Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du platine

DU PLATINE

Il n’y a pas un demi-siècle qu’on connaît le platine en Europe, et jamais on n’en a trouvé dans aucune région de l’ancien continent : deux petits endroits dans le nouveau monde, l’un dans les mines d’or de Santa-Fé, à la Nouvelle-Grenade, l’autre dans celle de Choco, province du Pérou, sont jusqu’ici les seuls lieux d’où l’on ait tiré cette matière métallique, que nous ne connaissons qu’en grenailles mêlées de sablon magnétique, de paillettes d’or, et souvent de petits cristaux de quartz, de topaze, de rubis, et quelquefois de petites gouttes de mercure. J’ai vu et examiné de très près cinq ou six sortes de platine que je m’étais procurées par diverses personnes et en différents temps : toutes ces sortes étaient mêlées de sablon magnétique et de paillettes d’or ; dans quelques-unes il y avait de petits cristaux de quartz, de topaze, etc., en plus ou moins grande quantité ; mais je n’ai vu de petites gouttes de mercure que dans l’une de ces sortes de platine[1]. Il se pourrait donc que cet état de grenaille, sous lequel nous connaissons le platine, ne fût point son état naturel, et l’on pourrait croire qu’il a été concassé dans les moulins où l’on broie les minerais d’or et d’argent, et que les gouttelettes de mercure qui s’y trouvent quelquefois ne viennent que de l’amalgame qu’on emploie au traitement de ces mines : nous ne sommes donc pas certain que cette forme de grenaille soit sa forme native, d’autant qu’il paraît, par le témoignage de quelques voyageurs, qu’ils indiquent le platine comme une pierre métallique très dure, intraitable, dont néanmoins les naturels du pays avaient, avant les Espagnols, fait des haches et autres instruments tranchants[2], ce qui suppose nécessairement qu’ils la trouvaient en grandes masses ou qu’ils avaient l’art de la fondre, sans doute avec l’addition de quelque autre métal ; car, par lui-même, le platine est encore moins fusible que la mine de fer, qu’ils n’avaient pas pu fondre. Les Espagnols ont aussi fait différents petits ouvrages avec le platine allié avec d’autres métaux : personne, en Europe, ne le connaît donc dans son état de nature, et j’ai attendu vainement, pendant nombre d’années, quelques morceaux de platine en masse que j’avais demandés à tous mes correspondants en Amérique. M. Bowles, auquel le gouvernement d’Espagne paraît avoir donné sa confiance au sujet de ce minéral, n’en a pas abusé, car tout ce qu’il en dit ne nous apprend que ce que nous savions déjà.

Nous ne savons donc rien, ou du moins rien au juste, de ce que l’histoire naturelle pourrait nous apprendre au sujet du platine, sinon qu’il se trouve en deux endroits de l’Amérique méridionale, dans des mines d’or, et jusqu’ici nulle part ailleurs. Ce seul fait, quoique dénué de toutes ses circonstances, suffit, à mon avis, pour démontrer que le platine est une matière accidentelle plutôt que naturelle ; car toute substance produite par les voies ordinaires de la nature est généralement répandue, au moins dans les climats qui jouissent de la même température : les animaux, les végétaux, les minéraux sont également soumis à cette règle universelle. Cette seule considération aurait dû suspendre l’empressement des chimistes qui, sur le simple examen de cette grenaille, peut-être artificielle et certainement accidentelle, n’ont pas hésité d’en faire un nouveau métal[NdÉ 1], et de placer cette matière nouvelle non seulement au rang des anciens métaux, mais de la vanter comme un troisième métal aussi parfait que l’or et l’argent, sans faire réflexion que les métaux se trouvent répandus dans toutes les parties du globe ; que le platine, si c’était un métal, serait répandu de même ; que dès lors on ne devait la regarder que comme une production accidentelle, entièrement dépendante des circonstances locales des deux endroits où il se trouve.

Cette considération, quoique majeure, n’est pas la seule qui me fasse nier que le platine soit un vrai métal. J’ai démontré, par des observations exactes[3], qu’il est toujours attirable à l’aimant ; la chimie a fait de vains efforts pour en séparer le fer, dont sa substance est intimement pénétrée ; le platine n’est donc pas un métal simple et parfait, comme l’or et l’argent, puisqu’il est toujours allié de fer. De plus, tous les métaux, et surtout ceux qu’on appelle parfaits, sont très ductiles ; tous les alliages, au contraire, sont aigres : or le platine est plus aigre que la plupart des alliages, et, même après plusieurs fontes et dissolutions, il n’acquiert jamais autant de ductilité que le zinc ou le bismuth, qui cependant ne sont que des demi-métaux, tous plus aigres que les métaux.

Mais cet alliage où le fer nous est démontré par l’action de l’aimant étant d’une densité approchante de celle de l’or, j’ai cru être fondé à présumer que le platine n’est qu’un mélange accidentel de ces deux métaux très intimement unis : les essais qu’on a faits depuis ce temps pour tâcher de séparer le fer du platine et de détruire son magnétisme ne m’ont pas fait changer d’opinion ; le platine le plus pur, celui entre autres qui a été si bien travaillé par M. le baron de Sickengen[4] et qui ne donne aucun signe de magnétisme, devient néanmoins attirable à l’aimant, dès qu’il est comminué et réduit en très petites parties ; la présence du fer est donc constante dans ce minéral, et la présence d’une matière aussi dense que l’or y est également et évidemment aussi constante ; et quelle peut être cette matière dense, si ce n’est pas de l’or ? Il est vrai que, jusqu’ici, l’on n’a pu tirer du platine, par aucun moyen, l’or, ni même le fer qu’il contient, et que, pour qu’il y eût sur l’essence de ce minéral démonstration complète, il faudrait en avoir tiré et séparé le fer et l’or, comme on sépare ces métaux après les avoir alliés ; mais ne devons-nous pas considérer, et ne l’ai-je pas dit, que le fer n’étant point ici dans son état ordinaire, et ne s’étant uni à l’or qu’après avoir perdu presque toutes ses propriétés, à l’exception de sa densité et de son magnétisme, il se pourrait que l’or s’y trouvât de même dénué de sa ductilité, et qu’il n’eût conservé comme le fer que sa seule densité, et dès lors ces deux métaux qui composent le platine sont tous deux dans un état inaccessible à notre art, qui ne peut agir sur eux, ni même nous les faire reconnaître en nous les présentant dans leur état ordinaire ? Et n’est-ce pas par cette raison que nous ne pouvons tirer ni le fer ni l’or du platine, ni par conséquent séparer ces métaux, quoiqu’il soit composé de tous deux ? Le fer, en effet, n’y est pas dans son état ordinaire, mais tel qu’on le voit dans le sablon ferrugineux qui accompagne toujours le platine. Ce sablon, quoique très magnétique, est infusible, inattaquable à la rouille, insoluble dans les acides ; il a perdu toutes les propriétés par lesquelles nous pouvions l’attaquer, il ne lui est resté que sa densité et son magnétisme, propriétés par lesquelles nous ne pouvons néanmoins le méconnaître. Pourquoi l’or, que nous ne pouvons de même tirer du platine, mais que nous y reconnaissons aussi évidemment par sa densité, n’aurait-il pas éprouvé, comme le fer, un changement qui lui aurait ôté sa ductilité et sa fusibilité ? L’un est possible comme l’autre, et ces productions d’accidents, quoique rares, ne peuvent-elles pas se trouver dans la nature ? Le fer, en état de parfaite ductilité, est presque infusible, et ce pourrait être cette propriété du fer qui rend l’or dans le platine très réfractaire ; nous pouvons aussi légitimement supposer que le feu violent d’un volcan, ayant converti une mine de fer en mâchefer et en sablon ferrugineux magnétique, et tel qu’il se trouve avec le platine, ce feu aura en même temps, et par le même excès de force, détruit dans l’or toute ductilité ? Car cette qualité n’est pas essentielle, ni même inhérente à ce métal, puisque la plus petite quantité d’étain ou d’arsenic la lui enlève ; et d’ailleurs sait-on ce que pourrait produire sur ce métal un feu plus violent qu’aucun de nos feux connus ? Pouvons-nous dire si dans ce feu de volcan, qui n’a laissé au fer que son magnétisme et à l’or sa densité, il n’y aura pas eu des fumées arsenicales qui auront blanchi l’or et lui auront ôté toute sa ductilité, et si cet alliage du fer et de l’or, imbus de la vapeur d’arsenic, ne s’est pas fait par un feu supérieur à celui de notre art ? Devons-nous donc être surpris de ne pouvoir rompre leur union, et doit-on faire un métal nouveau, propre et particulier, une substance simple, d’une matière qui est évidemment mixte, d’un composé formé par accident en deux seuls lieux de la terre, d’un composé qui présente à la fois la densité de l’or et le magnétisme du fer, d’une substance, en un mot, qui a tous les caractères de l’alliage et aucun de ceux d’un métal pur ?

