Épîtres (Voltaire)/Épître 32

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 268-269).


ÉPÎTRE XXXII.


À MONSIEUR DE CIDEVILLE[1].


(1731)


Ceci te doit être remis
Par un abbé de mes amis,
Homme de bien, quoique d’Église.
Plein d’honneur, de foi, de franchise[2],
En lui les dieux n’ont rien omis
Pour en faire un abbé de mise :
Même Phébus le favorise[3].
Mais dans son cœur Vénus a mis
Un petit grain de gaillardise.
Or c’est un point qui scandalise
Son curé, plus gaillard que lui,
Qui des longtemps le tyrannise,
Et nouvellement aujourd’hui[4]
Dans un placard le tympanise.
Sur cela mon abbé prend feu[5],
Lui fait un bon procès de Dieu,
Le gagne : appel ; or c’est dans peu
Qu’on doit chez vous juger l’affaire.
Or, puissant est notre adversaire :

Le terrasser n’est pas un jeu.
Tu dois m’entendre, et moi me taire ;
Car c’est trop longtemps tutoyer
Du parlement un conseiller :
Ma muse un peu trop familière
Pourrait à la fin l’ennuyer,
Peut-être même lui déplaire.
Qu’il sache pourtant qu’à Cythère
L’Amitié, l’Amour, et leur mère,
Parlent toujours sans compliment ;
Qu’avec Hortense ma tendresse
N’en use jamais autrement,
Et j’estime autant ma maîtresse
Qu’un conseiller au parlement.



  1. Cette pièce a été imprimée avec la date du 20 mai 1735 dans les Nouveaux Amusements du cœur et de l’esprit, t. III, p. 194-195, et dans les Observations sur les écrits modernes, par Desfontaines, 28 mai 1735, t. I, p. 263. Elle a été admise dans les Œuvres de Voltaire, Amsterdam (Rouen), 1764, tome V, page 349. Je la croyais inédite quand je la publiai en 1823. La copie qui m’avait été communiquée contenait cinq vers de moins que le texte actuel. J’ai aussi recueilli quatre petites variantes. (B.)

    M. de Cideville était conseiller au parlement de Rouen. Il avait été un des camarades de collège de Voltaire.

  2. Variante :
    Plein d’esprit, d’honneur, de franchise.
  3. Variante :
    Phébus même le favorise.
  4. Variante :
    Et publiquement aujourd’hui.
  5. Variante :
    Là-dessus mon ami prend feu.