Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Acide vitriolique et vitriols



ACIDE VITRIOLIQUE ET VITRIOLS

Cet acide[NdÉ 1] est absolument sans odeur et sans couleur ; il ressemble à cet égard parfaitement à l’eau : néanmoins sa substance n’est pas aussi simple ni même, comme le dit Stahl, uniquement composée des seuls éléments de la terre et de l’eau ; il a été formé par l’acide aérien, il en contient une grande quantité, et sa substance est réellement composée d’air et de feu unis à la terre vitrifiable, et à une très petite quantité d’eau qu’on lui enlève aisément par la concentration ; car il perd peu à peu sa liquidité par la grande chaleur, et peut prendre une forme concrète[1] par la longue application d’un feu violent ; mais, dès qu’il est concentré, il attire puissamment l’humidité de l’air, et par l’addition de cette eau il acquiert plus de volume ; il perd en même temps quelque chose de son activité saline : ainsi l’eau ne réside dans cet acide épuré qu’en très petite quantité, et il n’y a de terre qu’autant qu’il en faut pour servir de base à l’air et au feu, qui sont fortement et intimement unis à cette terre vitrifiable.

Au reste, cet acide et les autres acides minéraux ne se trouvent pas dans la nature seuls et dégagés, et on ne peut les obtenir qu’en les tirant des substances avec lesquelles ils se sont combinés, et des corps qui les contiennent. C’est en décomposant les pyrites, les vitriols, le soufre, l’alun et les bitumes qu’on obtient l’acide vitriolique[2] : toutes ce matières en sont plus ou moins imprégnées, toutes peuvent aussi lui servir de base, et il forme avec elles autant de différents sels, desquels on le retire toujours sous la même forme et sans altération.

On a donné le nom de vitriol à trois sels métalliques, formés par l’union de l’acide vitriolique avec le fer, le cuivre et le zinc ; mais on pourrait, sans abuser du nom, l’étendre à toutes les substances dans lesquelles la présence de l’acide vitriolique se manifeste d’une manière sensible : le vitriol du fer est vert, celui du cuivre est bleu, et celui du zinc est blanc ; tous trois se trouvent dans le sein de la terre, mais en petite quantité, et il paraît que ce sont les seules matières métalliques que la nature ait combinées avec cet acide ; et quand même on serait parvenu par notre art à faire d’autres vitriols métalliques, nous ne devons pas les mettre au nombre des substances naturelles, puisqu’on n’a jamais trouvé de vitriols d’or, d’argent, de plomb, d’étain, ni d’antimoine, de bismuth, de cobalt, etc., dans aucun lieu, soit à la surface, soit à l’intérieur de la terre.

Le vitriol vert ou le vitriol ferrugineux, appelé vulgairement couperose, se présente dans toutes les mines de fer, où l’eau chargée d’acide vitriolique a pu pénétrer : c’est sous les glaises ou les plâtres que gisent ordinairement ces mines de vitriol, parce que les terres argileuses et plâtreuses sont imprégnées de cet acide qui, se mêlant avec l’eau des sources souterraines, ou même avec l’eau des pluies, descend par stillation sur la matière ferrugineuse, et se combinant avec elle forme ce vitriol vert qui se trouve, tantôt en masses assez informes, auxquelles on donne le nom de pierres atramentaires[3], et tantôt en stalactites plus ou moins opaques, et quelquefois cristallisées : la forme de ces cristaux vitrioliques est rhomboïdale, et assez semblable à celle des cristaux du spath calcaire. C’est donc dans les mines de fer, de seconde et de troisième formation, abreuvées par les eaux qui découlent des matières argileuses et plâtreuses, qu’on rencontre ce vitriol natif, dont la formation suppose non seulement la décomposition de la matière ferrugineuse, mais encore le mélange de l’acide en assez grande quantité ; toute matière ferrugineuse imprégnée de cet acide donnera du vitriol ; aussi le tire-t-on des pyrites martiales, en les décomposant par la calcination ou par l’humidité.