Mais, comme les alliages faits par la nature sont encore du ressort de l’histoire naturelle, nous croyons devoir, comme nous l’avons fait pour les métaux, donner ici les principales propriétés du platine : quoique très dense, il est très peu ductile, presque infusible sans addition, si fixe au feu qu’il n’y perd rien ou presque rien de son poids, inaltérable et résistant à l’action des éléments humides, indissoluble comme l’or, dans tous les acides simples[5], et se laissant dissoudre, comme lui, par la double puissance des acides nitreux et marin réunis.

L’or mêlé avec le plomb le rend aigre, le platine produit le même effet ; mais on a prétendu qu’il ne se séparait pas en entier du plomb comme l’or, dans la coupelle, au plus grand feu de nos fourneaux ; dès lors, le plomb adhère plus fortement au platine que l’or dont il se sépare en entier, ou presque en entier[6] : on peut même reconnaître, par l’augmentation de son poids, la quantité de plomb qu’il a saisie et qu’il retient si puissamment que l’opération de la coupelle ne peut l’en séparer ; cette quantité, selon M. Schœffer, est de deux ou trois pour cent ; cet habile chimiste, qui le premier a travaillé le platine, dit, avec raison, qu’au miroir ardent, c’est-à-dire à un feu supérieur à celui de nos fourneaux, on vient à bout d’en séparer tout le plomb et de le rendre pur ; il ne diffère donc ici de l’or qu’en ce qu’étant plus difficile à fondre, il se coupelle aussi plus difficilement.

En mêlant partie égale de platine et de cuivre, on les fond presque aussi facilement que le cuivre seul, et cet alliage est à peu près aussi fusible que celui de l’or et du cuivre ; il se fond un peu moins facilement avec l’argent, il en faut trois parties sur une de platine, et l’alliage qui résulte de cette fonte est aigre et dur ; on peut en retirer l’argent par l’acide nitreux, et avoir ainsi le platine sans mélange, mais néanmoins avec quelque perte : il peut de même se fondre avec les autres métaux ; et ce qui est très remarquable, c’est que le mélange d’une très petite quantité d’arsenic, comme d’une vingtième ou d’une vingt-quatrième partie, suffit pour le faire fondre presque aussi aisément que nous fondons le cuivre : il n’est pas même nécessaire d’ajouter des fondants à l’arsenic, comme lorsqu’on le fond avec le fer ou le cuivre, il suffit seul pour opérer très promptement la fusion du platine, qui cependant n’en devient que plus aigre et plus cassant ; enfin, lorsqu’on le mêle avec l’or, il n’y a pas moyen de les séparer sans intermède, parce que le platine et l’or sont également fixes au feu, et ceci prouve encore que la nature du platine tient de très près à celle de l’or ; ils se fondent ensemble assez aisément ; leur union est toujours intime et constante, et, de même qu’on remarque des surfaces dorées dans le platine qui nous vient en grenailles, on voit aussi des filets ou de petites veines d’or dans le platine fondu ; quelques chimistes prétendent même que l’or est un dissolvant du platine, parce qu’en effet, si l’on ajoute de l’or à l’eau régale, la dissolution du platine se fait beaucoup plus promptement et plus complètement, et ceci, joint à ce que nous avons dit de sa dissolution par l’acide nitreux, est encore une preuve et un effet de la grande affinité du platine avec l’or ; on a trouvé néanmoins le moyen de séparer l’or du platine, en mêlant cet alliage avec l’argent[7], et ce moyen est assez sûr pour qu’on ne doive plus craindre de voir le titre de l’or altéré par le mélange du platine.

L’or est précipité de sa dissolution par le vitriol de fer, et le platine ne l’est pas : ceci fournit un moyen de séparer l’or du platine s’il s’y trouvait artificiellement allié, mais cet intermède ne peut rien sur leur alliage naturel. Le mercure, qui s’amalgame si puissamment avec l’or, ne s’unit point avec le platine ; ceci fournit un second moyen de reconnaître l’or falsifié par le mélange du platine ; il ne faut que réduire l’alliage en poudre et le présenter au mercure, qui s’emparera de toutes les particules d’or et ne s’attachera point à celles du platine.

Ces différences entre l’or et le platine sont peu considérables, en comparaison des rapports de nature que ces deux substances ont l’une avec l’autre : le platine ne s’est trouvé que dans des mines d’or, et seulement dans deux endroits particuliers, et, quoique tiré de la même mine, sa substance n’est pas toujours la même ; car, en essayant sous le marteau plusieurs grains de platine, tel qu’on nous l’envoie, j’ai reconnu que quelques-uns de ces grains s’étendaient assez facilement, tandis que d’autres se brisaient sous une percussion égale ; cela seul suffirait pour faire voir que ce n’est point un métal natif et d’une nature univoque, mais un mélange équivoque, qui se trouve plus ou moins aigre, selon la quantité et la qualité des matières alliées.

Quoique le platine soit blanc à peu près comme l’argent, sa dissolution est jaune, et même plus jaune que celle de l’or : cette couleur augmente encore à mesure que la dissolution se sature, et devient à la fois tout à fait rouge ; cette dernière couleur ne provient-elle pas du fer toujours uni au platine[8] ? En faisant évaporer lentement cette dissolution, on obtient un sel cristallisé, semblable au sel d’or ; la dissolution noircit de même la peau, et laisse aussi précipiter le platine, comme l’or, par l’éther et par les autres huiles éthérées ; enfin, son sel reprend, comme celui de l’or, son état métallique, sans addition ni secours.

Le produit de la dissolution du platine paraît différer de l’or dissous en ce que le précipité de platine, fait par l’alcali volatil, ne devient pas fulminant comme l’or, mais aussi, peut-être que si l’on joignait une petite quantité de fer à la dissolution d’or, le précipité ne serait pas fulminant : je présume de même que c’est par une cause semblable que le précipité du platine par l’étain ne se colore pas de pourpre comme celui de l’or ; et, dans le vrai, ces différences sont si légères, en comparaison des grands et vrais rapports que le platine a constamment avec l’or, qu’elles ne suffisent pas à beaucoup près pour faire un métal à part et indépendant d’une matière qui n’est très vraisemblablement qu’altérée par le mélange du fer et de quelques vapeurs arsenicales ; car, quoique notre art ne puisse rendre à ces deux métaux altérés leur première essence, il ne faut pas conclure de son impuissance à l’impossibilité ; ce serait prétendre que la nature n’a pu faire ce que nous ne pouvons défaire, et nous devrions plutôt nous attacher à l’imiter qu’à la contredire.

Aucun acide simple, ni même le sublimé corrosif ni le soufre n’agissent pas plus sur le platine que sur l’or, mais le foie de soufre les dissout également ; toutes les substances métalliques le précipitent comme l’or, et son précipité conserve de même sa couleur et son brillant métallique ; il s’allie comme l’or avec tous les métaux et les demi-métaux.

La différence la plus sensible qu’il y ait entre les propriétés secondaires de l’or et du platine, c’est la facilité avec laquelle il s’amalgame avec le mercure, et la résistance que le platine oppose à cette union ; il me semble que c’est par le fer et par l’arsenic, dont le platine est intimement pénétré, que l’or aura perdu son attraction avec le mercure qui, comme l’on sait, ne peut s’amalgamer avec le fer, et encore moins avec l’arsenic ; je suis donc persuadé qu’on pourra toujours donner la raison de toutes ces différences en convenant, avec moi, que le platine est un or dénaturé par le mélange intime du fer et d’une vapeur d’arsenic.

Le platine, mêlé en parties égales avec l’or, exige un feu violent pour se fondre ; l’alliage est blanchâtre, dur, aigre et cassant ; néanmoins, en le faisant recuire, il s’étend un peu sous le marteau : si on met quatre parties d’or sur une de platine, il ne faut pas un si grand degré de feu pour les fondre, l’alliage conserve à peu près la couleur de l’or, et l’on a observé qu’en général l’argent blanchit l’or beaucoup plus que le platine ; cet alliage de quatre parties d’or sur une de platine peut s’étendre en lames minces sous le marteau.

