Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Émeraude

ÉMERAUDE

L’émeraude, qui, par son brillant éclat et sa couleur suave a toujours été regardée comme une pierre précieuse, doit néanmoins être mise au nombre des cristaux du quartz mêle de schorl : 1o parce que sa densité est moindre d’un tiers que celle des vraies pierres précieuses, et qu’en même temps elle est un peu plus grande que celle du cristal de rocher[1] ; 2o parce que sa dureté n’est pas comparable à celle du rubis, de la topaze et du saphir d’Orient, puisque l’émeraude n’est guère plus dure que le cristal ; 3o parce que cette pierre, mise au foyer du miroir ardent, se fond et se convertit en une masse vitreuse, ce qui prouve que sa substance quartzeuse est mêlée de feldspath ou de schorl[2] qui l’ont rendue fusible ; mais la densité du feldspath étant moindre que celle du cristal, et celle de l’émeraude étant plus grande, on ne peut attribuer qu’au mélange du schorl cette fusibilité de l’émeraude ; 4o parce que les émeraudes croissent, comme tous les cristaux[3], dans les fentes des rochers vitreux[4] ; enfin parce que l’émeraude a, comme tous les cristaux, une double réfraction : elle leur ressemble donc par les caractères essentiels de la densité, de la dureté, de la double réfraction ; et, comme l’on doit ajouter à ces propriétés celle de la fusibilité, nous nous croyons bien fondés à séparer l’émeraude des vraies pierres précieuses, et à la mettre au nombre des produits du quartz mêlé de schorl.

Les émeraudes, comme les autres cristaux, sont fort sujettes à être glaceuses ou nuageuses ; il est rare d’en trouver d’un certain volume qui soient totalement exemptes de ces défauts ; mais, quand cette pierre est parfaite, rien n’est plus agréable que le jeu de sa lumière, comme rien n’est plus gai que sa couleur, plus amie de l’œil qu’aucune autre[5]. La vue se repose, se délasse, se récrée dans ce beau vert qui semble offrir la miniature des prairies au printemps : la lumière qu’elle lance en rayons aussi vifs que doux semble, dit Pline, brillanter l’air qui l’environne, et teindre par son irradiation l’eau dans laquelle on la plonge[6] : toujours belle, toujours éclatante, soit qu’elle pétille sous le soleil, soit qu’elle luise dans l’ombre ou qu’elle brille dans la nuit aux lumières qui ne lui font rien perdre des agréments de sa couleur dont le vert est toujours pur[7]. Aussi les anciens, au rapport de Théophraste[8], se plaisaient-ils à porter l’émeraude en bague, afin de s’égayer la vue par son éclat et sa couleur suave ; ils la taillaient soit en cabochon pour faire flotter la lumière, soit en table pour la réfléchir comme un miroir, soit en creux régulier dans lequel, sur un fond ami de l’œil, venaient se peindre les objets en raccourci[9]. C’est ainsi que l’on peut entendre ce que dit Pline d’un empereur qui voyait dans une émeraude les combats des gladiateurs : réservant l’émeraude à ces usages, ajoute le naturaliste romain, et respectant ses beautés naturelles, on semblait être convenu de ne point l’entamer par le burin[10]. Cependant, il reconnaît lui-même ailleurs que les Grecs avaient quelquefois gravé sur cette pierre[11], dont la dureté n’est en effet qu’à peu près égale à celle des belles agates ou du cristal de roche.

Les anciens attribuaient aussi quelques propriétés imaginaires à l’émeraude ; ils croyaient que sa couleur gaie la rendait propre à chasser la tristesse, et faisait disparaître les fantômes mélancoliques, appelés mauvais esprits par le vulgaire. Ils donnaient de plus à l’émeraude toutes les prétendues vertus des autres pierres précieuses contre les poisons et différentes maladies. Séduits par l’éclat de ces pierres brillantes, ils s’étaient plu à leur imaginer autant de vertus que de beauté ; mais, au physique comme au moral, les qualités extérieures les plus brillantes ne sont pas toujours l’indice du mérite le plus réel ; les émeraudes, réduites en poudre et prises intérieurement, ne peuvent agir autrement que comme des poudres vitreuses, action sans doute peu curative et même peu salutaire ; et c’est avec raison que l’on a rejeté du nombre de nos remèdes d’usage cette poudre d’émeraude et les cinq fragments précieux, autrefois si fameux dans la médecine galénique.

