William Shakespeare, Sonnets de Shakespeare dans Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, tome 15. 1872

LXXX

Non, tu ne te vanteras pas de me faire changer, ô Temps ! Tes pyramides, reconstruites sur de nouvelles assises, n’ont pour moi rien de surprenant, rien d’extraordinaire : elles ne sont que les revêtements d’une matière antérieure.

Notre destinée est brève, et c’est ce qui fait que nous admirons ces choses que tu nous donnes comme antiques ; et nous les croirions faites tout exprès pour nous, plutôt que de nous rappeler qu’elles étaient connues auparavant.

Je fais fi de toi et de tes registres, et je ne m’étonne ni de ton présent ni de ton passé. Je ne vois que mensonge dans ces monuments que tu défais et refais dans ta hâte continuelle.

Pour moi, je fais le vœu, le vœu pour toujours, d’être constant, en dépit de toi et de ta faux.

LXXXI

Si mon amour n’était qu’un enfant royal, il pourrait être déshérité comme un bâtard de la fortune ; il subirait l’alternative de la faveur et de la fureur du temps, comme les ronces ou comme les fleurs qui s’entassent sous la faucille.

Non, mon amour a été élevé loin de tout accident. Il n’est pas gêné par la pompe souriante, et ne peut tomber sous le souffle du mécontentement servile, dont notre époque semble provoquer chez nous la mode.

Il ne craint pas la politique, cette hérétique, qui ne travaille que sur des contrats de quelques heures : dans les régions supérieures où il se dresse, la chaleur ne peut pas plus le grandir que la pluie le noyer.

Je laisse l’épreuve de ces vicissitudes aux bouffons du temps, dont la mort est un bien et dont la vie n’a été qu’un crime.