Pour fondre le platine et l’argent mêlés en parties égales, il faut un feu très violent, et cet alliage est moins brillant et plus dur que l’argent pur ; il n’a que peu de ductilité, sa substance est grenue, les grains en sont assez gros et paraissent mal liés ; et, lors même que l’on met sept ou huit parties d’argent sur une de platine, le grain de l’alliage est toujours grossier ; on peut par ce mélange faire cristalliser très aisément l’argent en fusion[9], ce qui démontre le peu d’affinité de ce métal avec le platine, puisqu’il ne contracte avec lui qu’une union imparfaite.

Il n’en est pas de même du mélange du platine avec le cuivre ; c’est de tous les métaux celui avec lequel il se fond le plus facilement : mêlés à parties égales, l’alliage en est dur et cassant ; mais, si l’on ne met qu’une huitième ou une neuvième partie de platine, l’alliage est d’une plus belle couleur que celle du cuivre ; il est aussi plus dur et peut recevoir un plus beau poli, il résiste beaucoup mieux à l’impression des éléments humides, il ne donne que peu ou point de vert-de-gris, et il est assez ductile pour être travaillé à peu près comme le cuivre ordinaire. On pourrait donc, en alliant le cuivre et le platine dans cette proportion, essayer d’en faire des vases de cuisine, qui pourraient se passer d’étamage et qui n’auraient aucune des mauvaises qualités du cuivre, de l’étain et du plomb.

Le platine, mêlé avec quatre ou cinq fois autant de fonte de fer, donne un alliage plus dur que cette fonte et encore moins sujet à la rouille ; il prend un beau poli, mais il est trop aigre pour pouvoir être mis en œuvre comme l’alliage de cuivre. M. Lewis, auquel on doit ces observations, dit aussi que le platine se fond avec l’étain en toutes proportions, depuis parties égales jusqu’à vingt-quatre parties d’étain sur une de platine, et que ces alliages sont d’autant plus durs et plus aigres que le platine est en plus grande quantité, en sorte qu’il ne paraît pas qu’on puisse les travailler : il en est de même des alliages avec le plomb, qui même exigent un feu plus violent que ceux avec l’étain. Cet habile chimiste a encore observé que le plomb et l’argent ont tant de peine à s’unir avec le platine qu’il tombe toujours une bonne partie du platine au fond du creuset, dans sa fusion avec ces deux métaux, qui de tous ont par conséquent le moins d’affinité avec ce minéral.

Le bismuth, comme le plomb, ne s’allie qu’imparfaitement avec le platine, et l’alliage qui en résulte est cassant au point d’être friable : mais de la même manière que, dans les métaux, le cuivre est celui avec lequel le platine s’unit le plus facilement, il se trouve que des demi-métaux, c’est le zinc avec lequel il s’unit aussi le plus parfaitement : cet alliage du platine et du zinc ne change point de couleur et ressemble au zinc pur ; il est seulement plus ou moins bleuâtre, selon la proportion plus ou moins grande du platine dans le mélange ; il ne se ternit point à l’air, mais il est plus aigre que le zinc qui, comme l’on sait, s’étend sous le marteau : ainsi cet alliage du platine et du zinc, quoique facile, n’offre encore aucun objet d’utilité ; mais, si l’on mêle quatre parties de laiton ou cuivre jaune avec une partie de platine, l’union paraît s’en faire d’une manière intime, la substance de l’alliage est compacte et fort dure, le grain en est très fin et très serré, et il prend un poli vif qui ne se ternit point à l’air ; sans être bien ductile, cet alliage peut néanmoins s’étendre assez sous le marteau pour pouvoir s’en servir à faire des miroirs de télescope et d’autres petits ouvrages dont le poli doit résister aux impressions de l’air.

J’ai cru pouvoir avancer, il y a quatre années[10], et je crois pouvoir soutenir encore aujourd’hui, que le platine n’est point un métal pur, mais seulement un alliage d’or et de fer produit accidentellement et par des circonstances locales : comme tous nos chimistes, d’après MM. Schœffer et Lewis, avaient sur cela pris leur parti, qu’ils en avaient parlé comme d’un nouveau métal parfait, ils ont cherché des raisons contre mon opinion, et ces raisons m’ont paru se réduire à une seule objection que je tâcherai de ne pas laisser sans réponse : « Si le platine, dit un de nos plus habiles chimistes[11], était un alliage d’or et de fer, il devrait reprendre les propriétés de l’or à proportion qu’on détruirait et qu’on lui enlèverait une grande quantité de son fer, et il arrive précisément le contraire ; loin d’acquérir la couleur jaune, il n’en devient que plus blanc, et les propriétés par lesquelles il diffère de l’or n’en sont que plus marquées. » Il est très vrai que, si l’on mêle de l’or avec du fer dans leur état ordinaire, on pourra toujours les séparer en quelque dose qu’ils soient alliés, et qu’à mesure qu’on détruira et enlèvera le fer, l’alliage reprendra la couleur de l’or, et que ce dernier métal reprendra lui-même toutes ses propriétés dès que le fer en sera séparé ; mais n’ai-je pas dit et répété que le fer, qui se trouve si intimement uni au platine, n’est pas du fer dans son état ordinaire de métal, qu’il est au contraire, comme le sablon ferrugineux qui se trouve mêlé avec le platine, presque entièrement dépouillé de ses propriétés métalliques, puisqu’il est presque infusible, qu’il résiste à la rouille, aux acides, et qu’il ne lui reste que la propriété d’être attirable à l’aimant : dès lors, l’objection tombe, puisque le feu ne peut rien sur cette sorte de fer ; tous les ingrédients, toutes les combinaisons chimiques, ne peuvent ni l’altérer ni le changer, ni lui ôter sa qualité magnétique, ni même le séparer en entier du platine avec lequel il reste constamment et intimement uni ; et, quoique le platine conserve sa blancheur et ne prenne point la couleur de l’or, après toutes les épreuves qu’on lui a fait subir, cela n’en prouve que mieux que l’art ne peut altérer sa nature ; sa substance est blanche et doit l’être en effet, en la supposant, comme je le fais, composée d’or dénaturé par l’arsenic, qui lui donne cette couleur blanche et qui, quoique très volatil, peut néanmoins y être très fixement uni, et même plus intimement qu’il ne l’est dans le cuivre dont on sait qu’il est très difficile de le séparer.

Plus j’ai combiné les observations générales et les faits particuliers sur la nature du platine, plus je me suis persuadé que ce n’est qu’un mélange accidentel d’or imbu de vapeurs arsenicales, et d’un fer brûlé autant qu’il est possible, auquel le feu a par conséquent enlevé toutes ses propriétés métalliques, à l’exception de son magnétisme ; je crois même que les physiciens qui réfléchiront sans préjugé sur tous les faits que je viens d’exposer seront de mon avis, et que les chimistes ne s’obstineront pas à regarder comme un métal pur et parfait une matière qui est évidemment alliée avec d’autres substances métalliques. Cependant voyons encore de plus près les raisons sur lesquelles ils voudraient fonder leur opinion.

En recherchant les différences de l’or et du platine jusque dans leur décomposition, on a observé : 1o Que la dissolution du platine dans l’eau régale ne teint pas la peau, les os, les marbres et pierres calcaires en couleur pourpre, comme le fait la dissolution de l’or, et que le platine ne se précipite pas en poudre couleur de pourpre, comme l’or précipité par l’étain ; mais ceci doit-il nous surprendre, puisque le platine est blanc et que l’or est jaune ? 2o L’esprit-de-vin et les autres huiles essentielles, ainsi que le vitriol de fer, précipitent l’or et ne précipitent pas le platine ; mais il me semble que cela doit arriver, puisque le platine est mêlé de fer avec lequel le vitriol martial et les huiles essentielles ont plus d’affinité qu’avec l’eau régale, et qu’en ayant moins avec l’or elles le laissent se dégager de sa dissolution. 3o Le précipité du platine par l’alcali volatil ne devient pas fulminant comme celui de l’or, cela ne doit pas encore nous étonner ; car cette précipitation produite par l’alcali est plus qu’imparfaite, attendu que la dissolution reste toujours colorée et chargée de platine, qui dans le vrai est plutôt calciné que dissous dans l’eau régale : elle ne peut donc pas, comme l’or dissous et précipité, saisir l’air que fournit l’alcali volatil, ni par conséquent devenir fulminante. 4o Le platine traité à la coupelle, soit par le plomb, le bismuth ou l’antimoine, ne fait point l’éclair comme l’or, et semble retenir une portion de ces matières, mais cela ne doit-il pas nécessairement arriver, puisque la fusion n’est pas parfaite et qu’un mélange avec une matière déjà mélangée ne peut produire une substance pure, telle que celle de l’or quand il fait l’éclair ? Ainsi toutes ces différences, loin de prouver que le platine est un métal simple et différent de l’or, semblent démontrer au contraire que c’est un or dénaturé par l’alliage intime d’une matière ferrugineuse également dénaturée ; et si notre art ne peut rendre à ces métaux leur première forme, il ne faut pas en conclure que la substance du platine ne soit pas composée d’or et de fer, puisque la présence du fer y est démontrée par l’aimant, et celle de l’or par la balance.