Je ne me suis si fort étendu sur les propriétés réelles et imaginaires de l’émeraude, que pour mieux démontrer qu’elle était bien connue des anciens, et je ne conçois pas comment on a pu de nos jours révoquer en doute l’existence de cette pierre dans l’ancien continent, et nier que l’antiquité en eût jamais eu connaissance. C’est cependant l’assertion d’un auteur récent[12], qui prétend que les anciens n’avaient pas connu l’émeraude, sous prétexte que, dans le nombre des pierres auxquelles ils ont donné le nom de smaragdus, plusieurs ne sont pas des émeraudes ; mais il n’a pas pensé que ce mot smaragdus était une dénomination générique pour toutes les pierres vertes, puisque Pline comprend sous ce nom des pierres opaques qui semblent n’être que des prases ou même des jaspes verts ; mais cela n’empêche pas que la véritable émeraude ne soit du nombre de ces smaragdes des anciens : il est même assez étonnant que cet auteur, d’ailleurs très estimable et fort instruit, n’ait pas reconnu la véritable émeraude aux traits vifs et brillants et aux caractères très distinctifs sous lesquels Pline a su la dépeindre. Et pourquoi chercher à atténuer la force des témoignages en ne les rapportant pas exactement ? Par exemple, l’auteur cite Théophraste comme ayant parlé d’une émeraude de quatre coudées de longueur, et d’un obélisque d’émeraude de quarante coudées ; mais il n’ajoute pas que le naturaliste grec témoigne sur ces faits un doute très marqué, ce qui prouve qu’il connaissait assez la véritable émeraude pour être bien persuadé qu’on n’en avait jamais vu de cette grandeur : en effet, Théophraste dit en propres termes que l’émeraude est rare et ne se trouve jamais en grand volume[13], « à moins, ajoute-t-il, qu’on ne croie aux Mémoires égyptiens, qui parlent de quatre et de quarante coudées ; » mais ce sont choses, continue-t-il, qu’il faut laisser sur leur bonne foi[14] ; et à l’égard de la colonne tronquée ou du cippe d’émeraude du temple d’Hercule, à Tyr, dont Hérodote fait aussi mention, il dit que c’est sans doute une fausse émeraude[15]. Nous conviendrons, avec M. Dutens, que des dix ou douze sortes de smaragdes dont Pline fait l’énumération, la plupart ne sont en effet que de fausses émeraudes ; mais il a dû voir comme nous que Pline en distingue trois comme supérieures à toutes les autres[16]. Il est donc évident que, dans ce grand nombre de pierres auxquelles les anciens donnaient le nom générique de smaragdes, ils avaient néanmoins très bien su distinguer et connaître l’émeraude véritable qu’ils caractérisent, à ne pas s’y méprendre, par sa couleur, sa transparence et son éclat[17]. L’on doit en effet la séparer et la placer à une grande distance de toutes les autres pierres vertes, telles que les prases, les fluors verts, les malachites et les autres pierres vertes opaques de la classe du jaspe, auxquelles les anciens appliquaient improprement et génériquement le nom de smaragdes.

Ce n’était donc pas de l’émeraude, mais de quelques-uns de ces faux et grands smaragdes qu’étaient faites les colonnes et les statues prétendues d’émeraude dont parle l’antiquité[18] ; de même que les très grands vases ou morceaux d’émeraudes que l’on montre encore aujourd’hui dans quelques endroits, tels que la grande jatte du trésor de Gênes[19], la pierre verte pesant vingt-neuf livres, donnée par Charlemagne au couvent de Reichenau, près Constance[20], ne sont que des primes ou des prases, ou même des verres factices : or, comme ces émeraudes supposées ne prouvent rien aujourd’hui contre l’existence de la véritable émeraude, ces mêmes erreurs, dans l’antiquité, ne prouvent pas davantage.