Cette pyrite, qui n’a aucune saveur dans son état naturel, se décompose, lorsqu’elle est exposée longtemps à l’humidité de l’air, en une poudre saline, acerbe et styptique ; en lessivant cette poudre pyriteuse, on en retire du vitriol par l’évaporation et le refroidissement : lorsqu’on veut en obtenir en grande quantité, on entasse ces pyrites les unes sur les autres, à deux ou trois pieds d’épaisseur ; on les laisse exposées aux impressions de l’air pendant trois ou quatre ans, et jusqu’à ce qu’elles se soient réduites en poudre, on les remue deux fois par an pour accélérer cette décomposition ; on recueille l’eau de la pluie qui les lessive pendant ce temps, et on la conduit dans des chaudières où l’on place des ferrailles qui s’y dissolvent en partie par l’excès de l’acide, ensuite on fait évaporer cette eau, et le vitriol se présente en cristaux[4].

On peut aussi tirer le vitriol des pyrites par le moyen du feu qui dégage, sous la forme de soufre, une partie de l’acide et du feu fixe qu’elles contiennent[5] ; on lessive ensuite la matière qui reste après cette extraction du soufre, et pour charger d’acide l’eau de ce résidu, on la fait passer successivement sur d’autres résidus également désoufrés, après quoi on l’évapore dans des chaudières de plomb : la matière pyriteuse n’est pas épuisée de vitriol par cette première opération ; on la reprend pour l’étendre à l’air, et au bout de dix-huit mois ou deux ans, elle fournit, par une semblable lessive, de nouveau vitriol.

Il y a dans quelques endroits des terres qui sont assez mêlées de pyrites décomposées pour donner du vitriol par une seule lessive : au reste, on ne se sert que de chaudières de plomb pour la fabrication du vitriol, parce que l’acide rongerait le fer et le cuivre. Pour reconnaître si la lessive vitriolique est assez chargée, il faut se servir d’un pèse-liqueur ; dès que cet instrument indiquera que la lessive contient vingt-huit onces de vitriol, on pourra la faire évaporer pour obtenir ce sel en cristaux ; il faut encore quinze jours pour opérer cette cristallisation, et l’on a observé qu’elle réussit beaucoup mieux pendant l’hiver qu’en été[6].

Nous avons en France quelques mines de vitriol naturel : « On en exploite, dit M. de Gensane, une au lieu de la Fonds près Saint-Julien-de-Valgogne ; le travail y est conduit avec la plus grande intelligence ; le minéral y est riche et en grande abondance, et le vitriol qu’on y fabrique est certainement de la première qualité[7]. » Il doit se trouver de semblables mines dans tous les endroits où la terre limoneuse et ferrugineuse se trouve mêlée d’une grande quantité de pyrites décomposées[8].

Il se produit aussi du vitriol par les eaux sulfureuses qui découlent des volcans ou des solfatares : « La formation de ce vitriol, dit M. l’abbé Mazéas, s’opère de trois façons ; la première, par les vapeurs qui s’élèvent des solfatares et des ruisseaux sulfureux ; ces vapeurs en retombant sur les terres ferrugineuses les recouvrent peu à peu d’une efflorescence de vitriol… La seconde se fait par la filtration des vapeurs à travers les terres ; ces sortes de mines fournissent beaucoup plus de vitriol que les premières ; elles se trouvent communément sur le penchant des montagnes qui contiennent des mines de fer, et qui ont des sources d’eau sulfureuse : la troisième manière est lorsque la terre ferrugineuse contient beaucoup de soufre ; on s’aperçoit, dès qu’il a plu, d’une chaleur sur la surface de la terre causée par une fermentation intestine… Il se forme du vitriol en plus ou moins grande quantité dans ces terres[9]. »

Le vitriol bleu, dont la base est le cuivre, se forme comme le vitriol de fer ; on ne le trouve que dans les mines secondaires où le cuivre est déjà décomposé, et dont les terres sont abreuvées d’une eau chargée d’acide vitriolique. Ce vitriol cuivreux se présente aussi en masses ou en stalactites, mais rarement cristallisées, et les cristaux sont plus souvent dodécaèdres qu’hexaèdres ou rhomboïdaux : on peut tirer ce vitriol des pyrites cuivreuses et des autres minerais de ce métal qui sont presque tous dans l’état pyriteux[10].

On peut aussi employer des débris ou rognures de cuivre avec l’alun pour faire ce vitriol ; on commence par jeter sur ces morceaux de cuivre du soufre pulvérisé ; on les met ensemble dans un four, et on les plonge ensuite dans une eau où l’on a fait dissoudre de l’alun : l’acide de l’alun ronge et détruit les morceaux de cuivre ; on transvase cette eau dans des baquets de plomb lorsqu’elle est suffisamment chargée, et en la faisant évaporer on obtient le vitriol qui se forme en beaux cristaux bleus[11] ; c’est de cette apparence cristalline ou vitreuse que le non même de vitriol est dérivé[12].