Avant que le platine fût connu en Europe, les Espagnols, et même les Américains, l’avaient fondu en le mêlant avec des métaux, et particulièrement avec le cuivre et l’arsenic ; ils en avaient fait différents petits ouvrages qu’ils donnaient à plus bas prix que de pareils ouvrages en argent ; mais, avec quelque métal qu’on puisse allier le platine, il en détruit ou du moins diminue toujours la ductilité ; il les rend tous aigres et cassants, ce qui semble prouver qu’il contient une petite quantité d’arsenic, dont on sait qu’il ne faut qu’un grain pour produire cet effet sur une masse considérable de métal : d’ailleurs, il paraît que, dans ces alliages du platine avec les métaux, la combinaison des substances ne se fait pas d’une manière intime ; c’est plutôt une agrégation qu’une union parfaite, et cela seul suffit pour produire l’aigreur de ces alliages.

M. de Morveau, aussi savant physicien qu’habile chimiste, dit avec raison que la densité du platine[12] n’est pas constante, qu’elle varie même suivant les différents procédés qu’on emploie pour le fondre, quoiqu’elle n’y prenne certainement aucun alliage[13] : ce fait ne démontre-t-il pas deux choses ? la première, que la densité est ici d’autant moindre que la fusion est plus imparfaite, et qu’elle serait peut-être égale à celle de l’or si l’on pouvait réduire le platine en fonte parfaite ; c’est ce que nous avons tâché de faire en en faisant passer quelques livres à travers les charbons dans un fourneau d’aspiration[14] : la seconde, c’est que cet alliage de fer et d’or, produit par un accident de nature, n’est pas, comme les métaux, d’une densité constante, mais d’une densité variable, et réellement différente suivant les circonstances, en sorte que tel platine est plus ou moins pesant que tel autre, tandis que dans tout vrai métal la densité est égale dans toutes les parties de sa substance.

M. de Morveau a reconnu, comme moi et avec moi, que le platine est en lui-même magnétique, indépendamment du sablon ferrugineux dont il est extérieurement mêlé, et quelquefois environné : comme cette observation a été contredite, et que Schœffer a prétendu qu’en faisant seulement rougir le platine il cessait d’être attirable à l’aimant, que d’autres chimistes en grand nombre ont dit qu’après la fonte il était absolument insensible à l’action magnétique, nous ne pouvons nous dispenser de présenter ici le résultat des expériences et les faits relatifs à ces assertions.

MM. Macquer et Baumé assurent avoir reconnu : « Qu’en poussant à un très grand feu, pendant cinquante heures, la coupellation du platine, il avait perdu de son poids, ce qui prouve que tout le plomb avait passé à la coupelle avec quelque matière qu’il avait enlevée, d’autant que ce platine, passé à cette forte épreuve de coupelle, était devenu assez ductile pour s’étendre sous le marteau[15]. » Mais, s’il était bien constant que le platine perdit de son poids à la coupellation, et qu’il en perdit d’autant plus que le feu est plus violent et plus longtemps continué, cette coupellation de cinquante heures n’était encore qu’imparfaite, et n’a pas réduit le platine à son état de pureté. « On n’était pas encore parvenu, dit avec raison M. de Morveau, à achever la coupellation du platine lorsque nous avons fait voir qu’il était possible de la rendre complète au moyen d’un feu de la dernière violence. M. de Buffon a inséré, dans ses suppléments[16], le détail de ces expériences, qui ont fourni un bouton de platine pur, et absolument privé de plomb et de tout ce qu’il aurait pu scorifier ; et il faut observer que ce platine manifesta encore un peu de sensibilité à l’action du barreau aimanté lorsqu’il fut réduit en poudre, ce qui annonce que cette propriété lui est essentielle, puisqu’il ne peut dépendre ici de l’alliage d’un fer étranger[17]. » On ne doit donc pas regarder le platine comme un métal pur, simple et parfait, puisqu’on le purifiant autant qu’il est possible il contient toujours des parties de fer qui le rendent sensible à l’aimant. M. de Morveau a fondu le platine, sans addition d’aucune matière métallique, par un fondant composé de huit parties de verre pulvérisé, d’une partie de borax calciné et d’une demi-partie de poussière de charbon. Ce fondant vitreux et salin fond également les mines de fer et celles de tous les autres métaux[18], et après cette fusion, où il n’entre ni fer ni aucun autre métal, le platine, broyé dans un mortier d’agate, était encore attirable à l’aimant. Ce même habile chimiste est le premier qui soit venu à bout d’allier le platine avec le fer forgé, au moyen du fondant que nous venons d’indiquer : cet alliage du fer forgé avec le platine est d’une extrême dureté ; il reçoit un très beau poli qui ne se ternit point à l’air, et ce serait la matière la plus propre de toutes à faire des miroirs de télescope[19].

Je pourrais rapporter ici les autres expériences par lesquelles M. de Morveau s’est assuré que le fer existe toujours dans le platine le plus purifié : on les lira avec satisfaction dans son excellent ouvrage[20] ; on y trouvera, entre autres choses utiles, l’indication d’un moyen sûr et facile de reconnaître si l’or a été falsifié par le mélange du platine ; il suffit pour cela de faire dissoudre dans l’eau régale une portion de cet or suspect, et d’y jeter quelques gouttes d’une dissolution de sel ammoniac, il n’y aura aucun précipité si l’or est pur, et au contraire il se fera un précipité d’un beau jaune s’il est mêlé de platine ; on doit seulement avoir attention de ne pas étendre la dissolution dans beaucoup d’eau[21] ; c’est en traitant le précipité du platine par une dissolution concentrée de sel ammoniac, et en lui faisant subir un feu de la dernière violence, qu’on peut le rendre assez ductile pour s’étendre sous le marteau, mais dans cet état de plus grande pureté, lorsqu’on le réduit en poudre, il est encore attirable à l’aimant ; le platine est donc toujours mêlé de fer, et dès lors on ne doit pas le regarder comme un métal simple : cette vérité, déjà bien constatée, se confirmera encore par toutes les expériences qu’on voudra tenter pour s’en assurer. M. Margraff a précipité le platine par plusieurs substances métalliques ; aucune de ces précipitations ne lui a donné le platine en état de métal, mais toujours sous la forme d’une poudre brune : ce fait n’est pas le moins important de tous les faits qui mettent ce minéral hors de la classe des métaux simples.

M. Lewis assure que l’arsenic dissout aisément le platine ; M. de Morveau, plus exact dans ses expériences, a reconnu que cette dissolution n’était qu’imparfaite, et que l’arsenic corrodait plutôt qu’il ne dissolvait le platine, et de tous les essais qu’il a faits sur ces deux minéraux joints ensemble, il conclut qu’il y a entre eux une très grande affinité, « ce qui ajoute, dit-il, aux faits qui établissent déjà tant de rapports entre le platine et le fer ; » mais ce dernier fait ajoute aussi un degré de probabilité à mon idée, sur l’existence d’une petite quantité d’arsenic dans cette substance composée de fer et d’or.