D’après tous ces faits, comment peut-on douter de l’existence de l’émeraude en Italie, en Grèce et dans les autres parties de l’ancien continent avant la découverte du nouveau ? Comment d’ailleurs se prêter à la supposition forcée que la nature ait réservé exclusivement à l’Amérique cette production qui peut se trouver dans tous les lieux où elle a formé des cristaux ; et ne devons-nous pas être circonspects lorsqu’il s’agit d’admettre des faits extraordinaires et isolés comme le serait celui-ci ? Mais, indépendamment de la multitude des témoignages anciens, qui prouvent que les émeraudes étaient connues et communes dans l’ancien continent avant la découverte du nouveau, on sait, par des observations récentes, qu’il se trouve aujourd’hui des émeraudes en Allemagne[21], en Angleterre, en Italie ; et il serait bien étrange, quoi qu’en disent quelques voyageurs, qu’il n’y en eût point en Asie. Tavernier et Chardin ont écrit que les terres de l’Orient ne produisaient point d’émeraudes, et néanmoins Chardin, relateur véridique, convient qu’avant la découverte du nouveau monde les Persans tiraient des émeraudes de l’Égypte, et que leurs anciens poètes en font mention[22] ; que, de son temps, on connaissait en Perse trois sortes de ces pierres, savoir : l’émeraude d’Égypte, qui est la plus belle, ensuite les émeraudes vieilles et les émeraudes nouvelles : il dit même avoir vu plusieurs de ces pierres, mais il n’en indique pas les différences, et il se contente d’ajouter que, quoiqu’elles soient d’une très belle couleur et d’un poli vif, il croit en avoir vu d’aussi belles qui venaient des Indes occidentales ; ceci prouverait ce que l’on doit présumer avec raison, c’est que l’émeraude se trouve dans l’ancien continent aussi bien que dans le nouveau, et qu’elle est de même nature en tous lieux ; mais, comme l’on n’en connaît plus les mines en Égypte ni dans l’Inde, et que néanmoins il y avait beaucoup d’émeraudes en Orient avant la découverte du nouveau monde, ces voyageurs ont imaginé que ces anciennes émeraudes avaient été apportées du Pérou aux Philippines, et de là aux Indes orientales et en Égypte. Selon Tavernier, les anciens Péruviens en faisaient commerce[23] avec les habitants des îles orientales de l’Asie ; et Chardin, en adoptant cette opinion[24], dit que les émeraudes qui, de son temps, se trouvaient aux Indes orientales, en Perse et en Égypte, venaient probablement de ce commerce des Péruviens qui avaient traversé la mer du Sud longtemps avant que les Espagnols eussent fait la conquête de leur pays. Mais était-il nécessaire de recourir à une supposition aussi peu fondée pour expliquer pourquoi l’on a cru ne voir aux Indes orientales, en Égypte et en Perse, que des émeraudes des Indes occidentales ? La raison en est bien simple : c’est que les émeraudes sont les mêmes partout et que, comme les anciens Péruviens en avaient ramassé une très grande quantité, les Espagnols en ont tant apporté aux Indes orientales qu’elles ont fait disparaître le nom et l’origine de celles qui s’y trouvaient auparavant, et que, par leur entière et parfaite ressemblance, ces émeraudes de l’Asie ont été et sont encore aujourd’hui confondues avec les émeraudes de l’Amérique.

Cette opinion, que nous réfutons, paraît n’être que le produit d’une erreur de nomenclature : les naturalistes récents ont donné, avec les joailliers, la dénomination de pierres orientales à celles qui ont une belle transparence et qui, en même temps, sont assez dures pour recevoir un poli vif ; et ils appellent pierres occidentales[25] celles qu’ils croient être du même genre et qui ont moins d’éclat et de dureté. Et, comme l’émeraude n’est pas plus dure en Orient qu’en Occident, ils en ont conclu qu’il n’y avait point d’émeraudes orientales, tandis qu’ils auraient dû penser que cette pierre étant partout la même, comme le cristal, l’améthyste, etc., elle ne pouvait pas être reconnue ni dénommée par la différence de son éclat et de sa dureté.