Le vitriol de zinc est blanc, et se trouve aussi en masses et en stalactites dans les minières de pierre calaminaire ou dans les blendes ; il ne se présente que très rarement en cristaux à facettes ; sa cristallisation la plus ordinaire dans le sein de la terre est en filets soyeux et blancs[13].

On peut ajouter à ces trois vitriols métalliques, qui tous trois se trouvent dans l’intérieur de la terre, une substance grasse à laquelle on a donné le nom de beurre fossile, et qui suinte des schistes alumineux ; c’est une vraie stalactite vitriolique ferrugineuse, qui contient plus d’acide qu’aucun des autres vitriols métalliques, et par cette raison M. le baron de Dietrich a cru pouvoir avancer que ce beurre fossile n’est que de l’acide vitriolique concret[14] ; mais, si l’on fait attention que cet acide ne prend une forme concrète qu’après une très forte concentration et par la continuité d’un feu violent, et qu’au contraire ce beurre vitriolique se forme, comme les autres stalactites, par l’intermède de l’eau, il me semble qu’on ne doit pas hésiter à le rapporter aux vitriols que la nature produit par la voie humide.

Après ces vitriols à base métallique, on doit placer les vitriols à base terreuse qui, pris généralement, peuvent se réduire à deux : le premier est l’alun dont la terre est argileuse ou vitreuse, et le second est le gypse que les chimistes ont appelé sélénite, et dont la base est une terre calcaire. Toutes les argiles sont imprégnées d’acide vitriolique, et les terres qu’on appelle alumineuses ne diffèrent des argiles communes qu’en ce qu’elles contiennent une plus grande quantité de cet acide ; l’alun y est toujours en particules éparses, et c’est très rarement qu’il se présente en filets cristallisés : on le retire aisément de toutes les terres et pierres argileuses en les faisant calciner et ensuite lessiver à l’eau.

Le gypse, qu’on peut regarder comme un vitriol calcaire, se présente en stalactites et en grands morceaux cristallisés dans toutes les carrières de plâtre.

Mais, lorsque la quantité de terre contenue dans l’argile et dans le plâtre est très grande en comparaison de celle de l’acide, il perd en quelque sorte sa propriété la plus distinctive ; il n’est plus corrosif, il n’est pas même sapide, car l’argile et le plâtre n’affectent pas plus nos organes que toute autre matière ; et sous ce point de vue, on doit rejeter du nombre des substances salines ces deux matières, quoiqu’elles contiennent de l’acide.

Nous devons, par la même raison, ne pas compter au nombre des vitriols, ou substances vraiment salines, toutes les matières où l’acide en petite quantité se trouve non seulement mêlé avec l’une ou l’autre terre argileuse ou calcaire, mais avec toutes deux, comme dans les marnes et dans quelques autres terres et pierres mélangées de parties vitreuses, calcaires, limoneuses et métalliques : ces sels à double base forment un second ordre de matières salines, auxquelles on peut donner le nom d’hépar ; mais toute matière simple, mixte ou composée de plusieurs substances différentes, dans laquelle l’acide est engagé ou saturé, de manière à n’être pas senti ni reconnu par la saveur, ne doit ni ne peut être comptée parmi les sels sans abuser du nom ; car, alors, presque toutes les matières du globe seraient des sels, puisque presque toutes contiennent une certaine quantité d’acide aérien. Nous devons ici fixer nos idées par notre sensation ; toutes les matières insipides ne sont pas des sels, toutes celles au contraire dont la saveur offense, irrite ou flatte le sens du goût, seront des sels, de quelque nature que soit leur base et en quelque nombre ou quantité qu’elles puissent être mélangées ; cette propriété est générale, essentielle, et même la seule qui puisse caractériser les substances salines et les séparer de toutes les autres matières : je dis le seul caractère distinctif des sels, car l’autre propriété par laquelle on a voulu les distinguer, c’est-à-dire la solubilité dans l’eau, ne leur appartient pas exclusivement ni généralement, puisque les gommes et même les terres se dissolvent également dans toutes les liqueurs aqueuses, et que d’ailleurs on connaît des sels que l’eau ne dissout point[15], tels que le soufre qui est vraiment salin, puisqu’il contient l’acide vitriolique en grande quantité.