À tous ces faits qui me semblent démontrer que le platine n’est point un métal pur et simple, mais un mélange de fer et d’or tous deux altérés, et dans lequel ces deux métaux sont intimement unis, je dois ajouter une observation qui ne peut que les confirmer : il y a des mines de fer, tenant or et argent, qu’il est impossible même avec seize parties de plomb de réduire en scories fluides ; elles sont toujours pâteuses et filantes, et par conséquent l’or et l’argent qu’elles contiennent ne peuvent s’en séparer pour se joindre au plomb. On trouve en une infinité d’endroits des sables ferrugineux tenant de l’or ; mais jusqu’à présent on n’a pu, par la fonte en grand, en séparer assez d’or pour payer les frais ; le fer qui se ressuscite retient l’or, ou bien l’or reste dans les scories[22] : cette union intime de l’or avec le fer dans ces sablons ferrugineux, qui tous sont très magnétiques et semblables au sablon du platine, indiquent que cette même union peut bien être encore plus forte dans le platine où l’or a souffert, par quelques vapeurs arsenicales, une altération qui l’a privé de sa ductilité ; et cette union est d’autant plus difficile à rompre, que ni l’un ni l’autre de ces métaux n’existe dans le platine en leur état de nature, puisque tous deux y sont dénués de la plupart de leurs propriétés métalliques.

« Toutes les expériences que j’ai faites sur le platine, m’écrit M. Tillet, me conduisent à croire qu’il n’est point un métal simple, que le fer y domine, mais qu’il ne contient point d’or. » Quelque confiance que j’aie aux lumières de ce savant académicien, je ne puis me persuader que la partie dense du platine ne soit pas essentiellement de l’or, mais de l’or altéré et auquel notre art n’a pu jusqu’à présent rendre sa première forme : ne serait-il pas plus qu’étonnant qu’il existât en deux seuls endroits du monde une matière aussi pesante que l’or, qui ne serait pas de l’or, et que cette matière si dense, qu’on voudrait supposer différente de l’or, ne se trouvât néanmoins que dans des mines d’or ? Je le répète : si le platine se trouvait, comme les autres métaux, dans toutes les parties du monde, s’il se trouvait en mines particulières et dans d’autres mines que celles d’or, je pourrais penser alors, avec M. Tillet, qu’il ne contient point d’or, et qu’il existe en effet une autre matière à peu près aussi dense que l’or dont il serait composé avec un mélange de fer, et, dans ce cas, on pourrait le regarder comme un septième métal, surtout si l’on pouvait parvenir à en séparer le fer ; mais, jusqu’à ce jour, tout me semble démontrer ce que j’ai osé avancer le premier, que ce minéral n’est point un métal simple, mais seulement un alliage de fer et d’or. Il me paraît même qu’on peut prouver, par un seul fait, que cette substance dense du platine n’est pas une matière particulière essentiellement différente de l’or ; puisque le soufre ou sa vapeur agit sur tous les métaux, à l’exception de l’or, et que n’agissant point du tout sur le platine, on doit en conclure que la substance dense de ce minéral est de même essence que celle de l’or, et l’on ne peut pas objecter que par la même raison le platine ne contienne pas du fer, sur lequel l’on sait que le soufre agit avec grande énergie, parce qu’il faut toujours se souvenir que le fer contenu dans le platine n’est point dans son état métallique, mais réduit en sablon magnétique, et que dans cet état le soufre ne l’attaque pas plus qu’il n’attaque l’or.

M. le baron de Sickengen, homme aussi recommandable par ses qualités personnelles et ses dignités que par ses grandes connaissances en chimie, a communiqué à l’Académie des sciences, en 1778, les observations et les expériences qu’il avait faites sur le platine ; et je fais ici volontiers l’éloge de son travail, quoique je ne sois pas d’accord avec lui sur quelques points que nous avons probablement vus d’une manière différente. Par exemple, il annonce, par son expérience 21, que le nitre en fusion n’altère pas le platine ; je ne puis m’empêcher de lui faire observer que les expériences des autres chimistes, et en particulier celles de M. de Morveau, prouvent le contraire, puisque le platine ainsi traité se laisse attaquer par l’acide vitriolique et par l’eau-forte[23].

L’expérience 22 de M. le baron de Sickengen paraît confirmer le soupçon que j’ai toujours eu que le platine ne nous arrive pas tel qu’il sort de la mine, mais seulement après avoir passé sous la meule, et très probablement après avoir été soumis à l’amalgame : les globules de mercure, que M. Schœffer et M. le comte de Milly ont remarqués dans celui qu’ils traitaient, viennent à l’appui de cette présomption que je crois fondée.

J’observerai, au sujet de l’expérience 55 de M. le baron de Sickengen, qu’elle avait été faite auparavant et publiée dans une lettre qui m’a été adressée par M. de Morveau, et qui est insérée dans le Journal de Physique, tome VI, page 193 : ce que M. de Sickengen a fait de plus que M. de Morveau, c’est qu’ayant opéré sur une plus grande quantité de platine, il a pu former un barreau d’un culot plus gros que celui que M. de Morveau n’a pu étendre qu’en une petite lame.

Je ne peux me dispenser de remarquer aussi que le principe posé pour servir de base aux conséquences de l’expérience 56 ne me paraît pas juste ; car un alliage, même fait par notre art, peut avoir ou acquérir des propriétés différentes dans les substances alliées, et par conséquent le platine pourrait s’allier au mercure sans qu’on pût en conclure qu’il ne contient pas de fer, et même cette expérience 56 est peut-être tout ce qu’il y a de plus fort pour prouver au moins l’impossibilité de priver le platine de tout fer, puisque ce platine revivifié, que l’on nous donne pour le plus pur et qui éprouve une sorte de décomposition par le mercure, produit une poudre noire martiale, attirable à l’aimant, et avec laquelle on peut bien faire le bleu de Prusse : or pour conclure, comme le fait l’illustre auteur (expérience 59), que l’analyse n’a point de prise sur le platine, il aurait fallu répéter, sur le produit de l’expérience 59, les épreuves sur le produit de l’expérience 56, et démontrer qu’il ne donnait plus ni poudre noire, ni atomes magnétiques, ni bleu de Prusse ; sans cela, le procédé qui fait l’amalgame à chaud n’est plus qu’un procédé approprié qui ne décide rien.

J’observe encore que l’expérience 64 donne un résultat qui est plus d’accord avec mon opinion qu’avec celle de l’auteur ; car, par l’addition du mercure, le fer, comme le platine, se sépare en poudre noire, et cela seul suffit pour infirmer les conséquences qu’on voudrait tirer de cette expérience ; enfin, si nous rapprochons les aveux de cet habile chimiste qui ne laisse pas de convenir : « Que le platine ne peut jamais être privé de tout fer… qu’il n’est pas prouvé qu’il soit homogène… qu’il contient cinq treizièmes de fer qu’on peut retirer progressivement par des procédés très compliqués, qu’enfin il faut, avant de rien décider, répéter sur le platine réduit toutes les expériences qu’il a faites sur le platine brut, » il nous paraît qu’il ne devait pas prononcer contre ses propres présomptions, en assurant, comme il le fait, que le platine n’est pas un alliage, mais un métal simple.