Les émeraudes étaient seulement plus rares et plus chères avant la découverte de l’Amérique ; mais leur valeur a diminué en même raison que leur quantité s’est augmentée. « Les lieux, dit Joseph Acosta, où l’on a trouvé beaucoup d’émeraudes (et où l’on en trouvait encore de son temps en plus grande quantité) sont au nouveau royaume de Grenade et au Pérou ; proche de Manta et de Porto-Vieil, il y a un terrain qu’on appelle terres des émeraudes, mais on n’a point encore fait la conquête de cette terre. Les émeraudes naissent des pierres en forme de cristaux… J’en ai vu quelques-unes qui étaient moitié blanches et moitié vertes, et d’autres toutes blanches… En l’année 1587, ajoute cet historien, l’on apporta des Indes occidentales en Espagne deux canons d’émeraude, dont chacun pesait pour le moins quatre arobes[26]. » Mais je soupçonne avec raison que ce dernier fait est exagéré ; car Garcilasso dit que la plus grosse pierre de cette espèce, que les Péruviens adoraient comme la déesse mère des émeraudes, n’était que de la grosseur d’un œuf d’autruche, c’est-à-dire d’environ six pouces sur son grand diamètre[27] ; et cette pierre mère des émeraudes n’était peut-être elle-même qu’une prime d’émeraude qui, comme la prime d’améthyste, n’est qu’une concrétion plus ou moins confuse de divers petits canons ou cristaux de ces primes. Au reste, les primes d’émeraude sont communément fort nuageuses, et leur couleur n’est pas d’un vert pur, mais mélangé de nuances jaunâtres : quelquefois, néanmoins, cette couleur verte est aussi franche dans quelques endroits de ces primes que dans l’émeraude même, et Boëce remarque fort bien que, dans un morceau de prime nébuleux et sans éclat[28], il se trouve souvent quelque partie brillante qui, étant enlevée et taillée, donne une vraie et belle émeraude.

Il serait assez naturel de penser que la belle couleur verte de l’émeraude lui a été donnée par le cuivre ; cependant M. Demeste dit[29] « que cette pierre paraît devoir sa couleur verte au cobalt, parce qu’en fondant des émeraudes du Pérou avec deux parties de verre de borax, on obtient un émail bleu[NdÉ 1]. » Si ce fait se trouve constant et général pour toutes les émeraudes, on lui sera redevable de l’avoir observé le premier, et, dans ce cas, on devrait chercher et on pourrait trouver des émeraudes dans le voisinage des mines de cobalt.

Cependant cet émail bleu, que donne l’émeraude fondue avec le borax, ne provient pas de l’émeraude seule ; car les émeraudes qu’on a exposées au miroir ardent, ou au feu violent de nos fourneaux[30], commencent par y perdre leur couleur verte ; elles deviennent friables et finissent par se fondre sans addition d’aucun fondant et sans prendre une couleur bleue : ainsi l’émail bleu, produit par la fusion de l’émeraude au moyen du borax, provient peut-être moins de cette pierre que du borax même qui, comme je l’ai dit, contient une base métallique ; et ce que cette fusibilité de l’émeraude nous indique de plus réel, c’est que sa substance quartzeuse est mêlée d’une certaine quantité de schorl, qui la rend plus fusible que celle du cristal de roche pur.

La pierre à laquelle on a donné le nom d’émeraude du Brésil présente beaucoup plus de rapport que l’émeraude ordinaire avec les schorls ; elle leur ressemble par la forme, et se rapproche de la tourmaline par ses propriétés électriques[31] ; elle est plus pesante et d’un vert plus obscur que l’émeraude du Pérou[32] ; sa couleur est à peu près la même que celle de notre verre à bouteilles. Ses cristaux sont fortement striés ou cannelés dans leur longueur, et ils ont encore un autre rapport avec les cristaux du schorl par la pyramide à trois faces qui les termine ; ils croissent, comme tous les autres cristaux, contre les parois et dans les fentes des rochers vitreux ; on ne peut donc pas douter que cette émeraude du Brésil ne soit, comme les autres émeraudes, une stalactite vitreuse, teinte d’une substance métallique et mêlée d’une grande quantité de schorl qui aura considérablement augmenté sa pesanteur ; car la densité du schorl vert est plus grande que celle de cette émeraude[33] : ainsi c’est au mélange de ce schorl vert qu’elle doit sa couleur, son poids et sa forme.