Suivons donc l’ordre des matières dans lesquelles la saveur saline est sensible ; et ne considérant d’abord que les composés de l’acide vitriolique, nous aurons, dans les minéraux, les vitriols de fer, de cuivre et de zinc auxquels on doit ajouter l’alun, parce que tous sont non seulement sapides, mais même corrosifs.

L’acide vitriolique, qui par lui-même est fixe, devient volatil en s’unissant à la matière du feu libre sur laquelle il a une action très marquée, puisqu’il la saisit pour former le soufre, et qu’il devient volatil avec lui dans sa combustion ; cet acide sulfureux volatil ne diffère de l’acide vitriolique fixe que par son union avec la vapeur sulfureuse dont il répand l’odeur ; et le mélange de cette vapeur à l’acide vitriolique, au lieu d’augmenter sa force, la diminue beaucoup ; car cet acide, devenu volatil et sulfureux, a beaucoup moins de puissance pour dissoudre ; son affinité avec les autres substances est plus faible ; tous les autres acides peuvent le décomposer, et de lui-même il se décompose par la seule évaporation : la fixité n’est donc point une qualité essentielle à l’acide vitriolique ; il peut se convertir en acide aérien, puisqu’il devient volatil et se laisse emporter en vapeurs sulfureuses.

L’acide sulfureux fait seulement plus d’effet que l’acide vitriolique sur les couleurs tirées des végétaux et des animaux ; il les altère, et même les fait disparaître avec le temps, au lieu que l’acide vitriolique fait reparaître quelques-unes de ces mêmes couleurs, et en particulier celle des roses ; l’acide sulfureux les détruit toutes, et c’est d’après cet effet qu’on l’emploie pour donner aux étoffes la plus grande blancheur et le plus beau lustre.

L’acide sulfureux me paraît être l’une des nuances que la nature a mises entre l’acide vitriolique et l’acide nitreux ; car toutes les propriétés de cet acide sulfureux les rapprochent évidemment de l’acide nitreux, et tous deux ne sont au fond que le même acide aérien qui, ayant passé par l’état d’acide vitriolique, est devenu volatil dans l’acide sulfureux, et a subi encore plus d’altération avant d’être devenu acide nitreux par la putréfaction des corps organisés : ce qui fait la principale différence de l’acide sulfureux et de l’acide nitreux, c’est que le premier est beaucoup plus chargé d’eau que le second, et que par conséquent, il n’est pas aussi fortement uni avec la matière du feu.

Après les vitriols métalliques, nous devons considérer les sels que l’acide vitriolique a formés avec les matières terreuses, et particulièrement avec la terre argileuse qui sert de base à l’alun ; nous verrons que cette terre est la même que celle du quartz, et nous en tirerons une nouvelle démonstration de la conversion réelle du verre primitif en argile.


Notes de Buffon
  1. Quelques chimistes ont donné le nom d’huile de vitriol glaciale à cet acide concentré au point d’être sous forme concrète : à mesure qu’on le concentre, il perd de sa fluidité, il file et paraît gras au toucher comme l’huile ; on l’a par cette raison nommé huile de vitriol, mais très improprement, car il n’a aucun caractère spécifique des huiles, ni l’inflammabilité. Le toucher gras de ce liquide semble provenir, comme celui du mercure, du grand rapprochement de ses parties ; et c’est en effet, après le mercure, le liquide le plus dense qui nous soit connu : aussi, lorsqu’il est soumis à la violente action du feu, il prend une chaleur beaucoup plus grande que l’eau et que tout autre liquide, et, comme il est peu volatil et point inflammable, il a l’apparence d’un corps solide pénétré de feu et presque en incandescence.
  2. Ce n’est pas que la nature ne puisse faire dans ses laboratoires tout ce qui s’opère dans les nôtres ; si la vapeur du soufre en combustion se trouve renfermée sous des voûtes de cavernes, l’acide sulfureux s’y condensera en acide vitriolique. M. Joseph Baldassari nous offre même à ce sujet une très belle observation : ce savant a trouvé dans une grotte du territoire de Sienne, au milieu d’une masse d’incrustation déposée par les eaux thermales des bains de Saint-Philippe, « un véritable acide vitriolique, pur, naturellement concret, et sans aucun mélange de substances étrangères… Cette grotte est située dans une petite montagne, sur la pente d’une montagne plus haute, qui paraît avoir été un ancien volcan… Le fond de cette grotte et ses parois jusqu’à la hauteur d’environ une brasse et demie, dit M. Baldassari, sont entièrement recouverts d’une belle croûte jaune de soufre en petits cristaux, et tous les corps étrangers, transportés par le vent ou par quelque autre cause dans le fond de cette caverne, y sont enduits d’une couche de soufre plus ou moins épaisse, suivant le temps qu’ils y ont séjourné.