M. Bowles, dans son Histoire naturelle de l’Espagne, a inséré les expériences et les observations qu’il était plus à portée que personne de faire sur cette matière, puisque le gouvernement lui avait fait remettre une grande quantité de platine pour l’éprouver ; néanmoins il nous apprend peu de chose, et il attaque mon opinion par de petites raisons : « En 1753, dit-il, le ministre me fit livrer une quantité suffisante de platine avec ordre de soumettre cette matière à mes expériences et de donner mon avis sur le bon et le mauvais usage qu’on pourrait en faire ; ce platine qu’on me remit était accompagné de la note suivante : « Dans l’évêché de Popayan suffragant de Lima, il y a beaucoup de mines d’or, et une entre autres nommée Choco ; dans une partie de la montagne se trouve en grande quantité une espèce de sable que ceux du pays appellent platine ou or blanc » ; en examinant cette matière je trouvai qu’elle était fort pesante et mêlée de quelques grains d’or couleur de suie… Après avoir séparé les grains d’or, j’ai trouvé que le platine était plus pesant que l’or à 20 carats : en ayant fait battre quelques grains sous le marteau, je vis qu’il s’étendaient de cinq ou six fois leur diamètre, et qu’ils restaient blancs comme l’argent ; mais les ayant envoyés à un batteur d’or, ils se brisèrent sous les pilons… Je voulus fondre ce platine à un feu très violent, mais les grains ne firent que s’agglutiner… J’essayai de le dissoudre par les acides ; le vitriolique et le nitreux ne l’attaquèrent point, mais l’acide marin parut l’entamer, et ayant versé une bonne dose de sel ammoniac sur cet acide, je vis tout le platine se précipiter en une matière couleur de brique ; enfin, après un grand nombre d’expériences raisonnées, je suis parvenu à faire avec le platine du véritable bleu de Prusse. Ayant reconnu par ces mêmes expériences que le platine contenait un peu de fer, et m’étant souvenu que dans mes premières opérations les grains de platine, exposés à un feu violent, avaient contracté entre eux une adhérence très superficielle, puisqu’il ne fallait qu’un coup assez léger pour les séparer, je conclus que cette adhérence était l’effet de la fusion d’une couche déliée de fer qui les recouvrait, et que la substance métallique intérieure n’y avait aucune part et ne contenait point de fer. » Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de nous arrêter ici pour faire sentir le faible de ce raisonnement, et le faux de la conséquence qu’en tire M. Bowles ; cependant il insiste, et, se munissant de l’autorité des chimistes qui ont regardé le platine comme un nouveau métal simple et parfait, il argumente assez longuement contre moi : « Si le platine, dit-il, était un composé d’or et de fer, comme le dit M. de Buffon, il devrait conserver toutes les propriétés qui résultent de cette composition, et cependant une foule d’expériences prouvent le contraire. » Cet habile naturaliste n’a pas fait attention que j’ai dit expressément que le fer et le platine n’étaient pas dans leur état ordinaire, comme dans un alliage artificiel ; et, s’il eût considéré sans préjugé ses propres expériences, il eût reconnu que toutes prouvent la présence et l’union intime du sablon ferrugineux et magnétique avec le platine, et qu’aucune ne peut démontrer le contraire. Au reste, comme les expériences de M. Bowles sont presque toutes les mêmes que celles des autres chimistes, et que je les ai exposées et discutées ci-devant, je ne le suivrai plus loin que pour observer que, malgré ses objections contre mon opinion, il avoue néanmoins : « Que, quoiqu’il soit persuadé que le platine est un métal sui generis, et non pas un simple mélange d’or et de fer, il n’ose malgré cela prononcer affirmativement ni l’un ni l’autre, et que, quoique le platine ait des propriétés différentes de celles de tous les autres métaux connus, il sait trop combien nous sommes éloignés de connaître sa véritable nature. »

Au reste, M. Bowles termine ce chapitre sur le platine par quelques observations intéressantes : « Le platine, dit-il, que je dois au célèbre don Antonio de Ulloa, est une matière qui se rencontre dans des mines qui contiennent de l’or ; elle est unie si étroitement avec ce métal qu’elle lui sert comme de matrice, et que ce n’est qu’avec beaucoup d’efforts et à grands coups qu’on parvient à les séparer ; en sorte que, si le platine abonde à un certain point dans une mine, on est forcé de l’abandonner, parce que les frais et les travaux nécessaires pour faire la séparation des deux métaux absorberaient le profit.

» Les seules mines d’où l’on tire le platine sont celles de la Nouvelle-Grenade, et en particulier celles de Choco et de Barbacoa sont les plus riches. Il est remarquable que cette matière ne se trouve dans aucune autre mine, soit du Pérou, soit du Chili, soit du Mexique. Au reste, le platine se trouve dans les susdites mines, non seulement en masse, mais aussi en grains séparés comme grains de sable. Enfin il faut être réservé à tirer des conséquences trop générales des expériences qu’on aurait faites sur celles d’un autre endroit des mêmes mines… : remarquant, continue M. Bowles, que le platine contenait du fer, et que le cobalt en contient aussi, qu’on trouve beaucoup de grains d’or couleur de suie mêlés avec le platine, que cette espèce nouvelle de sable métallique est unique dans le monde, qu’elle se trouve en abondance dans une montagne aux environs d’une mine d’or, et qu’il y a beaucoup de volcans dans ce pays, je me suis persuadé que la montagne renferme du cobalt, comme celle de la vallée de Gistan, dans les Pyrénées d’Aragon, que le feu d’un volcan aura fait évaporer l’arsenic et aura formé quelque chose de semblable au régule de cobalt ; que ce régule se fond et se mêle avec l’or, quoiqu’il contienne du fer, que le feu, appliqué pendant un grand nombre de siècles, privant la matière de sa fusibilité, aura formé ce sable métallique… ; que les grains d’or de forme irrégulière et de couleur de suie sont aussi l’effet du feu d’un volcan lorsqu’il s’éteint ; que les grains de platine qui contractent adhérence, à cause de la couche légère de fer étendue à leur surface, sont le résultat de la décomposition du fer dans le grand nombre de siècles qui se sont écoulés depuis que le volcan s’est éteint ; et que ceux qui n’ont point cette couche ferrugineuse n’ont point eu assez de temps depuis l’extinction du volcan pour l’acquérir. Cela paraîtra un songe à plusieurs ; mais je suis le grand argument de M. de Buffon[24]. » M. Bowles a raison de dire qu’il suit mon grand argument : cet argument consiste en effet en ce que le platine n’est point, comme les métaux, un produit primitif de la nature, mais une simple production accidentelle qui ne se trouve qu’en deux endroits dans le monde entier ; que cet accident, comme je l’ai dit, a été produit par le feu des volcans, et seulement sur des mines d’or mêlées de fer, tous deux dénaturés par l’action continue d’un feu très violent ; qu’à ce mélange de fer et d’or il se sera joint quelques vapeurs arsenicales qui auront fait perdre à l’or sa ductilité, et que de ces combinaisons très naturelles, et cependant accidentelles, aura résulté la formation du platine. Ces dernières observations de M. Bowles, loin d’infirmer mon opinion, semblent au contraire la confirmer pleinement ; car elles indiquent, dans le platine, non seulement le mélange du fer, mais la présence de l’arsenic ; elles annoncent que le platine d’un endroit n’est pas de même qualité que celui d’un autre endroit ; elles prouvent qu’il se trouve en masse dans deux seules mines d’or, ou en grains et grenailles dans des montagnes toutes composées du sablon ferrugineux, et toujours près des mines d’or et dans des contrées volcanisées : la vérité de mon opinion me paraît donc plus démontrée que jamais, et je suis convaincu que plus on fera de recherches sur l’histoire naturelle du platine et d’expériences sur sa substance, plus on reconnaîtra qu’il n’est point un métal simple, ni d’une essence pure, mais un alliage de fer et d’or dénaturés, tant par la violence et la continuité d’un feu volcanique que par le mélange des vapeurs sulfureuses et arsenicales, qui auront ôté à ces métaux leur couleur et leur ductilité.


