Nicole Estienne, Stanzes du Mariage dans Variétés historiques et littéraires, Tome III : Les Misères de la Femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu’elle reçoit durant sa vie. vers 1587


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Hé donc parmi cet heur estes vous aveuglez
Pour ne veoir tant de biens que Dieu vous a baillez ?
Voulez-vous mespriser une manne si douce ?
Ne savourez-vous point la douceur de ce miel
Qui sur le genre humain pleut & tombe du ciel ?
Gardez en ce faisant que Dieu ne se courrouce.

Si de quelque raison vos esprits sont menez,
Si à ne point mentir vous estiez addonnez
Quoy ? ne diriez-vous pas que la Nopce vous monstre
En son brave appareil, festins delicieux,
Pompe de beaux habits & sons harmonieux,
Qu’au Mariage sainct tout bonheur on rencontre ?

Escoutez mes propos, O vous qui desdaignez
D’estre pudiquement de femme accompaignez,
Et n’en pouvez trouver qui vous contente & plaise.
Si vous la prenez riche, elle vous traictera,
Sans peine & sans travail son bien vous nourrira,
Et sans vous tourmenter vous vivrez à vre aise.

Lors il vous semblera d’entrer en Paradis,
De trouver tant de biens sans nulle peine acquis,
De tenir & compter les escus à poignee,
De veoir & visiter ses terres & maisons,
D’avoir ce qu’il vous fault en toutes les saisons,
Sans veoir de pauvreté la vie accompaignee.

Joinct qu’ordinairement la riche est de bon lieu
Bien nee & bien nourrie en la crainte de Dieu,
Pleine de bonnes mœurs & bien apparentee :
Elle vous met au monde, & les enfans qu’avez
Aux estats & honneurs sont soudain eslevez,
Rendant de vous & d’eux la gloire dilatee.

Si vous la prenez pauvre, elle ha dedans le cueur
Plus d’amour, plus de foy, plus de crainte & douceur,
Elle est humble, & vous sert de femme & de servante :
Elle se plaist d’entendre & scavoir vos humeurs,
S’accommode, se dresse & façonne à vos mœurs,
Et en tout & par tout vous est obeissante.

Si vous la prenez belle, O combien de plaisir
Vous est loisible alors à toute heure choisir,
Y admirant de Dieu l’artifice & l’ouvrage,
Baisant les belles fleurs, les roses & les lis
En sa vive couleur & ses yeux embellis,
Et embrassant souvent une si belle image !

Si vous la prenez laide, elle vous aimera,
Son amour envers vous jamais ne varira,
Vous ne serez point atteint du mal de Jalousie :
Seulette en sa maison tousjours la trouverez,
Et vos petits enfans mieux vous esleverez,
Car elle en nourrira la plus grande partie.

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