    » Au-dessus de cette zone de soufre, le reste des parois et la voûte de la grotte sont tapissées d’une innombrable quantité de concrétions groupées, recouvertes d’efflorescences qui laissent sur la langue l’impression d’une saveur acide, mais d’un acide parfaitement semblable à celui qu’on retire du vitriol par la distillation, et n’ont rien de ce goût austère et astringent des vitriols et de l’alun… Le fond de la grotte exhale une vapeur chaude, qui répand une forte odeur de soufre, et s’élève à la même hauteur que la bande soufrée, c’est-à-dire à une brasse et demie… Mais cette vapeur ne s’élève que par le vent du midi…

    » On voit, dans la masse des incrustations, une grande fente qui a plus de trente brasses de profondeur, et dont les parois, dans la partie basse, sont recouvertes de soufre, et, dans la haute, des mêmes efflorescences salines que celles dont on vient de parler…

    » La vapeur du fond de la grotte est une émanation de ce que les chimistes appellent acide sulfureux volatil… L’odeur en est très forte et suffocante : aussi trouvai-je beaucoup d’insectes morts dans cette grotte, et l’un de mes compagnons ayant, en se baissant, plongé sa tête dans l’atmosphère infecte, fut obligé de la relever promptement pour éviter la suffocation.

    » Cet acide sulfureux volatil détruisit les couleurs du papier bleu que je jetai par terre, il devint cendré ; un morceau de soie cramoisie fut aussi pareillement décoloré, et tout ce que nous avions d’argent sur nous, comme boucles, etc., devint noir avec quelques taches jaunes…

    » Cette vapeur forme un soufre sur le fond des parois de la grotte… Et, après la formation de ce soufre, une portion de l’acide vitriolique excédante rencontre et regagne les parois et la voûte de la grotte, c’est-à-dire les incrustations qui y sont attachées ; l’acide s’y attache sous la forme d’efflorescences, ou de filets qui sont de véritable acide vitriolique pur, concret et exempt de toute combinaison. »

    M. Baldassari a observé depuis de semblables efflorescences sulfureuses et vitrioliques à Saint-Albino, dans le voisinage de Monte-Pulciano et aux lacs de Travale, où il a trouvé des branches d’arbres couvertes de concrétions de soufre et de vitriol. Journal de Physique, mai 1776, p. 397 et suiv.

  3. Parce qu’elles servent, comme le vitriol lui-même, à composer les diverses sortes de teintures noires ou d’encre, atramentum ; c’est l’étymologie que Pline nous en donne lui-même : « Diluendo (dit-il en parlant du vitriol), fit atramentum tingendis coriis, unde atramenti sutorii nomen. » Liv. xxxiv, chap. xii.
  4. Dans le grand nombre de fabriques de vitriol de fer, celle de Newcastle, en Angleterre, est remarquable par la grande pureté du vitriol qui s’y produit : nous empruntons de M. Jars la description de cette fabrique de Newcastle. « Les pyrites martiales, dit-il, que l’on trouve très fréquemment dans les mines de charbon que l’on exploite aux environs de la ville de Newcastle, joint à la propriété qu’elles ont de tomber aisément en efflorescence, ont donné lieu à l’établissement de plusieurs fabriques de vitriol ou couperose.

    » Telles qu’elles sont extraites des mines, elles sont vendues à des compagnies qui les paient à raison de huit livres sterling les vingt tonnes (vingt quintaux la tonne), rendues aux fabriques qui, pour la commodité du transport, sont placées au bord d’une rivière sur le penchant de la montagne ; au-dessus, on a formé plusieurs emplacements pour y recevoir la pyrite, lesquels ont, à la vérité, la même inclinaison que la montagne, mais dont on a regagné le niveau avec des murs construits sur le devant et sur les côtés, de même que, si l’on eût voulu y pratiquer des réservoirs ; le sol, dont la forme est un plan incliné, est battu avec de la bonne argile, capable de retenir l’eau ; et dans les endroits où ces plans se réunissent, il y a des canaux qui communiquent à un autre principal placé le long du mur de devant.

