Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Œil de chat

ŒIL DE CHAT

Les pierres auxquelles on a donné ce nom sont toutes chatoyantes, et varient non seulement par le jeu de la lumière et par les couleurs, mais aussi par le dessin plus ou moins régulier des cercles ou anneaux qu’elles présentent. Les plus belles sont celles qui ont des teintes d’un jaune vif ou mordoré avec des cercles bien distincts ; elles sont très rares et fort estimées des Orientaux[1] : celles qui n’ont point de cercles et qui sont grises ou brunes n’ont que peu d’éclat et de valeur ; on trouve celles-ci en Égypte, en Arabie, etc., et les premières à Ceylan. Pline paraît désigner le plus bel œil de chat sous le nom de leucophtalmos, « lequel, dit-il, avec la figure du globe blanc et la prunelle noir d’un œil, brille d’ailleurs d’une lumière enflammée[2]. » Et dans une autre notice où cette même pierre est également reconnaissable[3], il nous a conservé quelques traces de la grande estime qu’on en faisait en Orient dès la plus haute antiquité : « Les Assyriens lui donnaient, dit-il, le beau nom d’œil de Bélus, et l’avaient consacrée à ce dieu. »

Toutes ces pierres sont chatoyantes et ont à très peu près la même densité que le feldspath[4], auquel on doit par conséquent les rapporter par deux caractères ; mais il y a une autre pierre à laquelle on a donné le nom d’œil de chat noir ou noirâtre, dont la densité est bien plus grande, et que par cette raison nous rapporterons au schorl.


Notes de Buffon
  1. Les pierres précieuses dont on fait le plus de cas dans l’île de Ceylan, et parmi les Maures et les Gentils, sont les yeux de chat ; on ne les connaît presque point en Europe. J’en vis une de la grosseur d’un œuf de pigeon au bras du prince d’Ura lorsqu’il vint nous voir. Cette pierre était toute ronde et faite comme une grosse balle d’arquebuse : ces pierres pèsent plus que les autres ; on ne les travaille jamais, et on se contente de les laver. Il semble que la nature ait pris plaisir de ramasser dans cette pierre toutes les plus belles et les plus vives couleurs que la lumière puisse produire, et que ces couleurs forment un combat entre elles à qui l’emportera pour l’éclat et pour le brillant, sans que pas une ait l’avantage sur l’autre ; selon qu’on les regarde et pour peu qu’on change de situation et qu’on remue cette pierre, on voit briller une autre couleur, en sorte que l’œil ne peut distinguer de quelle manière se fait ce changement : de là vient qu’on appelle ces pierres œil de chat ; outre qu’elles ont des raies couchées l’une contre l’autre, ce qui fait diversité de couleurs, comme véritablement on voit que tous les yeux de chat brillent et paraissent de différentes couleurs sans qu’ils se retournent ou qu’ils se remuent. Ces raies ou fils qui sont dans les yeux de chat ne sont jamais en nombre pair ; il y en a trois, cinq ou sept. Histoire de Ceylan, par Jean Ribeyro, 1701, p. 9.
  2. « Leucophtalmos rutila aliàs, oculi speciem candidam nigramque continet. » Histoire naturelle, lib. xxxvii, no 62.
  3. « Beli oculus albicans pupillam cingit nigram, è medio aureo fulgore luscentem. Hæ, propter speciem, sacratissimo Assyriorum Deo dicantur. » Lib. xxxvii, no 45.
  4. La pesanteur spécifique du feldspath blanc est de 26 466 ; celle de l’œil de chat mordoré est de 26 667 ; de l’œil de chat jaune 25 573, et de l’œil de chat gris de 25 675.