Notes de Buffon
  1. M. Lewis et M. le comte de Milly ont tous deux reconnu des globules de mercure dans le platine qu’ils ont examiné. M. Bergman dit de même qu’il n’a point traité de platine dans lequel il n’en ait trouvé. Opuscules, t. II, p. 183.
  2. Dans le gouvernement du Marannon, les habitants assuraient que, dans le canton des mines d’or, ils tiraient souvent d’un lieu nommé Picari une autre sorte de métal plus dur que l’or, mais blanc, dont ils avaient fait anciennement des haches et des couteaux, et que ces outils s’émoussant facilement, ils avaient cessé d’en faire. Histoire générale des voyages, t. XIV, p. 20. — M. Ulloa, dans son Voyage imprimé à Madrid en 1748, dit expressément qu’au Pérou, dans le bailliage de Choco, il se trouve des mines d’or que l’on a été obligé d’abandonner à cause du platine dont le minerai est entremêlé ; que ce platine est une pierre (piedra) si dure, qu’on ne peut la briser sur l’enclume, ni la calciner, ni par conséquent en tirer le minerai qu’elle renferme, sans un travail infini.
  3. Voyez le Mémoire qui a pour titre : Observations sur le platine.
  4. Le platine, même le plus épuré, contient toujours du fer. M. le comte de Milly, par une lettre datée du 18 novembre 1781, me marque « qu’ayant oublié pendant trois ou quatre ans un morceau de platine purifié par M. le baron de Sickengen, et qu’il avait laissé dans de l’eau-forte la plus pure pendant tout ce temps, il s’y était rouillé, et que, l’ayant retiré, il avait étendu la liqueur qui restait dans le vase dans un pot d’eau distillée, et qu’y ayant ajouté de l’alcali phlogistiqué, il avait obtenu sur-le-champ un précipité très abondant, ce qui prouve indubitablement que le platine le plus pur, et que M. Sicfiengen assure être dépouillé de tout fer, en contient encore, et que par conséquent le fer entre dans sa composition. »
  5. M. Tillet, l’un de nos plus savants académiciens et très exact observateur, a reconnu que, quoique le platine soit indissoluble en lui-même par les acides simples, il se dissout néanmoins par l’acide nitreux pur, lorsqu’il est allié avec de l’argent et de l’or. Voici la note qu’il a bien voulu me communiquer à ce sujet : « J’ai annoncé dans les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1779, que le platine, soit brut, soit rendu ductile par les procédés connus, est dissoluble dans l’acide nitreux pur, lorsqu’il est allié avec une certaine quantité d’or et d’argent. Afin que cet alliage soit complet, il faut le faire par le moyen de la coupelle, et en employant une quantité convenable de plomb. On traite alors, par la voie du départ, le bouton composé de trois métaux, comme un mélange simple d’or et d’argent ; la dissolution de l’argent et du platine est complète, la liqueur est transparente, et il ne reste que l’or au fond du matras, soit dans un état de division si on a mis beaucoup d’argent, soit en forme de cornet bien conservé si on n’a mis que trois ou quatre parties d’argent égales à celles de l’or. Il est vrai que, si on emploie trop de platine dans cette opération, l’or mêlé avec lui le défend un peu des attaques de l’acide nitreux, et il en conserve quelques parties. Il faut un mélange parfait des trois métaux pour que l’opération réussisse complètement : s’il se trouve quelques parties dans l’alliage, où il n’y a pas assez d’argent pour que la dissolution ait lieu, le platine résiste, comme l’or, à l’acide et reste avec lui dans le précipité ; mais, si on ne met dans l’alliage qu’un douzième de platine, ou, encore mieux, un vingt-quatrième de l’or qu’on emploie, alors on parvient à dissoudre le total du platine, et l’or mis en expérience ne conserve exactement que son poids. Il n’en est pas ainsi d’un alliage dans lequel il n’entre que de l’argent et du platine : la dissolution n’en est proprement une que pour l’argent ; la liqueur reste trouble et noirâtre, malgré une longue et forte ébullition ; il se fait un précipité noir et abondant au fond du matras, qui n’est que du platine réduit en poudre et subdivisé en une infinité de particules, comme il l’était dans l’argent avant qu’il fût dissous. Cependant, si on laisse reposer la liqueur pendant quelques jours, elle s’éclaircit et devient d’une couleur brune, qu’elle doit sans doute à quelques parties du platine qu’elle a dissoutes, ou qu’elle tient en suspension. Il paraît donc que, dans cette opération, c’est à la présence seule de l’or qu’est due la dissolution réelle et assez prompte du platine par l’acide nitreux pur ; que l’argent ne contribue qu’indirectement à cette dissolution ; qu’il la facilite à la vérité, mais que, sans l’or, il ne sert qu’à procurer une division mécanique du platine, et encore cette division n’a-t-elle lieu que parce que l’argent dissous lui-même ne peut plus conserver le platine subdivisé, avec lequel il faisait corps. »
  6. « L’or le plus pur ne se sépare jamais parfaitement du plomb dans la coupelle : si vous faites passer un gros d’or fin à la coupelle dans une quantité quelconque de plomb, le bouton d’or, quelque brillant qu’il soit, pèsera toujours un peu plus d’un gros. » Remarque communiquée par M. Tillet.
  7. « Lorsqu’on a mêlé de l’or avec du platine, il y a un moyen sûr de les séparer, celui du départ, en ajoutant au mélange trois fois autant d’argent ou environ qu’il y a d’or ; l’acide nitreux dissout l’argent et le platine, et l’or tout entier en est séparé ; on verse ensuite de l’acide marin sur la liqueur chargée de l’argent et du platine, sur-le-champ on a un précipité de l’argent seul ; et, comme on a formé par là une eau régale, le platine n’en est que mieux maintenu dans la liqueur qui surnage l’argent précipité. Pour obtenir ensuite le platine, on fait évaporer sur un bain de sable la liqueur qui le contient, et on traite le résidu par le flux noir, en y ajoutant de la chaux de cuivre propre à rassembler ces particules de platine ; on lamine après cela le bouton de cuivre qu’on a retiré de l’opération, et on le fait dissoudre à froid dans de l’esprit de nitre affaibli ; le platine se précipite au fond du matras, et, après un recuit, il s’annonce avec ses caractères métalliques, mais avec un déchet de moitié ou environ sur la quantité de platine qu’on a employé. Voilà le procédé que j’ai suivi et par lequel on voit que je n’ai rien pu perdre par un défaut de soins : après des opérations réitérées, on parvient à réduire le platine à peu de grains, et enfin à le perdre totalement. Ces expériences annoncent que le platine se décompose et n’est pas un métal simple ; la matière noire et ferrugineuse se montre à chaque opération, et se trouve mêlée avec celle qui a conservé l’état métallique ; cette matière noirâtre, qui n’a pu reprendre ses caractères métalliques, est fort légère et ne se précipite qu’avec peine ; on ne croirait jamais qu’elle eût appartenu à un métal aussi pesant que le platine : quatre ou cinq grains de cette matière décomposée ont le volume d’une noisette. » Note de M. Tillet.
  8. Le platine se dissout dans l’eau régale, qui doit être composée de parties égales d’acide nitreux et d’acide marin. Il en faut environ seize parties pour une partie de platine, et il faut qu’elle soit aidée de la chaleur… La dissolution prend une couleur jaune qui passe au rouge brun froncé ; il reste au fond du vaisseau des matières étrangères qui étaient mêlées au platine, et particulièrement du sable magnétique. La dissolution du platine fournit par le refroidissement de petits cristaux opaques de couleur jaune et d’une saveur âcre ; ces cristaux se fondent imparfaitement au feu, l’acide se dissipe, et il reste une chaux grise obscure. Éléments de Chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 266 et 267.
  9. « Les cristallisations constantes de l’argent où il est entré du platine semblent indiquer réellement le peu d’affinité qu’il y a entre ces deux métaux : il paraît que l’argent tend à se séparer du platine. On a infailliblement des cristallisations d’argent bien prononcées, en fondant huit parties d’argent pur avec une partie de platine et en les passant à la coupelle. J’ai remis pour le Cabinet du Roi des boutons de deux gros ainsi cristallisés à leur surface ; la loupe la moins forte d’un microscope fait distinguer nettement les petites pyramides de l’argent. » Remarque communiquée par M. Tillet.
  10. Tome II, p. 334 et suiv.
  11. M. Macquer.
  12. Selon M. Brisson, le platine en grenaille ne pèse que 1 092 livres 2 onces le pied cube, tandis que le platine fondu et écroui pèse 1 423 livres 9 onces, ce qui surpasse la densité de l’or battu et écroui, qui ne pèse que 1 355 livres 5 onces. Si cette détermination est exacte, on doit en inférer que le platine fondu est susceptible d’une plus grande compression que l’or.
  13. Éléments de chimie, t. Ier, p. 110.
  14. « Il est impossible de fondre le platine en or blanc dans un creuset, sans addition. Il résiste à un feu aussi vif, et même plus fort que celui qui fond les meilleurs creusets… Il fondrait beaucoup plus aisément sur les charbons, sans creuset ; mais on ne peut le traiter ainsi quand on n’en a pas une livre, et j’étais dans ce cas. Le phlogistique des charbons ne contribue en aucune manière à la fusion de ce métal, mais leur chaleur, animée par le soufflet de forge, est beaucoup plus forte que celle du creuset. » Description de l’or blanc, etc., par M. Schœffer ; Journal étranger, mois de novembre 1757. — J’ai pensé sur cela comme M. Schœffer, et j’ai cru que je viendrais à bout de fondre parfaitement le platine en le faisant passer à travers les charbons ardents et en assez grande quantité pour pouvoir le recueillir en fonte. M. de Morveau a bien voulu conduire cette opération en ma présence : pour cela, nous avons fait construire, au mois d’août dernier 1781, une espèce de haut fourneau de treize pieds huit pouces de hauteur totale, divisé en quatre parties égales, savoir : la partie inférieure, de forme cylindrique, de vingt pouces de haut sur vingt pouces de diamètre, formée de trois dalles de pierre calcaire posées sur une pierre de même nature, creusée légèrement en fond de chaudière ; ce cylindre était percé vers le bas de trois ouvertures disposées aux sommets d’un triangle équilatéral inscrit ; chacune de ces ouvertures était de huit pouces de longueur sur dix de hauteur, et défendue à l’extérieur par des murs en brique, à la manière des garde-tirants des fours à porcelaine.