    » C’est sur ce sol que l’on met et que l’on étend la pyrite pour y être décomposée, soit par l’humidité répandue dans l’atmosphère, soit par l’eau des pluies, qui, en filtrant à travers, se charge de vitriol avant que d’arriver dans les canaux, et de ceux-ci se rend dans deux grands réservoirs, d’où on l’enlève ensuite pour la mettre dans les chaudières…

    » Ayant mis dans le fond de la chaudière de la vieille ferraille, que l’on arrange le long des côtés latéraux, et jamais dans le milieu, où le feu a trop d’action, on la remplit avec de l’eau des réservoirs, et partie avec des eaux mères, ayant soin de la tenir toujours pleine pendant l’ébullition jusqu’à ce qu’il se forme une pellicule. La durée d’une évaporation varie suivant le degré de force que l’eau a acquise ; trois à quatre jours suffisent quelquefois pour concentrer celle d’une pleine chaudière ; d’autres fois, elle exige une semaine entière ; après ce temps, on transvase cette eau dans une des caisses de cristallisation, où elle reste plus ou moins de temps, suivant le degré de chaleur de l’atmosphère…

    » Chaque chaudière produit communément quatre tonnes ou quatre-vingts quintaux de vitriol, indépendamment de celui qui est contenu dans les eaux mères ; il se vend aux Hollandais à raison de quatre livres sterling la tonne ; si on l’établit à un si bas prix, il faut observer qu’on n’a eu, pour ainsi dire, que les premières dépenses de l’établissement à faire, puisque cette pyrite n’a pas besoin d’être calcinée, et que les seuls frais sont ceux de l’évaporation, qui sont d’un mince objet dans un pays où le charbon est à très bas prix ; d’ailleurs, ce vitriol est de la meilleure qualité, puisqu’il n’est composé que du fer et de l’acide vitriolique : il n’en est pas de même de celui que l’on fabrique communément en Allemagne et en France avec des pyrites extraites d’un filon, qui contiennent presque toujours du cuivre ou du zinc, dont il est comme impossible de les priver entièrement, surtout avec bénéfice. » Voyages métallurgiques, t. III, p. 316 et suiv.

  5. Voyez les procédés de cette extraction, sous l’article du Soufre.
  6. Le vitriol martial d’Angleterre est en cristaux de couleur vert brune, d’un goût doux, astringent, approchant de celui du vitriol blanc. Le vitriol dans lequel il y a une surabondance de fer est d’un beau vert pur ; c’est celui dont on se sert pour l’opération de l’huile de vitriol : celui d’Allemagne est en cristaux d’un vert bleuâtre, assez beaux, d’un goût âcre et astringent ; ils participent non seulement du fer, mais encore d’une portion de cuivre : cette espèce convient fort à l’opération de l’eau-forte.

    Le vitriol se tire encore d’une autre matière que des pyrites : dans les mines de cuivre où l’on exploite le cuivre, le fond des galeries est toujours abreuvé d’une eau provenant de la condensation des vapeurs qui règnent dans ces mines ; quelquefois même il sort, par quelques ouvertures naturellement pratiquées dans le bas de ces mines, une liqueur minérale très bleuâtre ou légèrement verdâtre : c’est le vitriolum ferreum cupreum aquis immixtum. On adapte à l’orifice de cette issue un tuyau de bois qui conduit la liqueur dans une citerne remplie de vieille ferraille : la partie cuivreuse en dissolution, qui donnait au mélange une couleur bleue, fait divorce et se dépose en forme d’une boue roussâtre sur les morceaux de fer, qui ont plus d’affinité avec l’acide vitriolique que n’en a le cuivre ; alors la liqueur, de bleuâtre qu’elle était pour la plus grande partie, se change en une belle couleur verte, simple et martiale ; on la décante dans une autre citerne, dont le niveau est pratiqué à la base de la précédente : on y plonge de nouveau un morceau de fer, lequel, s’il ne rougit pas ni ne se dissout pas, fournit une preuve constante que l’eau ne participe que d’un fer pur, et qu’elle en est suffisamment chargée ; alors on procède à l’évaporation et à la cristallisation : celle-ci se fait en portant la liqueur chaude, soit dans différents tonneaux de bois de chêne ou de sapin, lesquels sont garnis d’un bon nombre de branches de bois fourchues, longues de quinze pouces, et différemment entre-croisées, soit dans des fosses ou des auges garnies de planches, dans lesquelles on suspend des morceaux de bois qui ressemblent à des herses, étant hérissés de plus de cinquante chevilles ou pointes ; c’est ainsi qu’en multipliant les surfaces sur lesquelles le vitriol s’attache et se cristallise l’on accélère la cristallisation et sa régularité. Minéralogie de Valmont de Bomare, t. Ier, p. 303.