L’émeraude du Pérou, qui est l’émeraude de tout pays, n’est qu’un cristal teint et mêlé d’une petite quantité de schorl qui suffit pour la rendre moins réfractaire que le cristal de roche à nos feux : il faudrait essayer si l’émeraude du Brésil, qui contient une plus grande quantité de schorl, et qui en a pris son plus grand poids et emprunté sa figuration, ne se tondrait pas encore plus facilement que l’émeraude commune.

Les émeraudes, ainsi que les améthystes violettes ou pourprées, les cristaux-topazes, les chrysolithes dont le jaune est mêlé d’un peu de vert, les aigues-marines verdâtres ou bleuâtres, le saphir d’eau légèrement teint de bleu, le feldspath de Russie et toutes les autres pierres transparentes que nous avons ci-devant indiquées, ne sont donc que des cristaux vitreux, teints de ces diverses couleurs par les vapeurs métalliques qui se sont rencontrées dans le lieu de leur formation, et qui se sont mêlées avec le suc vitreux qui fait le fond de leur essence : ce ne sont que des cristaux colorés dont la substance, à l’exception de la couleur, est la même que celle du cristal de roche pur, ou de ce cristal mêlé de feldspath et de schorl. On ne doit donc pas mettre les émeraudes au rang des pierres précieuses qui, par la densité, la dureté et l’homogénéité, sont d’un ordre supérieur, et dont nous prouverons que l’origine est toute différente de celle des émeraudes et de toutes les autres pierres transparentes, vitreuses ou calcaires.