    La seconde partie du fourneau, formée de dalles de même pierre, était en cône de douze pouces de hauteur, ayant au bas vingt pouces de diamètre et neuf pouces au-dessus ; les dalles de ces deux parties étaient entretenues par des cercles de fer.

    La troisième partie, formant un tuyau de neuf pouces de diamètre et de cinq pieds de long, fut construite en briques.

    Un tuyau de tôle de neuf pouces de diamètre et six pieds de hauteur, placé sur le tuyau de briques, formait la quatrième et dernière partie du fourneau ; on avait pratiqué une porte vers le bas, pour la commodité du chargement.

    Ce fourneau ainsi construit, on mit le feu vers les quatre heures du soir : il tira d’abord assez bien ; mais, ayant été chargé de charbon jusqu’aux deux tiers du tuyau de briques, le feu s’éteignit, et on eut assez de peine à le rallumer et à faire descendre les charbons qui s’engorgeaient. L’humidité eut sans doute aussi quelque part à cet effet : ce ne fut qu’à minuit que le tirage se rétablit ; on l’entretint jusqu’à huit heures du matin, en chargeant de charbon à la hauteur de cinq pieds seulement, et bouchant alternativement un des tisards pour augmenter l’activité des deux autres.

    Alors on jeta dans ce fourneau treize onces de platine mêlé avec quatre livres de verre de bouteille pulvérisé et tamisé, et on continua de charger de charbon à la même hauteur de cinq pieds au-dessus du fond.

    Deux heures après, on ajouta même quantité de platine et de verre pilé.

    On aperçut, vers le midi, quelques scories à l’ouverture des tisards ; elles étaient d’un verre grossier, tenace, pâteux, et présentaient à leur surface des grains de platine non attaqués ; on fit rejeter dans le fourneau toutes celles que l’on put tirer.

    On essaya de boucher à la fois deux tisards, et l’élévation de la flamme fit voir que le tirage en était réellement augmenté ; mais les cendres qui s’amoncelaient au fond arrêtant le tirage, on prit le parti de faire jouer un très gros soufflet en introduisant la buse dans un des tisards, les autres bouchés, et pour lors on enleva le tuyau de tôle, qui devenait inutile.

    On reconnut, vers les cinq heures du soir, que les cendres étaient diminuées ; les scories mieux fondues contenaient une infinité de petits globules de platine, mais il ne fut pas possible d’obtenir un laitier assez fluide pour permettre la réunion de petits culots métalliques. On arrêta le feu à minuit.

    Le fourneau ayant été ouvert après deux jours de refroidissement, on trouva sur le fond une masse de scories grossières, formées de cendres vitrifiées et de quelques matières étrangères portées avec le charbon ; le platine y était disséminé en globules de différentes grosseurs, quelques-uns du poids de vingt-cinq à trente grains, tous très attirables à l’aimant ; on observa dans quelques parties des scories une espèce de cristallisation en rayons divergents, comme l’asbeste ou l’hématite striée. La chaleur avait été si violente que, dans tout le pourtour intérieur, la pierre du fourneau était complètement calcinée de trois pouces et demi d’épaisseur, et même entamée en quelques endroits par la vitrification.

    Les scories pulvérisées furent débarrassées par un lavage en grande eau de toutes les parties de chaux et même d’une portion de la terre. On mit toute la matière restante dans un très grand creuset de plomb noir avec une addition de six livres d’alcali extemporané ; ce creuset fut placé devant les soufflets d’une chaufferie : en moins de six heures, le creuset fut percé du côté du vent, et il a fallu arrêter le feu parce que la matière qui en sortait coulait au-devant des soufflets.

    On reconnut le lendemain, à l’ouverture du creuset, que la masse vitreuse qui avait coulé et qui était encore attachée au creuset, tenait une quantité de petits culots de platine du poids de soixante à quatre-vingts grains chacun, et qui étaient formés de globules refondus : ces culots étaient de même très magnétiques, et plusieurs présentaient à leur surface des éléments de cristallisation. Le reste du platine était à peine agglutiné.

    On pulvérisa grossièrement toute la masse, et, en y promenant le barreau aimanté, on en retira près de onze onces de platine, tant en globules qu’en poussière métallique ; cette expérience fut faite aux forges de Buffon, et en même temps nous répétâmes dans mon laboratoire de Montbard l’expérience du platine malléable : on fit dissoudre un globule de platine dans l’eau régale, on précipita la dissolution par le sel ammoniac ; le précipité, mis dans un creuset au feu d’une petite forge, fut promptement revivifié, quoique sans fusion complète. Il s’étendit très bien sous le marteau, et les parcelles, atténuées et divisées dans le mortier d’agate, se trouvèrent encore sensibles à l’aimant.

  15. Dictionnaire de chimie, article Platine.
  16. Tome II.
  17. Éléments de chimie, t. Ier, p. 219. — « Il n’est pas possible, dit ailleurs M. de Morveau, de supposer que la portion de platine, d’abord traitée par le nitre et ensuite par l’acide vitriolique, fût un fer étranger au platine lui-même, puisqu’il est évident qu’il aurait été calciné à la première détonation, et que nous avions eu l’attention de ne soumettre à la seconde opération que le platine qui avait reçu le brillant métallique ; cette réflexion nous a engagés à traiter une troisième fois les cinq cents grains restants, et le résultat a été encore plus satisfaisant. Le creuset ayant été tenu plus longtemps au feu, le platine était comme agglutiné au-dessous de la matière saline, la lessive était plus colorée et comme verdâtre, et la poussière noire plus abondante ; l’acide vitriolique, bouilli sur ce qui était resté sur le filtre, était sensiblement plus chargé, et le platine en état de métal, réduit à trente-cinq grains, compris quelques écailles qui avaient l’apparence de fer brûlé, et qui étaient beaucoup plus larges qu’aucun des grains de platine. Une autre circonstance bien digne de remarque, c’est que dans ces trente-cinq grains on découvrait aisément, à la seule vue, nombre de paillettes de couleur d’or, tandis qu’auparavant nous n’en avions aperçu aucune, même avec le secours de la loupe…

    » Nous avons fait digérer dans l’eau régale la poussière noire qui avait été séparée par les lavages ; elle a fourni une dissolution passablement chargée, qui avait tous les caractères d’une dissolution de platine, qui a donné sur-le-champ un beau précipité jaune pâle par l’addition de la dissolution du sel ammoniac, ce qui n’arrive pas à la dissolution de fer dans le même acide mixte ; la liqueur prussienne saturée l’a colorée en vert, et la fécule bleue a été plusieurs jours à se rassembler. » Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 145 et suiv.

  18. Idem, t. Ier, p. 227.
  19. Le platine est de tous les métaux le plus propre à faire les miroirs des télescopes, puisqu’il résiste, aussi bien que l’or, aux vapeurs de l’air, qu’il est compact, fort dense, sans couleur et plus dur que l’or, que le défaut de ces deux propriétés rend inutile pour cet usage. Description de l’or blanc, par M. Schœffer ; Journal étranger, mois de novembre 1757.
  20. Voyez les Éléments de chimie, t. II, p. 54 et suiv.
  21. Éléments de chimie, p. 269 et 314.
  22. Traité de la fonte des mines de Schlutter, t. Ier, p. 183 et 184. — On doit néanmoins observer que le procédé indiqué par M. Hellot, d’après Schlutter, n’est peut-être pas le meilleur qu’on puisse employer pour tirer l’or et l’argent du fer. M. de Grignon dit qu’il faut scorifier par le soufre, rafraîchir par le plomb et coupeller ensuite ; il assure que le sieur Vatrin a tiré l’or du fer avec quelque bénéfice, et qu’il en a traité dans un an quarante milliers qui venaient des forges de M. de la Blouze en Nivernais et Berry, d’une veine de mine de fer qui a cessé de fournir de ce minéral aurifère.
  23. Voyez les Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 152 et suiv.
  24. Histoire naturelle d’Espagne, chapitre du Platine.
Notes de l’éditeur
  1. Le platine est réellement un métal au même titre que l’or et l’argent. Il n’est pas le moins du monde, comme le dit plus loin Buffon, composé de fer et d’or, mais mérite autant que ces divers métaux de figurer parmi les types que l’on désigne sous le nom de « corps simples ».