  7. Histoire naturelle de Languedoc, t. Ier, p. 176.
  8. Avant de quitter Cazalla en Espagne, je fus voir une mine de vitriol qui est à une demi-lieue, dans le rocher d’une montagne appelée les Châtaigniers… La pierre est pyriteuse et ferrugineuse, et l’on y voit des fleurs et des taches profondes de jaune verdâtre, et une sorte de farine. Bowles, Histoire naturelle d’Espagne.
  9. Mémoires sur les solfatares des environs de Rome, t. V des Mémoires des Savants étrangers, p. 319.
  10. On ne peut tirer le vitriol bleu que de la véritable mine de cuivre ou de la matte crue qui en provient : plus la mine de cuivre est pure, plus elle contient de cuivre, plus le vitriol est d’un beau bleu ; cependant il y a moins de bénéfice à convertir le cuivre en vitriol que de le convertir en métal, attendu qu’on ne le tire pas tout d’une mine par la lessive, et qu’il en coûterait beaucoup trop pour retirer ce reste de cuivre par la fonte.

    Lorsqu’on veut faire du vitriol bleu d’une mine de cuivre, il faut la griller ou griller sa matte… On met cette mine toute chaude dans des cuves qu’on ne remplit qu’à moitié ; ou bien, si on l’a laissé refroidir après le grillage, il faut que l’eau qu’on verse dessus soit bouillante, ce qui est encore mieux, surtout dans les endroits où, comme à Goslar, il y a dans l’atelier une chaudière exprès pour faire chauffer l’eau : la lessive du vitriol bleu se fait comme celle du vitriol vert ; et si pendant vingt-quatre heures elle ne s’enrichit pas assez et ne contient pas au moins dix onces de vitriol, on peut la laisser séjourner pendant quarante-huit heures, ou bien verser cette lessive sur d’autre mine calcinée, afin d’en faire une lessive double : après que la lessive a séjourné le temps nécessaire sur la mine, on la transporte dans d’autres cuves pour qu’elle puisse s’y clarifier ; ensuite on tire la mine qui a été lessivée et on la grille de nouveau, ou pour la fondre, ou pour en faire une seconde lessive.

    Les eaux mères qui restent après la cristallisation du vitriol se remettent dans la chaudière avec de la lessive neuve, comme dans la fabrication du vitriol vert : on verse dans une cuve à rafraîchir les lessives cuites, et après qu’elles y ont déposé leur limon, on les transvase dans des cuves à cristalliser, et l’on y suspend des roseaux ou des échalas de bois, après lesquels le vitriol se cristallise. Traité de la fonte des mines de Schlutter, t. II, p. 638 et 639.