Notes de Buffon
  1. La pesanteur spécifique de l’émeraude du Pérou est de 27 755, et celle du cristal de roche de 26 548. Table de M. Brisson.
  2. L’émeraude exposée au foyer lenticulaire s’y est fondue et arrondie en trois minutes ; elle est devenue d’un bleu terne avec quelques taches blanchâtres. Cette expérience a été faite avec la lentille à l’esprit-de-vin de M. de Bernières. Voyez la Gazette des arts, du 27 juin 1776.
  3. La gangue de la mine d’or de Mezquitel, au Mexique, est un quartz dans lequel se trouvent des cristaux d’émeraude, lesquels même contiennent des grains d’or. Bowles, Histoire naturelle d’Espagne.
  4. On trouve les émeraudes au long des rochers où elles croissent, et viennent à peu près comme le cristal. Voyages de Robert Lade ; Paris, 1744, t. Ier, p. 50 et 57.
  5. Une belle émeraude se monte sur noir comme les diamants blancs ; elle est la seule pierre de couleur qui jouisse de cette prérogative, parce que le noir, bien loin d’altérer sa couleur, la rend plus riche et plus veloutée, au lieu que le contraire arrive avec toute autre pierre de couleur.
  6. C’est la remarque de Théophraste (Lap. et Gemm., no 44), sur quoi les commentateurs sont tombés dans une foule de doutes et de méprises, cherchant mal à propos comment l’émeraude pouvait donner à l’eau une teinte verte, tandis que Théophraste n’entend parler que du reflet de la lumière qu’elle y répand.
  7. « Nullius coloris aspectus jucundior est ; nam herbas quoque virentes frondesque avidè spectamus : smaragdos verò tantò libenliùs quoniam nihil omninò viridius comparatum illis viret. Præterea, soli gemmarum contuitu oculos implent nec satiant ; quin et ab intentione aliâ obscurata aspectu smaragdi recreatur acies… Ita viridi lenitate lassitudinem mulcent. Præterea longinque amplificantur visu inficientes circa se repercussum aera ; non sole mutati, non umbrâ, non lucernis, semperque sensim radiantes et visum admittentes. » Plin., lib. xxxvii, no 16.
  8. Lap. et Gemm., no 44.
  9. « Plerùmque concavi ut visum colligant… Quorum verò corpus extensum est, eâdem quâ specula ratione superi imagines reddunt, Nero princeps gladiatorum pugnas spectabat smaragdo. » Idem, ibidem.
  10. « Quapropter, decreto hominum iis parcitur scalpi vetitis. » Loc. cit.
  11. Livre xxxvii, no 3. Il parle de deux émeraudes, sur chacune desquelles était gravée Amymone, l’une de Danaïdes : et dans le même livre de son Histoire naturelle, no 4, il rapporte la gravure des émeraudes à une époque qui répond en Grèce au règne du dernier des Tarquins. — Selon Clément Alexandrin, le fameux cachet de Polycrate était une émeraude gravée par Théodore de Samos (B. Clem. Alex., Pædag., lib. iii). — Lorsque Lucullus, ce Romain si célèbre par ses richesses et par son luxe, aborde à Alexandrie, Ptolémée, occupé du soin de lui plaire, ne trouve rien de plus précieux à lui offrir qu’une émeraude sur laquelle était gravé le portrait du monarque égyptien. Plut. in Lucull.
  12. M. Dutens.
  13. Ἔστι δὲ σπανία, καὶ τὸ μέγεθος οὐ μεγάλη. De Lapid., p. 87.
  14. « Atque hæc quidem ita ab ipsis referentur. » Ibidem.
  15. « Nisi fortè pseudosmaragdus sit. » Ibidem.
  16. La première est l’émeraude nommée par les anciens pierre de Scythie, et qu’ils ont dit être la plus belle de toutes. La seconde, qui nous paraît être aussi une émeraude véritable, est la bactriane, à laquelle Pline attribue la même dureté et le même éclat qu’à l’émeraude scythique, mais qui, ajoute-t-il, est toujours fort petite. La troisième, qu’il nomme émeraude de Coptos et qu’il dit être en morceaux assez gros, mais qui est moins parfaite, moins transparente et n’ayant pas le vif éclat des deux premières. Les neuf autres sortes étaient celles de Chypre, d’Éthiopie, d’Herminie, de Perse, de Médie, de l’Attique, de Lacédémone, de Carthage, et celle d’Arabie, nommée cholus… La plupart de celles-ci, disent les anciens eux-mêmes, ne méritent plus le nom d’émeraudes, et n’étaient, suivant l’expression de Théophraste, que de fausses émeraudes, pseudosmaragdi, nos 45 et 46. On les trouvait communément dans les environs des mines de cuivre, circonstance qui peut nous les faire regarder comme des fluors verts, ou peut-être même des malachites.
  17. Voyez Théophraste, no 14 ; et Pline, liv. xxxvii, no 16.
  18. Telle était encore la statue de Minerve, faite d’émeraude, ouvrage fameux de Dipœnus et Scyllis. V. Jun. de Pict. vet.
  19. M. de La Condamine, qui s’est trouvé à Gênes avec MM. les princes Corsini, petits-neveux du pape Clément XII, a eu par leur moyen occasion d’examiner attentivement ce vase à la lueur d’un flambeau. La couleur lui en a paru d’un vert très foncé ; il n’y aperçut pas la moindre trace de ces glaces, pailles, nuages et autres défauts de transparence si communs dans les émeraudes et dans toutes les pierres précieuses un peu grosses, même dans le cristal de roche, mais il y distingua très bien plusieurs petits vides semblables à des bulles d’air, de forme ronde ou oblongue, telles qu’il s’en trouve communément dans les cristaux ou verres fondus, soit blancs, soit colorés…

    Le doute de M. de La Condamine sur ce vase soi-disant d’émeraude n’est pas nouveau. Il est, dit-il, clairement indiqué par les expressions qu’employait Guillaume, archevêque de Tyr, il y a quatre siècles, en disant qu’à la prise de Césarée, ce vase échut pour une grande somme d’argent aux Génois, qui le crurent d’émeraude, et qui le montrent encore comme tel et comme miraculeux aux voyageurs. Au reste, continue l’auteur, il ne tient qu’à ceux à qui ces soupçons peuvent déplaire de les détruire s’ils ne sont pas fondés. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1757, p. 340 et suiv.

