Phèdre, Fables Ier siècle ap. J.-C.

Traduction Ernest Panckoucke 1864


LIVRE PREMIER


PROLOGUE

C’est Ésope qui, le premier, a trouvé ces matériaux : moi, je les ai façonnés en vers ïambiques. Ce petit livre a un double mérite : il fait rire et il donne de sages conseils pour la conduite de la vie. À celui qui viendrait me reprocher injustement de faire parler non-seulement les animaux, mais même les arbres, je rappellerai que je m’amuse ici à de pures fictions.


LE LOUP ET L’AGNEAU

Un Loup et un Agneau, pressés par la soif, étaient venus au même ruisseau. Le Loup se désaltérait dans le haut du courant, l’agneau se trouvait plus bas ; mais, excité par son appétit glouton, le brigand lui chercha querelle. « Pourquoi, lui dit-il, viens-tu troubler mon breuvage ? » L’Agneau répondit tout tremblant : « Comment, je vous prie, puis-je faire ce dont vous vous plaignez ? cette eau descend de vous à moi. » Battu par la force de la vérité, le Loup reprit : « Tu médis de nous, il y a six mois. — Mais je n’étais pas né, » répliqua l’Agneau. « Par Hercule ! ce fut donc ton père, » ajouta le Loup. Et, dans sa rage, il le saisit et le met en pièces injustement.

Cette fable est pour ceux qui, sous de faux prétextes, oppriment les innocents.


LE GEAI ORGUEILLEUX ET LE PAON

Ne vous glorifiez pas des avantages d’autrui, mais vivez plutôt content de votre état, d’après cet exemple qu’Ésope nous a laissé.

Enflé d’un vain orgueil, un Geai ramassa les plumes d’un Paon, et s’en fit une parure ; puis, méprisant ses pareils, il va se mêler à une troupe de superbes Paons : mais ils arrachent le plumage à l’oiseau imprudent, et le chassent à coups de bec. Tout maltraité, le Geai revenait tout confus vers les oiseaux de son espèce : repoussé par eux, il eut encore à supporter cette honte. Un de ceux qu’il avait autrefois regardés avec mépris, lui dit alors : « Si tu avais su vivre parmi nous, et te contenter de ce que t’avait donné la nature, tu n’aurais pas d’abord essuyé un affront, et, dans ton malheur, tu ne te verrais point chassé par nous. »


LE CHIEN NAGEANT

On perd justement son bien, quand on convoite celui d’autrui.

Un chien traversait un fleuve avec un morceau de chair dans sa gueule : il aperçoit son image dans le miroir des eaux, et, croyant voir un autre chien portant une autre proie, il veut la lui ravir. Mais son avidité fut trompée : il lâcha la proie qu’il tenait, et