  11. Pline a parfaitement connu cette formation des cristaux du vitriol, et même il en décrit le procédé mécanique avec autant d’élégance que de clarté : « Fit in Hispaniæ puteis, dit-il, id genus aquæ habentibus… decoquitur… et in piscinas ligneas funditur, immobilibus super has transtris dependet restes, quibus adhærescens limus, vitreis acinis imaginem quamdam uvæ reddit ; color cæruleus perquam spectabili nitore, vitrumque creditur. » Histoire naturelle, liv. xxxiv, ch. xii.
  12. Les Grecs, qui apparemment connaissaient mieux le vitriol de cuivre que celui de fer, avaient donné à ce sel un nom qui désignait son affinité avec ce premier métal ; c’est la remarque de Pline : « Græci cognationem æris nomina fecerunt… appellantes chalcantum. » Lib. xxxiv, cap. xii.
  13. La base du vitriol blanc est le zinc : on l’a souvent nommé vitriol de Goslard, parce qu’on le tire des mines de plomb et d’argent de Rammelsberg, près de Goslard ; on leur fait subir un premier grillage par lequel on retire du soufre, et, pour obtenir le vitriol blanc, on fait les mêmes opérations que pour le vitriol vert. Ce vitriol blanc se fabrique toujours en été ; il faut que la lessive soit chargée de quinze ou dix-sept onces de vitriol avant de la mettre dans des cuves où elle doit déposer son limon jaune ; car, s’il en restait dans la lessive lorsqu’on la verse dans la chaudière pour la faire bouillir, le vitriol, au lieu d’être blanc, se cristalliserait rougeâtre… L’ébullition de la lessive du vitriol blanc doit être continuée plus longtemps que celle du vitriol vert… Lorsque la lessive est suffisamment évaporée, on la transvase dans la cuve à rafraîchir, et de là dans des cuviers de cristallisation où l’on arrange des lattes et des roseaux ; elle y reste quinze jours, après quoi on retire le vitriol blanc pour le mettre dans la caisse à égoutter, puis on le calcine et on l’enferme dans des barils. Traité de la fonte des mines de Schlutter, t. II, p. 639. — Wallerius, suivant la remarque de M. Valmont de Bomare (Minéralogie, t. Ier, p. 307), observe que le vitriol de zinc, indépendamment de ce demi-métal, paraît contenir aussi du fer, du cuivre, et même du plomb : cela peut être, en le considérant dans un état d’impureté et de mélange, mais il n’en est pas moins vrai que le zinc est sa base.
  14. M. le baron de Dietrich dit (note 34) que ce minéral est décrit par M. Pallas, sous le nom de kamenoja maslo ; en allemand, stein butters, c’est-à-dire beurre fossile. « Ce n’est, dit M. de Dietrich, autre chose qu’un acide vitriolique chargé de quelques parties ferrugineuses et de beaucoup de matières terreuses et grasses… On en tire d’un schiste alumineux fort dur et brun à Willischtan, sur la rive droite de l’Aï ; il suinte des fentes des rochers et des grottes formées dans ces schistes, sous la forme d’une matière grasse d’un blanc jaunâtre, qui se durcit un peu en la faisant sécher. Lorsqu’on examine avec attention les endroits les plus propres de ces grottes, on le découvre sous la forme d’aiguilles fines ; c’est, selon toute apparence, de l’acide vitriolique concret natif, comme celui qui a été découvert par le docteur Balthazar, en Toscane ; dès que le temps est humide, cette matière suinte avec bien plus d’abondance hors des rochers.

    » Il y a un schiste argileux vitriolique sur la rivière de Tomsk, près de la ville de ce nom, dont on extrait du vitriol impur jaune, qu’on vend mal à propos à Tomsk pour du beurre fossile. C’est à Krasnojark qu’on trouve le véritable beurre fossile en grande abondance et à bon marché ; on l’y apporte des bords du fleuve Jeniseï et de ceux du fleuve Mana, où on le trouve dans les crevasses et cavités d’un schiste alumineux noir, à la surface duquel il est attaché sous la forme d’une croûte épaisse et raboteuse : il y en a aussi en aiguilles ; il y est en général très blanc, léger, et lorsqu’on le brûle à la flamme qui le liquéfie facilement, et qu’on le fait bouillir, il s’en élève des vapeurs vitrioliques rouges, et le résidu est une terre légère très blanche et savonneuse. On trouve la même matière dans un schiste alumineux brun, sur le rivage de Chilok, près du village de Parkina ; le peuple se sert de cette matière en guise de remède pour arrêter les diarrhées et dysenteries, les pertes des femmes en couches, les fleurs blanches et autres écoulements impurs : on le donne pour vomitif aux enfants, afin de les débarrasser des glaires qu’ils ont sur la poitrine ; enfin on s’en sert encore en cas de nécessité, au lieu de vitriol, pour teindre le cuir en noir ; et l’on prétend que les forgerons en font usage pour faire de l’acier : ce dernier fait aurait mérité d’être constaté. » Voyage de M. Pallas, t. II, p. 88, 626, 697 ; et t. III, p. 258.

  15. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 44.
Notes de l’éditeur
  1. L’acide vitriolique de Buffon est notre acide sulfurique et ses vitriols nos sulfates.