  20. On me montra (à l’abbaye de Reichenau, près de Constance) une prétendue émeraude d’une prodigieuse grandeur ; elle a quatre côtés inégaux, dont le plus petit n’a pas moins de neuf pouces et dont le plus long a près de deux pieds ; son épaisseur est d’un pouce, et son poids de vingt-neuf livres. Le supérieur du couvent l’estime cinquante mille florins ; mais ce prix se réduirait à bien peu si, comme je le présume, cette émeraude n’était autre chose qu’un spath fluor transparent d’un assez beau vert. Lettres de M. William Coxe sur l’état de la Suisse, p. 21.
  21. Il est parlé dans quelques relations d’une tasse d’émeraude de la grandeur d’une tasse ordinaire, qui est conservée à Vienne dans le Cabinet de l’Empereur, et que des morceaux qu’on a ménagés, en creusant cette tasse, on a fait une garniture complète pour l’impératrice. Voyez la Relation historique du voyage en Allemagne ; Lyon, 1676, p. 9 et 10.
  22. Sefi-kouli-kan, gouverneur d’Irivan, m’apprit que, dans les poètes persans, les émeraudes de vieille roche sont appelées émeraudes d’Égypte, et qu’on tient qu’il y en avait une mine en Égypte, qui est à présent perdue. Voyage de Chardinetc. ; Londres, 1686, p. 264.
  23. Pour ce qui est enfin de l’émeraude, c’est une erreur ancienne de bien des gens de croire qu’elle se trouve originairement dans l’Orient, parce qu’avant la découverte de l’Amérique l’on n’en pouvait autrement juger ; et même encore aujourd’hui, la plupart des joailliers et orfèvres, d’abord qu’ils voient une émeraude de couleur haute et tirant sur le noir, ont accoutumé de dire que c’est une émeraude orientale : je crois bien qu’avant que l’on eût découvert cette partie du monde que l’on appelle vulgairement les Indes occidentales, les émeraudes s’apportaient d’Asie en Europe, mais elles venaient des sources du royaume du Pérou ; car les Américains, avant que nous les eussions connus, trafiquaient dans les îles Philippines où ils apportaient de l’or et de l’argent, mais plus d’argent que d’or, vu qu’il y a plus de profit à l’un qu’à l’autre, à cause de la quantité de mines d’or qui se trouvent dans l’Orient : aujourd’hui encore, ce même négoce continue, et ceux du Pérou passent tous les ans aux Philippines avec deux ou trois vaisseaux où ils ne portent que de l’argent et quelque peu d’émeraudes brutes, et même depuis quelques années ils cessent d’y porter des émeraudes, les envoyant toutes en Europe par la mer du Nord. L’an 1660, je les ai vu donner à vingt pour cent meilleur marché qu’elles ne vaudraient en France. Ces Américains étant arrivés aux Philippines, ceux du Bengale, d’Aracan, de Péhu, de Goa et d’autres lieux y portent toutes sortes de toiles et quantité de pierres en œuvre, comme diamants, rubis, avec plusieurs ouvrages d’or, étoffes de soie et tapis de Perse ; mais il faut remarquer qu’ils ne peuvent rien vendre directement à ceux du Pérou, mais à ceux qui résident aux Manilles, et ceux-ci les revendent aux Américains ; et même, si quelqu’un obtenait la permission de retourner de Goa en Espagne par la mer du Sud, il serait obligé de donner son argent à quatre-vingts ou cent pour cent jusqu’aux Philippines, sans pouvoir rien acheter, et d’en faire de même des Philippines jusqu’à la Nouvelle-Espagne. C’est donc là ce qui se pratiquait pour les émeraudes, avant que les Indes occidentales fussent découvertes ; car elles ne venaient en Europe que par cette longue voie et ce grand tour : tout ce qui n’était pas beau demeurait en ce pays-là, et tout ce qui était beau passait en Europe. Les six Voyages de Tavernier, etc. ; Rouen, 1713, t. IV, p. 42 et suiv.
