lateribus fornacum, quæ propter gravitatem ad cameras pervenire non potuit ; hæc dicitur placitis… fluunt et ex eâ duo alia genera ; onychitis, extra penè cærulea, intus onychitis maculis similis ; ostracitis, tota nigra, et cæterarum sordidissima… Omnis autem cadmia in cupri fornacibus optima. » Pline, lib. xxxiv, cap. x.
  9. La pesanteur spécifique du régule de zinc est de 71 908 ; celle du régule d’antimoine de 67 021, et celle de l’étain pur de Cornouailles de 72 914 ; la pesanteur spécifique de la blende n’est que de 41 665 : il y a donc à peu près la même proportion dans les densités relatives de la blende avec le zinc, de l’antimoine cru avec le régule d’antimoine, et du cinabre avec le mercure coulant.
  10. Le zinc, lorsqu’on le rompt, a le même cri que l’étain ; lorsqu’on le mêle avec du plomb, cet alliage a encore le même cri : les potiers d’étain emploient le zinc dans leurs ouvrages et pour leurs soudures. Histoire de l’Académie des sciences, année 1743, p. 45.
  11. Schlutter, dit M. Hellot, regarderait volontiers le zinc comme une espèce d’étain, s’il était plus malléable, et il soupçonne que, venant d’une mine aussi sulfureuse que celle de Rammelsberg…, il conserve encore une partie de ce soufre : cette idée, selon Schlutter, est d’autant plus vraisemblable que par le soufre on peut rendre aigre le meilleur étain… On sait aussi que le zinc et l’étain peuvent également rendre jaune le cuivre rouge ; il cite pour exemple le métal singulier qu’Alonzo Barba a décrit dans son Traité des mines et des métaux. (Traité de la fonte des mines, etc., t. II, p. 257) ; mais le sentiment de Schlutter sur le zinc ne nous paraît pas assez fondé, car le zinc ne peut différer de l’étain par le soufre minéralisateur, puisqu’il n’en contient pas.
  12. M. Malouin, de l’Académie des sciences et médecin de la Faculté de Paris.
  13. Cet étamage avec le zinc, a été approuvé par la Faculté de médecine de Paris, mais condamné par l’Académie des sciences et par la Société royale de médecine ; et il a aussi été démontré nuisible par les expériences faites à l’Académie de Dijon, en 1779.
  14. M. de Lassone, procédant un jour à la déflagration d’une assez grande quantité de zinc, en recueillait les fleurs et les mettait à mesure dans un large vaisseau ; il fut surpris de les voir encore lumineuses quelques minutes après, et remuant ensuite ces fleurs avec une spatule, ayant obscurci davantage le laboratoire, il vit qu’elles étaient entièrement pénétrées de cette lumière phosphorique et diffuse, qui peu à peu s’affaiblit, s’éteignit, après avoir subsisté plus d’une heure. On peut voir, dans son Mémoire, tous les rapports qu’il indique entre le zinc et le phosphore. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1772, p. 380 et suiv.
  15. « C’est à la présence du zinc contenu dans le fer qu’il faut attribuer la plupart des phénomènes que présente ce fer impur et mélangé, lequel se détruit en partie par la combustion, puisque le déchet du fer en gueuse est ordinairement d’un tiers… C’est moins le fer que le zinc contenu dans la fonte qui se brûle, se détruit et se volatilise, en sorte que la perte du métal, dans toutes ces circonstances, est d’autant plus considérable, que le fer s’y trouve joint à une plus grande quantité de zinc. » Lettres de M. Demeste, t. II, p. 167.
  16. En réduisant le zinc en fleurs, le poids des fleurs surpasse d’un dixième celui de la masse de zinc avant d’être réduit en fleurs. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1772, p. 380.
  17. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. Ier, p. 257.
  18. Idem, t. Ier, p. 269.
  19. Idem, t. II, p. 337.
  20. L’amalgame composé de quatre parties de mercure sur une de zinc est bien plus propre à produire l’électricité que l’amalgame de mercure et d’étain. Journal de physique, mois de novembre 1780, p. 372.
  21. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. III, p. 444 et 445.
  22. On n’a point encore trouvé, dit M. Bergman, d’autres sels de zinc, dans le sein de la terre, que celui qui vient de l’acide vitriolique ; et le vitriol natif de zinc est rarement pur, mais mêlé au cuivre ou au fer, et souvent à tous deux. Dissertation sur le zinc.