  24. Les Persans font une distinction entre les émeraudes comme nous faisons entre les rubis ; ils appellent la plus belle : émeraude d’Égyte, la sorte suivante émeraude vieille, et la troisième sorte émeraude nouvelle. Avant la découverte du nouveau monde, les émeraudes leur venaient d’Égypte, plus hautes en couleur, à ce qu’ils prétendent, et plus dures que les émeraudes d’Occident. Ils m’ont fait voir plusieurs fois de ces émeraudes qu’ils appellent zemroud Mesri ou de Misraïm, l’ancien nom d’Égypte, et aussi zemroud asvaric, d’Asvan ville de la Thébaïde, nommée Syène par les anciens géographes ; mais, quoiqu’elles me parussent très belles, d’un vert foncé et d’un poliment fort vif, il me semblait que j’en avais vu d’aussi belles des Indes occidentales. Pour ce qui est de la dureté, je n’ai jamais eu le moyen de l’éprouver ; et, comme il certain qu’on n’entend point parler depuis longtemps des mines d’émeraudes en Égypte, il pourrait être que les émeraudes d’Égypte y étaient apportées par le canal de la mer Rouge, et venaient ou des Indes occidentales par les Philippines, ou du royaume du Pégu ou de celui de Golconde sur la côte de Coromandel, d’où l’on tire journellement des émeraudes. Voyage de Chardin ; Amsterdam, 1711, t. II, p. 25.
  25. Boëce paraît être l’auteur de la distinction des émeraudes en orientales ou occidentales : il caractérise les premières par leur grand brillant, leur pureté et leur excès de dureté. Il se trompe quant à ce dernier point, et de Laët s’est de même trompé d’après lui, car on ne trouve pas entre les émeraudes cette différence de dureté, et toutes n’ont à peu près que la dureté du cristal de roche.
  26. Histoire naturelle des Indes, par Acosta ; Paris, 1600, p. 157 et suiv.
  27. Histoire des Incas, t. Ier. — Du temps des rois Incas, on ne trouvait dans le Pérou que des turquoises, des émeraudes et du cristal fort net, mais que les Indiens ne savaient pas mettre en œuvre. Les émeraudes viennent dans les montagnes qu’on appelle Manta, dépendantes de Puerto-Viejo. Il a été impossible aux Espagnols, quelque peine qu’ils se soient donnée, de découvrir la mine : ainsi, l’on ne trouve presque plus d’émeraudes dans cette province qui fournissait autrefois les plus belles de cet empire. On en a apporté cependant une si grande quantité en Espagne, qu’on ne les estime plus. L’émeraude a besoin de se mûrir comme le fruit ; elle commence par être blanche, ensuite elle devient d’un vert obscur, et commence par se rendre parfaite par un de ses angles qui sans doute regarde le soleil levant, et cette belle couleur se répand ensuite sur toute son étendue. J’en ai vu autrefois dans Cusco d’aussi grosses que de petites noix, parfaitement rondes et percées dans le milieu : les Indiens les préfèrent aux turquoises. Ils connaissaient les perles, mais ils n’en faisaient aucun usage, car les Incas, ayant vu la peine et le danger avec lesquels on les tirait de la mer, en défendirent l’usage, aimant mieux conserver leurs sujets qu’augmenter leurs richesses. On en a pêché une si grande quantité qu’elles sont devenues communes. Le P. Acosta dit qu’elles étaient autrefois si recommandables qu’il n’était permis qu’aux rois et à leur famille d’en porter, mais qu’elles sont aujourd’hui si communes que les nègres en ont des chaînes et des colliers. Histoire des Incas ; Paris, 1744, t. II, p. 289 et suiv.
  28. Il dit de prase, mais il est clair que sa prase est la prime : « Prasius… mater smaragdi multis putaturet non immeritò, quòd aliquandò in eâ reperiatur etiamsi non semper ; nam quæ partes viridiores absque flavedine et perspicuæ in prasio reperiuntur, smaragdi ritè appellari possunt, ut illi quorum flavedo aurea est, Chrysoprasii. » Gemm. et lapid. Hist., p. 23.
  29. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 426.
  30. Voyez l’article des Pierres précieuses dans l’Encyclopédie.
  31. Voyez la Lettre de M. Demeste, t. Ier, p. 427.
  32. La pesanteur spécifique de l’émeraude du Brésil est de 31 555, et celle de l’émeraude du Pérou n’est que de 27 755.
  33. La pesanteur spécifique du schorl vert est de 34 529, et celle de l’émeraude du Brésil de 31 555.
Notes de l’éditeur
  1. C’est, en réalité, à l’oxyde de chrome que les émeraudes du Brésil doivent leur belle coloration verte.